Csongor Gáll : Le chiffre magique, c’est désormais 3 %. Après le programme Otthon Start à 3 %, ce sont maintenant les PME qui vont pouvoir bénéficier, avec l’aide du gouvernement hongrois, d’un prêt à taux fixe de 3 %. Bonjour à toutes et à tous ! Vous écoutez un nouvel épisode du podcast Economx Money Talks. Nos invités du jour : le Premier ministre de Hongrie, Viktor Orbán, et M. Elek Nagy, président de la Chambre hongroise du commerce et de l’industrie. Bienvenue à vous deux, et merci d’avoir accepté notre invitation.
Merci de m’accueillir.
Elek Nagy : Je vous remercie également.
Csongor Gáll : Avant tout, parlons de cette nouvelle formule. Il serait utile de clarifier quelques détails, notamment : à qui ce prêt à 3 % sera-t-il accessible ?
Elek Nagy : Commençons par le début. Mais si vous le permettez, j’aimerais ajouter quelque chose afin que l’auditoire comprenne pourquoi cela revêt une telle importance. Depuis un à deux ans, les taux des prêts KAVOSZ ont été légèrement réduits à plusieurs reprises. Il faut savoir que ces prêts KAVOSZ représentent environ la moitié de l’ensemble des crédits accordés aux petites et moyennes entreprises en Hongrie. C’est donc un volume considérable. Et c’est précisément pour cela que cette décision compte : dans les périodes difficiles, il faut pouvoir apporter un soutien rapide et ciblé aux entreprises. Quand je dis « apporter », cela signifie que nous, à la Chambre, faisons la proposition, le gouvernement l’examine, puis décide s’il la met en œuvre ou non. Ce n’est pas nécessairement une mesure à long terme, on n’a pas besoin de taux bas pendant des décennies. Mais quand la situation l’exige, il faut agir. Et aujourd’hui, c’est nécessaire, parce que les temps sont durs. Nous avons donc analysé, avec le ministère de l’Économie nationale, l’impact de cette baisse générale des taux à 3 %. Bien sûr, cela représentera à long terme une charge supplémentaire de 50 à 60 milliards pour le budget, pas cette année, où l’effet reste minime, mais il y a un autre facteur essentiel : ces entreprises produisent, elles créent de la valeur, elles stimulent la croissance du PIB. Ces deux aspects doivent être pris en compte ensemble. En résumé : que ce soit pour les découverts bancaires ou pour les prêts à l’investissement, le taux d’intérêt sera désormais uniformément fixé à 3 %.
Csongor Gáll : Autrement dit, le Programme Carte Széchenyi actuellement en vigueur voit ses taux ramenés à 3 % ?
Elek Nagy : Plus précisément, ils sont abaissés à ce niveau.
Csongor Gáll : C’est bien ce que je voulais dire. Et concernant les modalités d’accès ou les démarches administratives bureaucratiques : y a-t-il des changements ?
Elek Nagy : Je n’utiliserais pas le termes « démarches administratives bureaucratiques » dans ce cas précis, même si, bien sûr, nous luttons contre la bureaucratie. Le prêt Széchenyi de KAVOSZ est en réalité très simple à obtenir. Les entreprises peuvent y accéder rapidement. Nous avons toutefois assoupli certaines conditions, sur la base de retours que nous avons reçus, mais ce sont des ajustements mineurs, rien de fondamental. L’essentiel, c’est ceci : si une entreprise obtient un prêt de 100 millions de forints, elle économise environ 1,5 million en un an. Elle peut réinvestir cette somme dans son développement, et c’est toute l’économie du pays qui en bénéficie.
Csongor Gáll : Et il n’y aura donc pas de nouvelles restrictions, comme aujourd’hui : pas de limitation géographique, pas de condition particulière, hormis le plafond de 150 millions de forints qui reste en vigueur ?
Exactement. J’ai d’ailleurs demandé au ministre de l’Économie de conclure avec la Chambre un accord garantissant un dispositif aussi simple que possible : un financement accessible à tous. Et je tiens ici à remercier la Chambre pour sa coopération dans ce sens.
Csongor Gáll : Nous parlons donc, en somme, d’un nouveau dispositif à taux préférentiel. Comme je le disais dans mon introduction, il y a déjà eu le programme Otthon Start à 3 %, et le gouvernement hongrois a récemment annoncé plusieurs mesures offrant divers avantages aux familles : des mesures qui pèseront sur le budget dans les années à venir. Je pense, par exemple, à l’allègement fiscal pour les mères de trois enfants, entre autres. Ma question : d’où viendra l’argent pour financer tout cela, l’an prochain, dans deux ans, ou dans cinq ?
Le gouvernement, contrairement à ce que certains prétendent, est une institution sérieuse. On ne peut pas simplement taper du poing sur la table et dire : « On donnera de l’argent pour ceci, pour cela ou pour autre chose. » Ça ne fonctionne pas comme ça. Et d’ailleurs, le gouvernement n’a pratiquement pas un seul forint à sa disposition de manière totalement libre. La Hongrie a un régime parlementaire. La façon dont nous gérons les finances publiques, ce que nous dépensons et pour quels objectifs, tout cela est défini par une loi budgétaire. Cette loi doit être débattue publiquement : elle fixe les recettes et les dépenses. S’il y a équilibre, tant mieux ; s’il y a un déficit, le budget doit en prévoir la couverture. En plus, ce budget est examiné par le Conseil budgétaire, qui vérifie s’il est réaliste, cohérent et rationnel, avant que le Parlement ne l’adopte. C’est dans ce cadre-là que le gouvernement peut agir. Les budgets déjà adoptés pour 2025 et 2026 prévoient les fonds nécessaires pour financer ces mesures. Et si nous sommes toujours au pouvoir en 2027, ce que j’espère vivement, ce sera la même chose. Donc oui, le financement est assuré : l’économie hongroise est capable de générer les ressources nécessaires. Et comme l’a dit M. le président [Elek Nagy], n’oublions pas qu’il y a une différence entre les dépenses sociales ou de bien-être et celles qui soutiennent directement l’économie. Quand l’argent est injecté dans le social, il faut être extrêmement vigilant. Quand il est injecté dans l’économie, il faut aussi l’être, bien sûr, mais le risque est moindre : si l’on donne intelligemment, on renforce la capacité de production du pays. C’est là que la Chambre de commerce joue un rôle crucial : il ne faut pas que ce soient des bureaucrates qui décident arbitrairement à qui donner et comment, mais des experts du monde économique, qui savent comment orienter l’aide. Et si cette aide est bien ciblée, elle génère une performance économique supplémentaire. Plus de performance, c’est plus de recettes pour le budget. Je le répète souvent : il faut, autant que possible, laisser l’argent dans l’économie. Le mieux, c’est de réduire les impôts. Mais si ce n’est pas possible, alors il faut réinjecter une partie des recettes fiscales dans l’économie, car à terme, cela rapporte davantage.
Csongor Gáll : Lors de la conférence de presse suivant l’annonce, il a aussi été question de négociations en cours concernant d’éventuelles baisses d’impôts. Pouvez-vous nous dire quels impôts sont concernés, et dans quelle proportion ?
En réalité, ces discussions portent sur les salaires pour l’année prochaine. Les salaires, en principe, sont fixés par le marché : par les propriétaires de capitaux et les employeurs. C’est ce qu’ils versent que les gens perçoivent. Bien sûr, une partie des travailleurs sont employés par l’État, mais là, c’est nous, le gouvernement, qui agissons comme employeur : c’est un cas plus simple. Le plus complexe, c’est le salaire minimum. Même si c’est un salaire de marché, le gouvernement peut intervenir pour fixer le plancher légal. Et ce plancher influence ensuite l’ensemble des salaires : il peut tirer les autres vers le haut ou vers le bas. Pour fixer ce salaire minimum, trois acteurs doivent s’accorder : M. Nagy et la Chambre, du côté des employeurs, les salariés et le gouvernement. Chaque gouvernement a sa propre stratégie pour participer à ces discussions. La nôtre, qui est aussi la mienne, personnellement, consiste à laisser les acteurs du marché s’entendre entre eux. Si les syndicats et les employeurs trouvent un accord, c’est que l’économie peut le supporter. Je ne veux pas imposer quelque chose que le tissu économique ne peut pas produire. Mais bien sûr, les syndicats et les employeurs ne manquent pas de bon sens. Et souvent, ils nous disent : « Si le gouvernement consentait à une baisse d’impôts ici ou là, nous pourrions accepter une hausse plus importante du salaire minimum. » Et c’est exactement là où nous en sommes aujourd’hui : pour parvenir à un accord à deux chiffres sur la hausse du salaire minimum, les partenaires sociaux disent que le gouvernement doit réduire certains impôts pesant sur les entreprises privées. Ainsi, elles pourraient verser des salaires plus élevés. Cela peut paraître technique, mais c’est la réalité. Nous avons déjà conclu par le passé un accord pluriannuel de ce type, qui avait permis de réduire les cotisations sociales à la charge des employeurs. Et aujourd’hui, des propositions similaires sont sur la table. Je ne veux pas m’avancer, car nous sommes encore en pleine négociation, mais il est clair que pour permettre une hausse significative du salaire minimum, le gouvernement devra faire un geste fiscal. La question est maintenant de savoir combien, comment et à quel rythme, c’est précisément ce sur quoi nous discutons. En résumé, je ne plaide pas ici pour une baisse d’impôts au bénéfice direct des entreprises, mais pour une réduction ciblée qui permette une augmentation durable des salaires.
