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Interview de Viktor Orbán dans l’émission « Bonjour la Hongrie ! » sur Radio Kossuth

Zsolt Törőcsik : Donald Trump et Vladimir Poutine vont se rencontrer à Budapest pour négocier la fin de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le sommet de la paix de Budapest pourrait avoir lieu d’ici deux semaines, et le président américain a confirmé que le Premier ministre Viktor Orbán en serait l’hôte. Monsieur le Premier ministre, bonjour et bienvenue dans notre studio !

Bonjour, bonjour à tous !

Quand et comment avez-vous appris que Budapest avait été choisie comme lieu de la rencontre ?

J’ai parlé hier soir au téléphone avec le président américain, mais la nouvelle avait déjà fuité avant notre conversation. Je savais donc que je rentrerais tard à la maison, j’ai prévenu mon épouse de ne pas m’attendre… et nous avons parlé longuement dans la soirée. Nous avons également eu des contacts avec les Russes, et je dois parler avec le président Poutine ce matin même. Voilà comment cela s’est passé. J’avais aussi échangé avec le président Trump à Charm el-Cheikh, lors du sommet pour la paix au Proche-Orient. Et, par ailleurs, les préparatifs d’une rencontre officielle hongro-américaine à Washington sont presque achevés : nous sommes en train de finaliser les derniers détails. Autrement dit, l’eau bout un peu partout en ce moment !

Comment Donald Trump a-t-il justifié le choix de Budapest ? Quelles raisons voyez-vous derrière ce choix ?

Le président américain n’est pas homme à justifier ses décisions. Mais, si on y réfléchit bien, il n’avait pas beaucoup d’autres options. S’ils veulent organiser cette rencontre en Europe, car bien sûr, il y a d’autres endroits possibles, comme l’Alaska, où la première rencontre avait eu lieu, mais s’ils souhaitent qu’elle ait lieu en Europe comme la guerre russo-ukrainienne se déroule sur le sol européen, et si on regarde la carte et les dirigeants du continent, il apparaît très vite que Budapest est pratiquement le seul endroit aujourd’hui en Europe où un tel sommet peut avoir lieu. D’abord, parce que la Hongrie est quasiment le seul pays ouvertement favorable à la paix. Nous coopérons désormais avec les Slovaques sur cette ligne, mais depuis trois ans, nous sommes le seul pays à défendre la paix de façon constante, cohérente, ouverte et active. Il ne faut pas être injuste envers le Vatican : je regrette simplement que le pape François n’ait pas vécu pour voir ce moment, car à l’époque où nous étions violemment attaqués, moi personnellement aussi, il a toujours été celui qui nous a encouragés le plus fortement à tenir bon et à rester fidèles à la cause juste. Donc, si l’on observe la carte politique de l’Europe, il n’y a qu’un seul pays qui ait toujours été conséquemment du côté de la paix. Je le dis avec la modestie qui s’impose, c’était déjà le cas sur la question migratoire. Parfois, on a l’impression d’être ce conducteur qui roule à contre-sens sur l’autoroute et qui se demande s’il n’est pas lui-même dans le faux… Mais Dieu, de temps à autre, envoie des signes pour nous rappeler que non, nous sommes bien dans la bonne voie, que ce soit pour la migration ou pour la paix. Je pense donc que, si la rencontre devait se tenir en Europe, elle ne pouvait se tenir que dans le seul pays véritablement favorable à la paix   la Hongrie. Et plus précisément, à Budapest. Ajoutons à cela un autre avantage : le Premier ministre hongrois est en fonction depuis longtemps, je connais personnellement tous les dirigeants, et tous me connaissent. Nous avons toujours été des partenaires loyaux, nous n’avons jamais trahi un ami pour un gain tactique, jamais renié notre parole. Bien sûr, cela comporte aussi des inconvénients, mais parfois, la fidélité finit par payer. Alors, si l’on cherche un lieu sûr, fiable, prévisible, où tout se déroulera sans surprise politique et où l’organisation sera impeccable, eh bien, Budapest apparaît comme un choix logique.

