Zsolt Törőcsik : Hier, la Commission de la Défense et de la Sécurité intérieure du Parlement a tenu une session extraordinaire. D’après le président de cette commission, il est apparu que l’ancien chef d’état-major n’a pas exécuté les instructions du ministre lors des réunions de l’OTAN et n’a pas représenté la position officielle hongroise concernant la guerre russo-ukrainienne. L’intéressé, Romulusz Ruszin-Szendi, parle pour sa part d’une campagne de mensonges. L’une des questions que j’aborderai avec le Premier ministre Viktor Orbán sera de savoir quelles conclusions nous pouvons tirer, à ce stade, des éléments dont nous disposons. Bonjour.
Bonjour à vous.
Le ministre de la Défense a également informé le secrétaire général adjoint de l’OTAN de toute cette affaire hier. Dans quelle mesure s’agit-il d’un enjeu politique ou d’une question de sécurité nationale ?
Il s’agit fondamentalement d’une question de sécurité nationale. Il y a sur la table des opinions contradictoires, mais aussi des faits. Le ministre de la Défense a ordonné une enquête. Je vois que la commission parlementaire a tenté hier de faire la lumière sur les coulisses de cette affaire. Pour ma part, j’attendrai que le ministre de la Défense dépose son rapport sur la table du gouvernement. Mais, indépendamment du cas précis – c’est-à-dire, est-ce que le chef d’état-major de l’armée hongroise a représenté ou non la position du gouvernement hongrois dans les forums internationaux (et il semble bien que non), et si ce n’est pas le cas, pourquoi a-t-il préféré glorifier l’Ukraine plutôt que la Hongrie –, tout cela sera révélé par l’enquête ministérielle. Mais le simple fait qu’un tel événement ait pu se produire est en soi digne d’attention. Quand j’étais jeune, à l’époque communiste, il y avait une formule toute faite pour ce genre de contexte. Nous l’entendions dans le film Le Témoin ou ailleurs : « la situation internationale devient de plus en plus tendue ». Et c’est effectivement le cas ! Le cœur de toute cette affaire, c’est la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. L’Union européenne a décidé d’accueillir l’Ukraine au sein de l’Union européenne. Il y a deux types de pays : ceux qui soutiennent cette démarche, et ceux qui s’y opposent. Nous faisons partie des opposants. Et parmi les opposants, il y a encore deux catégories. Il y a ceux qui tergiversent, attendent, hésitent à dire non, laissent filer le processus en espérant le bloquer plus tard durant les négociations relatives à l’adhésion. Et il y a nous : nous disons dès le départ qu’il ne faut même pas commencer ce processus, car cela ne peut mener qu’au désastre. Nous faisons donc front de manière ouverte. C’est pourquoi la Hongrie s’est retrouvée au centre d’attaques internationales. Les forces qui veulent forcer l’entrée de l’Ukraine dans l’UE s’en prennent à la Hongrie, avec la complicité des Ukrainiens. Nous faisons face à une opération coordonnée par Bruxelles et l’Ukraine, et il semble que les forces pro-ukrainiennes, donc pro-guerre, soient infiltrées jusque dans les plus hauts rangs de l’armée. C’est cela, pour moi, le véritable enjeu de cette affaire. Plutôt que de servir les intérêts nationaux, chaque rouage de l’État hongrois, du plus haut au plus bas, est contaminé par une idéologie étrangère : celle qui dit qu’il ne faut pas suivre les décisions du gouvernement hongrois, mais adopter une position pro-ukrainienne, même contraire aux intérêts nationaux, et exercer une pression sur les Hongrois pour soutenir l’adhésion de l’Ukraine. Voilà le contexte de toute cette histoire. Je me réjouis que l’armée hongroise et la politique hongroise disposent encore de capacités d’autodéfense, et qu’on ait peut-être réussi à temps à dévoiler l’une des infiltrations les plus graves. Mais je ne me réjouis pas de cette controverse, je ne le cache pas. En effet, je pense qu’il serait souhaitable de garder l’armée le plus éloignée possible de la politique. Ma conscience est tranquille sur ce point : ce n’est pas nous qui avons amené la politique dans l’armée, c’est l’ancien chef d’état-major qui est entré en politique, entraînant ainsi l’institution militaire dans des querelles politiciennes. Il serait bon d’en sortir le plus vite possible.
