SHARE

Interview de Viktor Orbán dans l’émission « Bonjour la Hongrie ! » sur Radio Kossuth

Zsolt Törőcsik : Le sommet européen de Copenhague a de nouveau montré qu’il existe un profond désaccord entre le courant dominant à Bruxelles et le gouvernement hongrois quant à l’évaluation de la guerre russo-ukrainienne. Alors que Bruxelles considère qu’avec l’aide occidentale l’Ukraine peut vaincre la Russie, le gouvernement hongrois croit, lui, en une solution négociée. Je demande aussi au Premier ministre Viktor Orbán s’il est possible de combler ce fossé. Bonjour !

Bonjour !

Maintenant que les Américains semblent prêts à envoyer en Ukraine plus d’armes, et plus puissantes que jamais, pourquoi estimez-vous infondé le plan bruxellois visant à vaincre la Russie ?

Il ne s’agit pas d’une simple différence d’opinion au sein de l’Union, c’est important de le souligner. La question n’est pas ce que chacun pense, mais ce que chacun entend faire. Car, lorsque d’autres dirigeants disent que « c’est notre guerre, que l’Ukraine est notre première ligne de défense, que nous sommes donc en guerre », cela signifie qu’il faut réellement soutenir l’Ukraine. Il ne s’agit pas de faire des déclarations dans les grands journaux internationaux, mais d’envoyer des armes, d’envoyer de l’argent, et peut-être plus tard des hommes, et donc de soutenir la poursuite des combats, lesquels, chaque jour, coûtent la vie à des centaines, voire des milliers de personnes. Il ne s’agit donc plus d’un débat d’opinions, nous avons dépassé le stade de savoir ce que chacun pense ; la question est de savoir ce que nous faisons. Ma position est que la stratégie de guerre européenne, telle qu’elle a été réaffirmée à Copenhague, repose sur une erreur fondamentale. Elle part de l’hypothèse que les Russes s’épuiseront plus vite que nous sur le plan économique, autrement dit qu’ils manqueront d’argent. Et qu’une fois leurs ressources financières épuisées, ils ne pourront plus produire d’armes au rythme actuel, qui est aujourd’hui très élevé mais censé décliner. Nous, en revanche, serions capables de continuer à donner beaucoup d’argent et donc des armes à l’Ukraine. Les Russes s’effondreraient économiquement, peut-être même qu’il y aurait des soulèvements en Russie, et, sous le poids de cet effondrement économique, ils devraient renoncer à leurs objectifs de guerre et se retirer. Alors, les Ukrainiens pourraient récupérer les territoires perdus, soit un cinquième du pays. C’est cela, le plan de guerre européen. Or, chaque jour des centaines, voire des milliers de personnes meurent, chaque jour nous brûlons des centaines de millions d’euros, et, au final, des milliards, tout en courant le risque d’être de plus en plus impliqués nous-mêmes, Européens, dans cette guerre. Et, à la fin, ce sont ceux qui veulent même envoyer des troupes qui pourraient l’emporter : après tout, si c’est « notre guerre », pourquoi ne pas nous battre nous-mêmes ? Cette stratégie de l’Union entraîne donc des conséquences lourdes pour l’ensemble de l’Europe, et elle n’éclaire pas deux questions essentielles, que j’ai pourtant posées et reposées aux dirigeants européens. Combien de temps cela va-t-il durer ? Combien cela coûtera-t-il ? Si vous avez une stratégie de guerre, vous devez savoir combien de temps vous pouvez tenir cet effort. Alors, quand les Russes s’effondreront-ils ? Le mois prochain, dans six mois, dans un an, trois ans, quatre ans ? Combien de temps la guerre va-t-elle durer ? Combien de gens vont encore mourir ? Dix mille, cent mille, cinq cent mille ? Et combien cela nous coûtera-t-il ? Nous avons déjà dépensé environ 170 à 180 milliards d’euros, alors même que l’Europe traverse une grave crise économique et que nous aurions besoin de chaque centime. Et il faudrait encore dépenser 40 à 60 milliards d’euros chaque année, de nouveau et de nouveau, alors que nous n’en avons pas les moyens. Cette stratégie n’a donc pas de base rationnelle ni financière. Nous sommes incapables de financer cette guerre alors que nous prétendons vaincre l’adversaire en tenant plus longtemps que lui sur le plan financier et économique. C’est un mirage, une illusion, qui finira par s’effondrer et dont les conséquences seront graves. Il est d’ailleurs sans précédent, dans l’histoire des guerres, que les parties en conflit ne se parlent pas. Les Américains, eux, parlent aux Russes, mais nous, Européens, pas, alors que la guerre se déroule sur le continent européen. La position de la Hongrie est donc claire : il faut s’efforcer de parvenir à un cessez-le-feu, il faut s’efforcer d’aboutir à la paix, et il faut qu’il y ait un dialogue diplomatique permanent, qu’il soit au niveau inférieur, moyen ou supérieur, entre l’Europe et la Russie. Il faut engager des négociations.

