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Interview de Viktor Orbán dans l’émission « Bonjour la Hongrie ! » sur Radio Kossuth

Zsolt Törőcsik : Bonjour à tous depuis le centre des médias publiques de Bruxelles, où se trouve également le Premier ministre Viktor Orbán. Bonjour, Monsieur le Premier ministre !

Bonjour !

Les dernières vingt-quatre heures ont été bien remplies : la marche pour la paix, la commémoration du 23 octobre, puis le sommet européen ici à Bruxelles. Vous avez déclaré lors de la conférence de presse qui a suivi le sommet que la Hongrie n’enverrait ni hommes, ni argent, ni armes en Ukraine. Jusqu’à quand cette position peut-elle être maintenue ? Quelle a été l’intensité des pressions hier pour la changer ?

La journée d’hier a été intense. J’ai eu l’impression qu’elle durait quarante-huit heures plutôt que vingt-quatre. Mais le plus important, c’est que nous avons vécu une belle et émouvante fête nationale. Tout le monde, aujourd’hui, analyse les grands rassemblements du 23 octobre sous l’angle politique, mais en réalité, il s’agit avant tout d’une fête nationale, belle et émouvante, où nous avons rendu hommage aux héros de 1956, à leur courage, à leur capacité à défendre une juste cause, même dans les heures les plus sombres. Il régnait une atmosphère vraiment inspirante. Je tiens à remercier tout particulièrement les artistes : cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une célébration à la fois aussi libérée et aussi touchante. Je suis heureux qu’on ait enfin réussi à adapter en hongrois la seule chanson italienne consacrée à 1956 qui puisse vraiment être chantée en chœur, « Avanti ragazzi di Buda, Avanti ragazzi di Pest ». Quelqu’un, peut-être Vajk Szente, l’a récemment traduite et mise en musique, et le résultat est superbe. Le chant en commun, c’est quelque chose d’essentiel : il ouvre les cœurs. Mais nous avons perdu cette habitude, peut-être parce que peu de gens vont encore à l’église, ce qui nous y aiderait, et parce que le service militaire n’existe plus. Quand j’étais jeune, on devait chanter en marchant. Chanter ensemble, c’est quelque chose de joyeux. Mais ces formes de vie commune ont disparu, et c’est pourquoi le rôle des artistes est si important : ils nous aident à retrouver cette capacité. Parce que, comme je viens de dire, il se crée une relation d’un tout autre ordre entre deux personnes capables de chanter la même chanson. Même le simple fait de « chanter entre amis », qu’on considère souvent comme un divertissement, garde encore aujourd’hui sa popularité, précisément parce qu’il rapproche les gens. Je suis donc très reconnaissant envers tous les artistes qui sont montés sur scène, ils étaient beaux, talentueux, et envers ceux qui sont simplement venus manifester, par leur présence et leur poids moral, leur attachement à 1956 et à la cause de la liberté. C’était un de ces moments où l’on aurait eu envie de se laisser émouvoir. Moi aussi, si j’avais été simple spectateur, et un jour, ce sera le cas, j’aurais certainement eu les larmes aux yeux. Mais quand on doit prononcer un discours, ce n’est pas le moment de se laisser aller : il faut faire son devoir. Bref, cela a été une matinée et un début d’après-midi à la fois beaux et éprouvants. Puis, de là, nous sommes venus ici, à Bruxelles. Quand je suis arrivé, la maison était déjà en feu, j’ai donc l’impression qu’ici, à Bruxelles, la réalité vous saute au visage. C’est vrai pour la guerre, pour son financement, mais aussi pour la situation économique européenne. Les points inscrits à l’ordre du jour étaient notamment : la guerre russo-ukrainienne, la compétitivité, les questions de logement en Europe, et bien sûr quelques sujets de politique étrangère. Et, le fait qu’il n’y ait plus d’argent. Pour résumer la situation en une phrase : nous avons écouté la présidente de la Banque centrale européenne, c’est toujours passionnant, d’où le nom de « sommet de la zone euro ». Les pays membres de la zone euro se réunissent régulièrement pour l’entendre, mais nous, qui n’en faisons pas partie, avons moins souvent cette opportunité. Une ou deux fois par an, elle vient à nous, ou bien nous sommes invités à ces réunions, et cela nous permet d’avoir un aperçu plus approfondi de la situation financière. Le constat de départ est le suivant : selon les prévisions présentées, la croissance économique de la zone euro en 2026 ne dépasserait pas 1 %, alors que la moyenne mondiale serait de 2 %, et que nos concurrents directs, les États-Unis et la Chine, feraient bien mieux encore. Autrement dit, depuis des années, l’Union européenne performe moins bien que le reste du monde, ce qui entraîne des difficultés économiques croissantes et un manque d’argent de plus en plus aigu, tandis que l’Union s’engage dans des projets toujours plus nombreux, y compris une guerre. Résultat : les caisses sont vides. Quand je suis arrivé, l’atmosphère était donc très tendue. Plusieurs chefs de gouvernement se sont exprimés dans un ton qui ferait presque passer les Hongrois pour modérés. Mais leurs colères ne concernaient pas la guerre : elles visaient les mesures économiques imposées par la Commission, des mesures qui freinent la croissance, alourdissent la bureaucratie et risquent d’entraîner une hausse de 8 à 10 % du prix de l’énergie. Les pays les plus pauvres ont immédiatement déclaré qu’il n’en était pas question. Le problème, c’est que ces décisions ont déjà été prises, nous, bien sûr, nous y étions opposés, et qu’il faut maintenant les revoir. Or, il est toujours plus difficile de corriger une mauvaise décision que de ne pas la prendre.