Oui, exactement. Le chef d’état-major parle d’une campagne de mensonges, tandis que le président du parti Tisza qualifie la session d’hier de simple diversion, voire de théâtre politique. Mais cela a tout de même son importance : Ruszin-Szendi Romulusz est en effet devenu entre-temps expert du parti Tisza. Dans ce contexte, quel reflet la situation internationale que vous évoquiez tout à l’heure prend-elle sur la scène politique intérieure ?
Écoutez, ils sont en train de construire un gouvernement fantoche. Il ne faut pas se faire d’illusions : Bruxelles et l’Ukraine travaillent main dans la main à la mise en place d’un gouvernement fantoche pour la Hongrie. Leur objectif ? Changer la politique hongroise à l’égard de l’Ukraine, si possible dès les prochaines élections, voire avant, s’ils le pouvaient (mais ils ne le peuvent pas, et même alors, je pense que ce ne sera pas possible, ce sont les Hongrois qui le décideront). Ils ont déjà trouvé leur candidat Premier ministre, leur chef de parti, et maintenant, manifestement, ils essayent aussi de trouver un ministre de la Défense. Il ne faut donc pas se tromper sur ce à quoi nous avons affaire : une vision politique alternative, une stratégie différente, une autre idée de l’avenir de la Hongrie. Un gouvernement fantoche aligné sur Bruxelles, c’est un gouvernement pro-ukrainien, et cela signifie aussi un ministre de la Défense favorable à la guerre. Voilà la réalité. Et cela n’est d’ailleurs pas vraiment caché : les partis hongrois eux-mêmes, comme le Tisza ou la Coalition démocratique (DK), sont désormais des formations ouvertement pro-ukrainiennes.
Vous avez dit que tout cela s’inscrit dans le contexte de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Pourtant, même ici, en Hongrie, certains estiment que cette adhésion n’est pas réaliste, qu’elle n’est même pas d’actualité, et qu’il y aurait des questions bien plus urgentes à traiter. Pourquoi le gouvernement considère-t-il que c’est maintenant qu’il faut mettre ce sujet sur la table ?
À Bruxelles, il n’y a que ce sujet sur la table. Là-bas, on ne parle que de ça. Un nouveau sommet des chefs de gouvernement va bientôt se tenir à Bruxelles, et dans le cadre de sa préparation, le président du Conseil européen m’a appelé, nous avons parlé pendant une heure au téléphone. Sur ces soixante minutes, cinquante ont été consacrées à l’Ukraine, à sa candidature à l’Union européenne : est-ce que la Hongrie serait prête à faire un pas en avant et les raisons pour lesquelles elle ne le fait pas, etc. C’est LA question de la politique internationale à Bruxelles, la priorité numéro un. Pas demain, pas dans un avenir lointain, ici et maintenant.
Ce débat est aussi intéressant parce que, tandis que le gouvernement souligne les dangers d’une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, un commissaire européen a déclaré cette semaine que l’intégration de Kyiv représenterait une garantie de sécurité cruciale pour l’Union européenne. Mais que garantirait réellement l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ?
