Kata Vass : Aujourd’hui, vous êtes venu à Debrecen pour un événement d’une portée historique : l’inauguration de l’usine BMW. Qu’est-ce que cela représente pour la ville et pour la Hongrie ? C’est, il faut le souligner, un moment très important.
S’agissant de la ville elle-même, je laisse naturellement la parole à son maire. Debrecen est l’une des rares villes véritablement chanceuses ; encore que cette chance, elle se l’est gagnée, je ne voudrais surtout pas laisser entendre qu’elle lui est tombé tout cuit dans le bec. Pendant de longues années, même aux périodes difficiles, Debrecen a su maintenir le moral du pays. C’est pourquoi tout ce qui arrive aujourd’hui en matière de développement, les habitants l’ont mérité. Mais il y a peu d’endroits en Hongrie où les choses se sont si bien combinées qu’ici, à Debrecen. Car, d’abord, du point de vue de la Hongrie dans son ensemble, il devenait indispensable de corriger le déséquilibre créé par la « tête d’eau » budapestoise : il nous faut, à côté de la capitale, une organisation du territoire plus saine, et donc une véritable grande ville historique capable de jouer un rôle de capitale régionale. Ensuite, nous vivons à l’échelle mondiale une mutation industrielle et technologique majeure. C’est ce que nous avons vu aujourd’hui : l’inauguration de l’usine BMW et la visite des autres sites en cours de construction. Ces installations ne relèvent déjà plus du XXIᵉ siècle, mais évoquent le XXIIᵉ : elles accueillent les secteurs industriels les plus modernes, les plus avancés, les plus innovants au monde. La Hongrie avait besoin de ce tournant industriel et nous avons cherché un lieu qui en réunisse les conditions. Debrecen a eu la chance de les offrir : elle dispose notamment d’une université de qualité. Ainsi, les besoins de développement du pays ont rencontré les atouts propres à Debrecen ; la conjonction s’est faite au bon endroit. Je suis convaincu que les habitants de Debrecen seront les grands bénéficiaires de cette situation. Il n’y a guère, en Hongrie, de ville dont les habitants ne reconnaîtraient pas que Debrecen s’apprête à franchir, en quelques années, une étape historique. En ce qui concerne le pays dans son ensemble, il faut se souvenir qu’après la Première Guerre mondiale, on nous a détaché nos grandes villes. La Hongrie d’alors comptait, outre Budapest – qui n’était pas encore cette tête d’eau hypertrophié, des centres urbains régionaux situés à une distance optimale de la capitale : Bratislava (Pozsony), Košice (Kassa), Cluj (Kolozsvár), Novi Sad (Újvidék), Subotica (Szabadka), Eszék (Osijek). Nous les avons perdus. Ce sont Győr, Miskolc, Debrecen, Szeged, Pécs qui ont dû remplir ce rôle. Aujourd’hui, la Hongrie se compose d’une Budapest de près de deux millions d’habitants et, loin derrière, de villes dont la population plafonne à 180-200 000 habitants. Il n’y a rien entre ces deux échelles. Cette disproportion n’est pas bonne pour le pays. Cette tête d’eau hypertrophiée n’est pas saine. Nous avons donc absolument besoin de voir émerger, au fur et à mesure que nous progressons, une, puis deux, puis trois véritables aires urbaines unifiées, de véritables zones économiques intégrées rassemblant chacune environ 400 000 habitants. Certes, Debrecen à elle seule n’atteindra pas les 400-500 000 habitants, mais si l’on prend en compte les localités qui l’entourent, on constate déjà l’existence d’une telle région, et Oradea (Nagyvárad) n’est qu’à un saut de puce. Debrecen va donc entrer dans cet espace intermédiaire entre 200 000 et deux millions d’habitants et devenir un véritable grand centre culturel, scientifique, social, sanitaire et industriel. À partir d’aujourd’hui, les habitants de Debrecen franchissent un seuil : ils entrent