Lorsque vous soulevez ces questions, la nécessité de négocier et vos doutes sur la stratégie actuelle, à huis clos, dans les réunions officielles, ou dans les couloirs, comment ces propos sont-ils accueillis ?

Peu à peu, je passe dans la majorité. Aujourd’hui, sur la scène publique, nous nous retrouvons souvent seuls à défendre cette position ; parfois, les Slovaques nous rejoignent, et sur certaines questions ponctuelles, d’autres pays se rapprochent de notre point de vue. Mais, d’après ce que j’entends lors des réunions non publiques, je peux dire qu’un nombre croissant de pays pensent comme la Hongrie : nous risquons d’être entraînés dans la guerre et, tôt ou tard, de voir revenir chez nous des cercueils contenant nos jeunes tombés au front. Ce danger grandit, et beaucoup ne veulent pas l’assumer. De plus, la plupart des pays européens connaissent de graves difficultés économiques. Il ne faut pas partir de la situation de la Hongrie, où nous baissons les impôts, lançons un programme pour le premier achat immobilier, et où les mères sont exonérées d’impôt sur le revenu. En Hongrie, nous avons donc une politique économique offensive, tournée vers la croissance, avec une multitude de nouveaux programmes. Mais en Europe occidentale, ce n’est pas le cas : là-bas, on assiste à un repli, à des coûts énergétiques qui explosent, à une baisse de la production économique. Même si ces pays sont plus riches que nous, leur situation est plus mauvaise, et ils disposent encore moins de moyens à consacrer à l’Ukraine. C’est pourquoi revient l’idée de saisir les avoirs russes gelés et de les utiliser contre la Russie. Mais, lorsque les gens sont en difficulté, ils ont tendance à proposer ce genre de solutions désespérées. Et, à en juger par ces idées de plus en plus désespérées, je constate que nous sommes dans une situation très préoccupante.

Vous avez indiqué hier qu’à Copenhague trois propositions étaient sur la table : la première, que l’Union européenne reconnaisse le conflit comme sa propre guerre, la deuxième, le soutien financier, dont nous avons déjà parlé, et la troisième, l’adhésion de l’Ukraine. Il y avait, semble-t-il, un projet visant à contourner votre veto sur l’ouverture des chapitres de négociation, mais vous l’avez rejeté. Cette option a-t-elle donc disparu de l’agenda, ou reste-t-elle sur la table ? Dans quelle mesure l’UE est-elle déterminée sur ce point ?