La situation est encore plus grave que cela. À Bruxelles, l’idée dominante est que l’Ukraine mène en réalité la guerre de l’Union européenne. En effet, pour eux, l’Union est en guerre. Et si nous prenons leurs propos au sérieux – ce qui n’est pas inutile, parce qu’il y a sans doute une réflexion bien réelle derrière leurs formules –, voici ce qu’il en ressort : l’Ukraine constituerait la ligne de défense avancée de l’Europe. Elle mènerait donc notre guerre. Ce sont les mots que nous entendons à Bruxelles. Cela revient à dire que, si l’armée ukrainienne n’existait pas, Moscou attaquerait l’Union européenne, du moins, c’est ce que pensent les Bruxelloises. Mais dans ce cas, pourquoi devrions-nous faire la guerre à Moscou sur le territoire ukrainien ? Il y a donc aujourd’hui en Europe une idée dominante selon laquelle, dans les dix prochaines années, la mission principale serait d’en venir, d’une manière ou d’une autre, à l’affrontement avec la Russie. Actuellement, dans leur esprit, cet affrontement se fait par procuration : les Ukrainiens se battent à notre place. Ils appellent cela une « guerre par procuration », une guerre que, selon eux, nous ne pourrions pas éviter. Notre position est exactement l’inverse. Nous disons qu’il faut instaurer un cessez-le-feu le plus tôt possible, puis la paix. Il faut régler les différends territoriaux et autres, conclure un accord avec les Russes sur les questions économiques, revenir sur les marchés russes et exploiter les opportunités que la Russie peut offrir à l’économie européenne. Et surtout : conclure un accord de sécurité avec Moscou au plus vite. Si nous continuons dans la direction que Bruxelles a tracée, alors tout notre argent partira dans l’armement. Oui, il faut renforcer nos capacités de défense en Europe, il faut une force militaire sérieuse, la Hongrie y contribue aussi, et y consacre des moyens importants. Cela se fait au détriment d’autres dépenses. Ce ne sont pas des décisions faciles, mais nous devons renforcer notre armée. En revanche, ce qui est crucial, c’est d’éviter une course aux armements. Et cela, il n’y a qu’un seul moyen d’y parvenir : en concluant des accords de limitation des armements avec la partie adverse. Donc, même si la guerre est en cours, il faut un cessez-le-feu, la paix, et immédiatement des négociations sur le désarmement, sinon notre industrie de guerre finira par dévorer toutes nos ressources.
Vous venez de mentionner la pression croissante exercée par Bruxelles. Dans un tel contexte, les votes exprimés lors de Voks2025 pèsent-ils vraiment dans la balance ? Ont-ils un impact ? Bruxelles en tient-elle compte, malgré l’ampleur de la pression, comme vous l’avez dit ?
Lors de l’échange que j’ai eu récemment avec le président du Conseil européen, que j’ai évoqué plus tôt, je lui ai dit ceci : vous pouvez chercher à me convaincre, je suis prêt à écouter vos arguments, moi aussi j’ai des considérations dignes d’attention… mais tout cela pèse peu. En effet, les Hongrois, eux, ont une opinion claire sur le sujet, qu’ils sont justement en train d’exprimer. La consultation Voks2025 est en cours. Et c’est cela qui est décisif. S’il n’y avait pas Voks2025 pour soutenir la position du gouvernement, il serait extrêmement difficile, pour un Premier ministre hongrois, de tenir bon face à la tempête qui vient de Bruxelles. Je fais de mon mieux, mais sans l’appui du peuple, cela devient très difficile. Heureusement, nous ne sommes plus seuls. Le Parlement slovaque a décidé récemment de ne plus soutenir aucune sanction contre la Russie. Nous voyons donc émerger une coopération entre pays qui veulent stopper la politique bruxelloise, que je considère, pour ma part, comme déraisonnable. Nous avons commandé des sondages, nous avons des analyses de l’opinion publique européenne, et ce que nous y voyons, c’est que dans onze États membres, une majorité des citoyens rejette l’adhésion accélérée de l’Ukraine. Parmi eux : les Français et les Allemands. Et seuls dix pays soutiennent cette adhésion de manière claire. C’est donc un débat réel, ouvert, de grande ampleur à Bruxelles aujourd’hui. Et c’est pourquoi je crois qu’il est possible d’empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, à condition d’oser entrer dans le débat, de défendre fermement notre position, et de ne pas laisser s’installer un gouvernement fantoche hongrois, à la solde de Bruxelles et de Kyiv. Si la Hongrie s’engage pleinement, alors nous pouvons nous défendre. Et se défendre, cela veut dire : préserver ce que nous avons. Parce que l’adhésion de l’Ukraine à l’Union signifierait pour les Hongrois la perte d’une partie importante de ce qu’ils possèdent aujourd’hui. Cela entraînerait des hausses d’impôts. Des pensions plus faibles. La fin des mesures de plafonnement des prix de l’énergie. Bref : la Hongrie et les familles hongroises ont beaucoup à perdre. Si l’Ukraine entre dans l’Union, nous perdrons une part essentielle de nos succès, de notre patrimoine familial, de nos perspectives économiques. Pourquoi ? Parce que l’Ukraine absorberait, tel une éponge, les ressources financières en les retirant d’Europe central. Nos agriculteurs seraient en difficulté. Tout cela, nous le savons. Nous l’avons abordé en profondeur dans le cadre de la consultation Voks2025. L’opinion publique hongroise en a pleinement conscience. Il nous faut donc protéger ce que nous avons.