Deux semaines seulement pour préparer un tel sommet, est-ce suffisant ? Le président Trump affirme que la rencontre pourrait avoir lieu d’ici là.

Hier, le président m’a dit qu’il fallait nous préparer à un entretien entre les deux ministres des Affaires étrangères. D’après lui, il a eu hier une longue discussion, franche et réussie avec le président russe. Ils ont convenu que leurs ministres des Affaires étrangères se réuniraient d’ici une semaine pour régler les questions encore ouvertes, et qu’une semaine plus tard, ils pourraient déjà être ici, à Budapest. Hier soir, ou plutôt tard dans la nuit, j’ai donné les instructions pour mettre en place le comité d’organisation. Les tâches principales ont été définies, le travail a déjà commencé.

Vous avez évoqué les attaques dont la Hongrie a été la cible à cause de sa position en faveur de la paix, ou du simple fait que vous ayez parlé avec Vladimir Poutine. Or, depuis l’annonce d’hier, les premiers commentaires sont tombés, par exemple, le Telegraph écrit que ce sommet serait une « coup douloureux pour l’Union européenne ». Pensez-vous que les critiques venant de l’UE vont s’adoucir ? Que la pression exercée sur la Hongrie à cause de sa ligne pro-paix pourrait diminuer ?

Avant tout, il faut garder le sens des proportions : ne pas se tromper de rythme, d’échelle ni d’objet. Ce sommet n’est pas à propos de nous. Bien sûr, ici, en Hongrie, tout le monde est excité, et c’est compréhensible. Qui sait quand notre pays a accueilli pour la dernière fois un événement diplomatique d’une telle ampleur ? Et le simple fait que Budapest soit jugée capable d’organiser un sommet de paix est déjà une réussite politique en soi. Je demande donc à tous de rester mesurés, car ces négociations ne parlent pas de la Hongrie, mais de la paix. Et pour moi, la leçon, tirée de ces trois années de lutte pour la paix, est claire : en politique, il faut beaucoup de qualités, des compétences, du savoir-faire, du courage, mais dans les grandes causes, ce sont la persévérance et l’humilité qui comptent le plus. Il faut tenir bon dans la bonne cause, et placer la cause au-dessus de soi-même. Et quand on y parvient, et je crois que dans le cas de la paix, nous y sommes parvenus, alors, avec de la constance et de l’humilité, même dans les heures les plus sombres, les choses finissent toujours par s’orienter dans la bonne direction. Le Bon Dieu remet les choses dans l’ordre. C’était déjà vrai pour la question migratoire, c’est vrai aujourd’hui encore, et je pense que cela vaut pour d’autres grandes causes, comme la défense de la famille. Autant de positions hongroises maintenues envers et contre tout, qu’il ne faut jamais abandonner. Maintenant, si l’on regarde la place de l’Union européenne, la réponse est simple : puisque tout le monde, à part nous, soutient la guerre, ils sont logiquement absents de ce sommet. Mais ils ne devraient pas être absents de la paix. Je continue donc à plaider pour que nous, Européens, fassions ce que fait le président américain : ouvrir des négociations avec les Russes. Et pas seulement dans le sillage des Américains, ni comme leurs auxiliaires diplomatiques, même si, pour être clair, nous ne sommes pas les « supplétifs » du président américain. Le problème, c’est plutôt que l’Union européenne cherche en permanence à tirer Trump du côté des partisans de la guerre. Mais même si nous étions ses auxiliaires, ce ne serait pas suffisant : l’Europe doit défendre ses propres intérêts et disposer de ses propres canaux diplomatiques, exactement comme l’a fait la Hongrie. Car, si l’on regarde cela avec un œil professionnel, la raison pour laquelle le sommet se tiendra ici est précisément que nous avons été le seul pays européen à dire, depuis le début, que la guerre est une mauvaise chose, mais que cela ne justifie pas de fermer les canaux diplomatiques. S’il n’y a pas de canaux diplomaties, s’ils ne restent pas ouverts, il n’y aura jamais de paix. La grande leçon pour les Européens, c’est donc celle-ci : notre stratégie de guerre est une impasse, nous avons besoin d’une stratégie de paix, il faut soutenir le président américain dans ses efforts, et ouvrir en parallèle un canal diplomatique direct entre l’Europe et la Russie.

