Zsolt Törőcsik : Cette semaine, la Commission européenne a présenté son projet de budget pluriannuel pour la période débutant en 2028. Ce plan comporte des changements structurels majeurs par rapport à l’actuel cadre financier. Hier, Viktor Orbán a indiqué que ce document était en réalité « un budget pour l’Ukraine », et qu’il était inacceptable pour la Hongrie. Nous allons également demander au Premier ministre Viktor Orbán pourquoi. Bonjour !
Bonjour à vous !
Examinons ensemble quelques aspects de ce projet. Le texte prévoit d’allouer 100 milliards d’euros à l’Ukraine, ce qui représenterait 5 % du budget total. Cependant, vous-même, ainsi que plusieurs membres du gouvernement, affirmez qu’en réalité, 20 % du budget serait destiné à l’Ukraine. Comment expliquer une telle différence entre ces deux estimations ?
Vous savez, le budget européen, c’est un exercice de haute voltige. Il ne suffit pas de lire ce qui est écrit noir sur blanc, il faut aussi déchiffrer ce qui se cache entre les lignes. Des groupes d’experts indépendants, en Hongrie mais aussi à l’étranger, ont analysé les lignes budgétaires dissimulées, celles que la Commission prévoit de répartir par décisions unilatérales. Selon certaines de ces analyses, jusqu’à 20 %, voire 25 % du budget pourrait être transféré à l’Ukraine. Je ne parle pas ici en mon nom propre, mais en m’appuyant sur des spécialistes compétents. Je peux affirmer avec une grande assurance que au moins 20 % de ce budget irait à l’Ukraine. Autrement dit, au moins 20 % de l’argent des citoyens européens, et donc 20 % de l’argent des Hongrois serait destiné à l’Ukraine.
Dans le même temps,le gâteau sera plus grand, puisque le budget total passerait de 1 200 à 2 000 milliards d’euros. Pourquoi ne pourrions-nous pas en déduire que l’Ukraine recevrait davantage, tout comme d’autres priorités pourraient bénéficier de moyens accrus ?
Si nous regardons uniquement les chiffres, il faut quand même souligner que, en plus des 20 à 25 % pour l’Ukraine, environ 10 à 12 % du budget ira au remboursement des intérêts des dettes contractées précédemment par l’Union européenne. Nous sommes d’ailleurs opposés à cette méthode de financement. Nous estimons donc qu’il n’est pas judicieux que les États membres empruntant collectivement ; mais comme la Hongrie ne peut pas bloquer seule ce genre de décision, cette pratique s’est poursuivie sans interruption jusqu’à présent. Maintenant qu’il y a un nouveau gouvernement allemand, les signaux d’alerte commencent à se faire entendre là-bas également : ils ne souhaitent plus contracter de gros emprunts qui entraîneraient un endettement similaire. Mais ce qui est fait est fait : 10 à 12 % de ce budget est déjà absorbé par le service de la dette. Faites le calcul : entre 30 et 35 % du budget total est ainsi absorbé par des lignes qui n’existaient même pas dans le précédent cadre financier. Autrement dit, même si le budget global est augmenté de quelques pour cent, 30 % est immédiatement siphonné, comme s’il n’existait pas. Les citoyens européens n’en verront strictement aucun bénéfice, si ce n’est qu’ils devront payer, sans rien recevoir en retour. C’est pour cela que nous entendons, dans toute l’Union, des murmures, des grognements, des protestations, parfois des cris, selon le tempérament des peuples.
Puisque vous parlez des citoyens, concrètement, comment les Hongrois, familles, retraités, salariés, ressentiraient-ils ce budget dans leur quotidien, si celui-ci entrait en vigueur ? Et que se passerait-il si, en plus, Bruxelles interdisait à partir de 2028 l’importation d’énergie russe ?