Vous avez évoqué ce sondage montrant que l’opinion publique dans 11 pays est opposée à l’adhésion accélérée de l’Ukraine. Mais sur le plan politique, seule la Hongrie s’oppose officiellement à ce processus. Pourquoi un tel décalage entre la société et les gouvernements ?
Il faut comprendre que Bruxelles, c’est plus de 30 000 bureaucrates. Et je dis cela pour que vous voyiez bien ce à quoi nous faisons face. Il ne s’agit pas simplement d’un Premier ministre hongrois confronté à 26 homologues dans une salle. En coulisses, ça fourmille, ça complote, ça murmure, ça organise : plus de 30 000 agents administratifs s’activent en permanence. C’est une force colossale. Il n’existe aucun gouvernement en Europe dont la politique étrangère soit dirigée par un appareil d’une telle ampleur. Ces gens ne sont pas tous spécialistes de politique extérieure, bien sûr, mais ils s’emploient à imposer les compétences transférées à l’Union, et ils exercent une pression considérable sur les États membres. C’est cette pensée impériale venue du centre bruxellois qui pèse sur tous les gouvernements européens, les poussant à lancer les négociations d’adhésion avec l’Ukraine. Il est difficile de résister à cette pression. La plupart des gouvernements européens sont fragiles. Regardez leur composition. Si la Hongrie est si stable, c’est parce que lors des élections de 2022, les citoyens ont mis en place un gouvernement extrêmement stable. Pas seulement une majorité qualifiée des deux tiers : pas de coalition, pas de marchandage. Il y a un gouvernement Fidesz–KDNP. Dans la plupart des pays européens, les gouvernements reposent sur des coalitions où les opinions peuvent diverger et les intérêts s’opposer, rendant toute action commune difficile. À l’heure actuelle, le plus grand avantage est son gouvernement stable, fort d’une large majorité et solide comme un roc. C’est notre plus grand atout dans la compétition internationale.
Puisque vous évoquiez la fragilité des gouvernements, notons que l’exécutif polonais se retrouve lui aussi à l’épreuve d’un vote de confiance. Cela fait suite à la victoire du candidat de l’opposition, le conservateur Karol Nawrocki, à l’élection présidentielle. Quel impact sa victoire pourrait-elle avoir sur les rapports de force politiques au sein de l’Union européenne ? Et plus largement, quelles leçons pouvons-nous tirer de ce que nous avons vu en Pologne ?