L’Union européenne, de son côté, prépare un document stratégique de défense selon lequel l’Europe doit être prête, d’ici 2030, à une guerre contre la Russie. Ce climat peut-il changer, peut-être dès le prochain sommet européen ? Et, ici en Hongrie, une collecte de signatures est en cours contre les plans de guerre de Bruxelles. Mais, face à une Union aussi déterminée, quelle portée réelle peuvent avoir ces signatures ?

L’Europe ne doit pas se préparer à la guerre, mais se préparer à la paix. Elle doit disposer, derrière la paix, d’une force militaire crédible et d’un système de coopération entre ses armées, ce qu’on appelle un système de sécurité collective, capable d’assurer sa défense en cas de besoin. Mais il faut que la paix, et non la guerre, reste au premier plan. Aujourd’hui, quel est le plus grand mal de l’Europe ? La guerre. Et poursuivre la guerre, c’est poursuivre le mal. L’Union européenne a déjà envoyé directement 180 milliards d’euros dans ce conflit. Si l’on y réfléchit un instant : c’est une somme si énorme que, traduite en forints, les zéros ne tiendraient même pas sur la table devant moi. Oui, 180 milliards d’euros brûlés dans cette guerre, pour financer un affrontement où des chrétiens, aux frontières de l’Europe, s’entre-tuent. Pendant ce temps, l’économie européenne tousse, boîte, s’essouffle. Cet argent aurait dû rester en Europe. Si cela avait été le cas, notre économie n’aurait pas cette allure-là, parce que la guerre, et ses conséquences, les sanctions, etc. freine la croissance. La guerre est l’ennemie naturelle du développement économique. L’économie européenne est malade, pour de nombreuses raisons, mais la racine la plus épaisse de ce mal, c’est la guerre. Elle bloque le développement de l’Europe, et celui de la Hongrie aussi. Sans la guerre, le rythme de croissance de la Hongrie serait deux à trois fois supérieur. Et cette guerre, on ne peut l’écarter que par la paix. Si nous la poursuivons, elle engloutira encore plus d’argent, et notre situation économique sera encore pire. C’est pourquoi je pense que les coûts et les désagréments que les habitants de Budapest devront supporter pendant ce sommet en valent la peine. Je leur demande respectueusement d’accepter ces contraintes, car c’est dans l’intérêt du pays. Il n’y a rien qui rapporte autant que la paix, car la guerre nous coûte. La paix, elle, ouvre une nouvelle phase de développement économique, et c’est dans l’intérêt de toutes les familles hongroises, même de celles qui n’ont jamais lu ni entendu un mot de politique étrangère. Aujourd’hui, l’intérêt de chaque famille hongroise, c’est que la rencontre entre les présidents Trump et Poutine à Budapest aboutisse à la paix.

Mais, dans ce cas, cela remettrait en question les plans de la Commission européenne. Une pétition, aussi massive soit-elle, peut-elle réellement infléchir cette stratégie ?

