Gábor Gavra : Bienvenue à toutes et à tous sur la chaîne YouTube « ÖT ». Je suis Gábor Gavra et vous regardez notre émission « Ring ». Avant de présenter notre invité du jour, je vous invite à vous abonner à la chaîne « ÖT » sur YouTube. Karácsony, Balázs Orbán, Péter Márki-Zay, Klára Dobrev, et plus récemment László Toroczkai. Aujourd’hui, c’est Viktor Orbán, Premier ministre de Hongrie, qui est notre invité – bienvenue à lui. Et, bien sûr, nous attendons également Péter Magyar, président du Parti Tisza, que nous aimerions recevoir dans Ring. Aujourd’hui, nous sommes deux à poser les questions : mon collègue András Hont, qui a déjà conversé avec Viktor Orbán dans une autre émission sur cette même chaîne, et moi-même. András, je vous laisse commencer. La parole est à vous !
Bonjour !
András Hont : Bonjour ! Nous allons essentiellement parler de Kötcse, de ce qui a été dit à Kötcse et de la situation qui en a découlé, si tant est qu’il y en ait une. Commençons directement par la fin de votre discours. Vous y dites : « à partir de maintenant, que chacun fasse vraiment tout ce qu’il peut. Car, vous me connaissez, je ne suis pas du genre à menacer ou à hausser le ton. Vraiment ?
Non, je ne le suis pas.
András Hont : « Mais croyez-moi : rien ne sera oublié. Tout sera noté, et tout sera réglé. » À qui s’adressait ce message ?
Gábor Gavra : On dit souvent que ce qui se trouve avant le « mais » n’a pas d’importance.
András Hont : Oui.
Mais si l’on recule d’une phrase dans la citation, tout devient beaucoup plus clair.
András Hont : « Tout doit être subordonné à la victoire commune. »
C’est de cela qu’il s’agit. Celui qui ne subordonne pas tout à la victoire commune, ne doit pas s’attendre à ce que nous l’oublions.
András Hont : Beaucoup ont interprété cela comme une menace adressée aux adversaires. Pour ma part, je l’ai plutôt lu comme un message tourné vers l’intérieur.
C’est la beauté de la communication politique, un peu comme en littérature : difficile, en tant qu’auditeur, de deviner à quoi pensait l’auteur. Mais le texte, en réalité, s’explique de lui-même. L’essentiel, c’est que celui qui ne consacre pas toutes ses ressources, son énergie, son comportement, ses actes à la victoire commune, doit savoir que cela ne sera pas oublié.
András Hont : Y a-t-il des cas de ce genre au sein du Fidesz ?
Bien sûr, comme dans tout parti. Je n’ai encore jamais vu une communauté où chacun se soumette à cent pour cent aux objectifs communs.
Gábor Gavra : Mais avant les précédentes élections, du moins publiquement, on ne vous a pas entendu tenir ce genre de propos.
J’ai dit des choses encore plus dures.
Gábor Gavra : Mais en interne. À Kötcse ? Parce que c’était à huis clos ?
Oui, oui. Disons que je ne voulais pas que cela soit crié sur les toits. Mais comme cette fois c’était en public, eh bien…
Gábor Gavra : Péter Magyar a expliqué vos paroles dans le même sens que vous, à savoir qu’elles étaient adressées vers l’intérieur, en raison, selon lui, d’un climat proche de la révolte ou d’une « fronde interne » au sein du Fidesz. Or, ce n’est plus tout à fait la même chose que ce que vous venez de dire…
En effet.
Gábor Gavra : …et il laisse entendre que vous cherchez à rétablir l’ordre. Entre une fronde interne et une base démotivée, ou des cadres démotivés, comment dire… existe-t-il, diriez-vous, une frontière nette ?
Je ne dirais pas que nos collaborateurs ou, pour reprendre votre terme, nos cadres sont démotivés. Ce que je voulais simplement dire, c’est que, dans toute campagne, il y a une phase où l’on peut encore plaisanter un peu, où un petit écart peut passer, être justifié ou considéré comme un péché véniel. Mais il y a aussi un moment, dans chaque match, y compris dans la « rencontre » électorale, où il n’est plus possible de plaisanter, parce qu’à ce stade, toute erreur devient irréparable. Et nous sommes précisément entrés dans cette phase. Il est donc important que tout le monde le sache dès le début, c’est tout ce que je voulais dire, rien de plus.
Gábor Gavra : En 2018, et c’est peut-être pour cela que certains ont interprété vos propos comme s’adressant aussi vers l’extérieur, vous aviez déclaré, le 15 mars, lors de la Marche de la Paix, qu’après les élections vous prendriez une revanche, une revanche morale, politique et juridique. Cela s’est-il traduit dans les faits ? Ou…
Je pense que oui, peut-être. Le mot « revanche » sonne fort en hongrois, mais si…
Gábor Gavra : Et en quoi a-t-elle consisté ?