Mais si la situation économique est si difficile, d’où viendra l’argent pour continuer à soutenir l’Ukraine ? En effet, hier, les vingt-six autres pays ont réaffirmé leur engagement en ce sens.

Oui, mais cela se fait avec de moins en moins d’enthousiasme. J’ai le sentiment que beaucoup aimeraient se débarrasser de ce fardeau, mais ils se sont tellement impliqués dans cette guerre, c’est même eux qui ont encouragé, poussé l’Ukraine à s’y engager, qu’il leur est désormais très difficile de faire marche arrière. Ce sont eux, d’ailleurs, qui ont tenté jusqu’à récemment d’empêcher les efforts du président américain pour ouvrir des négociations de paix. Ils ont trompé leurs propres citoyens avec cette fable selon laquelle « les Russes arrivent », que « le méchant oncle Poutine » allait venir les dévorer dès le soir tombé, à Paris ou à Berlin. Alors forcément, revenir de cette psychose de guerre, de cette atmosphère belliqueuse, pour dire soudain : « Ah, pardon, en fait les Russes ne vont pas nous envahir, c’est nous les plus forts, il n’y a pas de véritable menace d’occupation, il faut maintenant cesser la guerre et faire la paix », c’est quasiment impossible. Ce serait admettre exactement le contraire de tout ce qu’ils ont dit jusqu’à présent. En politique ce n’est jamais simple. Car quand on s’est engagé sur une voie, il est extrêmement difficile d’en sortir sans que les citoyens demandent des comptes : « Mais enfin, vous disiez l’inverse ! À cause de vous, nous avons subi des pertes et des dommages. Qui va en répondre ? » Reconnaître qu’une guerre est perdue, ou même simplement qu’elle risque de l’être, et en tirer les conséquences politiques, c’est une opération d’une extrême complexité. Les Américains non plus n’y sont pas parvenus. L’administration Biden savait parfaitement qu’elle avait commis une erreur, mais elle était incapable de changer de cap. Sans l’arrivée de Donald Trump, la politique américaine n’aurait pas bougé d’un pouce. S’il n’y avait pas eu Donald Trump, la politique américaine n’aurait pas bougé d’un pouce. Les États-Unis n’ont pu sortir de cette impasse que parce qu’un nouveau président est arrivé, capable de dire : « Ce qui a été fait appartient au passé, c’était l’œuvre d’un autre ; moi, je suis le nouveau président, et je vais agir autrement. » Et venant d’un président fraîchement élu, cela passe. Mais en Europe, la situation est différente. Aucun grand pays n’a connu de changement de direction. Ce sont donc les mêmes dirigeants, ceux-là mêmes qui ont commis les erreurs, qui devraient aujourd’hui revoir leur propre politique.