Je pense que si un accord de paix est conclu, alors les plans de guerre européens doivent être jetés par la fenêtre. Il faudra tout recalibrer. Oui, il nous faut un plan européen de sécurité et de défense, mais pas parce que nous serions en guerre contre la Russie, plutôt parce qu’il faut toujours adosser la paix à une capacité militaire. Et cette capacité, l’Europe ne l’a pas aujourd’hui. Nous sommes bien trop dépendants des Américains. Il est évident que nous n’aurons jamais une puissance nucléaire équivalente à la leur, ce n’est pas notre objectif. Mais nous devons renforcer nos capacités conventionnelles, pour que, sur le flanc est de l’Europe, où un conflit peut éclater à tout moment, nous n’ayons jamais à nous demander si nous serons capables de nous défendre. Il faut montrer sa force, car la paix exige la force. Oui, il faut un programme de développement militaire et industriel, mais cela ne doit pas être au sommet de notre stratégie, plutôt à son arrière-plan. Au sommet, il doit y avoir la paix et la relance économique. L’Union européenne doit donc élaborer un plan de paix, Il faut abandonner le plan de guerre et élaborer à la place un plan de paix doté aussi d’un pilier de sécurité. C’est ce que j’espère. Alors, les choses rentreront dans l’ordre. Même si, en politique, c’est rare, très rare, de voir plus de deux douzaines de dirigeants ayant proclamé une stratégie de guerre reconnaître soudain : « Nous nous sommes trompés de direction. » et dire : « Changeons de cap, le bon chemin est celui de la paix. » Mais il ne faut pas l’exclure. Si la paix a pu être signée au Proche-Orient, si les otages ont pu rentrer chez eux, et si les présidents Trump et Poutine se rencontrent bientôt à Budapest, alors pourquoi ne pas croire que les Européens aussi retrouveront le chemin du bon sens ?

Vous avez évoqué les conséquences économiques de la guerre. Parlons donc de questions économiques intérieures, car un débat s’est ouvert en Hongrie sur le système fiscal et la politique fiscale. Ces derniers temps, les retraités s’y sont même trouvés mêlés, nous y reviendrons. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le gouvernement a lancé une consultation nationale sur la fiscalité et les questions énergétiques. Mais si les positions des deux camps sont déjà clairement opposées, à quoi peut servir une consultation ? Pourquoi en avez-vous besoin, dans ces conditions ?

Nous vivons en ce moment en Hongrie un débat classique. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas eu un vrai débat de ce type — sans doute depuis 2010, quand cette ère de confrontation s’est close. Ce qui se déroule aujourd’hui, je l’appellerais un débat gauche–droite classique. En 2010, la gauche, avec sa politique économique, avait mené la Hongrie à la faillite. C’est alors que nous sommes arrivés, avec une majorité des deux tiers, et que nous avons lancé une politique économique nationale, de droite, civique et chrétienne. À l’époque, la paix ne semblait pas encore jouer un rôle aussi important. Nos priorités étaient le plein emploi, la création d’un million d’emplois, la baisse des impôts, une économie fondée sur le travail et la protection des familles. Et depuis, nous avons traversé ces quinze années sans véritable défi intellectuel. Bien sûr, il y a eu des élections, des luttes, parfois dures et douloureuses, mais ce type de débat, celui où deux visions économiques s’affrontent devant le pays, une de gauche et une de droite, n’était plus apparu aussi clairement depuis longtemps. Aujourd’hui, il est de retour. Après quinze ans, la Hongrie débat à nouveau du sens de sa politique économique. Et la gauche, à travers le parti Tisza, derrière lequel on retrouve en réalité les vieux visages de la gauche, s’est reformulée. Face à elle, il y a le gouvernement, qui poursuit sa politique économique de droite. Or, la logique de la gauche économique a toujours été la même : augmenter les impôts, parce qu’elle croit qu’il faut prendre l’argent aux gens pour que l’État le redistribue selon sa propre logique, et qu’ainsi naîtraient une économie plus prospère et une société plus juste. La vision de droite, elle, dit le contraire : laissons le plus d’argent possible aux gens. Certes, il faut financer les services publics essentiels, et pour cela, prélever ce qui est nécessaire, mais il vaut bien mieux laisser les fonds aux ménages et aux entreprises, car ils sauront toujours les utiliser mieux et plus efficacement que l’État. Ces deux conceptions se séparent aujourd’hui de plus en plus nettement. Les parti Tisza et DK défendent la politique économique classique de la gauche, et, ces jours-ci, ils veulent même taxer les retraites. Parce que, pour la gauche, la politique économique signifie toujours plus d’impôts, tandis que nous, nous baissons les impôts. D’un côté, donc, les Hongrois voient arriver du froid, avec cette idée d’un impôt sur les retraites, la dernière en date, avec aussi la hausse de l’impôt sur les sociétés de 9 % à 25 %, et la fin de l’impôt sur le revenu à taux unique au profit d’un système à taux multiples, c’est-à-dire, encore une hausse d’impôt. Et de l’autre côté, le nôtre, se déploie aujourd’hui le plus vaste programme de baisse d’impôts d’Europe. C’est pourquoi, à mon sens, le meilleur outil pour mener ce grand débat est précisément une consultation nationale.