…si on le prend à la Esterházy, dans son sens exact, c’est un terme assez juste, non ? La « revanche » signifie que tu ne seras pas plus dur qu’on ne l’a été envers toi ; autrement dit, à la manière dont on donne, on reçoit en retour. Vous savez, j’ai fait des études de droit, et je me souviens avoir été surpris en première année quand on nous a expliqué que le principe du talion, « œil pour œil », est en fait un acquis de civilisation. On pourrait croire à une barbarie, mais en réalité non, car cela signifie que pour un œil on ne peut pas en prendre deux. Dans ce sens, la « revanche » est une notion assez correcte : chacun sait que c’est à la manière dont on donne, que l’on reçoit en retour. Cependant, si cela tourne à la vengeance, là, je crois que c’est problématique. Il y a donc, selon moi, une différence entre la revanche et la vengeance. La vengeance a un défaut : elle regarde en arrière. Elle t’occupe de ce qui est déjà passé, alors que tu viens de gagner une élection et que tu devrais te concentrer sur ce qui est devant toi. Cela détourne votre attention, vos pensées, c’est pourquoi commencer une période post-électorale par des représailles n’est pas très judicieux. Et si revanche il y a eu, elle n’a, à ma connaissance, pas laissé de souvenir marquant. D’ailleurs, il y a ce proverbe chinois…
Gábor Gavra : La chaîne Hír TV a été reprise à Lajos Simicska, et il y a eu à ce moment-là une purge.
Nous n’avons rien repris à personne, ce n’est pas dans nos habitudes. Il y a, au sein de la droite, des groupes d’intérêts qui ont réglé leurs comptes entre eux, la politique n’avait pas à s’en mêler.
András Hont : Si la situation évolue ainsi, peut-on imaginer un tel « réajustement » après les élections d’avril ?
Il y a toujours un réajustement après une élection. Car une élection est un moment décisif dans la vie d’une nation ou d’une communauté. Elles ne sont pas là pour que, le lendemain, on fasse comme si rien ne s’était passé. Après une élection, il faut dresser le bilan, en tirer des enseignements, en déduire des conclusions. C’est une occasion qu’il ne faut pas manquer : c’est une césure. Alors, certaines choses doivent être réglées. Il faut discuter franchement entre nous : qui a apporté quoi ? A-t-il donné ce qu’on attendait de lui ? Rien n’est oublié. Ces choses doivent être mises sur la table et réglées : que ce soit par le pardon, par des excuses, ou, parfois, par une séparation. Voilà, c’est ainsi après chaque élection. Et en Hongrie, après une victoire électorale, surtout quand c’est moi qui forme le gouvernement, il y a une difficulté supplémentaire : je ne compose pas le gouvernement en fonction des mérites passés, mais en me demandant ce qui nous attend, non pas seulement nous au gouvernement, mais le pays. Quel sera le contexte des quatre années à venir, et quelle structure gouvernementale sera nécessaire pour y faire face ? Si on examine, bien sûr, cela n’intéresse pas les gens, car la politique est la politique, mais si on regarde depuis 1998, j’ai expérimenté différentes formules qui étaient toutes différentes : le nombre de ministères a varié de 14 à 8, parfois avec de « super-ministères », parfois non. Tout dépendait de ce que nous pensions, ensemble, après discussions, des défis des quatre années suivantes et des réponses que nous devions y apporter. Cela montre bien que nous avons eu un luxe, pour reprendre une expression courante, celui de vivre longtemps sans contrainte de coalition. Car dans une coalition, tu ne peux pas composer ton gouvernement en pensant uniquement à l’avenir. Tu dois gérer en permanence des tensions internes, car tu n’es pas seul à la barre. Et à part moi, je crois qu’aujourd’hui en Europe il n’y a aucun autre Premier ministre qui puisse se permettre ce luxe : former son gouvernement en se basant uniquement sur les défis à venir pour le pays, et non sur des équilibres politiques internes. C’est, à mon sens, un grand avantage de la politique hongroise.
András Hont : Puisque nous parlons du gouvernement et de gouvernance, rappelons que, à Kötcse, l’annonce la plus concrète, celle qui a lancé une action politique, a été l’ouverture d’une consultation nationale. Cela nous a soulevé quelques doutes, non pas encore sur son contenu, impôts, économie et autres sujets, dont nous reparlerons, mais déjà sur le rôle même du gouvernement dans cette affaire.
Gábor Gavra : Oui, car depuis 2010 au moins, les consultations nationales sont organisées par le gouvernement. Avant cela, le Fidesz, depuis l’opposition, lançait aussi des consultations : c’est ainsi, par exemple, qu’en 2005, László Sólyom devint candidat du Fidesz à la présidence de la République.
En effet.
Gábor Gavra : Mais ici, la situation est la suivante : le gouvernement, inutile d’exagérer, organise en réalité une consultation pour discréditer le plus grand parti d’opposition, autrement dit le seul challenger sérieux du Fidesz. Et cela, bien entendu, avec beaucoup d’argent public.
Cela, il ne faut pas le faire. Je suis d’accord. Les questions de la consultation doivent être formulées de manière correcte et conformes aux lois en vigueur.
Gábor Gavra : Mais n’est-ce pas encore plus correct que le gouvernement ne s’immisce pas dans la campagne électorale ?
Car ce que vous dites dépasse même les possibilités offertes par la loi. À mon sens, il n’est pas juridiquement possible qu’un parti, disons le parti au pouvoir, organise une consultation sur une proposition de l’opposition. On peut organiser une consultation sur le nombre de tranches d’imposition, demander si les citoyens sont d’accord ou non… Mais je vois déjà les juristes transpirer à grosses gouttes, se demandant comment formuler cela pour rester dans les limites du droit et de la décence politique.
András Hont : Mais bien sûr, il faut que cela reste favorable au Fidesz.