Bien sûr, ils disent tous qu’ils veulent la paix, mais selon eux, la paix passerait par le renforcement et le soutien de l’Ukraine. Cependant, an a pu percevoir dans leurs récentes déclarations, une certaine satisfaction devant le fait que la date du sommet de la paix prévu à Budapest n’ait pas encore été fixée. Comment expliquez-vous cette double communication ?

Je n’ai pas ressenti cela. Ils savent très bien que depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les grandes choses peuvent se décider en deux jours. Regardez le dernier sommet de la paix au Moyen-Orient : c’était une situation encore plus complexe que celle de l’Ukraine, plus chargée d’histoire. La décision d’organiser la rencontre a été prise un samedi midi, et dès le lundi après-midi, les signatures étaient posées, la moitié du monde était présente. Donc oui, une rencontre internationale peut être organisée en deux ou trois jours. La nouvelle de ce matin, c’est que le président américain rencontrera le président chinois. Ici, en Europe, tout le monde sait donc que le sommet de la paix n’est pas enterré. Il ne se tiendra peut-être pas cette semaine, la date reste incertaine, mais qu’il aura lieu, cela ne fait aucun doute ; tout le monde le sait : les Russes et les Américains finiront par s’entendre. Le vrai problème, pour les Européens, c’est qu’ils ont déclaré le président russe criminel de guerre, qu’ils l’ont pratiquement mis sur l’étagère du démon Bélzébuth. Et quand on fait cela, il devient difficile de s’asseoir à la même table. Chaque acte a ses conséquences : le président américain, lui, ne s’est jamais aventuré dans ce genre de déclarations, donc il peut, à tout moment, rencontrer le président russe. Les Européens, eux, en pâtissent : ils sentent bien qu’il faudrait des négociations directes entre l’Europe et la Russie, mais comment y parvenir après tout ce qu’ils ont dit et fait ? Quand on agit sans réfléchir, emporté par la passion ou dans une logique à court terme, on finit toujours par en payer le prix. La politique internationale, c’est un terrain dangereux.

Pour l’instant, il n’y a donc ni sommet ni négociation de paix, mais il y a bien eu la Marche pour la paix, qui a précédé les cérémonies du 23 octobre. Quel message avez-vous apporté ici à Bruxelles, en venant de la place Kossuth et de cette marche ?

Tout événement de cette ampleur, d’une telle force de conviction, et celui-ci, je peux le dire, était d’une puissance et d’un rayonnement exceptionnels, porte un message clair, même si je ne le formule pas ouvertement : la position que je défends ici n’est pas celle d’un homme, ni même seulement celle d’un gouvernement, c’est celle d’un peuple. Nous vivons en démocratie : lorsqu’un peuple prend position, que ce soit par un référendum, par une consultation nationale, comme c’est le cas actuellement, ou à travers une immense mobilisation populaire où certaines vérités sont proclamées haut et fort, cela a un poids particulier. Dès lors, tout le monde comprend qu’il est inutile d’essayer de me mettre sous pression, de m’acculer ou de me tordre le bras. D’abord, parce que je tiendrai bon. Et ensuite, même si je ne tenais pas, cela ne servirait à rien, car derrière moi se tient un peuple tout entier, qui ne veut pas ce que les dirigeants de l’Union européenne veulent ici, à Bruxelles. Et si ce peuple ne le veut pas, il résistera, car il a le courage et la force pour le faire. C’est d’ailleurs ce que nous rappelons à chaque commémoration de 1956 : les Hongrois ont du courage, de la force, du souffle ; on ne peut pas les traiter comme un peuple servile.