Csongor Gáll : Autrement dit, une hausse à deux chiffres du salaire minimum ne sera possible que si les cotisations sociales baissent ?
Cela peut sembler abrupt, mais, dans les grandes lignes, oui, c’est bien le cas. D’un point de vue juridique, pas forcément ; car, au final, c’est toujours le gouvernement qui fixe le montant du salaire minimum. Je pourrais, si je voulais, annoncer un chiffre au hasard. Mais cela déstabiliserait toute l’économie. Quand on détient le pouvoir, et le gouvernement a, en la matière, des prérogatives très fortes, il faut savoir l’utiliser avec discernement. Et, au fond, le véritable art de gouverner, c’est de savoir quand ne pas user de sa force. C’est précisément une de ces situations : le gouvernement ne doit pas imposer, mais favoriser le compromis. Nous pourrions décider seuls, bien sûr, mais ce serait une erreur. Dans ces moments-là, il faut faire un pas en arrière, laisser les partenaires sociaux trouver un accord, et apporter un soutien pour y parvenir. C’est ma philosophie. Et c’est pourquoi, oui, il y aura bien une réduction d’impôt dans ce contexte.
Csongor Gáll : Où en sont les négociations, Monsieur le Président ?
Elek Nagy : Je pense que ce que vient de dire le Premier ministre illustre très bien qu’un bon compromis est en train de se dessiner. Je voudrais toutefois ajouter un point : le rôle de la Chambre de commerce est différent de celui des grandes organisations syndicales, comme la MGYOSZ ou la VOSZ, car en tant qu’institution publique de coordination, nous devons défendre l’intérêt général de l’économie, et non pas, comme un syndicat, un seul objectif précis, par exemple obtenir les salaires les plus élevés possible. Notre responsabilité, c’est de veiller à l’équilibre et à la stabilité de l’économie hongroise. Nous devons donc éviter les excès : ce n’est pas un marchandage de bazar marocain, du type « si tu donnes ceci, je te donne cela ». Quand nous faisons des propositions, nous les présentons avec des calculs précis, en démontrant quelles en seraient les conséquences. Et l’exemple évoqué par le Premier ministre en est un cas typique. Je voudrais ajouter encore un point : cela avait déjà été rendu public en août. Lors de nos discussions avec le ministre Márton Nagy, à la suite de l’accord détaillé et à la nouvelle logique que nous avons signés en mai, nous avons fait une proposition dans l’esprit de stabilité : que l’impôt des entrepreneurs indépendants, environ un demi-million de personnes, soit relevé de 18-20 à 22-24 au cours des trois prochaines années. Cela garantit la prévisibilité : chacun saura à quoi s’en tenir. Pour le budget, cela représente quelques dizaines de milliards de forints supplémentaires, mais, je le souligne, aujourd’hui, la limite d’exonération est fixée à 18 millions de forints, et, pour une raison ou une autre, personne ne dépasse ce seuil. Ce n’est évidemment pas parce qu’ils ne travaillent pas : simplement, au-delà, on bascule dans l’économie souterraine. Or, ce n’est dans l’intérêt de personne. En rendant les règles plus claires, on stabilise le système. Il y a un autre point important, sur lequel, semble-t-il, le gouvernement est ouvert : nous avons officiellement proposé de porter le taux forfaitaire de déduction des coûts pour les entrepreneurs de 40 % à 50 %. Aujourd’hui, un entrepreneur indépendant paie en moyenne environ 27 % d’impôts. Avec ces mesures de réduction de charges, ce taux tomberait autour de 22 à 22,5 %. Autrement dit, près de 20 % d’impôts en moins, si le gouvernement valide cette réforme. À mon sens, il y a une vraie ouverture en ce sens, même si l’accord n’est pas encore conclu. C’est donc typiquement une mesure gagnant-gagnant : l’État fait un geste, les entrepreneurs réinvestissent dans l’économie, et tout le pays en bénéficie.
Pour éviter tout malentendu : quand vous parlez de 18, 20, 24, il ne s’agit pas d’une hausse d’impôt, mais du montant en-deçà duquel on bénéficie du taux réduit, c’est bien cela ? Il ne s’agit donc pas d’une augmentation d’impôts.
Elek Nagy : Oui, oui, bien sûr. Pardon, vous avez raison !
Csongor Gáll : Attention, les mots comptent…
Elek Nagy : Oui, tout à fait.
Quand il parle de « hausse », il faut comprendre une réduction fiscale.
Elek Nagy : En clair : le plafond d’exonération de TVA pour les entrepreneurs individuels passerait de 18 à 20, puis à 22-24 millions de forints. Jusqu’à ce seuil, ils pourraient continuer à facturer sans TVA.
Et j’aimerais ajouter encore une réflexion, d’ordre social et philosophique. Pour nous, le statut d’indépendant, la vie d’entrepreneur individuel, est une valeur en soi. Bien sûr, les chiffres sont importants, tout ce qu’a expliqué le Premier ministre l’est, mais il y a aussi une dimension humaine : une nation, c’est la somme des caractères de ses citoyens. La Hongrie compte dix millions d’habitants, la nation hongroise, quinze millions de Hongrois, et une société se compose de multiples tempéraments. Quand je parle de politique économique, je pense aussi à cela : le caractère de celui qui se tient debout sur ses propres jambes, de celui qui crée sa propre activité, c’est un caractère fort, digne et précieux. Et plus il y en a dans un pays, mieux celui-ci se porte. Plus nous aurons de citoyens autonomes, entreprenants, responsables, plus la Hongrie sera solide. C’est pourquoi je soutiens toujours positivement ce type de propositions.
Csongor Gáll : La réintroduction du régime fiscal forfaitaire « kata », même sous une forme modifiée, a-t-elle été envisagée au cours de l’année écoulée ?
Elek Nagy : Honnêtement, je vois cela beaucoup plus comme une question politique du côté des entrepreneurs. Quand on lit qu’on voudrait réintroduire le régime forfaitaire kata, qui permettait de sortir de l’argent des entreprises avec un prélèvement à 5 %, alors que le niveau d’imposition le plus bas pour retirer du capital via des dividendes tourne plutôt autour de 22,5–23 %, ce n’est pas compétitif. Donc, à mon sens, le régime forfaitaire kata, tel qu’il se situe aujourd’hui entre les indépendants et le marché privé, représente de l’argent effectivement imposé, c’est de ça qu’il s’agit aujourd’hui. On peut y réfléchir, et nous en discutons avec le gouvernement : d’accord, peut-être y a-t-il des cas où une forme analogue fonctionnerait pour certaines capacités entrepreneuriales, mais alors la fiscalité doit être conforme à ce que paient les autres. Car comment admettre que l’imposition la plus élevée donne 22–23 % pour certains indépendants, et qu’il existe un petit groupe qui paie 5 % ? Ce n’est certainement pas équitable. Il y a plusieurs approches possibles : on peut imaginer différentes formes d’imposition ciblée. Par exemple, on pourrait concevoir des régimes fiscaux culturels pour les travailleurs du secteur culturel ou de la presse qui exercent en tant qu’indépendants, des avantages spéciaux adaptés à leur situation. Je pense que c’est d’abord une question de philosophie fiscale.