Restons un instant sur la question des retraites, puisqu’elles se sont invitées dans le débat économique. Certains experts proposent en effet de taxer une partie des pensions. Face à cela, János Lázár et vous-même avez évoqué le fait que le gouvernement travaille activement à l’instauration d’une quatorzième mensualité de retraite. À quel point ce projet est-il réaliste ? Et que faudrait-il pour qu’il puisse se concrétiser ? D’autant que le parti Tisza parle, lui aussi, d’augmenter les plus petites retraites.

Tous les experts favorables à une taxation des retraites sortent aujourd’hui du bois, cachés jusqu’ici derrière la DK et le Tisza. C’est de là que vient le débat actuel, mais ils ont toujours voulu cela. Cela nous ramène directement au « paquet Bokros », aux réformes d’austérité des années 1990. Aucun système de retraite n’est parfait, je n’en ai jamais vu un seul qui le soit. Le système hongrois, lui aussi, a ses points discutables. Mais enfin, il repose sur deux piliers : le temps passé à travailler et le montant des cotisations versées. C’est la combinaison de ces deux éléments qui détermine le niveau de la pension. Y toucher, introduire un nouvel élément de calcul, serait extrêmement risqué. Car une réforme qui semble, de l’extérieur, juste pour un groupe, apparaîtra vite injuste pour un autre. J’en ai déjà fait l’expérience : pendant mon premier gouvernement, j’ai voulu, avec les meilleures intentions du monde, ajuster légèrement le système. Cela a été l’une de mes décisions politiques les plus malheureuses. Une fois qu’on y a touché, tout le monde s’est senti lésé : ceux qui avaient de petites retraites, ceux qui avaient de grandes retraites, ceux qui avaient longtemps travaillé, ceux qui avaient moins d’années de service ; impossible de s’y retrouver, et je n’ai vu autour de moi que des gens blessés. Tout le monde avait le sentiment qu’il y avait une injustice. Depuis, je le dis clairement : il ne faut plus introduire de réforme structurelle des retraites. Ce système doit être ajusté, corrigé à la marge si nécessaire, mais préservé le plus longtemps possible. Et si plus d’enfants naissent, ce système pourra durer très longtemps. Bien sûr, dans vingt ou vingt-cinq ans, selon la démographie, il faudra peut-être repenser à long terme la structure du système. Mais ce n’est pas le moment. Aujourd’hui, le système fonctionne. La Hongrie peut le garantir, le gouvernement peut le garantir, et moi-même, personnellement, je peux garantir aux retraités hongrois que leur pension ne perdra pas de valeur. Nous avons formalisé cet engagement en 2010, noir sur blanc, et chaque fois que l’économie l’a permis, nous avons augmenté la valeur des retraites. Nous avons même rétabli le treizième mois de retraite, supprimé à l’époque par la politique économique de la gauche. C’est pourquoi l’introduction d’un quatorzième mois ne nous est pas étrangère. Nous avons déjà fait quelque chose de similaire. Je veux dire par là que nous ne devons pas laisser des mathématiciens, des théoriciens de l’économie ou des utopistes de gauche mettre la main sur le système des retraites. Ils n’y introduiraient que des changements injustes. Voyons plutôt le système à travers les générations : nos parents, nos grands-parents, et, petit à petit, nous-mêmes, car nous vieillissons aussi et approchons de l’âge de la retraite. Et rappelons-nous ce que ce système représente : un accomplissement civilisationnel. Il permet à celles et ceux qui ont porté le pays sur leurs épaules toute leur vie de vivre leurs vingt ou trente dernières années dans la dignité. C’est cela qu’il faut garder en tête, pas des modèles abstraits sur le papier, mais les deux à deux millions et demi de Hongrois qui méritent une vie stable et prévisible jusque dans leurs vieux jours. Si l’on part de là, on pose le crayon, on range la calculatrice, et on renonce à inventer un nouveau système de retraite. Quant à la quatorzième mensualité, bien sûr, elle exige de la force économique. Et cela, c’est lié à la paix. Je précise qu’aujourd’hui, malgré la guerre, nous faisons tourner trois programmes d’envergure mondiale, chacun d’eux, à lui seul, serait déjà un exploit. Nous avons lancé un programme de prêts à 3 % pour les jeunes accédant à leur premier logement, un autre prêt à 3 % à taux fixe pour les petites et moyennes entreprises, et, en même temps, la plus vaste baisse d’impôts en Europe pour les familles. Tout cela simultanément alors même que la guerre freine la croissance. Cela montre que nous sommes capables de grandes choses, même dans ces conditions. Mais pour la quatorzième mensualité, il faudra la paix. Il faut, bien sûr, s’inspirer du retour du treizième mois : nous l’avons rétabli progressivement, en rendant une semaine de pension supplémentaire chaque année, en quatre ans, le système complet du 13ème mois était en place. Pour la quatorzième mensualité, nous pourrions suivre la même logique : l’instaurer sur deux, trois ou quatre ans. C’est réalisable. En résumé : la quatorzième mensualité reste à l’ordre du jour, et les équipes y travaillent. Ce n’est pas une réforme des retraites, surtout pas ! Nous examinons les prestations complémentaires que nous pouvons offrir, de manière aussi équitable que possible. Le 13ᵉ mois a été juste, la société hongroise l’a accepté : il n’a pas perturbé l’équilibre du système et  il n’a rien enlevé à personne. La quatorzième mensualité suivra exactement la même logique.