Vous avez dit hier, lors de la commémoration, qu’aujourd’hui il ne nous reste que deux choix : la guerre ou la paix. Est-ce vraiment aussi simple ?

Oui, c’est aussi simple que cela. S’il y avait la paix, les perspectives économiques de la zone euro, celles de l’Europe, la croissance, tout cela ne serait pas à 1 %, mais à 3 ou 4 %. C’est aujourd’hui une évidence économique : sans les sanctions, sans les dépenses militaires en Ukraine, si la coopération économique avec la Russie était rétablie, la situation de l’économie européenne, et de la Hongrie avec elle, serait radicalement différente. Donc, s’il y a la guerre, il n’y a pas de développement. S’il y a la paix, il y a du développement. C’est aussi simple que cela.

Vous avez également tracé la ligne de fracture entre guerre et paix sur la carte de la politique intérieure, en évoquant les relations entre le parti au pouvoir et l’opposition. Or, l’opposition, y compris le Parti Tisza, affirme, elle aussi vouloir la paix. Pourquoi considérez-vous malgré tout qu’elle est favorable à la guerre ?

La politique de l’opposition hongroise est dictée par e Parti populaire européen. Chacun peut bien dire ce qu’il veut, mes propres enfants aussi disaient toutes sortes de choses quand ils étaient petits, c’est normal, mais dans la réalité, il y a toujours un adulte derrière, un parent. Eh bien, l’opposition hongroise, qu’il s’agisse du Tisza ou de la Coalition démocratique (la DK), a, elle aussi, des « parents », ou, si vous préférez, des maîtres : le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen. Or ces deux formations veulent la guerre. Il est donc parfaitement clair que tous les partis qui soutiennent Bruxelles reçoivent de là-bas la même consigne : soutenir la ligne centrale. Et la ligne centrale, à Bruxelles, c’est la ligne pro-guerre. Aujourd’hui, il n’existe qu’un seul groupe au sein de l’Union européenne qui soit véritablement pour la paix et contre la guerre : les Patriotes. C’est ici, à Bruxelles, que cette bataille se joue. Quand le Parti populaire européen s’oppose aux Patriotes européens, c’est exactement comme si, en Hongrie, le Tisza affrontait le Fidesz. C’est la même chose. Et peu importe ce qu’ils disent à la maison, ce double discours, je ne pense pas que les gens y croient encore. Il suffit de venir ici, à Bruxelles, d’écouter les nouvelles : la majorité politique en place est aujourd’hui favorable à la guerre. La DK appartient aux socialistes, le Tisza au Parti populaire européen, et ces deux familles politiques sont les plus fermement engagées dans la poursuite du conflit. Ils ne veulent donc pas quitter la voie de la guerre. Ici, à Bruxelles, les seuls qui veulent réellement la paix, c’est nous.

Parlons d’un autre projet du parti Tisza. Officiellement, le parti propose d’augmenter les pensions les plus basses. Mais certains de leurs experts économiques évoquent en réalité la possibilité de taxer les retraites. Or, si l’on regarde les choses de près, les retraités ont déjà payé des impôts et des cotisations toute leur vie pour avoir droit à leur pension aujourd’hui. Comment une telle mesure influencerait-elle la solidarité et l’équilibre social ?