Le plus grand problème de ce budget, et cela vaut généralement non seulement pour le budget de l’Union européenne, mais aussi pour les budgets nationaux, c’est qu’il manque de fondement stratégique clair. Donc, si nous ne savons pas à quoi sert le budget, il ne peut pas être bon. Il faut d’abord répondre à une question simple : quels objectifs voulons-nous atteindre avec ce budget ? Cela vaut pour le budget de la Hongrie, mais aussi pour le budget commun de l’Union européenne. Aujourd’hui, ce point n’est pas clair, ou s’il l’est, il n’est pas dit à voix haute. Le seul objectif manifeste de ce budget, c’est de préparer l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, en mettant de côté les ressources financières nécessaires : parfois de façon rusée, dissimulée, parfois de manière ouverte, explicite. Or, aucune décision n’a été prise quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. En l’absence d’une telle décision, il n’est pas approprié de prévoir des fonds à cette fin. Cet argent, il faudrait le distribuer entre les pays déjà membres, entre les citoyens européens. Et le jour où l’Ukraine sera effectivement membre, alors nous pourrons parler d’une contribution. Cependant, cela ne se produira pas de mon vivant, ce n’est donc pas pour demain. Si l’Ukraine ne rejoint pas l’Union, ce qui, selon moi, serait une bonne chose, alors il faudra définir une autre forme de partenariat : pas une adhésion, mais une coopération. Ce type de relation peut aussi avoir une dimension budgétaire, mais il faudrait alors établir les bases financières de cette coopération alternative. Ce que je veux dire par là, c’est que ce budget ne nous permet pas de comprendre quelle vision les auteurs de ce document, c’est-à-dire la Commission, ont de l’avenir de l’économie européenne. Au-delà de l’Ukraine, ce budget contient aussi d’autres zones d’ombre : des fonds sont retirés, par exemple à l’agriculture. La question qui se pose alors est la suivante : ces fonds sont-ils supprimés parce que le système précédent était jugé trop coûteux, parce qu’ils sont destinés à d’autres fins, parce que l’industrie alimentaire et l’agriculture européennes ne sont plus considérées comme des secteurs clés, ou pour d’autres raisons ? Et si des fonds sont retirés parce que les auteurs du budget ont a une vision différente de l’avenir de l’agriculture européenne de celle que nous avions jusqu’à présent, quelle est cette vision ? Si, jusqu’à présent, des millions d’agriculteurs vivaient de l’agriculture en Europe et que nous soutenions leur travail, que deviendront-ils si nous ne les soutenons plus à l’avenir ? De quoi vivront-ils ? Comment gagneront-ils leur pain ? Où pourront-ils travailler ? Nous ne pouvons pas, dans un budget, tailler d’un coup de couteau dans le vif sans savoir ce qui en résultera, parce que nous risquons tout simplement de tuer le patient. Ce budget-là détruirait l’Union européenne. À mon avis, il ne survivra même pas jusqu’à l’année prochaine. La Commission devra soit le retirer de manière spectaculaire, soit reculer progressivement et le réécrire. C’est ce que me laissent penser les réactions : les pays européens, tout simplement, ne vont pas accepter ce budget de la bureaucratie bruxelloise.
Jusqu’à présent, c’est surtout la réforme des aides agricoles qui a provoqué la plus vive indignation. L’aide à l’hectare, par exemple, serait tout simplement supprimée au-delà d’un certain seuil. Selon vous, quelles en seraient les conséquences pour les agriculteurs hongrois ? La Commission argue en disant que cela vise à soutenir les jeunes agriculteurs, la durabilité et la concurrence.