Nous n’avons pas l’habitude de travailler contre nous-mêmes.
András Hont : Voilà ce que soulevait la question de Gábor : vous ne travaillez pas contre vous-mêmes, mais quand même, avec de l’argent public et sous l’organisation du gouvernement, tout cela finit par profiter au Fidesz dans la campagne électorale…
Gábor Gavra : …donc favorable au Fidesz, et évidemment défavorable au Parti Tisza.
Oui, mais cela est inévitable. Prenons un exemple : je monte dans ma voiture pour aller à un meeting politique. Eh bien, je monte dans une voiture de l’État, avec un chauffeur de l’État. L’opposition, elle, n’a pas cela. Ce que je veux dire, c’est que la situation majorité/opposition entraîne toujours des conséquences, des avantages et des inconvénients des deux côtés. Imaginer qu’il existe une situation où être au pouvoir n’a que des avantages, ou bien n’a que des inconvénients, et où être dans l’opposition n’a que des avantages, cela n’existe pas. C’est une réalité avec ses deux faces. Quand j’ai dirigé l’opposition, j’ai mené l’opposition hongroise pendant seize ans, et que je devais affronter le chef du gouvernement, il y avait, là aussi, un déséquilibre. La question, c’est surtout la mesure.
Gábor Gavra : Et vous le preniez mal à l’époque. Je me souviens que…
Ce n’est agréable pour personne, mais c’est la mesure qui compte. Il y a des lois qui fixent des règles, et il y a une culture politique qui définit ce qui reste acceptable et ce qui est excessif. C’est la mesure, je crois, qui est déterminante.
András Hont : Mais il existe des lois que, avec une majorité des deux tiers au Parlement, un parti peut très bien modifier, le cas échéant.
C’est vrai. Mais si l’on regarde comment le cadre légal régissant la compétition entre partis a évolué en Hongrie sous la majorité des deux tiers du Fidesz, je dirais, même si je ne peux pas rappeler tous les changements de mémoire, que dans l’ensemble, cela est resté équitable.
Gábor Gavra : En fait, c’est au moins le troisième entretien que je donne aujourd’hui sur ce sujet. J’en ai déjà parlé avec András Schiffer, puis avec Dániel Deák et Gábor Horn. András, András Schiffer a indiqué que, dans la communication gouvernementale, dans la propagande gouvernementale, il s’agirait, depuis 2010, et peut-être même de tout temps, du franchissement de ligne le plus grave, si cette consultation devait vraiment avoir lieu. Gábor Horn, lui, est allé jusqu’à parler de fraude électorale, parce que le gouvernement, avec l’argent public, entrerait de toute évidence dans la campagne du côté du Fidesz, et donc, évidemment, contre le Parti Tisza.
Eh bien, cela montre bien qu’un grand savoir peut parfois être un grand fardeau : l’intelligence ne sert pas toujours le bien de celui qui la possède. Comme vous venez de citer des gens instruits, cela arrive qu’ils « partent devant ». Calmons-nous ! Quand on verra les questions, quand on verra la consultation, alors, oui, on pourra formuler de telles accusations graves. Mais lancer de telles charges alors même que les questions de la consultation nationale sont encore inconnues, cela dénote à mes yeux un certain orgueil intellectuel. Avoir déjà des conclusions sans même connaître l’objet de l’examen, c’est, à mon avis, en dehors de la culture civique.
András Hont : Très bien. Puisque nous parlons d’accusations, abordons ce qui agite l’espace public en ce moment. Car évidemment nous voulons poser toutes les questions dans cet entretien, afin qu’on ne puisse pas dire après coup que nous n’avons pas posé certaines questions.
C’est inévitable, cher András.
András Hont : Oui. Alors, Hatvanpuszta. C’est aujourd’hui un point névralgique, et cela l’était déjà en partie lors de notre dernier entretien ici. Mais depuis, beaucoup de choses se sont passées. Vous avez essayé d’écarter le sujet élégamment, en disant que vous ne saviez pas vraiment ce qui s’y passait, que vous ne connaissiez pas les détails, que c’était la propriété de votre père.
Ce n’est pas ce que j’ai dit, et ce n’est pas ce que je dis.
András Hont : Alors quoi ?
Que cela ne me concerne en rien. Ce n’est pas la même chose.
Gábor Gavra : Lors de l’interview que vous aviez donnée ici, sur « ÖT », à mon collègue M. Hont, il avait aussi été question de Lőrinc Mészáros, d’István Tiborcz et, plus longuement, de l’enrichissement d’Ádám Matolcsy. Et il y a quelques semaines, chez mon ami Tamás Király, sur Ultrahang, il a été question de Hatvanpuszta. Dans votre réponse, vous aviez dit qu’il s’agissait d’un domaine appartenant à votre père, composé d’un ensemble de bâtiments – un ensemble, reconnaissons-le, assez imposant. Vos adversaires et critiques disent au contraire que c’est un complexe de type château, d’une valeur d’environ six milliards de forints. Alors, sans trancher ici sur qui dit vrai : vous, qui affirmez que Hatvanpuszta est une exploitation agricole inachevée appartenant à votre père, ou vos adversaires, qui parlent d’un investissement pharaonique ; ne serait-il pas plus simple d’ouvrir ce lieu au public et de montrer ce qu’il en est réellement ?