Je participe à ces débats depuis trente ans. Je me souviens très bien de l’époque du « plan Bokros ». En Hongrie, il existe une école de pensée qui, dès que l’économie connaît des difficultés, ou dès qu’on veut épargner certains groupes, comme les banques ou les multinationales, cherche à compenser la perte de recettes en s’en prenant au système fiscal ou au système des retraites. Car si l’on exempte les banques et les grandes entreprises, il faut bien récupérer l’argent quelque part. L’une des solutions, c’est de réduire les aides aux familles. Une autre, c’est d’abandonner l’impôt unique, qui est aujourd’hui le plus bas d’Europe et, à mon sens, le meilleur système, pour réintroduire un impôt progressif. C’est la position du parti Tisza. Ou bien, étant donné que les retraités sont nombreux, 2,5 millions de personnes, on peut aussi décider d’aller chercher l’argent chez eux. Il y a beaucoup d’argent à prendre, si l’on a le courage d’affronter les retraités. Et c’est là qu’apparaît cette idée de taxer les pensions. Ce sont toutes des idées farfelues. Elles doivent être rejetées avec la plus grande fermeté et oubliées immédiatement. Non seulement elles vont à l’encontre de la justice sociale, mais elles touchent à un nid de guêpes   le fonctionnement interne du système des retraites, que beaucoup ne comprennent même pas. Je parle d’expérience. Je n’ai jamais rien retiré aux retraités, ce sont les socialistes, à l’époque, qui ont supprimé le treizième mois de pension, mais il m’est arrivé, pendant mon premier gouvernement entre 1998 et 2002, de ne pas augmenter toutes les retraites de la même façon, en essayant de corriger certaines inégalités internes. Eh bien, cela a provoqué une polémique telle qu’on n’y comprenait plus rien. Car tout le monde, aujourd’hui, accepte le système actuel : personne n’en est entièrement satisfait, personne ne le trouve parfaitement juste, mais tout le monde le comprend. Chacun sait qu’il perçoit sa pension selon le nombre d’années travaillées et le montant des cotisations versées. C’est une combinaison de ces deux éléments qui détermine la retraite : certains touchent plus, d’autres moins, selon leur carrière. Et dès que l’on commence à y toucher, les retraités se comparent entre eux : ils ne se demandent pas seulement s’ils reçoivent quelque chose, mais comment leur situation évolue par rapport aux autres. Ils ont le sentiment qu’on vient bouleverser un équilibre acquis au terme d’une vie entière ou une situation acceptable construite après une vie active. C’est pourquoi je mettrais en garde quiconque voudrait bricoler ce système. Si nous voulons changer quelque chose, il n’y a qu’une voie légitime : augmenter les pensions, ou, après avoir rétabli le treizième mois, introduire un quatorzième mois. C’est d’ailleurs à l’ordre du jour : nous y travaillons activement, car cela représente des sommes considérables. Nous cherchons à créer les bases financières nécessaires, et c’est de cela qu’il faut parler. Mais introduire un impôt sur les retraites, comme le propose Tisza, ou donner plus à certains et moins à d’autres. Cela, je veux l’éviter à tout prix pour la Hongrie.

Vous avez évoqué que le Tisza a d’autres projets fiscaux. Des informations ont filtré concernant une augmentation de l4impôt sur le revenu et la suppression des avantages fiscaux. Le parti le nie officiellement, et parle au contraire de maintenir certains avantages voire de réduire l’IR pour certaines tranches, mais le gouvernement a lancé une consultation nationale sur des questions fiscales et partiellement énergétiques. Pourquoi faut-il discuter de tout cela avant les élections, si cela semble de toute façon devoir devenir l’un des thèmes principaux de la campagne ?

Le problème, c’est qu’il y a manifestement des mensonges. Je comprends qui dit quoi, mais on entend aussi des consignes explicites : certains sujets ne doivent pas être évoqués avant l’élection par peur de la perdre. C’est la position officielle du parti Tisza. On peut bien le nier maintenant, mais je l’ai vu et entendu de mes yeux et de mes oreilles : les dirigeants du Tisza disaient ouvertement à leurs propres cadres qu’ils ne devaient pas révéler avant le scrutin ce qu’ils étaient en train de préparer, parce que sinon ils perdraient l’élection. « Il faut d’abord gagner l’élection, ensuite tout sera possible. » Voilà pourquoi il y a tant de discours confus de l’autre côté : ils tentent de camoufler leurs véritables intentions. Mais dans la politique moderne, c’est très difficile : partout où tu vas, quelqu’un enregistre, tout le monde a un téléphone, on ne peut plus tenir un discours ou une réunion sans risque que des images ou des extraits ne fuitent. Chacun a pu entendre de ses propres oreilles que les gens du Tisza ont voté en faveur d’un passage d’un impôt forfaitaire à un impôt progressif. Passer à un impôt progressif, c’est bien augmenter les impôts. Ou quand leurs experts disaient qu’il fallait intervenir dans le système des retraites, abolir le dispositif « 40 ans de service pour les femmes » ou transformer le treizième mois de retraite, tout cela a été dit. Je comprends qu’après coup il soit plus simple de tout nier que de défendre une position qui étripe le peuple. Mais le plan réel, c’est de saigner les retraités, de presser la classe moyenne, de reprendre de l’argent aux familles. Ce n’est pas sans précédent, il y a toujours eu des personnes qui pensaient ainsi. Je le répète : je combats ces politiques depuis trente ans. Ces économistes et ces politiciens ont toujours bombardé les gouvernements avec ce type de propositions.