La Commission européenne n’a pas à faire de grandes démonstrations : elle devrait simplement dire « voilà la somme que nous allouons à l’agriculture, et voici comment nous allons la faire parvenir aux agriculteurs de la manière la plus simple possible ». C’est ce qu’elle devrait faire. Mais ce n’est pas du tout ce qu’elle fait. Le système est d’une complexité bureaucratique insensée, la Commission procède par jongleries, des pirouettes, des doubles discours bruxellois, elle déplace des montants d’un poste à un autre, fusionne des lignes. Je vous le dis : j’ai moi-même élaboré plusieurs budgets, j’en ai aussi vu passer en tant qu’opposant – et chaque fois qu’un budget se présente avec ce genre d’opacité, avec des responsabilités qui se croisent, s’enchevêtrent, s’effacent mutuellement, c’est qu’il y a anguille sous roche. C’est très clair ici : la Commission n’a aucune vision de l’avenir de l’agriculture européenne. Dans les faits, elle grignote un peu partout dans les anciens postes pour pouvoir dégager de l’argent à destination de l’Ukraine. De plus, l’adhésion de l’Ukraine est inacceptable aussi pour une autre raison – elle fonctionne comme la migration : une fois que vous avez laissé entrer quelqu’un, vous ne pouvez plus le faire sortir. C’est pour cela que la Hongrie propose une approche progressive. Bien sûr, nous devons coopérer avec l’Ukraine – c’est un voisin de grande taille et d’une grande importance. Mais coopération ne veut pas dire adhésion. Ils ne doivent pas obtenir les mêmes droits que nous, les membres de l’Union. Parce que, et peu de gens le savent, une fois qu’un pays est membre de l’Union européenne, il est impossible de l’exclure. Il est possible de le harceler, le traîner dans la boue, comme cela nous arrive parfois, tirer sur sa manche ou le menacer, mais il n’est pas possible de l’expulser. Si nous faisons entrer un pays immense, dont on ne connaît même pas précisément la population, alors ses problèmes économiques deviennent automatiquement les nôtres. Il ne s’agira plus d’un pays tiers à qui on donne un coup de main ponctuel, mais d’un membre à part entière qui dira, à juste titre : « Vos problèmes sont mes problèmes, mais mes problèmes sont désormais aussi les vôtres. Nous faisons partie d’un même espace économique, donc donnez-nous de l’argent. » Et là, il faudra payer. Sans alternative. L’argent coulera pendant des décennies, et à perte. Parce que, à mon avis, dans l’état où elle est aujourd’hui, l’économie ukrainienne est incapable de se moderniser, même avec un statut de membre et les aides financières afférentes. Elle est loin, très loin d’être prête pour l’adhésion.
À quel point sera-t-il difficile de modifier cette proposition actuelle ? Et quels sont, au juste, les rapports de forces politiques à Bruxelles et en Hongrie ?
C’est une période très intense qui commence. Je crois que nos auditeurs n’en ont même pas idée. Des milliers d’experts planchent en ce moment même sur ces centaines de pages : ils additionnent, ils surlignent, ils commentent en marge, ils recalculent. Ensuite, les 27 pays membres commencent à négocier entre eux, puis avec la Commission. Ce sera un processus extrêmement complexe avec, pour objectif final, d’aboutir à un budget acceptable pour les 27 pays, puisqu’il faudra une décision unanime à la fin. Ce n’est pas ma première expérience : c’est le troisième cadre budgétaire européen que je vis. Je connais donc bien ce processus, je connais ce labyrinthe, cette jungle dans laquelle nous devons nous frayer un chemin. Nous savons déjà avec qui nous allons négocier, avec quels pays nos intérêts convergent, avec lesquels ils divergent, et avec qui nous allons devoir trouver un compromis pour qu’au bout du compte, la Hongrie ait un budget acceptable. Mais il y a un problème bien plus profond. En effet, lorsque je lis ce budget, je constate qu’il s’agit d’un budget du désespoir. Même si vous ne lisez que le résumé, même si vous le survolez, ce que vous verrez, ce n’est pas une Union dynamique, conquérante, sûre de ses objectifs et tournée vers l’avenir. Non. Ce que vous verrez, c’est une Union déboussolée, prise dans les turbulences, qui veut couper un peu partout, qui finance à l’aveugle des objectifs mal définis, et qui se contente d’essayer d’éviter l’effondrement. C’est une Europe de la stagnation. L’ambition de ce document est terriblement basse. Or, nous n’avons pas rejoint l’Union européenne pour simplement survivre aux sept prochaines années. Nous l’avons rejointe pour fixer ensemble des objectifs clairs, ambitieux, porteurs d’espoir pour les peuples d’Europe, et les atteindre ensemble. Rien de tout cela ne se trouve dans ce budget.