Ce qui m’appartient, je le montre volontiers. Il y a des journalistes à Felcsút, parfois même devant ma maison à Buda. Bien sûr, ma vie est un livre ouvert, j’ai d’ailleurs une déclaration de patrimoine. Mais ce qui ne m’appartient pas, ce qui ne relève pas de moi, ce dont je ne suis pas responsable, je ne vais pas le montrer, parce que ce n’est pas à moi. Tout simplement, cela ne me concerne pas, comme je l’ai dit tout à l’heure.
András Hont : À Kötcse, vous avez dit…
Si par votre question, vous voulez suggérer que toute cette affaire est gênante pour moi, eh bien non, cela ne l’est pas.
András Hont : À Kötcse, vous avez dit…
Tout simplement parce que mes seuils de tolérance, mes unités de mesure, ne sont sans doute pas les mêmes que les vôtres. Cette agitation autour de Hatvanpuszta, que je considère avant tout comme un instrument de propagande politique, n’est rien en comparaison de ce que j’ai déjà traversé. Franchement, c’est comme un « thé léger de l’après-midi ».
András Hont : Ce que je vais vous demander maintenant ne sera peut-être plus aussi « léger »…
Pardon, mais souvenez-vous : en deux mille je-ne-sais-plus-combien, avant une campagne électorale, comme c’est le cas avant chaque élection, on avait placardé tout le pays avec mon portrait en tenue de prisonnier, derrière des barreaux. Alors, comparé à cela, savoir si mon père possède une ferme, et de quelle nature, c’est vraiment du thé de l’après-midi.
Gábor Gavra : C’était à l’initiative du Jobbik, à l’époque…
Je ne me souviens plus qui c’était exactement. Je me rappelle seulement que, marchant avec mes enfants, ils m’ont demandé pourquoi j’étais affiché ainsi sur les murs. Peu importe. Ce que je veux dire, c’est que cette histoire, qui vous paraît énorme, fait partie pour moi du quotidien.
András Hont : Croyez bien que nos vies aussi comportent des aspects quotidiens que d’autres n’aimeraient pas endurer.
Mais ce match-là, je le gagnerai.
András Hont : Là-dessus, vous avez sans doute raison. À Kötcse, vous avez mentionné à plusieurs reprises votre épouse, puisque votre anniversaire de mariage avait eu lieu juste avant.
Oui, je l’ai mentionnée deux fois.
András Hont : Et à propos de Hatvanpuszta, votre épouse, Anikó Lévai, est souvent évoquée. Est-il vrai qu’elle y intervient, qu’elle a une quelconque influence, ou est-ce faux ?
Quand mon père lui demande quelque chose, bien sûr, elle l’aide. Mais encore une fois, c’est une exploitation agricole, cela l’a toujours été. Elle a été créée en 1823 ou 1825, il y a deux cents ans, et cela a toujours été une ferme, c’en est encore une aujourd’hui. J’aimerais qu’elle soit enfin achevée. J’espère que ce sera le cas cette année, que mon père réussira à la mettre en fonctionnement et à y lancer une exploitation agricole, et j’espère que ce sera une réussite.
Gábor Gavra : Toujours à propos de Hatvanpuszta, il y a eu une scène jugée dangereuse : une sorte de poursuite en voiture entre Ákos Hadházy et, selon lui, les agents de sécurité de Hatvanpuszta. Et vous allez sans doute me répondre que cela ne vous concerne en rien…
Bingo !
…soit. Mais ne trouvez-vous pas dangereux que des agents de sécurité d’un domaine appartenant à votre père soient impliqués dans une situation mettant en péril l’intégrité physique d’un député élu ? Et je pense que je ne vais pas plus loin que ce que…
Je pense qu’Ákos Hadházy devrait me dire merci, car il vit de moi. C’est moi qui le fais vivre. Sans moi, il n’aurait pas de carrière politique. Depuis de longues années, il ne tire son existence publique que de ses tentatives pour me coincer dans toutes sortes d’affaires. C’est de là que vient sa visibilité, ses opportunités, jusqu’à en arriver au point de pénétrer sur des propriétés privées, en l’occurrence celles de mon père. Ce n’est pas, disons, une habitude très louable. Au-delà de cela, je n’ai rien à ajouter, sinon qu’Ákos Hadházy devrait me remercier de lui donner une chance de…
András Hont : En effet, la relation…
…survivre politiquement, car si quelqu’un devait soudain répondre à la question : « Qu’a-t-il réellement accompli, qu’a-t-il mis sur la table ? », eh bien, à part dire qu’il passe son temps à flairer mes traces, sans succès, on aurait du mal à trouver autre chose.
András Hont : En effet, la relation entre vous et Ákos Hadházy est plus ancienne.
Il était au Fidesz, n’est-ce pas ?
András Hont : C’est exact. À partir de 2006, il était conseiller municipal à Szekszárd. Et aujourd’hui, l’un de vos principaux persécuteurs, le chef du parti d’opposition le plus prometteur, était encore, il y a deux ans, au premier rang à vous applaudir à Tusnádfürdő.
Partout où je paraissais, pour être précis.
András Hont : Oui, le principal…
J’ai encore de superbes citations de lui à cette époque, où il disait à quel point nous gouvernions bien ; je parle de l’actuel président du Parti Tisza.
András Hont : Vous voulez dire des propos qu’il vous avait adressés personnellement ?