Je suis content que nous soyons sur une antenne qui n’est pas essentiellement politique, même si, bien sûr, il y a des recoupements, parce qu’on peut discuter posément de sujets politiquement sensibles. Et le régime forfaitaire kata en est un. Si l’on parle calmement et en mettant de côté l’angle partisan, il faut rappeler que c’est nous qui avons inventé ce régime fiscal. Donc, c’est une mesure qui a été introduite par ce courant politique-là ; nous avons voulu soutenir ce profil entrepreneurial, ce caractère de l’entrepreneur indépendant, et nous considérions cela comme une valeur. Je pense que le kata était une bonne idée. C’est pourquoi le kata existe toujours, mais, et c’est typique, la créativité hongroise a fait son œuvre : des techniques ont été trouvées pour étendre ce régime conçu pour une catégorie précise de travailleurs à d’autres situations, et il y a eu tellement d’abus que c’en est devenu incalculable. Je ne veux blesser personne, mais…
Elek Nagy : Malheureusement, c’est ainsi.
…alors que l’ingéniosité hongroise est une qualité quand elle crée, elle devient un problème quand elle sert à frauder. Je veux simplement dire que l’État a la responsabilité de bien réglementer cette question. Quand nous avons conçu le kata, c’était pertinent ; puis on a commencé à l’étendre et ça a dérapé. J’ai parlé à des patrons qui m’ont dit : « Voilà ce que je gagne, et en plus j’ai ceci dans le régime kata. » « Quoi ? » « Comment ? » Il s’est avéré qu’une partie du salaire était versée sous le régime kata. Mais le kata n’a pas été conçue pour ça ! Ce régime a été inventé pour garantir aux indépendants un régime favorable. Or ça a grossi, et cela a créé une zone grise pleine de fraude et d’abus. Et c’est cela que nous voulions remettre au clair. Évidemment, cela a provoqué un tollé politique. Mais il faut remettre de l’ordre. Ce dont parlait tout à l’heure le président, à savoir dans quels cas on peut facturer sous le régime kata, est maintenant encadré très strictement, justement parce qu’on a peur d’un nouvel emballement : la bonne intention ouvrirait la porte à des abus. Nous discutons de la façon dont on pourrait rouvrir ou élargir le kata pour permettre une facturation plus libre, comme le suggérait le président. Comme on dit, chat échaudé craint l’eau froide : et c’est tout à fait vrai pour le kata. Je reste donc très prudent. Je veux voir des garanties solides, des protections contre les abus, et c’est ce que je demande continuellement à la Chambre : fournir des garanties, et alors nous pourrons avancer.
Csongor Gáll : Vous aviez déclaré, Monsieur le Premier ministre, lors de la réunion inaugurale de l’année économique organisée fin février par la Chambre de commerce et d’industrie, que cette année serait celle du grand tournant. Vous aviez même parlé, auparavant, d’un « décollage fulgurant », une expression qui est restée dans les esprits. Or, les chiffres des derniers trimestres montrent que ce succès attendu, ce tournant décisif, n’a pas encore eu lieu en Hongrie. Et, au cours des trois dernières années, l’économie hongroise a régulièrement accusé un retard par rapport aux objectifs fixés. Peut-on dire que l’économie hongroise s’est essoufflée, qu’elle stagne depuis quelque temps ?
Commençons par ce fameux tournant et ce décollage. Ils ont bien eu lieu, mais pas à partir du 1er janvier. Disons que je me suis trompé de mois, pas d’année, si je puis dire. Je voulais lancer dès janvier les programmes dont nous parlons aujourd’hui, par exemple, celui qui nous réunit ici : le prêt à taux fixe de 3 % pour les entreprises. Mais, pour diverses raisons, nous n’avons pu les démarrer qu’au 1er juillet. Et je maintiens que les programmes lancés depuis juillet marquent un véritable tournant pour notre économie, un vrai décollage. Car lorsqu’on augmente de 50 % les avantages fiscaux pour les familles, c’est un décollage. Quand les mères de trois enfants sont exonérées d’impôt, c’est un décollage. Quand les congés maternité et parentalité deviennent non imposables, c’est encore un décollage. Quand on propose un prêt immobilier à 3 % pour les primo-accédants, c’est un décollage. Et quand les entrepreneurs bénéficient d’un crédit fixe à 3 %, c’en est un aussi. Donc, si j’ai mal calibré quelque chose, ce n’était pas la situation elle-même ni les mesures, mais le moment à partir duquel l’économie hongroise est devenue capable de le faire. Ce n’était pas en janvier, mais en juillet que l’économie hongroise était prête pour ce saut. Donc, à mon sens, même si les indicateurs macroéconomiques restent encore mitigés, toutes ces mesures représentent un vrai tournant. Et il y a une autre dimension dans votre question : le monde lui-même est en train de franchir un cap historique. D’après ce que je comprends de l’économie mondiale et de la transformation technologique en cours, nous sommes à un changement d’époque, tant au niveau de l’économie mondiale qu’au celui de l’économie européenne. Ces transformations, robotisation, intelligence artificielle, numérisation, vont faire émerger une économie d’une tout autre nature que celle que nous avons connue jusqu’ici. Il ne s’agit donc plus seulement de savoir si l’économie hongroise peut redémarrer selon les anciens schémas, mais de savoir si elle entre dans cette nouvelle ère avec les bons atouts, les bons outils, et bien armée. Et surtout : sera-t-elle parmi les gagnants ou parmi les retardataires ? Quand je regarde les cent dernières années, à chaque grande mutation technologique et économique, la Hongrie a raté le coche. Je ne peux pas citer un seul moment, sur un siècle et demi, où notre économie ait figuré dans le peloton de tête de ceux qui se sont adaptés à temps. C’est cela que je veux changer. Nous travaillons tous, au sein du gouvernement, pour que la Hongrie aborde cette révolution technologique depuis la première ligne, bien préparée et déterminée à en sortir gagnante. Et, pour cela, nous avons besoin de la Chambre de commerce, avec qui nous parlons très souvent de formation et d’intelligence artificielle.
Elek Nagy : Oui, et j’aimerais justement rebondir sur ce que vient de dire Monsieur le Premier ministre. Jusqu’à présent, notre économie reposait sur la main-d’œuvre bon marché, sur un modèle d’exécution industrielle, de sous-traitance. Mais nous avons atteint un niveau enviable, et le prochain tournant, c’est celui de la transformation technologique, ce qui veut dire : la montée en compétence, la connaissance. C’est pourquoi nous parlons sans cesse d’une économie fondée sur le savoir, d’une chambre du savoir. Parce que, selon nous, c’est la seule voie d’avenir. Au cours de cette décennie, notamment dans sa seconde moitié, nous devons réussir cette mutation. En économie, on parle souvent de masse critique : nous devons atteindre ce point où le changement de mentalité s’impose durablement dans les entreprises, où elles se disent : comment pouvons-nous évoluer par nos propres moyens, devenir plus efficaces, plus innovantes ? Et j’en suis convaincu : nous y parviendrons. Et si nous y parvenons, le succès sera au rendez-vous.
Csongor Gáll : Quand pourra-t-on voir les effets concrets de cette relance que vous évoquiez ? À partir de quand les chiffres, les analyses macroéconomiques montreront-ils eux aussi que l’économie hongroise a réellement redémarré ?