Nous verrons bien ce qu’il adviendra de ce budget. Ce que la Hongrie demande d’ores et déjà à Bruxelles, en revanche, c’est que l’Union européenne inscrive trois dirigeants ukrainiens responsables de la conscription forcée sur la liste des sanctions pour atteinte aux droits de l’homme, une demande formulée par le gouvernement hongrois après l’affaire de József Sebestyén. Quelles sont, selon vous, les chances que cette demande soit acceptée ?
Nous avons surpris Bruxelles. Notre ministre des Affaires étrangères s’est rendu sur place ces derniers jours, et les responsables bruxellois, bien sûr, avaient déjà entendu parler de ce différend bilatéral. Ils savaient qu’un citoyen hongrois, donc aussi un citoyen européen, avait été tué par les Ukrainiens lors d’une campagne de conscription forcée assimilable à une chasse à l’homme. Ils s’attendaient à une réaction de la part de la Hongrie, mais nous avons pris un tout autre chemin. Nous nous sommes appuyés sur le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. C’est un document international sérieux, publié récemment, qui consacre un chapitre entier aux violations flagrantes des droits de l’homme perpétrées dans le cadre des conscriptions forcées en Ukraine. Donc, à Bruxelles, nous ne sommes pas venus dire : « Voici une affaire hongroise. » Nous avons dit : « Voici un problème européen. » Un problème perçu non seulement par la Hongrie, parce que l’une de ses victimes était un de ses ressortissants, mais un phénomène plus vaste que d’autres peuvent également percevoir. Ce rapport, issu d’un organisme basé à Strasbourg, a rassemblé et systématisé toutes les données disponibles, et il dresse un constat clair, identique à celui du gouvernement hongrois : il ne s’agit pas de cas isolés, mais d’une véritable pratique. Une véritable chasse à l’homme. On appelle cela conscription, enrôlement forcé, mais en réalité, des unités chargées du recrutement repèrent les individus jugés « mobilisables » et les capturent de force pour les envoyer immédiatement à l’armée ukrainienne. Et si les mots ne suffisent pas, alors c’est la violence qui parle. Des brutalités inouïes sont commises, comme le montre ce rapport. Ce n’est qu’à la toute fin que nous avons précisé : « Au fait, chers amis bruxellois, la dernière victime, c’était un citoyen hongrois. Donc aussi un des vôtres. Un citoyen européen. » Autrement dit, nous n’avons pas attaqué sur le terrain des relations bilatérales entre l’Ukraine et la Hongrie. Nous disons que l’Union européenne doit réagir, ne pas détourner les yeux, et envisager des sanctions. Par exemple, en inscrivant les responsables de ces campagnes de chasse à l’homme sur la liste des sanctions. La Hongrie, pour sa part, a déjà agi : elle les a interdits de territoire hier. Mais ce n’est pas pour nous que cela doit être fait. C’est parce que ce qui se passe chez notre voisin est inacceptable en soi. C’est sur cette base que nous agissons, et nous irons jusqu’au bout. Ce qui peut être fait de manière bilatérale, nous l’avons fait à l’égard des trois personnes que nous avons pu identifier comme responsables.
Mais à Bruxelles, ce n’est pas seulement cette demande hongroise qui reste sans réponse. Il n’y a eu aucune réaction. Comment expliquez-vous ce silence ?