Leur argument, celui de la gauche, est qu’avec plus d’impôts on peut redistribuer plus justement les revenus. Mais sur quelle base prétendent-ils opérer cette « redistribution plus juste » ?

On appelle ça de l’ingénierie sociale. C’est une autre manière de penser, quasi-communiste, si vous me permettez l’expression. Dans leur tête, il y a une idée toute faite de ce qu’est une vie juste, et ils essaient d’imposer aux gens de vivre selon les règles de cette vie juste conçue par des politiciens. C’est la pire chose que je n’aie jamais vue. De cela naît la tyrannie, la répression, et, au final, la faillite économique. Nous avons déjà vécu tout cela une fois. Il y a une autre manière de penser : la nôtre. Nous disons : les gens ont des revenus, surtout aujourd’hui, où un million de personnes travaillent de plus qu’à l’époque de la gauche. Donc il y a des recettes. Et nous disons : si tu gagnes dix fois plus, paie dix fois plus d’impôt. C’est juste. Mais il faut que l’impôt soit effectivement perçu. Vous, vous devez payer ; l’État, lui, doit collecter. Et si chacun contribue selon le principe « tu gagnes dix fois plus, tu paies dix fois plus », alors on obtient une somme qui permet de financer les services publics d’un pays, de l’armée à l’éclairage public. C’est une autre logique. Nous voulons prélever juste ce qu’il faut pour faire fonctionner l’État. Nous nous réjouissons que le plus d’argent possible reste dans la poche des citoyens. Nous n’avons pas l’intention de prendre leur argent pour ensuite créer un monde juste. C’est une posture de gauche, et ce n’est pas la nôtre. Nous pensons que les gens savent précisément comment ils veulent vivre ; ils sont heureux d’augmenter leurs revenus, et ce sont eux qui savent le mieux comment les dépenser. Ce n’est pas à nous de leur dire : on prend, puis on redistribue. Il faut bien lever un peu d’argent pour les services publics, mais l’idéal, c’est que le plus possible reste aux citoyens.

L’une des questions de la consultation nationale concerne la politique de plafonnement des prix d’énergie. Or, cette semaine, les ministres de l’Union européenne ont décidé d’interdire l’importation d’énergie russe, une mesure qui, pour le pétrole, entrerait en vigueur dès janvier. Avec une telle décision, la question n’est-elle pas déjà tranchée ? La politique de plafonnement des prix d’énergie est-elle encore soutenable ?