Je crois que la détermination est réelle. Mais, pour comprendre ce qui est en jeu, il faut revenir au point de départ, comme des danseurs débutants qui doivent retourner au poêle pour recommencer les pas, et voir où nous nous sommes trompés. L’Union européenne est l’organisation commune de 27 États membres. Un nouveau pays ne peut y entrer que si les 27 sont d’accord. Si l’un des États décide qu’il ne veut pas intégrer un candidat, pour quelque raison que ce soit, et ne veut pas partager une structure d’intégration avec lui, comme l’Union européenne, il en a le droit. Il ne s’agit donc pas de dire que 26 veulent et que le 27ᵉ doit suivre. Chaque peuple a le droit de décider s’il veut ou non appartenir à la même union qu’un autre peuple. Ainsi, les Hongrois n’ont pas à se préoccuper de ce que disent les 26 autres. Nous devons nous préoccuper de notre propre opinion, nous devons savoir ce que veulent les Hongrois. Et, puisque nous avons demandé l’avis des Hongrois et que chacun a pu l’exprimer, il en ressort que les Hongrois ne veulent pas partager l’Union européenne avec les Ukrainiens. Je suis profondément d’accord avec eux : lorsqu’on appartient à une même alliance, on partage le destin de l’autre. Or l’Ukraine est un pays au destin très difficile. Pourquoi devrions-nous partager ce destin ? Nous avons le nôtre, qui est plus facile que le leur. Aidons-les dans la mesure de nos moyens, c’est normal, mais pourquoi endosser, comme un vêtement mal taillé, le destin malheureux d’un autre ? C’est une idée naïve, que l’on trouve dans les films romantiques et qui peut séduire un adolescent de 13 ou 14 ans, mais qui ne tient pas debout dans le monde réel. Mais en quoi serait-ce une bonne chose, alors que nous pouvons nous en abstenir ? Nous les plaignons, nous avons de la compassion pour eux, nous reconnaissons qu’ils luttent héroïquement, et nous les soutiendrons, mais nous ne voulons pas partager leur sort. Leur sort est d’être le voisin de la Russie et d’être en conflit permanent avec elle. Nous ne pouvons pas changer cela. Et ce n’est pas une aide que de prendre sur nos épaules ce dont ils souffrent. Je veux éviter à la Hongrie que, si l’Ukraine devient membre de l’Union, nous nous retrouvions de fait en guerre avec la Russie, car tôt ou tard, lorsqu’on est dans la même alliance qu’un pays attaqué, il faut envoyer des soldats. Or nous ne voulons pas mourir pour l’Ukraine. Soyons clairs : nous voulons contribuer financièrement dans la mesure de nos possibilités, mais nous ne voulons pas que l’Ukraine devienne membre de l’Union et ait un droit automatique à puiser dans l’argent des Hongrois au motif qu’elle est en difficulté. C’est aux Hongrois de décider s’ils veulent donner, et combien. Ils ne peuvent pas revendiquer le droit de prélever de l’argent dans les poches des Hongrois parce qu’ils en ont besoin. S’ils deviennent membres, nous devrons également partager leur destin financier. Je propose donc que nous signions un accord stratégique avec l’Ukraine, que l’Union européenne conclue un accord de partenariat avec l’Ukraine, comme elle en a un avec le Royaume-Uni ou avec la Turquie. Ce n’est pas inédit. Mais ne les intégrons pas. C’est notre droit, et quoi qu’ils inventent, on ne peut le changer, car ce droit appartient aux Hongrois comme à chaque peuple.

À Copenhague, vous avez aussi annoncé le lancement d’une pétition contre les plans de guerre de Bruxelles. Mais il y a déjà eu un vote cette année, manifestement sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. En quoi cette pétition sera-t-elle différente, et quel en est l’objectif ?