La Pologne est un pays extrêmement intéressant. Les mêmes débats qu’en Hongrie y sont à l’œuvre, à cette différence près que les résultats y sont plus fluctuants. Ici, en Hongrie, cela fait maintenant 16 ans que les forces nationales, civiques, chrétiennes, orientées vers la famille et engagées pour la paix assurent un gouvernement stable et durable. La Pologne, elle, n’a pas eu cette chance : les gouvernements y alternent. Et comme le pays dispose aussi d’une fonction présidentielle forte, il y est bien plus difficile de définir une direction claire pour le développement du pays qu’en Hongrie. Du point de vue hongrois, c’est un résultat formidable. Car ce pays était dirigé, suite aux dernières élections législatives, par un gouvernement libéral, pro-ukrainien, pro-guerre et aligné sur Bruxelles. Et voilà qu’ils viennent d’élire un président patriote. Je vois là la confirmation d’un mouvement de fond : la progression des patriotes continue. Je pourrais dire que le « train express de Washington » vient d’arriver à Varsovie.
Durant la campagne, nous avons toutefois entendu, de plusieurs côtés, des accusations d’ingérence étrangère…
Écoutez, en Europe, c’est devenu la norme. Mais commençons par balayer devant notre propre porte ! En 2022, nos adversaires, les forces politiques pro-Bruxelles et pro-ukrainiennes, ont reçu l’équivalent d’environ 4 milliards de forints en provenance de l’étranger. C’est ce que nous avons appelé « l’affaire des dollars sonnants et trébuchants ». Les autorités hongroises ont mis cette affaire au jour. Des amendes ont été infligées. Et c’est en grande partie ce qui a conduit à l’effondrement de la gauche socialiste hongroise. Ils ont enfreint la loi en acceptant des financements massifs venus de l’étranger, et la Cour des comptes ainsi que les tribunaux hongrois en ont tiré les conséquences. C’est l’une des raisons de leur affaiblissement, et aussi de la confusion qui règne actuellement dans les rangs de l’opposition.
Mercredi, c’était la Journée de l’unité nationale hongroise, et les médias publics ont organisé une collecte de fonds en faveur des victimes de la catastrophe survenue en Transylvanie, dans la région du Pays sicule. Plus de 160 millions de forints ont été recueillis, et le gouvernement a décidé d’y ajouter une somme équivalente. Nous parlerons des mesures concrètes à prendre, mais comment évaluez-vous la solidarité des Hongrois de la mère-patrie et leur engagement aux côtés des Hongrois de Transylvanie ?
Il y a là une grande détresse. Le gouvernement a invité à sa dernière réunion le président du conseil départemental de Hargita, M. Bíró, et j’ai également pu m’entretenir hier avec Hunor Kelemen. La catastrophe s’est ainsi révélée devant nos yeux dans toute son ampleur : la gravité de la situation, l’étendue des destructions, et nous ne sommes peut-être même pas encore au bout, car il reste des risques géologiques et tectoniques imprévisibles. L’ensemble du système minier pourrait encore s’effondrer. C’est un défi technique majeur. Il faut retirer des milliards de mètres cubes d’eau contenant une concentration de sel extrêmement élevée. Nous avons dépêché des géologues hongrois sur place, afin qu’ils puissent étudier la situation, aider à la comprendre et formuler des recommandations. Les travaux de déviation du cours d’eau sont en cours, mais sauver la mine exigera du temps, une stratégie claire. Ce n’est qu’une fois celle-ci établie que nous saurons combien cela coûtera, et même s’il est réellement possible de la sauver. À ce moment-là, la Hongrie, en coopération avec le gouvernement roumain, sera prête à fournir toute l’aide nécessaire. Ce qui vient de se produire, ce sursaut collectif, montre que nous existons, que nous sommes unis. Quand un point symbolique du monde hongrois est frappé par le malheur, et Praid est bien cela : un symbole fort, une expression vivante de notre identité. Si les Hongrois forment un peuple à part, ce sont précisément des éléments comme celui-ci qui forgent cette singularité, l’histoire de deux mille ans de la mine de sel de Praid, sa continuité après l’arrivée des Magyars, désormais façonnée par des mains hongroises. Ce sont de telles grandes histoires qui nourrissent la vie d’une nation. Et lorsque ces récits sont menacés ou risquent de disparaître, alors nos instincts doivent se tendre, nos nerfs vibrer, et nos entrailles se réveiller. C’est exactement ce qui s’est produit : les cœurs se sont ouverts, et les portefeuilles aussi. Le gouvernement hongrois s’est engagé à abonder à hauteur exacte des dons récoltés par les citoyens. C’est ensemble, peuple et État réunis, que nous enverrons cette aide à Praid.