Nous avons peu de temps, mais j’aimerais encore aborder deux sujets. Hier s’est tenue la Conférence permanente hongroise (le MÁÉRT), le principal forum de la communauté hongroise au-delà des frontières. Vous y avez indiqué que plus aucune force politique ne peut espérer gouverner en Hongrie si elle mène une politique hostile aux Hongrois de l’étranger. Or, il y a vingt ou vingt et un ans, nous parlions encore d’un référendum raté. Comment expliquer un tel changement de climat ?

De ce référendum, celui sur la double citoyenneté, je ne garde pas le souvenir d’un échec. C’est vrai, le « oui » n’avait pas obtenu le niveau de soutien que nous espérions, et cela a surpris beaucoup de monde. Mais moins moi. Je viens de la Hongrie profonde, et je sais bien quelle est la force réelle, ou la faiblesse, du soutien populaire pour des questions aussi abstraites que la double citoyenneté. Mais pour moi, c’était déjà un grand succès que le nombre de « oui » ait dépassé celui des « non ». Et j’ai dit à l’époque : cela aura de l’importance plus tard. Le fait que plus de gens aient dit « oui » que « non » à la double citoyenneté. Et c’est sur ce fait qu’a reposé la révision constitutionnelle qui, une fois le gouvernement national, chrétien et de droite, arrivé au pouvoir, a accordé immédiatement la double citoyenneté aux Hongrois de l’extérieur. Car, encore une fois, les « oui » étaient majoritaires. Nous avons donc transformé un souvenir amer en réussite, par une modification de la Constitution. Et je crois que, depuis, même dans la Hongrie profonde, même ceux qui ne s’intéressent pas aux théories politiques, ont compris que, personnellement, ils s’en portent mieux si nous ne concevons pas l’économie hongroise comme celle d’un pays de dix millions d’habitants, mais comme celle d’une communauté nationale de treize, quatorze ou quinze millions. En effet, la Slovaquie est aujourd’hui notre troisième partenaire commercial, et cela n’est évidemment pas sans lien avec la présence de plus d’un demi-million de Hongrois dans ce pays. Nos relations économiques avec la Roumanie se sont envolées à une vitesse fulgurante, ce qui n’est pas non plus sans rapport avec la forte communauté hongroise qui y vit. Et dans le Sud de la Voïvodine, la coopération exemplaire avec les Serbes a également élargi l’espace économique de la Hongrie. Je veux dire par là que, même pour les milieux les moins sensibles aux questions nationales, il est désormais évident que toutes les familles hongroises vivant en Hongrie ont intérêt à ce que notre politique économique soit pensée à l’échelle de la nation entière, et non pas seulement dans les frontières de l’État. Une économie plus vaste, c’est plus de prospérité, plus de familles heureuses, et une Hongrie plus forte que si nous restions confinés dans une « petite Hongrie » économique. C’est pourquoi je dis qu’aujourd’hui, aucun débat public ne peut plus être gagné par ceux qui veulent couper la Hongrie de ses compatriotes d’au-delà des frontières.