C’est gênant. Bien sûr, la brutalité est bien plus qu’un simple embarras pour ceux qui la subissent, ce sont des victimes. Mais même pour les bureaucrates bruxellois, c’est profondément gênant. En effet, à Bruxelles, nous entendons que ça : « L’Ukraine fait des progrès remarquables en matière de droits de l’homme, de justice, de lutte contre la corruption… » Je me prends la tête à deux mains pour que mes cheveux ne tombent pas en entendant ces discours ! Ils parlent de l’Ukraine comme d’un pays qui a déjà tout fait pour être prêt à rejoindre l’Union européenne. Elle serait même trop prête ! Et nous, Hongrois, quelques empêcheurs de tourner en rond, serions ceux qui empêchent l’ouverture de la porte, alors que cela reviendrait clairement aux Ukrainiens. Ils affirment donc que l’Ukraine n’est pas seulement mûre, mais presque trop mûre pour adhérer à l’Union européenne. Quiconque connaît réellement l’Ukraine, et en tant que voisins, nous la connaissons bien, sait parfaitement que cela n’a rien à voir avec la réalité. Nous pouvons toujours discuter, interpréter, évaluer si un pays a une justice fiable, un système fiscal en ordre, une économie régulée au niveau européen. Mais quand un homme est battu à mort parce qu’il ne veut pas être enrôlé, ou parce qu’il pense ne pas être concerné par cette obligation, et qu’au lieu d’être interpellé et poursuivi légalement, il est tabassé à mort, là, il n’y a plus d’interprétation possible. Cela prouve clairement que ce pays n’est pas prêt à faire partie de l’Union européenne. Si Bruxelles devait reconnaître cette réalité, elle devrait se dédire. C’est pourquoi elle ne le fera pas spontanément. C’est à nous de forcer le sujet sur la table. Parce que, malheureusement, les responsables bruxellois ne le feront pas d’eux-mêmes. Les valeurs européennes, les déclarations solennelles sur les droits fondamentaux, tout cela exigerait que Bruxelles s’empare de cette affaire et la fasse toute la lumière. Mais ils ne le feront pas. Ils veulent l’écarter d’un revers de main. Parce que, pour eux, il s’agit d’un pays qui est mûr depuis longtemps pour adhérer à l’UE.
Les réactions ukrainiennes et hongroises à cette affaire sont elles aussi révélatrices. Ainsi, suite à l’expulsion décrétée hier par la Hongrie, Kiev a répliqué en dénonçant une manipulation hongroise et en affirmant qu’elle ne tolérerait pas un tel manque de respect. En Hongrie aussi, nous entendons des voix mettre en doute les preuves de ce passage à tabac ; Péter Magyar, président du parti Tisza, a déclaré qu’il ne souhaitait pas participer à une campagne fondée sur la mort de József Sebestyén. Que pensez-vous de ces réactions, venues d’Ukraine et de Hongrie ?
Comme nous l’avons dit à Bruxelles, l’affaire Sebestyén József est importante pour nous, les Hongrois. Parce qu’il était l’un des nôtres. En un sens, József Sebestyén, c’est nous. Nous, communauté nationale hongroise, peu importe où passent les frontières de l’État aujourd’hui, nous sommes une seule et même nation. C’est donc pour nous une affaire de cœur, une affaire d’honneur. Mais notre argumentation ne part pas de là. Comme je l’ai dit, nous partons du rapport du Commissaire aux droits de l’homme. Ce que nous devons dire aux membres du parti Tisza, à l’agence de renseignement ukrainienne, à la diplomatie de Kiev, c’est que ce n’est pas avec la Hongrie qu’ils sont en conflit. Un organisme européen a noir sur blanc décrit une réalité, une pratique qu’il faut faire cesser. Si elle nous touche plus particulièrement aujourd’hui, c’est simplement parce que la dernière victime en date de cette pratique était hongroise. Ce n’est donc pas le cas hongrois que nous devons prouver : les faits parlent d’eux-mêmes. Ce que nous devons mettre en avant, c’est ce rapport européen, dans lequel il ne s’agit pas d’un constat hongrois, mais d’un constat formulé par d’autres. Par des gens qui ne peuvent pas être accusés de partialité en faveur de la Hongrie. C’est la