Je crois qu’il faut d’abord faire preuve de prudence, et bien définir de quoi nous parlons lorsque nous parlons d’économie. Parlons-nous de l’ensemble des dix millions d’habitants de ce pays, ou parlons-nous de la compétitivité et de la performance du secteur productif hongrois ? Ce sont deux choses très différentes. Si l’on inclut les citoyens, au moins dix millions de personnes, ce qui, pour un Premier ministre, me paraît assez logique, alors les attentes envers l’économie sont très simples : chacun doit pouvoir avoir son propre logement, un revenu décent et, si possible, en progression, et une retraite sûre. Le reste, honnêtement, intéresse beaucoup moins de monde. En tant que Premier ministre, je dois donc piloter la transformation économique de manière à ce que ces besoins fondamentaux soient satisfaits, même s’ils ne relèvent pas directement de la productivité ou de la compétitivité économique. Parce que, s’il n’y a pas de stabilité politique, si les citoyens ont le sentiment qu’ils ne pourront pas devenir propriétaires, que leurs salaires stagnent, qu’ils n’ont pas d’avenir, ou qu’ils ne pourront pas vivre dignement de leur retraite, alors l’instabilité politique s’installe, entraînant l’instabilité économique. Et aucune économie ne peut prospérer sur un terrain instable. Mon rôle, c’est donc aussi d’assurer cette stabilité politique dont dépend la stabilité économique. Et je crois que les entrepreneurs qui votent pour nous, du moins je l’espère, le font avant tout parce qu’ils attendent de moi un environnement économique et social calme et prévisible, propice à leurs projets. Mais je ne peux pas détacher l’économie des dix millions d’habitants qui en font partie. Alors, pour répondre à votre question : oui, chacun doit pouvoir avoir son propre logement ; oui, les salaires en Hongrie sont décents, et là où ils ne le sont pas encore, ils le deviendront ; nous allons d’ailleurs augmenter le salaire minimum d’au moins deux chiffres en 2026 ; et oui, notre système de retraites et la sécurité des personnes âgées sont et resteront garantis. C’est au gouvernement de le garantir, et je le garantis personnellement. Ensuite, si l’on parle de l’économie au sens de performance globale, et qu’on se demande quand cela apparaîtra dans les chiffres macroéconomiques ou dans les gains d’efficacité technologique, je dirais qu’il y a plusieurs stades. Dans certains domaines, c’est déjà visible ; dans d’autres, l’enfant est en train de naître, pour reprendre une image, et ailleurs, il est encore en gestation. Prenons l’industrie automobile et l’électromobilité : là, l’enfant est déjà né. On le voit clairement : la Hongrie figure désormais parmi les pays de tête au monde dans le domaine de l’électromobilité, et elle y restera. C’était un pari risqué, j’ai moi-même participé à de nombreux débats techniques sur la question, mais nous remportons la bataille de la nouvelle industrie née de l’électromobilité, celle des batteries et du stockage d’énergie. Et sur ce terrain, la Hongrie sera le troisième acteur mondial en volume, après la Chine et les États-Unis. Je ne parle pas de statistiques « per capita » ou d’autres artifices, en volume réel. Au cours des prochaines années, toute l’industrie automobile sera dominée par cette transition vers l’électromobilité, et nous serons en première ligne. Nous n’avons d’ailleurs autorisé à s’implanter en Hongrie que des entreprises déjà productives ailleurs : en Asie, en Corée du Sud, en Chine, pas de projets expérimentaux ici. Ce sont des sociétés déjà performantes et compétitives, souvent plus avancées que leurs homologues européennes. Et puis, il y a un autre fait marquant de ces derniers mois : on sait désormais que l’Europe n’est pas en mesure de participer à cette compétition. Le seul grand projet européen qui visait à construire une usine de batteries fondée exclusivement sur du savoir-faire et des capitaux européens a été abandonné. C’est un échec. Et puisque la transition vers l’électromobilité prendra plus de temps que prévu, nombre d’investissements que les pays d’Europe occidentale espéraient attirer ne verront pas le jour : les industriels asiatiques ne créeront pas de nouvelles capacités là-bas, mais vont agrandir celles qu’ils ont déjà en Hongrie. Autrement dit, selon moi, le ministre Szijjártó a décroché le jackpot, il a « touché le gros lot », si je puis dire, parce que dans les cinq à dix prochaines années, il apparaîtra clairement que la Hongrie figurera parmi les tout premiers pays au monde dans ce changement technologique majeur. Et il y a un autre domaine de mutation technologique où nous avons de très bonnes perspectives, même si nous n’y sommes pas encore aussi avancés que dans l’industrie automobile : c’est l’industrie de la santé, la pharmacie, où nous avons déjà une position solide. Là aussi, de profonds changements technologiques sont en cours, mais il faut encore beaucoup d’investissements, de savoir-faire, et de travail. Enfin, une troisième : on ignore souvent à quel point la Hongrie possède de véritables atouts économiques mondiaux. Nous avons, pour des raisons mystérieuses, tendance à penser du mal de notre propre économie, alors qu’elle recèle des performances remarquables. Dans la catégorie que les économistes appellent « complexité économique », la Hongrie figure parmi les dix premiers pays du monde, ou tout près du top 10. Cela signifie que, bien que nous soyons un pays de dix millions d’habitants, notre économie n’est pas monolithique. Son industrie n’est pas spécialisée dans un seul secteur, mais présente l’une des structures les plus complexes au monde. C’est sans doute parce que nous sommes un peuple inventif, ingénieux, curieux de tout. Nous sommes bons en agriculture, en technologies de l’information, dans les industries de pointe, dans la construction mécanique, dans bien des domaines, en fait. Et quand nous décidons de nous consacrer à un secteur, nous savons être redoutablement efficaces. La Hongrie doit donc choisir deux ou trois secteurs stratégiques à pousser très fort : par exemple l’électromobilité, l’industrie pharmaceutique, et, j’ajouterais, l’agriculture et l’agroalimentaire. Ce sont les piliers sur lesquels il faut appuyer notre effort, tout en préservant les autres domaines, peut-être plus modestes, mais qui assurent une économie hongroise complexe. D’autant plus que le monde change de façon imprévisible : rien ne va jamais bien partout en même temps, et rien ne va jamais mal partout non plus. C’est là l’avantage d’une économie complexe : quand un secteur ralentit, un autre compense, et l’ensemble reste équilibré. C’est pourquoi, à mes yeux, il est essentiel de préserver la diversité de l’économie hongroise, et de ne pas la pousser vers la monoculture. Mais cela exige une coopération très fine entre le gouvernement et les acteurs économiques. Et c’est précisément le rôle de la Chambre de commerce, car elle seule peut surveiller l’ensemble des branches, tenir compte des secteurs de niche compétitifs, et soumettre au gouvernement des propositions concrètes sur la politique industrielle. C’est pour cela que nous sommes assis ici ensemble, et c’est pourquoi la qualité du travail de la Chambre est une question essentielle.
Elek Nagy : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose : bien sûr, on entend aujourd’hui des voix critiques qui demandent pourquoi il y a autant d’usines de batteries en Hongrie. Mais ce qui n’est pas discutable, c’est que l’industrie automobile continuera d’exister. Oui, il y aura toujours des crises, des périodes plus difficiles, mais l’automobile restera là. J’aimerais cependant attirer l’attention sur un autre point, qui est déjà très sérieusement étudié en Chine : il existe deux types de batteries. Celles qui se déplacent, comme dans les voitures, et celles qui restent fixes. Or, le marché des batteries stationnaires est au moins aussi vaste, sinon plus, que celui des batteries mobiles. En effet, dès que l’on produit une autre forme d’électricité, qu’il s’agisse d’énergie solaire ou éolienne, il faut pouvoir la stocker. La capacité de stockage de l’énergie sera donc l’un des grands enjeux vitaux de l’avenir. Et la question se pose alors : où installer ces batteries fixes ? Là où les capacités industrielles existent déjà, et où il est possible de les produire avec de simples ajustements, ou bien sur des sites entièrement nouveaux ? Je crois que la réponse est évidente. Sous cet angle, c’était une excellente décision stratégique.
Elek vient d’évoquer un sujet très important, le stockage de l’énergie. Le mot « batterie » a une connotation négative dans le débat public hongrois, alors que « stockage d’énergie » est une expression plus claire et moins politisée. Plus il y a d’énergie verte, par exemple produite par le soleil, plus il faut la stocker, car le soleil ne brille pas en permanence. Bien sûr, nous construisons des centrales à gaz qui produisent de l’électricité lorsque le soleil ne suffit pas, deux ou trois grands projets de ce type sont d’ailleurs en cours en Hongrie, et c’est une bonne chose. Mais il y a mieux encore : atteindre le niveau technologique qui nous permette de stocker l’énergie solaire que nous produisons. On n’en parle pas beaucoup, je ne peux en dire que quelques mots, sans tout révéler, car nous n’en sommes pas encore à ce stade. Il y a deux grands programmes en cours : Le premier consiste à négocier avec de puissants groupes d’investissement, principalement étrangers, mais des partenaires hongrois participent aussi, pour installer de grandes batteries industrielles stationnaires à proximité des usines. Par ailleurs, certaines disposent déjà de petites centrales solaires attenantes. C’est un programme majeur. Les pays arabes, par exemple, ont massivement investi dans ce domaine récemment, notamment en France et au Royaume-Uni. Je négocie actuellement avec eux pour que la Hongrie figure à son tour sur cette carte mondiale du stockage d’énergie. Le deuxième programme, qui touche peut-être davantage les citoyens, même si son importance macroéconomique est moindre, vise à aider les ménages à acquérir leurs propres batteries domestiques. Ces batteries leur permettraient de stocker l’énergie solaire produite par leurs panneaux. C’est un projet coûteux, qui concernerait plusieurs centaines de milliers de foyers. Nous faisons nos calculs, j’ai dit qu’il ne fallait pas encore tout me soutirer, mais nous cherchons le modèle économique qui permettrait d’apporter ce soutien financier. Et je pense que nous parviendrons, au prix d’un vrai effort, à rendre cela possible.