Puisque nous parlons de situations critiques : aujourd’hui, à 11h50, les transports en commun de Budapest seront interrompus pendant dix minutes, sur ordre du maire. Gergely Karácsony y voit un avertissement lancé au gouvernement, qu’il accuse de saigner la capitale à blanc. Cet avertissement sera-t-il entendu ? Que comptez-vous faire face à cette situation dans la capitale ?
Quant à la mesure elle-même, elle est pour le moins inédite. Je n’ai pas le souvenir d’un précédent. Le point de départ de toute politique, c’est qu’il existe des services publics essentiels, l’eau, le chauffage, les transports, dont les citoyens ont besoin. Et ceux qui dirigent une collectivité ont le devoir moral, au-delà même du devoir juridique, de garantir l’accès à ces services. Pas de les refuser. Qu’un détenteur de droits de propriété publique décide soudainement de suspendre un service public, c’est un tournant imprévu dans la vie politique hongroise. Les juristes débattent déjà pour savoir si une telle décision est même légale. Il y a là des questions de responsabilité. Mais je ne la trouve en aucun cas raisonnable. Pourquoi punir les gens ? Laissons-les se déplacer : ils en ont besoin. Cet épisode s’inscrit dans un cadre plus large, que j’observe avec tristesse depuis de nombreux mois. C’est désolant, je ne sais même plus quel mot employer… cette agonie, cette incapacité de la municipalité à faire face aux défis du quotidien. C’est douloureux à voir. Car Budapest est la capitale de la Nation. Nous parlons ici de notre capitale à tous, cela concerne tout le monde, parce qu’il s’agit de la capitale de notre Nation. Pour nous, c’est encore plus personnel nous y vivons, nous sommes Budapestois, nous aimons cette ville, c’est notre foyer. Et en plus, le gouvernement investit pour son développement. Et je vois bien que la direction actuelle n’arrive pas à gérer la ville. Gouverner, ce n’est pas simple, permettez-moi de le dire, et Budapest, c’est 1,7 million d’habitants. Il y a dans l’Union européenne des pays plus petits que cette ville. Donc assumer les responsabilités de gestion ici, c’est une lourde tâche. Et il y a des erreurs de gestion. En tant que collègue, je peux peut-être le dire. Je dirais même : toutes les confusions de ce genre trouvent leur origine dans des erreurs de gouvernance. Le maire n’a aucun adjoint. Il n’y a pas de budget valide. Ils ont adopté un budget que tous les juristes ont déclaré illégal, puisqu’il repose sur une clause aussi absurde que « nous ne paierons pas d’impôts ». Les dirigeants d’entreprise s’en vont les uns après les autres, la corruption est omniprésente dans la ville. Quand je regarde parfois les séances du conseil municipal à la télévision, j’ai l’impression d’être à un vrai marché aux puces. Il n’y a plus de direction. La ville crie son besoin d’être dirigée. Moi, je peux seulement dire ceci : cela nous est demandé, nous sommes prêts à aider. Si la municipalité n’y arrive pas, qu’elle nous le dise, et nous viendrons, et nous aiderons. En ce qui concerne les chiffres, comme il y a divers débats, je les ai examinés. Et je peux affirmer que Budapest reçoit plus de l’État qu’elle ne lui verse. Mais ce ne sont pas des choses que nous affichons en fanfare. Et pourtant, rien que récemment, nous avons accordé 40 milliards de forints pour l’achat de tramways. Et nous avons fait venir à Budapest le centre de développement du constructeur automobile chinois BYD, qui était auparavant basé aux Pays-Bas. Cela ne s’est pas fait par magie : il a fallu mettre de l’argent sur la table, soutenir l’investissement. Ce n’est pas la capitale qui finance ce genre de choses, c’est le gouvernement. Nous avons investi des centaines de milliards de forints dans cette ville. Nous avons mis bien plus d’argent dans le développement économique de Budapest que la municipalité elle-même, qui, à vrai dire, n’y met presque rien, ou en tout cas une part négligeable par rapport à l’effort de l’État. Cette ville est littéralement gavée d’argent. C’est la ville la plus riche de Hongrie. Ce qui lui manque, c’est un leadership.