Revenons, pour conclure, au début de cette semaine si chargée, car du point de vue du gouvernement, tout a commencé à Gödöllő, avec l’annonce d’un projet de rénovation du château Grassalkovich, en coopération entre l’État et la banque OTP. Pourquoi faire appel à des capitaux privés pour ce type de projet ?

Nous parlons d’un investissement de 40 milliards de forints, qui sera dépensé par étapes, sur plusieurs années, au rythme imposé par les travaux eux-mêmes. C’est toujours un sujet douloureux, et je crois que la plupart des Hongrois ressentent la même chose que moi. Quand nous passons devant un bâtiment historique, qui évoque la grandeur passée de notre pays, et que nous le voyons dans un état de délabrement, cela fait mal. Pas seulement parce qu’on n’aime pas voir la ruine et la désolation, mais aussi parce que cela touche notre fierté nationale. On se dit : « Regardez ce que nos ancêtres ont accompli, et nous, nous sommes incapables même de l’entretenir, encore moins de poursuivre leur œuvre. » C’est pourquoi je rattache la question de la restauration de nos grands monuments à celle de l’estime de soi nationale. Et 40 milliards, c’est une somme immense. Dépenser cela pour le patrimoine, c’est presque impossible, surtout dans un contexte économique bloqué par la guerre. C’est là qu’il faut des mécènes, des partenaires. Et grâce à quinze années de gouvernance civique, la Hongrie compte désormais de grandes entreprises solides, des familles aisées, et des personnes fortunées qui peuvent se le permettre, et qui, je l’espère, considèrent cela comme un devoir envers la patrie : contribuer, par leur richesse, à des causes que le budget de l’État ne peut pas financer, mais qui sont pourtant essentielles. Le château Grassalkovich en est un excellent exemple. Nous l’avons d’ailleurs confié à l’université de Gödöllő, ce qui fut une très bonne décision : le château fait désormais partie intégrante du campus, de l’écosystème universitaire local. J’aurais aimé, moi aussi, être étudiant à Gödöllő, et avoir le château Grassalkovich comme partie du campus, un lieu de vie et d’étude à la fois. Quand les travaux seront achevés, les étudiants vivront une expérience exceptionnelle : le château, son vaste parc et son arboretum s’intégreront naturellement à la formation agricole de l’université. Tout s’emboîte parfaitement à Gödöllő. Mais j’encourage non seulement Sándor Csányi et l’OTP, qui ont fait le premier pas, mais aussi toutes les grandes entreprises hongroises, les familles aisées et les personnes fortunées à réfléchir ainsi. Payer ses impôts, c’est le minimum, donner du travail, c’est essentiel, mais au-delà, quand on voit une belle et noble cause, il faut s’engager, et assumer, pour le bien commun, une part du fardeau financier.

J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur le sommet de la paix de Budapest, la question des retraites et la Conférence permanente hongroise.

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