Csongor Gáll : Juste une toute petite question : pour ce qui est des immeubles collectifs, des ensembles de logements en copropriété, avez-vous envisagé une possibilité similaire ? Parce qu’on parle là de capacités de stockage encore plus importantes…
Oui, nous travaillons aussi sur ce sujet : comment offrir une solution de stockage d’énergie aux familles vivant en copropriété, ce que nous pourrions apporter en termes de technologie et de soutien financier.
Elek Nagy : Je voudrais ajouter que, dans le cadre d’une coopération entre la Chambre et le ministère de l’Énergie, un programme de stockage d’énergie a déjà été lancé, précisément à destination des entreprises. C’est très clair, et très intéressant aussi, car nous avons pu soumettre de nombreuses propositions au ministère, et plusieurs fois, ils nous ont dit : « Ah, nous n’y avions pas pensé, mais c’est une excellente idée ! » et ils l’ont immédiatement intégrée au programme. C’est pourquoi les appels à projets auxquels la Chambre participe sont de plus en plus réussis : nous pouvons faire remonter efficacement les besoins réels des entrepreneurs.
Je me risquerais d’ailleurs à une remarque un peu plus forte : à mon avis, sans exagération, dans les prochaines cinq à dix années, la disponibilité de l’énergie, et surtout son prix, deviendront le facteur décisif pour les investissements internationaux. Les investisseurs éviteront les pays, les régions ou les villes qui ne peuvent pas offrir une énergie compétitive. Et sans investisseurs, il n’y a ni développement industriel, ni emploi, ni argent, ni croissance économique. C’est pourquoi nous sommes aussi attachés à la construction de Paks II, la centrale nucléaire, parce que l’un des pivots du succès ou de l’échec de l’économie hongroise, ce sera précisément notre capacité à fournir de l’énergie à prix inférieur à la moyenne européenne aux entreprises industrielles. Si nous y parvenons, c’est gagné, le match est gagné ! Sinon, les difficultés ne manqueront pas.
Csongor Gáll : Je voudrais aborder un autre sujet. Monsieur le Premier ministre, auriez-vous imaginé, au printemps dernier, qu’à l’automne la Hongrie se découvrirait une vocation d’experte en fiscalité, et que le principal débat politique porteraient sur la question de savoir qui réduirait le plus les impôts ?
Je pensais que, dans tout pays normal, à l’approche d’une élection, l’une des questions les plus importantes porte forcément sur l’argent. Autrement dit : l’argent que je gagne, est-ce qu’il reste chez moi, peut-être même un peu plus qu’avant, u est-ce que l’État me le prend ? Je pendais bien qu’avant l’élection, cette question serait inévitablement centrale.
Csongor Gáll : Bien sûr, je pense ici à la concurrence politique avec le parti Tisza, qui vient de commencer sa campagne en affirmant qu’il sera le gouvernement des baisses d’impôts, en expliquant de combien il réduirait les impôts. Or le Fidesz, lui, répète depuis une quinzaine d’années qu’il est le gouvernement des allègements fiscaux.
Là, nous arrivons à un point sensible de la discussion, parce qu’on bascule de l’économie vers la politique. Je peux donc me permettre quelques remarques un peu plus vives, mais nous pourrons revenir ensuite à l’économie. Pour moi, il n’existe pas un seul parti d’opposition hongrois, du moins à gauche, qui ne représente pas le programme de Bruxelles. Honnêtement, peu m’importe ce que le parti Tisza écrit dans ses tracts ou affiche sur ses stands. Comment est né le parti Tisza ? Il est né quand j’ai eu des désaccords avec Angela Merkel sur la question de la migration, ensuite avec le Parti populaire européen. On a tout fait pour nous forcer à accepter les migrants. Et on m’a dit clairement : « Si vous n’acceptez pas cela, vous n’avez plus d’avenir au sein du PPE. » Et ils ont commencé à nous pousser vers la sortie. Et on me l’a dit franchement, sans détour, je n’ai pas eu besoin de le deviner. Monsieur Weber me l’a dit : « Vous, dehors. Et nous trouverons le moyen de créer en Hongrie une représentation du Parti populaire européen, un parti qui défendra les positions de Bruxelles et les idées fédéralistes européennes. » Leur premier plan, c’était d’exclure le Fidesz, et de garder le KDNP, le Parti populaire chrétien-démocrate, et en faire un parti pro-bruxellois. C’est pour cela que nous avons quitté le PPE, tandis que le KDNP est resté aussi longtemps qu’il a pu. Mais ils n’ont pas réussi à transformer un parti fondé sur la tradition chrétienne catholique hongroise en un parti à la mode bruxelloise. C’était une entreprise impossible, je ne sais pas pourquoi ils avaient pensé le contraire. Finalement, la KDNP est sortie, elle aussi, du PPE. Et alors, ils ont dit qu’ils allaient construire un autre parti. Le parti Tisza est un projet européen, bruxellois. Une création de Bruxelles. Peu importe ce qu’ils disent, le programme du Tisza est écrit à Bruxelles. Et moi, je sais ce que Bruxelles veut. C’est pourquoi je le dis clairement : je ne débats pas avec eux, je débats avec leurs commanditaires. Je connais leurs commanditaires, je sais qui les a créés. Les pauvres, ils ne savent même pas qui est leur père ni leur mère, ou certains l’ignorent peut-être encore, mais moi, je connais leur histoire. Et chaque année, Bruxelles écrit noir sur blanc ce qu’elle attend. Et ce qu’elle attend, c’est une hausse des impôts. Le parti Tisza augmentera les impôts. Pas forcément parce que c’est sa volonté propre, je ne peux pas savoir ce que chacun pense, par ailleurs, il est difficile de comprendre ce qu’ils disent, mais parce que c’est un parti bruxellois, et Bruxelles veut des hausses d’impôts. Et le parti Tisza appliquera cette politique, si les Hongrois lui en donnent la possibilité. Et sur ce, je me retire du terrain politique.
Csongor Gáll : Peut-on dire qu’actuellement le système fiscal hongrois est un impôt à taux unique, et que cela fonctionne ? Je pense notamment au fait que le nombre de personnes exonérées de l’impôt sur le revenu s’est considérablement élargi : les moins de 25 ans déjà auparavant, puis, depuis le 1er octobre, et encore davantage à partir du 1er janvier prochain, de nombreuses familles en bénéficieront également.
Revenons donc à l’économie. L’impôt à taux unique, ou, comme disent ces braves Anglo-Saxons, le flat tax, fait l’objet d’une littérature immense. Avant même que la Hongrie s’engage sur cette voie, nous avons étudié en profondeur le sujet, moi-même, en partie, je m’y suis plongé. Dans sa forme classique, la flat tax signifie que tous les impôts sont à taux unique, pas seulement l’impôt sur le revenu, mais l’ensemble du système fiscal. Et dans ce cas, le système fiscal tout entier devient le moins bureaucratique possible, le plus transparent, le plus simple à appliquer, et le plus difficile à contourner. C’est la version idéale. En 2010–2011, avec György Matolcsy, nous avons examiné s’il était possible de créer un impôt unique applicable à tous les types d’imposition. Mais les chiffres ne collaient pas. L’économie hongroise était, et reste encore aujourd’hui, trop endettée pour qu’un tel système fonctionne. Si notre dette publique n’était pas de 73–74 % du PIB, comme maintenant, mais autour de 20–30 %, alors peut-être pourrions-nous envisager cela. Mais tant que nous n’en serons pas là, ce n’est pas possible. Donc, la version classique de l’impôt à taux unique n’a pas vu le jour en Hongrie. Nous avons donc choisi de l’appliquer uniquement à l’impôt sur le revenu. Nous construisons une économie fondée sur le travail. Et ici, s’ouvre parfois un débat politique assez stérile, que je ne vais pas relancer maintenant, sur la prétendue opposition entre « économie fondée sur la connaissance », comme le dit le président de la Chambre, et « économie fondée sur le travail », comme je le dis moi-même. Pour une raison mystérieuse, les intellectuels aiment opposer le savoir au travail, mais laissons maintenant cela de côté.
Elek Nagy : Sans travail, il n’y a pas de savoir.