réalité, telle qu’elle est. Alors oui, c’est triste. Mais ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire hongroise : certains partis, chaque fois qu’un différend oppose la Hongrie à un pays étranger, choisissent systématiquement le camp de l’étranger. Le parti Tisza s’inscrit dans cette tradition. La DK (Coalition démocratique) aussi. Ce sont des formations pour qui un Hongrois ne peut jamais avoir raison, parce que l’étranger incarne toujours quelque chose de supérieur, de plus civilisé, de plus légitime. Selon eux, il ne s’agit pas de discuter avec les puissances extérieures, mais de leur obéir, de s’aligner, de les imiter, d’accepter les ordres venus d’ailleurs. C’est une autre vision du monde. La vision du monde de l’opposition hongroise actuelle, et sa manière de se positionner face à Bruxelles ou à tout autre centre impérial, hier Moscou, puis Washington, aujourd’hui Bruxelles. Toujours dans un rapport de soumission. Un monde dans lequel un Hongrois ne peut jamais avoir raison. Et c’est cette malédiction-là dont nous devons nous libérer. Cela nous pèse depuis plus d’un siècle : on nous tape sur la tête, et on nous répète que nous n’avons jamais raison. Et certains partis croient à cela, vivent de cela, s’en nourrissent, appliquent les consignes. Et puis il y a des partis nationaux, comme le nôtre. Nous sommes fiers d’être Hongrois. Nous affirmons que nous avons raison. Nous le prouverons. Nous nous battrons pour cela. Et nous défendrons nos intérêts. Voilà ce que révèle ce débat, à travers un exemple concret.
Parlons un peu de l’économie hongroise. Vous avez qualifié le budget européen de budget de survie, mais dans une interview précédente, vous disiez aussi que la Hongrie nourrit de réelles ambitions économiques. Prenons le programme Otthon Start Plusz, destiné aux jeunes. Beaucoup d’entre eux ont vu leurs parents se brûler les ailes avec les prêts en devises étrangères au début des années 2000, et en ont donc gardé un souvenir très amer. Comment les convaincre malgré tout qu’aujourd’hui, contracter un prêt et acheter un logement est une démarche raisonnable ?
C’est un prêt en forint. Quel était le problème du prêt en devise ? Le problème, c’est que les banques, avec le soutien du gouvernement Gyurcsány à l’époque, ont poussé les gens dans ce piège, en leur expliquant que s’ils empruntaient en forint, les taux seraient très élevés, alors qu’en euro, ils seraient bien plus bas. Bien sûr, les gens ne sont pas idiots : entre un taux élevé et un taux bas, ils choisissent le plus avantageux. Et quand ce sont à la fois les banques et le gouvernement qui les y encouragent, ça semble évidemment une proposition sensée. Mais ce que personne ne leur a dit clairement, même si j’ai essayé de le faire depuis l’opposition, c’est qu’ils prenaient un risque de change. À savoir que, certes, à court terme, le crédit semblait moins cher à cause du taux de change forint-euro favorable. Mais ce taux pouvait se dégrader. Cela ne dépend pas seulement de la Hongrie, mais aussi de processus économiques internationaux qui échappent à notre contrôle. Si le taux de change du forint se dégrade, l’endettement peut exploser, littéralement doubler ou tripler. Personne ne les a avertis de manière intelligible. Aujourd’hui encore, des procès sont en cours pour déterminer quelles banques ont informé leurs clients, et lesquelles ne l’ont pas fait. Nous avons sauvé plusieurs centaines de milliers de familles grâce, entre autres, aux propositions de György Matolcsy, alors gouverneur de la banque centrale, qui ont permis de sortir les gens des prêts en devises pour les convertir en forint. Mais le cas présent est totalement différent. Ici, nous avons affaire à un crédit en forint, à taux fixe de 3 %, sur 25 ans, avec un apport initial de seulement 10 % au maximum. On peut financer un bien immobilier jusqu’à 100 millions de forints pour un appartement, 150 millions pour une maison. C’est un prêt sûr pour celui qui y