dans une autre dimension, et cela de manière de plus en plus rapide et tangible. Cela s’accompagne de nombreux avantages. Je regarde les chiffres : c’est à Budapest que les salaires sont les plus élevés. Mais si je regarde la dynamique de leur progression, je suis convaincu que dans deux ans, les revenus moyens à Debrecen rejoindront ceux de la capitale et dépasseront ceux de toutes les autres régions du pays. Bien sûr, un tel développement apporte aussi son lot de désagréments : il faut construire des usines, ouvrir des routes, bâtir des quartiers résidentiels, des écoles, et ainsi de suite. Mais il faut comprendre que, dans notre métier – celui de bâtir le pays –, il y a toujours des problèmes. Un pays sans problèmes est un pays sans vie. La vraie question est : quels problèmes avons-nous ? De « bons » problèmes ou de « mauvais » ? Si Debrecen régressait ou stagnait, ce serait un mauvais problème. Mais si Debrecen se développe et entraîne avec elle des exigences de transformation, ce sont là de bons problèmes, des problèmes que l’on peut résoudre, pour peu que les habitants, leurs représentants municipaux, le maire et les responsables nationaux sachent travailler main dans la main. Si cette coopération existe, les choses fonctionnent.
Vous venez d’y faire allusion, Monsieur le Premier ministre : on peut s’attendre à une véritable vague d’implantations industrielles. Comment les habitants de la région pourront-ils en bénéficier ?
Je vais vous dire ce que le maire m’a demandé tout à l’heure, il y a à peine quelques minutes. Il a souligné qu’avec l’agrandissement de la ville, l’État devait désormais prendre sa part dans le financement des transports urbains, qui aujourd’hui pèsent entièrement sur le budget municipal. Nous sommes en discussion à ce sujet. Il faut aussi développer trois ou quatre grands établissements de formation professionnelle ; c’est un investissement de plusieurs dizaines de milliards de forints, indispensable pour disposer d’une main-d’œuvre qualifiée et pour que les jeunes de Debrecen puissent acquérir les compétences requises pour travailler dans ces usines de pointe. Le maire a insisté sur la nécessité absolue d’agrandir et de moderniser l’aéroport. De vastes programmes immobiliers sont prévus ; or les coûts liés aux infrastructures sont très lourds, et là aussi il a demandé un partage des responsabilités et des charges financières. J’ai répondu favorablement à cette demande. Il y a également la question des musées. Lorsqu’une ville connaît un tel essor, celui-ci doit être accompagné sur le plan culturel. Deux grands musées nationaux, le Musée des Transports et le Musée des Sciences naturelles, ont déjà fait l’objet d’une décision : ils s’installeront à Debrecen. Nous n’en sommes plus au stade des simples projets : des maquettes existent déjà, et le dossier avance. Et puis il y a le point le plus important, pour lequel j’ai donné au maire ma garantie personnelle : les infrastructures hydrauliques. De nouvelles usines s’implantent, de nouveaux quartiers résidentiels apparaissent ; Debrecen aura donc besoin de davantage d’eau. J’ai toujours affirmé que j’étais prêt à soutenir la ville dans ce domaine. Nous avons maintenant passé en revue les plans ; je peux dire qu’au cours des deux à trois prochaines années, l’infrastructure hydraulique nécessaire à une vie confortable et moderne sera en place ici à Debrecen. On pourra donc développer sereinement la ville et la zone industrielle.
Comme vous l’avez vous-même laissé entendre, Monsieur le Premier ministre, beaucoup considèrent Debrecen comme une seconde capitale. Peut-on dire que la ville réunit aujourd’hui toutes les perspectives et les atouts pour devenir encore davantage un moteur de développement pour le pays ?