Non, des déclarations publiques. Par exemple : « Les jeunes n’ont jamais eu de conditions aussi favorables… »
András Hont : Je m’en souviens, j’ai moi-même cité cette phrase une fois. Elle avait été publiée dans le Magyar Nemzet, dans une interview avec lui. Au début, je l’avais postée sans rien préciser, et les commentateurs m’ont couvert d’insultes ; puis j’ai révélé que ces mots venaient de l’homme pour lequel ils venaient de voter la semaine précédente. Enfin, bref. Je pensais que c’était autre chose…
Mais le Fidesz est une grande pépinière. Si l’on se détache un instant de l’agitation quotidienne, on doit reconnaître que c’est une success story extraordinaire. À la fin des années 1980, peu avant la transition, de jeunes gens se sont rassemblés, ont entraîné d’autres jeunes, et ont dit : « L’avenir ne sera pas celui qu’on nous impose. Nous allons renverser ce système qu’on appelle communisme, les Russes rentreront chez eux, ou nous les renverrons, l’Union soviétique disparaîtra, et un autre monde naîtra. Et nous devons y avoir notre place. Venez, faisons-le ! » Nous avons alors appelé un très grand nombre de personnes. Et depuis 1988, depuis la naissance du Fidesz, jusqu’à aujourd’hui, plusieurs milliers de personnes ont eu la possibilité d’agir pour leur communauté, et même de se construire une petite carrière. Je pense donc que le Fidesz est une fantastique histoire de réussite. Certains nous ont quittés. Naturellement, ils considèrent que c’est nous qui les avons laissés tomber, et ils ont poursuivi leur carrière ailleurs. Gábor Fodor, par exemple, est devenu ministre dans le gouvernement MSZP–SZDSZ. C’est le premier cas qui me vient à l’esprit. Donc oui, le Fidesz est une grande pépinière. Et je pense que dans l’ensemble, si on met de côté les questions de trahison et déloyauté, et que je regarde simplement le phénomène social, c’est quelque chose de grand : pendant plus de trente ans, une organisation a régulièrement fait émerger de jeunes acteurs dans la vie publique. Même si nous nous retrouvons aujourd’hui face à d’anciens membres du Fidesz, ce processus en lui-même reste une dynamique majeure. J’avais cru que le Momentum allait reproduire ce modèle. Quand le Momentum est apparu, j’ai d’abord pensé que ces jeunes allaient faire la même chose…
Gábor Gavra : Gábor Török voyait en András Fekete-Győr le jeune Viktor Orbán.
Eh bien oui, là-bas… Je ne peux pas le dire personnellement, mais…
Gábor Gavra : Lui, c’est ce qu’il a vu.
…mais il est possible qu’une époque historique touche à sa fin, que les jeunes arrivent, et que le Momentum puisse les amener sur la scène publique, ce qui aurait été bonne chose, et nous aurions débattu, comme il se doit, des sujets qui méritaient de l’être. Mais cette chance a été perdue. Et depuis, rien de semblable n’a émergé. Le Fidesz reste la dernière grande pépinière, le dernier grand vivier.
Gábor Gavra : Clôturons, si vous voulez bien, le sujet Hatvanpuszta. Il y a un événement récent. Nous enregistrons cet entretien mardi en fin d’après-midi, et il sera diffusé mercredi matin. Or, aujourd’hui même, la nouvelle est tombée : Ákos Hadházy, que vous avez tous deux mentionné, et moi aussi, a déposé plainte concernant deux écuries classées, qu’il estime avoir été démolies à Hatvanpuszta. Pouvez-vous affirmer avec certitude, Monsieur le Premier ministre, que les travaux de construction à Hatvanpuszta se sont déroulés dans le strict respect de la loi ?
À cela, seul celui qui a conduit ces travaux peut répondre. Si je répondais moi-même, d’une manière ou d’une autre, ce serait admettre que j’en connais les détails. Mais je le répète encore une fois : à part le fait que Hadházy Ákos vit de mon existence, je n’ai rien à voir avec toute cette affaire.
András Hont : Très bien, parlons alors un peu plus largement, au-delà de Hatvanpuszta.
En effet, ces quinze dernières années, beaucoup ont acquis d’importants patrimoines immobiliers.
Et d’autres types de patrimoines aussi.
András Hont : Oui, d’autres types aussi. Autour de cela, ce qui se développe n’est pas vraiment un dialogue politique, mais plutôt une succession de monologues. Notre ami déjà cité, András Schiffer, disait que puisque le NER, le Système de coopération nationale, a commencé son activité en 2010 en instaurant des taxes exceptionnelles, alors…
Il n’a pas commencé ainsi, mais il a continué ainsi, oui. Ah oui ? Même si, c’est vrai, nous avons introduit une taxe bancaire dès le début.
András Hont : Oui. Et la…
Mais cela, c’est venu plus tard : commerce, énergie…
András Hont : Non, la taxe spéciale sur les entreprises de communication de masse, c’était bien à l’automne 2010.
Bon, d’accord ! Mais…
Gábor Gavra : Il y a eu aussi les indemnités de départ…
La dérive est venue plus tard. C’est-à-dire que – comment dire ? – l’élargissement et la transformation en pratique politique des taxes exceptionnelles, c’est plutôt venu après. Mais cela s’est effectivement produit.