D’abord, c’est une affaire délicate. Ne tournons pas autour du pot : nous ne sommes pas des partisans du Tisza, parlons franchement. La Hongrie est divisée sur la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Je ne le pensais pas au départ, mais c’est un fait. Le parti Tisza a organisé un vote interne sur ce sujet : ses partisans devaient dire s’ils soutenaient l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, et, si je me souviens bien, 58 % ont répondu oui. Bien sûr, on peut discuter de ce que représente le poids national du parti Tisza et, par conséquent, ce que représente ce 58 %, mais quel que soit le calcul, cela fait plusieurs centaines de milliers de personnes. Et il faut aussi ajouter, selon moi, les partisans de la DK (Coalition démocratique). On ne connaît pas exactement leur popularité, on ne peut plus vraiment se fier aux sondages, mais même s’ils ont 4 ou 5 % de soutien, cela représente aussi plusieurs centaines de milliers de personnes. Il faut donc que chacun, en Hongrie, vous comme moi, sache qu’il est possible que nous soyons nombreux à partager le raisonnement très simple selon lequel l’adhésion de l’Ukraine signifierait importer la guerre et exporter l’argent des Hongrois, il existe un grand nombre de Hongrois, plusieurs centaines de milliers, qui pensent qu’il vaut la peine d’accepter l’Ukraine dans l’Union, Ils sont plusieurs centaines de milliers ! C’est donc un véritable débat politique intérieur en Hongrie. Si c’est un gouvernement national qui est au pouvoir, nous ne partirons pas en guerre et nous ne transférerons pas notre argent. Si le Tisza ou la DK forment le gouvernement, des partis pro-Bruxelles, alors la Hongrie ira à la guerre et enverra de l’argent. Il s’agit donc d’un débat interne qui doit être réglé. C’est l’enjeu de chaque élection, et ce sera peut-être l’un des enjeux les plus importants, voire le plus important. C’est pour la question de l’adhésion. À cela s’ajoute la question de la stratégie de guerre. Certains disent : la solution est sur le front, il faut donner de l’énergie, de l’argent et des armes à l’Ukraine pour qu’elle gagne. Nous disons, nous, qu’il n’y a pas de solution militaire, que cela fait déjà trois ou quatre ans que le conflit dure et qu’il ne sera pas réglé sur le champ de bataille ; il faut donc négocier et chercher un compromis. Comme nous sommes constamment soumis à la pression, ce qui signifie pour moi, personnellement, une pression directe lors de ces négociations sur la guerre, il est essentiel que les Hongrois réaffirment sans cesse qu’ils ne veulent pas de la stratégie de guerre européenne et que, si elle existe, la Hongrie n’y participera pas. Sans une union nationale, une union nationale anti-guerre, il sera très difficile de tenir la Hongrie à l’écart de la guerre. Je sais que tout le monde ne lit pas l’histoire le matin en emmenant les enfants à l’école ou en allant travailler. Je ne veux pas ennuyer les gens avec les difficultés de mon travail. Mais n’oublions pas que la Hongrie a voulu rester en dehors des deux guerres mondiales et qu’elle n’y est pas parvenue : les dirigeants le voulaient, mais ils n’ont pas réussi. Je cherche la voie pour ne pas répéter cette erreur. Pour que nous puissions rester en dehors. Mais pour que je puisse défendre efficacement cette position, il faut une unité nationale très forte. Défendre la position du gouvernement et défendre la position nationale sur la scène internationale, ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas d’un soutien moral dont j’ai besoin, j’ai mon épouse et mes enfants pour cela, mais d’un soutien politique, qui me permette de me lever et de dire à quiconque, clairement : nous, Hongrois, ne soutenons aucune stratégie de guerre et nous n’y participerons pas ; nous resterons en dehors de cette guerre.

Nous reviendrons plus tard sur les débats intérieurs, mais vous avez mentionné tout à l’heure, dans une de vos réponses, l’exonération d’impôt sur le revenu pour les mères de trois enfants. Depuis mercredi, elles n’ont plus à payer d’impôt sur le revenu. Quel est le principal objectif de cette mesure ? Est-ce le renforcement de la situation matérielle des familles, ou la construction d’une forte classe moyenne, ou bien l’inversion de la tendance démographique, qui semble être le défi le plus difficile ?