D’ailleurs, j’ai grandi dans l’idée que le savoir, le travail intellectuel, c’est aussi du travail. Mais peu importe, disons simplement que le travail, quel qu’il soit, a de la valeur. L’essentiel, c’est que nous avons tout fait pour améliorer les indicateurs d’emploi de la Hongrie, car notre pays affichait l’un des plus mauvais taux d’emploi d’Europe : en 2010, lorsque j’ai pris les rênes du gouvernement, le chômage dépassait 12 %. Nous voulions donc un système fiscal qui incite les gens à travailler, et c’est là que l’impôt à taux unique nous a été très utile. Nous l’avons introduit, et grâce à lui, nous avons créé un million d’emplois. Bon, maintenant, je vais vous confier quelque chose, que je ne devrais peut-être pas dire ici, car cela relève presque de la philosophie libertarienne, mais, à mon avis, le meilleur taux d’imposition sur le revenu, c’est zéro. Malheureusement, la Hongrie ne peut pas encore se le permettre. C’est pourquoi nous avons choisi de réduire le taux effectif pour certains groupes particulièrement précieux pour la Hongrie. Nous avons un taux unique de 15 %, mais, par exemple, les mères ayant eu au moins deux enfants sont totalement exonérées d’impôt. Et les familles élevant des enfants bénéficient de crédits d’impôt familiaux, ce qui réduit encore leur charge fiscale en dessous de 15 %. Je pense donc que l’idéal serait qu’en Hongrie, tous les impôts soient à taux unique, mais comme ce n’est pas possible aujourd’hui, réjouissons-nous déjà que l’impôt sur le revenu le soit, et essayons d’aller encore plus bas, vers des taux plus faibles, car il faut laisser les gens travailler. Ce que je veux dire, c’est que l’avenir d’un pays dépend de la volonté de travailler de ses habitants. Si vous leur prenez l’argent qu’ils ont gagné à la sueur de leur front, ils ne travailleront plus. Mais plus vous leur laissez d’argent, plus ils auront envie de travailler. Il faut donc laisser les gens produire, même les encourager à donner le meilleur d’eux-mêmes. Tout le monde y gagne : eux, parce qu’ils veulent bien vivre, et le pays, parce qu’il se renforce. C’est pourquoi, à mes yeux, et permettez-moi une formule un peu prétentieuse, la fiscalité faible est la meilleure politique économique.
Csongor Gáll : Le système fiscal actuel repose avant tout sur la consommation intérieure, c’est indéniable. Mais cela ne s’accompagne pas nécessairement d’une croissance du PIB. Prévoyez-vous, d’une manière ou d’une autre, de modifier le taux de TVA au cours du prochain mandat ?
Nous avons déjà sorti du taux de TVA le plus élevé les produits que nous jugeons les plus essentiels et les plus sensibles pour les ménages. Nous les avons fait passer dans les tranches à 5 % ou 0 %. Mais notre marge de manœuvre n’est pas totale, car Bruxelles impose certaines règles, que, je le reconnais, il est sans doute légitime de respecter. Quoi qu’il en soit, nous avons retiré de la tranche à 27 % un grand nombre de produits, que nous avons ramenés à 18 %, puis à 5 %, et pour certains, nous avons même supprimé la TVA. Pour l’instant, je ne vois pas de possibilité réaliste de réduire davantage la TVA au-delà de ces catégories déjà allégées. Et si un jour l’économie hongroise disposait de plus de moyens, et qu’il fallait choisir quel impôt baisser, je privilégierais à nouveau une réduction de l’impôt sur le revenu, en faveur des familles.
Csongor Gáll : Donc, en somme, il ne faut pas s’attendre à une baisse de la TVA.
Oui, mais je trouve excessif, ou du moins trop simplificateur, de dire que la croissance hongroise repose sur la consommation. La croissance a plusieurs sources, et selon l’évolution de la conjoncture, en Hongrie comme ailleurs dans le monde, certaines prennent plus d’importance que d’autres. On ne peut pas bâtir durablement une croissance économique sur la seule consommation. Je n’y crois pas. La croissance doit reposer sur l’investissement et le développement. Mais la situation européenne actuelle, prix élevés de l’énergie, guerre, sanctions, fait que les investissements stagnent partout. Disons-le simplement : la bicyclette déraille. Les investissements n’ajoutent plus suffisamment d’énergie à la croissance, et c’est pourquoi le poids s’est déplacé vers la consommation. Mais ce n’est pas une bonne chose. Et d’ailleurs, même la consommation en soi, je ne sais pas si elle est réellement bonne. Si vous demandez à Monsieur le président, il vous dira que oui, c’est bien, parce que plus de consommation, cela veut dire plus d’achats des produits des entreprises. Mais pour les particuliers, la consommation doit avoir une limite raisonnable. Il faut aussi pouvoir épargner. Moi, je considère l’épargne comme une valeur, au moins aussi importante que la consommation, et même, peut-être, plus importante encore. On nous a appris à ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne, et c’est pourquoi je trouve l’épargne vertueuse. D’autant plus que l’État peut ensuite mobiliser cette épargne pour financer ses besoins. (Parenthèse fermée.) Donc, selon moi, fonder une croissance économique sur la consommation est une politique suicidaire. La croissance doit être fondée sur la technologie, l’investissement, le développement et le travail. La consommation, elle, doit simplement être à un niveau où les citoyens se sentent bien dans leur pays, et où ils peuvent s’offrir ce dont ils ont besoin. Mais il ne faut pas considérer la consommation comme un outil économique spécifique. Je sais qu’il existe des théories qui vont dans ce sens, et même des ministres en discutent parfois, mais je ne partage pas cette approche.
Elek Nagy : J’aimerais ajouter quelque chose à ce qui vient d’être dit. Pour moi, cette politique fiscale et cette idée selon laquelle on pourrait stimuler artificiellement la consommation, je vous le dis franchement : je n’y crois pas. Les consommateurs pensent avant tout à leur propre bien-être, et non à des considérations économiques ou politiques. Or, toute mesure qui améliore le bien-être des consommateurs sert les intérêts de l’économie. Mais en Hongrie, la croissance repose avant tout sur l’exportation, c’est une évidence : nous sommes un pays tourné vers l’export. C’est ce qui nous tire vers l’avant, et on le voit bien aujourd’hui : notre balance des paiements courants comme notre balance commerciale sont positives. Donc, de ce point de vue, il n’y a pas de problème particulier. Le vrai problème, c’est la productivité, l’efficacité. C’est là-dessus que nous devons travailler, et cela finira par renforcer aussi les dynamiques internes de l’économie.
Permettez-moi d’ajouter une remarque, pour bien faire comprendre ce que signifie « pays exportateur » dans le cas de la Hongrie. Prenons l’agriculture hongroise. Elle peut produire assez de denrées alimentaires pour nourrir 20 millions de personnes pendant un an. Mais nous ne sommes que 10 millions. Cela signifie que la moitié de notre production doit être exportée. C’est une caractéristique structurelle de notre économie. Et ce n’est pas propre à l’agriculture : dans plusieurs autres secteurs aussi, vendre nos produits à l’étranger est une question vitale. Autrement dit, il faut produire pour pouvoir vendre, et non pas consommer. La vérité, c’est que ce sont les autres qui doivent consommer, afin que nous puissions leur vendre ce que nous fabriquons. Ce qui importe donc, ce n’est pas tant notre propre consommation intérieure, mais bien que l’Europe consomme, car l’Union européenne est notre principal marché. Et puis la Chine aussi, afin que nous puissions leur vendre nos produits.
Elek Nagy : Oui, et pour rebondir sur ce que dit Monsieur le Premier ministre : en effet, pour l’instant, nous exportons nos produits agricoles, mais ensuite, les produits transformés nous sont revendus par l’étranger avec des marges énormes. C’est pourquoi il est essentiel que nous développions notre propre industrie de transformation. On l’a bien vu au cours des dix à quinze dernières années : le gouvernement a massivement soutenu le tourisme. Il y a eu beaucoup de débats à ce sujet, mais le secteur a presque triplé. Le soutien a donc été très efficace. C’est pourquoi, au sein de la Chambre de commerce, nous proposons que le gouvernement mette en place quelques programmes ciblés similaires, notamment dans l’industrie de transformation et l’industrie pharmaceutique, que Monsieur le Premier ministre a également évoquées. Ces secteurs peuvent devenir des moteurs de croissance, car nous avons toutes les conditions nécessaires pour les développer.
Csongor Gáll : Puisqu’il est question d’exportations, la nomination de Mihály Varga à la tête de la Banque nationale visait-elle à renforcer le forint ? Car cela a, évidemment, une grande influence sur ce sujet.