András Hont : András dit qu’on pourrait désamorcer le côté malsain de cette question si l’on instaurait de manière neutre, et non comme une revanche, une taxe sectorielle exceptionnelle sur ceux qui se sont enrichis de façon spectaculaire. Il parlait spécifiquement du patrimoine immobilier. Cela rejoint notre sujet, puisque le système fiscal hongrois a été un point fort de votre discours de Kötcse : qu’est-ce qui distingue la fiscalité hongroise de la fiscalité ouest-européenne, européenne en général. Et si nous lisons bien les signes, comme la consultation nationale à plusieurs milliards, cela va devenir un élément central de la période à venir.
N’allons pas trop vite avec ces milliards, attendons de savoir combien cela coûtera exactement. Nous ne le savons pas, András.
András Hont : D’accord, très bien. Nous ne savons pas combien…
Gábor Gavra : Si jamais c’est gratuit, pour les contribuables, nous rectifierons.
Les contribuables recevront forcément autant d’informations que cela leur aura coûté. Je peux le garantir.
András Hont : Je vois.
Gábor Gavra : D’accord.
Par la consultation, je veux dire.
András Hont : Revenons donc à la taxe sectorielle exceptionnelle. Est-ce une voie envisageable ou pas ?
Je ne suis partisan d’aucune hausse d’impôts, voilà mon point de départ. Mais c’est une autre question que celle de ce qui s’est passé au cours des trente-cinq dernières années. Parce qu’au fond, c’est bien de cela que nous parlons…
András Hont : Moi, je n’avais évoqué que quinze ans, mais on peut étendre à trente-cinq.
Oui, mais en réalité, si quelqu’un consulte une analyse économique sérieuse et examine d’où viennent les groupes capitalistes actuels de Hongrie, leur origine, et tente de relier cela aux différentes périodes politiques, il trouvera du cinquante-cinquante. C’est mon avis.
Gábor Gavra : C’est-à-dire que la moitié serait liée au Fidesz, ou proche du gouvernement, ou…
Non, non, ce que je veux dire, c’est que tout dépend de quelle période ils viennent. Parce que nous parlons de trente-cinq ans. À l’époque, la Hongrie avait une économie nationalisée. Certes, certains dirigeants ou personnes haut placées ont pu, par des combines, obtenir un peu de propriété privée significative, mais ce n’était pas une société fondée sur la propriété privée. Puis, nous sommes passés à une économie de marché, fondée sur la propriété privée, et l’économie a commencé à fonctionner sans organisation étatique, et nous en voyons aujourd’hui les résultats. Il y a des pauvres, une classe moyenne, des riches, des fortunes, des entreprises ; il y a des individus qui contrôlent de grandes décisions économiques, qui ouvrent ou ferment des usines, etc. Un autre monde est né. Certains y réagissent avec nervosité, d’autres en se disant : « Mais après tout, c’est bien ce que nous voulions, non ? » Que quelque chose de ce genre se crée. Bien sûr, il y a des choses qui ne nous plaisent pas, qu’on n’aime pas, il y a eu des combines, je peux le reconnaître, mais dire que tout cela serait exclusivement lié à la droite ou à notre gouvernement, ça, je ne peux pas l’accepter. Car ces trente-cinq années doivent être considérées comme un processus global. Je ne veux pas citer de groupes capitalistes ni de familles, liés à la gauche et qui ont émergé à l’époque des gouvernements de gauche, parce qu’Ákos Hadházy vit de cela, pas moi, mais tout cela est là, sous nos yeux. La question est de savoir comment nous y réagissons : voulons-nous instaurer une dîme ou un impôt sur la fortune, ou je ne sais quelle taxe, à la lumière de ce que nous voyons ? Moi, je nous mettrais en garde contre cela.
Gábor Gavra : La question ici, c’est par exemple ce qui s’est passé lorsque, disons, vous et Lajos Simicska vous êtes fâchés, ou brouillés, et…
Je n’ai connaissance de rien de tel. Ah oui ?
Gábor Gavra : Deux…
Je ne me suis fâché avec personne.
András Hont : Vous avez pourtant dit, au sujet de Lajos Simicska, je cite : « c’est regrettable de voir jusqu’où un homme peut s’abaisser ».
Oui, mais…
András Hont : On ne peut pas vraiment appeler ça un compliment.
C’est vrai. Mais une dispute, c’est quand on est face à face. Vous comprenez ? Moi, je ne me suis fâché qu’avec très peu de personnes dans toute ma vie, car, très souvent, ma réaction, c’est plutôt de me lever et de partir. Pourquoi chercher les ennuis ? Se fâcher avec moi n’est pas chose facile, voilà ce que je veux dire.
Gábor Gavra : Les hommes politiques appellent ça du « juridisme », je crois. Autrement dit, ce n’était pas une dispute, mais autre chose, entre vous et M. Simicska.
Une rupture. Une rupture, disons.
Gábor Gavra : Une rupture.
András Hont : Et depuis, vous ne vous êtes plus parlé ?
Disons plutôt un éloignement. Vous savez, c’est une histoire qui remonte à l’adolescence.
Gábor Gavra : Oui, à l’époque du lycée.