Au bout du compte, il y a une idée très simple : si nous n’avons pas assez d’enfants, nous disparaîtrons. Un pays de cent millions d’habitants ne court pas ce risque, ni un pays de 90 millions comme la Turquie, ni même un pays de plus de 80 millions comme l’Allemagne. Mais nous, Hongrois, nous ne sommes déjà plus que dix millions, et si je compte tous les Hongrois du monde, nous n’atteignons même pas 15 millions. et c’est une estimation très généreuse. À notre échelle, chaque génération où naissent moins d’enfants qu’il n’y a de décès représente un danger existentiel. Ce n’est pas le genre de sujet auquel on pense chaque matin en emmenant les enfants à l’école ou en partant au travail, mais si l’on s’assoit pour réfléchir calmement à l’avenir de notre communauté, à celui de nos enfants et de nos petits-enfants, on doit reconnaître qu’un pays qui rétrécit ne peut pas être un pays prospère. Quand la population diminue, les membres de cette communauté en pâtissent toujours davantage. C’est donc une question de survie, non seulement sur le long terme, d’un point de vue historique, mais aussi à court terme, pour des raisons économiques, de savoir combien nous sommes en Hongrie. Il y a deux options. La voie choisie par l’Occident : là-bas, il ne naît pas assez d’enfants, alors on les remplace par des migrants. Il y a moins d’Allemands ou moins de Français, et un musulman arrive à leur place. C’est une voie que l’on peut emprunter, mais je ne la recommanderais pas aux Hongrois. D’autres l’ont déjà expérimentée avant nous. Nous avons bien fait de rester à l’écart, de ne pas laisser entrer les étrangers, et nous avons observé ce qui s’est passé chez ceux qui les ont laissés entrer. Ce que nous voyons aujourd’hui en Europe de l’Ouest n’est pas attrayant, et je ne conseille pas de l’imiter. Alors il faut nos propres enfants. Bien sûr, c’est une affaire privée : le nombre d’enfants que l’on a, l’État ne peut pas le décider. Chacun est maître de sa propre vie. Mais nous pouvons faire une chose : reconnaître et soutenir les mères qui choisissent d’avoir au moins deux enfants. Deux enfants, cela signifie qu’elles remplacent elles-mêmes et leur mari ; elles assurent donc la reproduction de notre communauté. Nous voulons les soutenir et les aider à ne pas vivre moins bien simplement parce qu’elles ont choisi d’avoir deux enfants, alors que d’autres n’en ont pas. Non seulement ce serait injuste, et même si l’on pouvait supporter une certaine injustice dans la vie, ce serait en plus extrêmement désavantageux pour la communauté. C’est pourquoi il faut apprécier, reconnaître, soutenir et encourager celles qui acceptent d’élever des enfants, c’est leur affaire privée, mais c’est aussi l’intérêt de la collectivité. C’est la raison pour laquelle je consacre tous les instruments économiques possibles au soutien des familles, et en particulier des familles avec enfants. C’est le cœur de notre philosophie économique. J’appartiens à une communauté politique qui partage cette conviction et, grâce au travail des dernières années, je crois que la majorité des Hongrois la partage aussi : il faut soutenir les familles. La Hongrie est un pays favorable à la famille. Nous aimons les enfants et nous regrettons qu’ils soient trop peu nombreux. Mais le rôle d’un gouvernement n’est pas de se lamenter ; il est d’aider les gens à avoir plus d’enfants. Cette politique comporte donc à la fois un aspect social, une dimension de justice, un soutien aux familles, et un objectif démographique. À mon avis, si la Hongrie dispose de ressources financières, aujourd’hui et demain, il faut en priorité les consacrer au soutien des familles.

Revenons un instant au débat intérieur. Vous avez mentionné tout à l’heure l’exonération d’impôt sur le revenu pour les mères de deux enfants ou plus. Or, nombre d’économistes proches du Parti Tisza affirment que la Hongrie n’a pas les moyens financiers d’une telle mesure et que c’est trop généreux. Dans le même temps, le parti déclare officiellement vouloir maintenir ces avantages et même réduire encore les impôts. À qui les électeurs doivent-ils faire confiance dans cette situation ?