Le gouvernement n’a pas d’objectif de taux de change explicite, mais il est certain que cette nomination a des conséquences. La personnalité d’un gouverneur de banque centrale a toujours des conséquences. On ne l’admet pas souvent aussi ouvertement, mais c’est un fait. Par exemple, Monsieur le président Elek Nagy et moi n’aurions pas besoin de réfléchir autant à ce prêt aux entreprises à taux fixe de 3 %, si la banque centrale avait abaissé davantage les taux d’intérêt. Dans ce cas, il ne serait pas nécessaire de soutenir artificiellement le crédit bon marché par un programme public, puisque les entreprises pourraient emprunter à 3 % sans subvention d’État. Mais je savais parfaitement, lorsque nous avons proposé Mihály Varga pour ce poste, que même si cela devait arriver, et j’espère que ce sera le cas, ce ne se produirait pas du jour au lendemain. C’est un homme prudent, un vrai Kun, originaire du Nagykunság. Il ne se précipite pas.
Elek Nagy : En plus, il est réformé !
Donc, il ne s’agite pas, il ne secoue pas le gouvernement, et il ne se lance pas dans de grandes aventures. C’est pourquoi, même si j’aimerais beaucoup qu’il y ait une baisse des taux, elle se fera plus lentement que nous ne le souhaiterions, car un homme très prudent dirige la Banque nationale. C’est donc très important, effectivement, qui est assis à ce poste. Je pense, même si un Premier ministre ne devrait peut-être pas dire cela à voix haute, que le niveau des taux d’intérêt est actuellement plus élevé qu’il ne devrait l’être. Mais je sais qui est à la tête de la Banque, et je sais que, s’il y a des baisses à venir, et il devrait y en avoir, elles se feront avec beaucoup de précaution, car, dans son esprit, la stabilité du forint est une priorité absolue. Nous ne lui avons pas donné formellement ce mandat, mais l’homme que nous avons placé là est un homme de stabilité, y compris celle du forint.
Csongor Gáll : Monsieur le Premier ministre, dans votre esprit…
Elek Nagy : Si vous me permettez, j’aimerais simplement rappeler que, selon la loi sur la Banque nationale, le mandat de la banque centrale repose sur des objectifs d’inflation. Ceci est très important. Son but n’est pas de fixer un taux de change, mais de maintenir la stabilité des prix. Autrement dit, la Banque nationale est responsable de la stabilité monétaire, et dès qu’il y a stabilité des prix, cela se traduit par une plus grande confiance des marchés. Et je pense que c’est exactement ce que nous observons aujourd’hui en Hongrie.
Je ne veux pas trop dévoiler de secrets de fabrication, même si, évidemment, c’est pour cela que nous sommes ici, pour en dire un peu plus que si je n’étais pas là, mais il faut trouver le bon équilibre. Je ne veux pas trop ennuyer le public avec les difficultés de mon métier, mais disons les choses simplement : si vous avez un ministre des Finances ou de l’Économie un peu audacieux, alors il vaut mieux avoir un gouverneur de banque centrale prudent. Si le gouverneur est trop enclin à agir, il faut alors un ministre de l’Économie plus réservé. Autrement dit, lorsque je prends, ou que je propose, des décisions de nomination, je dois mixer plusieurs tempéraments et approches à la fois.
Csongor Gáll : Si je comprends bien, Monsieur le Premier ministre, vous souhaitez une baisse des taux d’intérêt ?
Eh bien, n’est-ce pas ce que tout le monde souhaite ? Ce n’est pas la question de savoir si je le veux personnellement. si nous demandions maintenant à l’équipe de tournage, aux techniciens, aux rédacteurs de notes ici présents : que voudriez-vous ? Tout le monde répondrait : des taux plus bas. Non ? C’est tout simplement normal ! Parce qu’aujourd’hui, où en sommes-nous ? Les taux d’intérêt sont dans les nuages ! Alors à quoi cela nous ramène-t-il ? Eh bien, cela dépend toujours de qui vous êtes. Si vous venez d’une famille de banquiers, vous pensez autrement, parce que votre métier, c’est de faire de l’argent avec de l’argent. Mais moi, en tout cas, je ne viens pas d’une famille de banquiers. À Felcsút, vous savez, le nombre de banquiers au mètre carré est assez limité. Moi, je pense que l’argent est utile lorsqu’il circule dans l’économie, quand il crée de la valeur, quand il donne du travail aux gens, quand il offre des perspectives de vie, et que, par le travail, il se multiplie naturellement. Autrement dit, on ne devrait faire plus d’argent à partir de l’argent qu’en l’investissant dans l’économie, où il crée de la valeur, et c’est ainsi, ensuite, que le banquier ou le prêteur voit ses gains augmenter. Mais si l’argent ne va pas dans l’économie, s’il est simplement gardé quelque part, faisant des petits intérêts élevés, et que les crédits sont accordés ailleurs qu’en Hongrie, alors cela ne nous aide pas. Et pour que l’argent entre dans l’économie, il faut que les entrepreneurs empruntent. Mais si les taux sont trop élevés, ils n’empruntent pas. Et que se passe-t-il alors ? Eh bien, j’arrive, ou plutôt le budget de l’État arrive, et nous lançons des programmes de prêts bonifiés, parce qu’il faut bien que ces entreprises puissent emprunter. Il serait donc préférable le budget n’ait pas besoin d’intervenir dans cette chaîne et qu’avec un taux directeur bas les banques commerciales proposent des crédits abordables aux entrepreneurs, sans subvention de l’État. Mais nous n’en sommes pas là. Et dans une telle situation, le gouvernement doit intervenir. Parce que si les taux restent trop élevés, les entrepreneurs n’investissent pas, la production ralentit, les emplois sont supprimés, le chômage augmente, et toute l’économie se dérègle ; et, au bout du compte, les citoyens en pâtissent. C’est pourquoi nous devons intervenir, moi personnellement, le gouvernement aussi, à travers des décisions ponctuelles dans le domaine des taux d’intérêt subventionnés, afin que les entreprises puissent accéder à des crédits bon marché, dans des conditions rationnelles, leur permettant de réussir et de faire des bénéfices. je serais heureux de ne pas avoir à m’occuper de cela, et de ne pas être ici pour en parler, mais la situation est ce qu’elle est : guerres, sanctions, prix de l’énergie élevés, et un gouverneur prudent. Alors, que voulez-vous qu’on fasse ?
Csongor Gáll : Avez-vous, dans votre esprit, un taux de change souhaitable entre le forint et l’euro ?
Pas vraiment. Et, pour une raison un peu mystérieuse, il semble que le taux de change entre le forint et l’euro dépende surtout du dollar, de sa force ou de sa faiblesse. C’est un domaine d’expertise dans lequel, franchement, je ne me risquerais pas. Ce que je veux, c’est que le forint soit aussi fort qu’il doit l’être pour servir l’économie hongroise. Que le plus grand nombre possible de personnes travaillent, qu’elles gagnent bien leur vie, et que le taux de change contribue à cet objectif.
Csongor Gáll : L’éventuelle adoption de l’euro pourrait-elle revenir sur la table au cours du prochain mandat, ou bien ce n’est absolument pas un sujet au sein du gouvernement ?
Pour moi, ce ne sera certainement pas à l’ordre du jour. Je pense que l’Union européenne traverse une période difficile. Mais cela, c’est le sujet d’une autre interview, il faudrait une heure entière pour en parler. À mes yeux, l’Union européenne est entrée dans une phase de désintégration. Elle se délite sous nos yeux. Et si, d’ici un ou deux ans, aucune réforme radicale n’est engagée, or, je ne vois aujourd’hui ni du côté des bureaucrates de Bruxelles, ni de celui des dirigeants des grands États membres, ni la volonté, ni même la capacité de la mener, alors ce processus va se poursuivre, et l’Union européenne risque de devenir un simple épisode de l’histoire. C’est pourquoi la Hongrie ne doit pas lier son destin plus étroitement encore à celui de l’Union européenne. Et l’adoption de l’euro serait justement la forme la plus étroite de ce lien.
Csongor Gáll : On voit bien que les États-Unis cherchent à écarter l’Europe et tout autre concurrent du marché mondial, notamment sous l’impulsion de Donald Trump, et que cela a des conséquences très sérieuses sur la compétitivité de l’Union européenne. Les États-Unis ont, en somme, rappelé chez eux leurs multinationales, et Donald Trump attend des capitaux qu’ils reviennent investir en Amérique. Quel impact cela peut-il avoir ? Et la Hongrie, en tant que membre de l’Union européenne, peut-elle faire quelque chose pour rester compétitive au cours des cinq à dix prochaines années ?