souscrit. J’encourage les jeunes à y réfléchir. Bien sûr, c’est à eux de décider. Nous, nous ouvrons simplement une porte, mais ils doivent réfléchir : s’ils veulent vivre de manière autonome, et que leurs parents ne sont pas assez fortunés pour leur acheter un logement, alors ils devront bâtir leur avenir et leur foyer par leurs propres moyens. Dans ce cas, mieux vaut prendre un crédit de ce type, acheter un bien, et en rembourser les mensualités, mensualités que le gouvernement hongrois soutient et réduit grâce à une aide au taux d’intérêt, plutôt que de payer la même somme pour un loyer. En effet, il y a une vraie différence entre verser un loyer à un propriétaire pour vivre quelque part pendant un mois, et rembourser une partie d’un prêt pour un bien qui deviendra votre propriété. Dans le premier cas, on ne garde rien. Dans le second, on construit un patrimoine. Cela mérite réflexion. Pour moi, c’est une percée. Les chiffres sont très encourageants : nous voyons les montants qu’un jeune peut économiser grâce à l’aide de l’État au taux, qui peuvent s’élever à plusieurs dizaines de milliers de forints par mois, en fonction du montant du crédit contracté. Les modèles de calcul sont prêts, et nous avons passé l’étape cruciale de la concertation avec les banques. Donc je peux vous l’affirmer aujourd’hui : ce n’est pas juste une idée, ce n’est pas une promesse en l’air. C’est un dispositif totalement élaboré, discuté en détail avec les acteurs concernés, notamment les banques et le secteur du bâtiment. Il est prêt à l’emploi. Il ne reste plus qu’aux jeunes à s’y plonger.
Puisque vous mentionnez le secteur du bâtiment, dont nous parlons peu : comment le gouvernement évalue-t-il l’impact que cela pourrait avoir sur le secteur de la construction ?
Nous avons des modèles mathématiques, je fais partie des prudents, mais même selon les calculs les plus conservateurs, la construction de 10 000 logements permettrait d’augmenter le PIB d’environ 1 %. 30 000 à 50 000 logements peuvent facilement être construits chaque année. D’autant que ce dispositif ne s’applique pas seulement aux logements neufs, mais aussi aux logements anciens.
Notre temps est écoulé, mais abordons tout de même un dernier sujet important : le spationaute hongrois, est de retour sur Terre. Il a amerri mercredi dans le Pacifique. Pouvons-nous déjà avoir une idée de l’importance de cette mission réussie, y compris à long terme ?
J’écoute les scientifiques, autant que mon emploi du temps me le permet, et ils parlent des expériences que Tibor Kapu, notre nouveau héros national, a menées dans l’espace. Rien que de le dire semble étrange, presque irréel. Mais tous s’accordent à dire qu’il s’agissait de recherches importantes et précieuses. Cela dit, moi, je regarde tout cela sous un autre angle. J’ai lu quelque part qu’il n’y a que 12 nations dans le monde qui peuvent se vanter d’avoir envoyé un homme dans l’espace. Et la Hongrie fait partie de ces 12. Et puisque vous avez évoqué ce sujet, rétablissons une certaine vérité, un peu de justice et d’équité. Tout le monde parle de Tibor Kapu, comme on parlait de Bertalan Farkas il y a quarante ans. Mais dans les deux cas, il y avait un deuxième homme. En effet, on ne forme jamais un seul spationaute, on en forme deux. Comme disaient nos anciens : un enfant tout seul, ce n’est pas un enfant, eh bien, un spationaute tout seul, ce n’est pas un spationaute. On ne sait jamais ce qui peut arriver, il faut être prêt. Aujourd’hui aussi, nous avons donc un deuxième spationaute hongrois formé de A à Z, avec la même rigueur, la même excellence intellectuelle. Il s’appelle Gyula Cserényi. Il est resté dans l’ombre puisque ce n’est pas lui qui a volé. Il mérite néanmoins toute notre reconnaissance.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur le projet de budget européen, sur la protestation hongroise contre les enrôlements forcés en Ukraine, ainsi que sur l’impact du programme Otthon Start Plusz.