Non, la bataille n’est pas perdue, nous nous battons encore. Mais il faut de sérieuses manœuvres, de vraies capacités de commandement pour parer ce coup. Nous subissons des pressions : Bruxelles veut que la Hongrie supprime le plafonnement des prix d’énergie. C’est leur objectif depuis des années, car cette politique a un coût : un coût que paient les grandes multinationales et les compagnies énergétiques. Et Bruxelles défend leurs intérêts contre ceux du peuple hongrois. Mais le gouvernement, lui, défend les Hongrois et leurs intérêts. Donc, cette pression, nous la connaissons bien. La DK et le parti Tisza soutiennent, eux aussi, cette ligne bruxelloise. Ils répètent sans cesse que la politique de plafonnement des prix d’énergie n’est pas juste, qu’elle n’est pas sérieuse, qu’elle serait une « imposture », voilà leurs mots. Ils voudraient donc la supprimer, alors que nous devons la défendre. Et maintenant, leurs alliés trouvent un prétexte parfait : les sanctions contre les ressources énergétiques russes. Car, il faut être clair, nous ne pouvons maintenir cette politique que si l’on ne nous impose pas des sources d’énergie hors de prix. Si nous devons payer le pétrole et le gaz deux fois plus cher, alors nous ne pourrons plus les revendre aux ménages aux tarifs réduits actuels. Donc, quiconque veut préserver la baisse des factures doit défendre le droit de la Hongrie d’acheter du pétrole et du gaz russes, ou à des prix équivalents, voire inférieurs. Cette partie n’est pas encore jouée. Il est vrai que certaines compagnies pétrolières russes font actuellement l’objet de sanctions. J’ai d’ailleurs commencé la semaine en multipliant les réunions avec la direction de MOL, notre grande entreprise énergétique nationale. Nous travaillons activement à trouver comment contourner ou neutraliser cette sanction.

Oui, c’est une question intéressante : que peut-on faire concrètement ? En effet, du côté de Bruxelles, ils disent qu’il faut diversifier, c’est-à-dire s’approvisionner en énergie auprès de plusieurs sources, et que la Hongrie n’y aurait pas suffisamment veillé ces dernières années. D’ailleurs, le ministre polonais des Affaires étrangères a même déclaré cette semaine qu’il ne verrait aucun inconvénient à ce que l’oléoduc Droujba subisse le même sort que le Nord Stream.

Oui, mais il s’agit là encore de l’hypocrisie, de la duplicité ou de la double morale de Bruxelles. Que signifie au juste « diversifier » ? Diversifier, cela veut dire obtenir ses ressources énergétiques à partir du plus grand nombre possible de sources et de voies d’acheminement. Or, aujourd’hui, pour le pétrole, la Hongrie n’a que deux possibilités : une principale, via l’Ukraine, l’oléoduc Droujba, et une secondaire, via la Croatie. Si maintenant on nous dit d’arrêter le flux ukrainien, il ne nous en reste qu’un seul. En quoi est-ce une diversification ? Autrement dit, le pot aux roses est découvert : c’est une absurdité. En réalité, ce que beaucoup à Bruxelles ne supportent pas, c’est que la Hongrie, contrairement à tous les autres pays de l’Union européenne, a des factures d’énergie exceptionnellement basses. Regardez un tableau comparatif : la part du revenu que les citoyens européens doivent consacrer à leurs factures est la plus faible en Hongrie. Et même si les gens ne le voient pas toujours, ailleurs en Europe on le sait très bien, et on se dit : « Si les Hongrois y parviennent, pourquoi pas nous ? » C’est là que réside le problème : les programmes hongrois qui fonctionnent, comme la baisse des factures d’énergie, le système de retraites, ou encore notre opposition à la migration aux migrations, deviennent des exemples qui inspirent les peuples d’autres pays. Les citoyens européens s’y réfèrent, exigent les mêmes choses de leurs gouvernements. Pour Bruxelles, c’est un véritable casse-tête : la Hongrie démontre qu’une autre voie est possible. Oui, on peut avoir une énergie moins chère : il suffit de faire autrement. Oui, on peut être un pays sans migrants : il suffit de faire autrement. Oui, on peut avoir un treizième mois de retraite : il suffit de faire autrement. La Hongrie est donc, pour eux, comme un caillou dans la chaussure, un exemple gênant qui dérange ceux dont la politique est différente. C’est pourquoi la pression exercée sur nous est double : il y a d’un côté une dimension géopolitique et internationale, et de l’autre des considérations intérieures propres à chaque pays européen. Mais enfin, tout cela, c’est leur problème. Nous, nous devons simplement défendre tout ce qui est important et bénéfique pour les citoyens.

J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur le sommet européen d’hier, sur le message de la Marche pour la paix, et sur la consultation nationale.

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