Le président américain est un homme d’affaires, cette question s’adresserait donc presque davantage à M. Nagy Elek, ici présent, car il comprend mieux quiconque la logique d’un chef d’entreprise, surtout lorsqu’il se trouve à la tête des États-Unis. Mais je peux moi aussi en dire un mot, peut-être avec une perspective un peu moins large que celle du président de la Chambre de commerce. Ce que vous décrivez correspond à la réalité, je partage votre constat inclus dans votre question. La question est donc : que fait la Hongrie ? Eh bien, nous sommes en train de bâtir un vaste partenariat économique américano-hongrois, c’est un dossier sur lequel je travaille depuis plusieurs mois. Et nous aussi, nous allons investir aux États-Unis. Car il est vrai que le président américain souhaite que tous les pays du monde investissent en Amérique. Je cherche donc les projets et les montants qui peuvent avoir un sens pour nous, nous allons y investir, oui, mais ce n’est pas là l’essentiel. Mon objectif, c’est d’obtenir en échange que les États-Unis investissent ici, en Hongrie, pour un montant plusieurs fois supérieur. Autrement dit : très bien, la Hongrie investira quelque chose en Amérique, mais je veux voir revenir plusieurs fois cette somme sous forme d’investissements américains en Hongrie.
Csongor Gáll : Et pensez-vous que ce soit réaliste ?
Oui, nous sommes en bonne voie. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump, 150 milliards de forints d’investissements américains ont déjà été réalisés en Hongrie. Nous sommes peut-être le seul pays, je ne peux pas l’affirmer avec certitude, mais cela ne m’étonnerait pas, où, pendant que les États-Unis rapatrient leurs capitaux du reste du monde, ils continuent d’investir. Non pas qu’ils retirent leur argent, mais qu’ils en mettent ici. Cela représente environ sept projets, tous dans les hautes technologies,
des entreprises sérieuses et durables, qui emploient une main-d’œuvre hautement qualifiée et qui sont désormais implantées en Hongrie. Ainsi, lorsque je rencontrerai le président américain, nous finaliserons les chiffres globaux de ce partenariat. Bien sûr, chacun y trouvera son compte, mais le résultat final doit être clair : l’économie hongroise doit sortir gagnante de la coopération américano-hongroise. C’est ce à quoi je travaille, et je pense pouvoir faire accepter cette approche au président américain.
Elek Nagy : Ce qui est très intéressant, c’est que, selon les études récentes, l’influence des grandes entreprises internationales est en recul, quelles qu’en soient les raisons : la Chine, Trump, ou d’autres facteurs, peu importe pour l’instant. Et parallèlement, la force des communautés locales tend à augmenter. La question, c’est : qui va occuper l’espace ainsi libéré ? C’est pourquoi je répète sans cesse : économie fondée sur le savoir, chambre fondée sur le savoir. Car la Hongrie, aujourd’hui, se trouve dans le piège classique des revenus intermédiaires. Le Premier ministre et moi en parlions avant l’émission : l’alternative, c’est de devenir le prochain Brésil ou le prochain Mexique, qui connaissent le même blocage, ou bien le prochain Singapour ou Taïwan. Et nous, pour l’instant, nous sommes quelque part entre les deux. Mais il est évident que nous devons suivre la voie du savoir. Alors, nous pourrons devenir une petite Singapour ou un petit Taïwan au sein de l’Union européenne, car nous en avons pleinement les capacités. Et j’ajouterai encore ceci : certes, il y a la guerre, les droits de douane, les tensions internationales, mais même sans rien changer d’autre, si nous améliorons simplement notre efficacité interne, cela se traduira par une hausse du PIB. À court terme, nous pouvons déjà obtenir des résultats concrets grâce à l’intelligence artificielle : son utilisation pourrait permettre un gain d’efficacité allant jusqu’à 40 %, avec, certes, environ 20 % de risque d’erreur, ce qui montre qu’on aura toujours besoin de l’humain.Et si l’on pense que les PME représentent la moitié du PIB hongrois, eh bien, si elles fonctionnaient ne serait-ce que 10 % plus efficacement, l’impact sur le PIB serait considérable. Nous disposons donc de ressources internes, même dans ce contexte difficile, et c’est précisément le rôle de la Chambre : transmettre ces outils et ces méthodes aux entreprises à travers son réseau. Et, comme toujours, ce qui est bon pour les entreprises est bon pour le pays.
C’est justement à ce stade que le gouvernement entre en scène. Car je comprends parfaitement ce que vient d’exposer le président, et je pense même que nous sommes d’accord, mais il faut toujours que je traduise la logique économique en programme pour dix millions de personnes. L’économie, pour moi, n’est pas seulement une question de productivité ou d’entreprises, c’est aussi toute la société hongroise. Et nous avons justement commencé à le faire. Il existe un débat, un peu flou, il faut bien le dire, sans contours très nets, et qui n’intéresse pas beaucoup les médias malheureusement, autour d’un objectif que nous avons fixé : faire de la Hongrie l’un des cinq pays les plus agréables à vivre d’Europe. C’est plus que la compétitivité : cela englobe des dimensions qualitatives. Le ministre Tibor Navracsics est chargé de définir la méthodologie de mesure : où en sommes-nous aujourd’hui, quels critères doivent être pris en compte, quels indicateurs permettent d’évaluer la qualité de vie. Un programme très important est en cours sous sa direction, dont l’objectif est d’identifier les éléments qui, ensemble, déterminent le niveau de vie d’un pays et de ses citoyens. Et notre ambition, c’est que la Hongrie figure parmi les cinq premiers en Europe sur ces critères. Je crois que cela nous tirera vers le haut, et que cela nous fera sortir du piège du développement économique moyen dont parlait à l’instant le président Nagy Elek.
Csongor Gáll : Une dernière question, Monsieur le Premier ministre. Plusieurs pays européens ont récemment modifié leur système de retraite. Envisagez-vous des changements en Hongrie ? Par exemple, le dispositif « Femmes 40 » permettant aux femmes de partir à la retraite après quarante années de travail, sera-t-il modifié ou élargie ?
Non, nous n’avons aucun projet en ce sens. Je suis très prudent sur cette question. C’est un terrain favori pour les aventuriers politiques : la caisse des retraites contient des sommes colossales, et certains ont tendance à penser qu’il faut prendre l’argent là où il y en a beaucoup. Mais c’est une logique de brigands de grand chemin, pas une logique de politique économique. En économie, c’est l’inverse : on ne retire pas de l’argent d’un fonds existant sans savoir précisément ce qu’on veut en faire. Et le système de retraite, par nature, est une caisse tentante, dans laquelle on veut sans cesse aller fouiller. Je m’y oppose fermement. Je reconnais que le système hongrois n’est pas parfait, personne ne le prétend, mais il ne présente aucune faiblesse grave qui justifierait une intervention majeure. Dans ce domaine, il faut mesurer dix fois avant de couper une seule fois. Je lis souvent des propositions « d’ingénierie d’économie sociale » : ajuster ici, modifier là… Je ne les recommande pas. Peut-être que notre approche paraît plus lente, peut-être même un peu ennuyeuse, mais elle est sûre. Pour les revalorisations des pensions aussi, il faut procéder calmement, pas à pas. Nous avons un système qui fonctionne : nous avons rétabli le 13ᵉ mois de pension, et si nous pouvons donner davantage aux retraités, faisons-le à travers ce cadre, sans jouer aux apprentis sorciers avec la structure même du système. Car il est très facile, en un instant, de détruire la vie de centaines de milliers de personnes avec un mauvais calcul de pourcentage, un ratio mal fixé, ou un changement hâtif de l’âge de départ. C’est pourquoi ici plus qu’ailleurs, il faut une prudence multipliée par dix. Une seule règle doit primer : notre pacte avec les retraités. La valeur réelle des pensions ne doit jamais diminuer. Les revalorisations doivent être conçues pour que ce principe soit respecté. Mais pour le reste, que ceux qui veulent « sauver la patrie » aillent exercer leur imagination ailleurs. Ce n’est pas par le système de retraite qu’on le fera. La caisse des retraites, c’est l’épargne accumulée toute une vie par des millions de citoyens, on ne joue pas avec cela. Voilà pourquoi je recommande la prudence. On pourrait même dire : de grâce, pas de « réforme ».
Csongor Gáll : Monsieur le Premier ministre, Monsieur le président, merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos questions pendant plus d’une heure. Et merci à vous, chers auditeurs, pour votre attention. Si ce n’est pas encore fait, abonnez-vous aux chaînes Money Talks et Economx, et donnez-nous votre avis dans les commentaires sur ce que vous venez d’entendre. Money Talks reviendra bientôt avec une nouvelle émission, alors restez à l’écoute. D’ici là, au revoir et à très bientôt !