Bien sûr, nous étions au même lycée, à Székesfehérvár. Pas dans la même classe, car Lajos avait deux ans d’avance sur moi. Lui était dans la classe « d », moi dans la classe « b ». Les « b » faisaient de l’anglais renforcé, les « d » suivaient le programme général, si je ne me trompe pas. Mais nous allions ensemble aux matchs du Videoton, et j’ai beaucoup appris de Lajos. Il y a même eu une période où nous avons préparé ensemble le concours d’entrée à l’université. À ce moment-là, il avait eu un accident de moto, et j’allais régulièrement chez lui pour revoir avec lui les sujets d’histoire nécessaires pour entrer à la faculté de droit. Donc oui, il y a là un vieux lien, important, qui remonte à la jeunesse. Je n’ai aucune envie de le salir, ni de le nier, ni de le réécrire. Peu importe ce qui s’est passé après, je ne veux pas réécrire cela, car c’est une très belle période de ma vie. Pas à cause de Lajos en particulier, mais parce qu’à 18 ans, on accumule beaucoup de beaux souvenirs. Puis les choses ont évolué comme elles ont évolué. Lajos a été, selon moi, un entrepreneur et un capitaliste très prospère de cette époque dont nous parlons, ces trente dernières années…
András Hont : Là, c’est la partie de la conversation où l’on s’éloigne un peu du sujet, ce qui est normal, car une discussion, c’est aussi cela. Mais Lajos Simicska…
Nous n’allons pas rester au garde-à-vous.
András Hont : Non, c’est vrai. Et si Lajos Simicska est apparu dans la conversation un peu par hasard, permettez-moi de vous demander : vous n’avez plus parlé depuis ?
Non. Mais il est arrivé que…
Gábor Gavra : D’accord. Alors, lorsque la rupture est survenue…
Oui, je veux simplement dire que ce serait gâcher l’histoire, vous comprenez ? L’essentiel de cette histoire reste une belle histoire.
Gábor Gavra : Donc, vous ne vous parlez plus, point.
Si nous reprenions contact, cela gâcherait tout. Dans ces cas-là, il faut laisser les choses en l’état.
Gábor Gavra : Bon, je crois qu’on peut tourner la page sur le fait que Viktor Orbán et Lajos Simicska ne se sont plus parlé depuis 2015. Mais entre 2015 et 2018, quand Lajos Simicska a pris position contre nous et, disons-le, s’est rangé derrière le Jobbik dans la vie politique hongroise, vous étiez très sensibles à l’idée que le Jobbik devienne, en quelque sorte, le mercenaire de Lajos Simicska. Cela soulève une vraie question, et d’ailleurs, nous en avons discuté avec András Schiffer, qui, en tant qu’homme de gauche, y est particulièrement attentif : quelle est la bonne distance entre un homme politique et un grand capitaliste ?
C’est une question importante.
Gábor Gavra : Je pense aussi que c’est une question importante. Ce soir même, au moment où nous enregistrons, il y aura et, lorsque nos spectateurs verront l’entretien, il y aura déjà eu, le match Hongrie–Portugal. La semaine dernière, en revanche, vous êtes allé voir Irlande–Hongrie à bord de l’avion privé de l’entreprise de Sándor Csányi.
Oui, à l’invitation du président de la Fédération hongroise de football (MLSZ), sur son avion et en sa compagnie. Comme je l’ai toujours fait.
Gábor Gavra : Oui, et le Centre d’information du gouvernement a confirmé que vous aviez agi conformément à l’usage.
Mais il y a eu un grand débat au Parlement hongrois pour savoir si le Premier ministre devait ou non accepter ce type d’invitation. Une commission s’est penchée sur la question…
Gábor Gavra : C’est justement ce que nous voulions soulever.
Oui. Mais la commission a décidé que c’était acceptable. Donc j’agis en accord avec l’approbation du Parlement hongrois.
Gábor Gavra : Mais lorsque le président de la MLSZ, M. Csányi, qui est aussi l’un des Hongrois les plus riches, vous invite à un match…
Oui ?
Gábor Gavra : …et qu’il invite, qui plus est, le Premier ministre…
András Hont : L’un des deux plus riches, en fait.
Gábor Gavra : …cela veut-il dire que c’est M. Csányi qui paie, ou bien que le Premier ministre participe à la dépense ?
Dans ces cas-là, c’est l’État hongrois qui prend en charge mon voyage. Comme j’y vais sur invitation de la MLSZ, le gouvernement rembourse la Fédération – du moins, c’est ainsi que cela se passe, à ma connaissance. Et cela se passe ainsi parce que le Parlement, après avoir débattu de cette question en bonne et due forme, a adopté une décision fixant la manière de gérer ces situations. Donc, si c’est ainsi, c’est parce que je respecte ce que le Parlement a décidé.
Gábor Gavra : C’est donc cela, la distance…
Mais pour être honnête, j’ai quand même payé quelque chose : j’ai perdu au jeu de cartes « ulti ». En général, on joue à l’ulti, et cette fois-ci, j’ai perdu.
Gábor Gavra : Très bien. Mais cette distance entre le Premier ministre de Hongrie et l’un des Hongrois les plus riches, qui est aussi président de la Fédération hongroise de football… Ce n’est pas seulement une question de conformité aux lois. Est-ce que cela correspond aussi au goût personnel d’Orbán Viktor, qui se dit « plébéien » ?