Est-il désormais possible de discerner dans quelle mesure le gouvernement peut aider, et ce qu’il attend en retour de la capitale ?
Toute aide doit partir d’un principe simple : ne jamais permettre qu’une telle situation se reproduise. Il faut comprendre ce qui s’est passé, analyser la situation en détail, et intervenir là où sont les vrais problèmes.
Parlons encore d’un autre sujet. Il y a environ trois mois, le gouvernement a annoncé un renforcement de la lutte contre la drogue, à la fois sur le plan juridique et policier. Aujourd’hui, toutes les modifications de loi sont en vigueur. Quels enseignements tirez-vous de ces trois premiers mois ?
Ce qui s’est produit en Hongrie est une contamination éclair, une sorte d’incendie viral. C’est pourquoi une intervention rapide et ferme s’imposait. Nous sommes un peuple doux, parfois même un peu trop, jusqu’à frôler la naïveté. Il nous est donc difficile d’imaginer que certains soient capables de commettre des actes de pure cruauté, uniquement par appât du gain. La police, heureusement, a de meilleurs réflexes de survie, elle se prépare à ce genre de chose. Mais jusque-là, la vie était paisible dans les campagnes hongroises. Et puis, soudain, il y a environ un an, une vague toxique a tout balayé. Des drogues de synthèse, coupées et trafiquées, ont fait leur apparition. Leur prix est tellement bas qu’elles coûtent moins cher que l’alcool. Et leur consommation a explosé en quelques mois. Il y a toujours eu un peu de consommation de drogue : quelques jeunes qui expérimentent, ou des intellectuels convaincus que l’« élargissement de conscience » mène au bonheur. Bien sûr, la loi interdit et encadre ces pratiques, c’est une réalité que nous connaissons bien. La gestion de ce phénomène a toujours été assurée, tant bien que mal, par le gouvernement et la police. Mais là, c’est tout autre chose : ces drogues ont fait irruption dans les couches sociales les plus fragiles, ruinant des familles entières, détruisant l’avenir de leurs enfants. C’est de cela qu’il s’agit : une forme d’empoisonnement motivé par le profit, et c’est ainsi que je vois la diffusion de ces drogues de synthèse. Il a donc fallu réagir immédiatement. Nous avons nommé un commissaire spécial, mobilisé des milliards de forints, lancé un grand nombre d’opérations. 3 500 procédures pénales ont été ouvertes. Nous avons saisi plus d’une demi-tonne de stupéfiants, 250 millions de forints en liquide, et pour des centaines de millions en biens matériels. On voit bien qu’une véritable organisation s’était mise en place, et qu’il faut maintenant la démanteler à la même vitesse, voire l’anéantir complètement. Et là-dessus, je suis déterminé. Car donner de la drogue à nos enfants, c’est les tuer. Un trafiquant, c’est quelqu’un qui tue l’enfant d’un autre. Et en tant que père, je le dis : c’est inacceptable. C’est pour cela que j’utilise des mots forts comme traque, chasse, et j’assume d’avoir recours à toute la sévérité de l’État, à tous ses moyens. Il faut écraser ce réseau, sans pitié.
Des mesures supplémentaires sont-elles prévues, sur le plan juridique ou policier ?
Oui. La semaine dernière, le gouvernement a approuvé plusieurs milliards de forints supplémentaires pour étendre et intensifier les opérations en cours.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur l’affaire de l’ancien chef d’état-major, sur l’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’Union européenne, ainsi que sur la lutte contre la drogue.
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