Écoutez, Debrecen est d’abord et avant tout un endroit formidable. On peut bâtir une ville à partir de rien, les Américains le font volontiers, mais l’essence d’une ville, c’est son histoire. Et celle de Debrecen est remarquable. Quiconque lit un peu, ne serait-ce qu’au lycée, le voit : tant d’événements se sont déroulés ici, sans même parler des haïdouks, ou de Csokonai… Tout y est. C’est depuis toujours un grand centre culturel. Vivre dans une ville de culture est une chance : cela donne de la fierté à ses habitants, le sentiment de prolonger quelque chose qui confère davantage de valeur et d’importance à la vie. C’est aussi plus exigeant : lorsqu’on est dépositaire d’un héritage, on doit agir non seulement pour soi, mais en veillant à rester digne de ses prédécesseurs. Debrecen possède cet héritage. La ville est idéalement située. On aime plaisanter, moi le premier, en disant que lorsque je prends congé le matin, on voit encore mon dos à midi, tant la plaine semble interminable… Mais je crois qu’être au bord de la Grande Plaine hongroise est aujourd’hui un atout majeur, car le grand programme de développement de l’Alföld est justement en train de prendre son essor. Debrecen est donc au meilleur endroit. Oradea (Nagyvárad) a toujours été, d’une certaine manière, une ville jumelle de Debrecen : cela a parfois nourri la rivalité, mais cela a aussi favorisé la coopération et, surtout, la mise en commun des atouts. C’est une chance supplémentaire. Les écoles sont excellentes : non seulement le système d’enseignement de base est de qualité, mais l’Université de Debrecen est, à l’échelle européenne et même mondiale, un établissement performant. C’est pour la ville une poule aux œufs d’or, une véritable réserve de valeur. Si nous continuons à la développer comme nous l’avons fait, en veillant à sa taille optimale, à l’amélioration de la qualité et à son ouverture sur le monde, elle sera pour Debrecen une ressource inestimable. Si l’on me demandait où s’installer en Hongrie, à condition de ne pas aimer la montagne, de vouloir vivre sur la plaine, dans une ville historique et en plein essor, avec des enfants à scolariser dans de bonnes écoles, je recommanderais Debrecen sans hésiter.
Selon vous, Monsieur le Premier ministre, en quoi le système fiscal que le parti Tisza souhaite introduire risquerait-il de compromettre ces projets et ces perspectives ?
Je ne dirais pas qu’il les compromettrait, mais plutôt qu’il les pénaliserait. Les hausses d’impôts proposées par le parti Tisza, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés ou encore de l’instauration d’un impôt sur le patrimoine, seraient préjudiciables pour les gens, pour les familles qui travaillent et qui fournissent de réels efforts. C’est une logique punitive : tu réussis, tu travailles dur : on te sanctionne. C’est la pire des logiques, celle du communisme, celle qui prévalait du temps du socialisme, et encore jusqu’en 2010. J’ai beaucoup travaillé pour en sortir. J’ai donc un engagement personnel en faveur du régime actuel d’imposition faible : j’ai appris qu’un faible niveau d’impôt est bon pour les familles, bon pour les entreprises et bon pour les collectivités locales. Quand l’impôt est bas, les gens sont prêts à travailler davantage ; sinon, à quoi bon, si l’État leur reprend l’essentiel de ce qu’ils gagnent ? Si l’on veut que les gens aient de l’ambition, qu’ils produisent, qu’ils s’efforcent de progresser, il faut des impôts modérés. L’impôt sur le patrimoine, lui, implique que le pays entier doive faire une déclaration de patrimoine. Sinon, comment savoir ce que chacun possède ? Nous avons déjà connu cela avant 2010, et nous y avons mis fin. Cela signifie que l’administration vient fouiller : elle se rend chez les gens, elle vérifie leurs biens, elle leur demande combien ils ont dépensé dans l’année… Avant 2010, la Hongrie était alors pleine d’abus liés à ce système. Je crois qu’il faut laisser les gens tranquilles : appliquer un impôt faible, le percevoir, et leur dire : « le reste vous appartient ». Que votre argent soit en patrimoine, investi, dépensé ou utilisé pour vos enfants, cela relève de votre choix ; l’État n’a rien à y voir. Donc : faible fiscalité et liberté pour les citoyens de mener leur vie.