Pour l’instant, il n’est pas utile de tenir compte du parti Tisza, parce qu’ils ont eux-mêmes indiqué qu’ils ne disaient pas ce qu’ils envisageaient de faire. Tout le monde a pu l’entendre et le voir, le vice-président du Tisza a dit ouvertement : « Nous ne pouvons pas dire ce que nous préparons, car alors nous perdrions l’élection. Il n’est même pas nécessaire d’en parler : il faut d’abord gagner l’élection, ensuite on pourra tout faire. » À partir de ce moment-là, pour moi, le Tisza s’est disqualifié comme parti que l’on peut prendre au sérieux. Je ne peux rien espérer comprendre de leurs véritables intentions à partir de leurs déclarations, car ils ont clairement dit qu’ils ne diraient pas la vérité. C’est un parti sournois, qui esquive, il y en a déjà eu, ce n’est pas inédit. Cela ne me plaît pas, mais ce n’est pas nouveau. Donc, ils esquivent. Ce que nous savons, c’est ceci : La Hongrie a-t-elle l’argent nécessaire ? On le sait en regardant le budget de l’État. Chaque année, le Parlement adopte, au terme d’un débat public, un budget indiquant les recettes, les dépenses, leurs sources et leurs affectations. Tout le monde peut le consulter. C’est à partir de cela qu’on peut savoir si les programmes comme les réductions d’impôt ont un financement. Et il ressort clairement que cette année comme l’an prochain, ensuite, on verra, il y a bien, dans le budget, la couverture financière des mesures actuelles de soutien aux familles. Il est donc faux de dire qu’il n’y a pas d’argent. Le débat porte sur l’affectation de cet argent. Le Tisza, les libéraux et la DK veulent supprimer l’impôt sur les banques et réduire celui des multinationales. C’est d’ailleurs ce que Bruxelles exige. C’est donc une triple alliance solide : Bruxelles – DK – Tisza. Or, ils pensent que si l’on réduit l’impôt des banques et des multinationales, il faudra compenser la perte de recettes en prenant l’argent aux familles. Ils se sont toujours rangés du côté des banques et des multinationales contre les familles. Et il y a maintenant une complication supplémentaire : Bruxelles veut nous imposer des hausses d’impôts parce que la guerre en Ukraine exige toujours plus d’argent. Il n’y a pas d’argent. L’Union européenne n’a pas les moyens de soutenir l’Ukraine. D’où viendra l’argent ? En le prenant aux États membres. Le prochain budget pluriannuel de l’UE, déjà sur la table, prévoit que le quart du budget européen aille à l’Ukraine. Cela n’est possible que si l’on prend l’argent aux familles pour le donner à l’Ukraine. C’est aussi simple que cela. Et puisque la DK a toujours été pro-Bruxelles, et que le Tisza est un parti né à Bruxelles, un projet politique exprimant la volonté de Bruxelles, ils soutiendront naturellement tout ce que Bruxelles demande.

Hier, une nouvelle vidéo a fait surface à propos de ce que le Parti Tisza envisage ou pourrait envisager. On y entend Zoltán Tarr déclarer : « Il n’est pas sûr qu’il faille maintenir le même nombre de lits d’hôpital dans le même type de prise en charge qu’aujourd’hui, et il n’est pas sûr non plus qu’il faille garder le même type d’école primaire. » Qu’en déduisez-vous ?

Écoutez, je suis député depuis 1990. Cela signifie que j’ai participé, depuis trente-cinq ans, à des débats budgétaires. J’ai donc disputé au moins trente-cinq batailles parlementaires sur les grandes questions : quelle est la situation de l’économie hongroise, combien d’argent nous avons, combien l’État doit prélever et comment il doit le dépenser. Tout cela, je l’ai déjà entendu. Si je regarde en arrière sur ces 35 années, c’est clair pour moi : il n’y a en réalité que deux grandes orientations économiques possibles. Et les mêmes personnes qui défendent ces deux visions réapparaissent sans cesse. Ainsi, même si je considère György Surányi comme un économiste compétent et cultivé, il revient toujours sur le devant de la scène : tantôt derrière le « paquet Bokros », tantôt derrière le Tisza, tantôt ailleurs. De même Péter Ákos Bod revient par cycles. Et il y a aussi András Kármán, que j’ai écarté du gouvernement vers 2011, et qui est aujourd’hui leur principal conseiller économique, un banquier financé de l’étranger. Je les connais tous comme le fond de ma poche. Ils ont toujours défendu le même modèle : une économie qui accorde des avantages financiers aux multinationales, qui n’impose pas les banques, qui refuse les taxes sectorielles, et qui, en contrepartie, fait peser davantage de charges sur les familles pour équilibrer les comptes. À cela s’ajoute désormais Bruxelles, dont l’intérêt va exactement dans le même sens. Ensemble, ils forment un bloc intellectuel et politique puissant, qui a même parfois pris le pouvoir en Hongrie. Puis, nous les battons dans les urnes, et nous rétablissons une politique favorable aux familles. C’est toujours la même alternative : l’un ou l’autre. C’est le seul choix qui se pose à la Hongrie.

C’est pour cela que le gouvernement a lancé une consultation nationale. Les questions sont très diverses : de l’impôt sur le revenu à taux unique, aux différents avantages et exonérations, en passant par l’impôt sur les sociétés et le plafonnement des tarifs énergétiques. La suppression ou la transformation de ces mesures, au-delà des enjeux économiques et politiques, aurait quelles conséquences pour la vie quotidienne des familles ?

Tout cela a une racine commune. En réalité, la consultation nationale, dont les cinq questions y ramènent,
porte sur la question fondamentale : quelle doit être la répartition de la charge fiscale en Hongrie. Et les enjeux essentiels de cette répartition sont formulés dans la consultation nationale. Cette consultation est un outil utile pour débattre ouvertement de certaines grandes questions. Or, le Tisza esquive le débat. Il ne veut pas dire les choses clairement, il laisse échapper ici ou là qu’il fermerait des hôpitaux, fermerait des écoles, supprimerait le financement du sport par le système TAO, parce qu’à leurs yeux on dépense trop pour le sport, et qu’il réduirait aussi le financement de la culture et le soutien aux familles. Alors, parlons-en franchement ! Ils ne souhaitent pas en discuter. Eh bien, discutons-en ! La répartition de la charge fiscale est l’enjeu central de l’avenir de la Hongrie. Et nous, nous disons que l’argent produit par l’économie hongroise doit revenir aux familles. l faut prélever le moins possible sur les revenus des citoyens. Plus il leur en reste, mieux c’est. Et les impôts que nous percevons, il faut en priorité les reverser aux familles.

Abordons encore un autre sujet. Nous manquons de temps, mais vous avez récemment célébré, avec le Premier ministre slovaque Robert Fico, le 130ᵉ anniversaire de l’inauguration du pont Mária Valéria. C’est intéressant, car il y a seize ans, sur ce même pont, le président hongrois de l’époque, László Sólyom, avait dû rebrousser chemin, après que Robert Fico lui avait interdit l’entrée en Slovaquie. Qu’a-t-il fallu pour qu’en seize ans, les relations entre les deux pays changent à ce point ?

Bruxelles. C’est la réponse. Aujourd’hui, Bruxelles retire des compétences aux États membres. Et peu importe que l’on soit Hongrois, Slovaque, Roumain ou Croate : Bruxelles grignote l’autorité de chaque nation. Sans cesse. Parfois dans le domaine économique, parfois en tentant de court-circuiter les États membres sur des questions liées à l’adhésion à l’UE ; bref, il centralise. Prenez l’exemple de l’éducation. Selon les traités et les constitutions nationales, c’est une compétence strictement nationale. Mais Bruxelles intervient malgré tout. Si nos universités ne lui plaisent pas, il veut y mettre son nez. Il s’immisce aussi dans la manière dont les parents doivent élever leurs enfants, parce qu’il considère que les questions de genre et l’éducation sexuelle dispensée par des militants dans les écoles relèvent des libertés fondamentales. En somme, Bruxelles s’immisce de plus en plus dans notre vie, comme dans celle de chaque nation, et toutes les nations protestent contre cela. Bien sûr, les plus grandes protestent moins, car ce sont elles qui tirent les ficelles à Bruxelles, mais c’est là un autre débat. En revanche, des pays de taille comparable au nôtre, les pays de la région, luttent tous pour défendre leur souveraineté et leur droit à représenter les intérêts de leur propre peuple. Sur ce point, Slovaques et Hongrois pagayons dans le même bateau. C’est pourquoi, ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé à réduire le poids des questions litigieuses entre nous et à accroître le champ d’accord. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de points d’entente que de désaccords entre la Slovaquie et la Hongrie. Ainsi, si László Sólyom était encore en vie, que Dieu ait son âme, il pourrait aujourd’hui traverser ce pont qu’il n’avait pas pu franchir il y a une dizaine d’années.

J’ai donc interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur le sommet européen de Copenhague, sur l’exonération d’impôt sur le revenu pour les mères de trois enfants, et aussi sur la consultation nationale.

FOLLOW
SHARE

More news