Au niveau gouvernemental, quels sont aujourd’hui les principaux projets de développement concernant Debrecen et sa région, ceux qui sont sur la table ?
La priorité, c’est d’augmenter la capacité des infrastructures hydrauliques. Je sais que c’est un sujet récurrent de controverse politique : y aura-t-il assez d’eau ? Oui, il y en aura ! Je ne dis pas qu’il faudra la transporter à la ville à coups de seaux, mais il y aura suffisamment d’eau et il y aura des infrastructures adéquates. Un autre point essentiel, c’est la mise à quatre voies de la route entre Békéscsaba et Debrecen. C’est une bonne chose que la route n° 4 arrive bientôt jusqu’ici, que la n° 3 permette déjà de rejoindre Debrecen, mais il faut aussi une liaison à quatre voies par le sud pour que Debrecen puisse pleinement jouer son rôle de centre régional. C’est pourquoi nous relierons Békéscsaba à Debrecen par une route à quatre voies. C’est ce qui se trouve actuellement sur la table. À cela s’ajoute l’autoroute M4, qui progresse actuellement du côté de Karcag et de Kisújszállás ; elle sera construite jusqu’à la frontière nationale, une partie l’est déjà, et le tronçon manquant sera achevé dans les deux à trois ans à venir.
Pour en venir au programme « Otthon Start » (Démarrage pour le logement), les spécialistes de l’immobilier estiment que Debrecen pourrait en être l’un des grands bénéficiaires. Avez-vous déjà des retours d’expérience, notamment en dehors de la capitale ?
Nous commençons à en avoir, mais il faudra encore les organiser et les analyser ; trois ou quatre semaines, c’est trop court pour dresser un véritable bilan. Ce que nous constatons déjà, en revanche, c’est un intérêt énorme : des dizaines de milliers de demandes de permis de construire arrivent, et des dizaines de milliers de demandes de crédit également. En observant aussi l’évolution des prix de l’immobilier, je constate que Budapest reste la ville la plus dynamique du pays, mais Debrecen la talonne. Je crois donc qu’à l’avenir, posséder un bien immobilier à Debrecen sera un atout patrimonial majeur, un capital qui ne cessera de prendre de la valeur.
Pour conclure, Monsieur le Premier ministre, j’aimerais vous interroger sur le DVSC, car pour nous, habitants de Debrecen, c’est une véritable affaire de cœur. Suivez-vous les performances du club ? Regardez-vous ses matches ?
Bien sûr que je les suis. Le destin m’a d’ailleurs un peu joué un tour, le diable du football s’est un peu moqué de moi. Pendant longtemps, les supporters de Debrecen sont venus me presser, et à juste titre : leur club a été six ou sept fois champion consécutivement, le football hongrois ne pouvait pas exister sans Debrecen, et pourtant la ville n’avait pas de stade digne de ce nom. Nous avons fini par réussir, non sans mal, à doter la ville d’un grand stade au Nagyerdő. Mais, ironie du sort, quand le stade a enfin été construit, le niveau de l’équipe s’est mis à décliner. Aujourd’hui, il faudrait qu’ils aient à la fois un grand stade et une grande équipe. Mais à présent, ils vont bien : je regarde le classement, et je vois qu’ils sont en forme…
Oui.
Ils sont même venus jouer contre notre équipe au Puskás Akadémia, et nous ont infligé une belle correction… Ce n’était pas agréable, mais c’est le football ! Alors je leur souhaite beaucoup de succès.
Merci infiniment, Monsieur le Premier ministre, pour cet entretien.