Bien sûr. Je crois qu’il y a un malentendu. Dans tous les pays, le Premier ministre connaît personnellement les grandes fortunes nationales. Il y a peut-être une taille au-delà de laquelle ce n’est plus possible, sans doute que le président des États-Unis ne peut pas connaître personnellement tous les riches Américains, même s’il le souhaiterait, évidemment. Donc, quand on parle de distance, cela ne veut pas dire qu’on fait semblant de ne pas se connaître, comme si nous n’avions jamais joué aux cartes ensemble, jamais assisté ensemble à un match, jamais grandi dans le même village, jamais fréquenté le même lycée. Celui qui veut faire croire cela est un imbécile. La vie a un ordre naturel. Je connais, je pense, pratiquement tous les grands capitalistes hongrois. Je sais qui ils sont.
Gábor Gavra : Moi aussi.
J’ai des relations personnelles avec eux. Mais c’est une chose. Ce dont nous parlons, c’est que les capitalistes, quand ils font des affaires, regardent leur propre intérêt. C’est pour cela qu’ils sont hommes d’affaires. Quand moi je fais de la politique économique, je regarde l’intérêt général, le bien commun, l’intérêt total des Hongrois pris ensemble : comment le servir au mieux. Eux s’occupent de leurs affaires ; moi, de politique économique. Et je ne me mêle jamais d’affaires privées. Je refuse de discuter avec qui que ce soit d’une question qui consisterait à savoir comment « gagner de l’argent » sur tel ou tel dossier. On peut me parler de fiscalité, de politique économique, de développement – cela, ce sont des questions de politique économique. Mais faire des affaires avec moi, ce n’est pas possible. Personne n’y est jamais parvenu, et personne n’y parviendra.
András Hont : Enfin, vous avez bien gagné un peu à l’ulti.
Moi, j’ai perdu cette fois-ci.
Gábor Gavra : Et qu’en est-il de l’indépendance des décisions politiques par rapport aux grands capitalistes, ceux qui partagent souvent le même espace que vous ?
Prenons un exemple concret. Si vous regardez l’histoire de l’OTP (banque), vous verrez que j’ai pris de nombreuses décisions, et le gouvernement aussi, qui ont aidé les banques hongroises. Mais j’ai aussi pris des décisions qui ne les aidaient pas, parce que je les ai ponctionnées, parce que je les ai taxées.
András Hont : Vous avez évoqué à Kötcse la taxe sur les transactions.
Exactement. Par exemple, la taxe bancaire. Vous pouvez bien imaginer que Sándor Csányi n’a pas sauté de joie à cause de cette taxe. Ou encore : si vous regardez le rapport annuel de l’OTP, il me dit toujours : « Cher Viktor, si tu regardes, tu verras que nos bénéfices viennent de l’étranger, parce qu’en Hongrie tu nous imposes à outrance. » Mais malgré cela, la banque doit payer l’impôt, même si je me trouve dans le même avion que lui. C’est pourquoi je répète : avec moi, on peut parler de politique économique, mais personne n’a jamais fait de business avec moi, et personne n’en fera, car je tiens à cette indépendance, horribile dictu, à cette intégrité, qui est en réalité l’essence même de ce gouvernement.
András Hont : Très bien.
Nous sommes incorruptibles, intransigeants, parfois même un peu obstinés : peu importe combien d’argent circule autour de nous, ou qui est assis ici ou là, nous ne céderons pas. La politique économique doit, dans son ensemble, servir l’intérêt collectif des Hongrois. Et là, pas d’exception, pas de privilège selon la personne : cela s’applique à tout le monde.
András Hont : Pour ma part, je préférerais parler des impôts et…
C’est une question très importante. Nous sommes partis de là : de la manière dont nous devons nous situer…
Gábor Gavra : …de la façon dont on peut garantir l’indépendance de la politique.
Et plus généralement : aujourd’hui, il y a de grandes fortunes, c’est de cela que nous avons commencé à parler. Dans un système fondé sur la propriété privée, il y aura toujours de grandes fortunes. Selon moi, l’indépendance et l’intégrité de la politique, et du Premier ministre en particulier, qui sont la condition préalable de l’indépendance et de l’intégrité du pays tout entier, ne peuvent être garanties que de la façon dont je le fais.
András Hont : Je comprends. En fait, je voulais introduire ma question en précisant que je préférerais parler de questions structurelles…
Gábor Gavra : C’est bien ce par quoi nous avons commencé, finalement.
András Hont : …par exemple de la situation des Hongrois. Mais non, il suffit d’une phrase et ce sont des histoires vieilles de plus de vingt ans qui refont surface. Je comprends donc qu’on ne puisse pas parler d’affaires avec vous. Mais alors, comment faut-il interpréter la phrase : « Il ne faut pas que ce soit nous qui gagnions le plus » ? Je veux parler de l’affaire de Tokaj, il y a plus de vingt ans…
Vous savez, cette phrase renvoyait à un dilemme : si un Premier ministre possède des biens, par exemple agricoles, ou une participation dans une exploitation, il a droit à certaines subventions agricoles. Les aides à l’hectare, par exemple. Non seulement lui, mais tous ceux qui remplissent les critères. Et là, il faut être très attentif : il ne faudrait pas que, même de manière parfaitement légale, le Premier ministre finisse par être celui qui touche le plus de subventions. Car dans ce cas, personne ne croira que ce n’est pas parce qu’il est Premier ministre. Il faut veiller à cela. Mais bien sûr, le mieux est encore de ne pas avoir de telles propriétés. C’est pourquoi j’y ai mis fin.
András Hont : Monsieur le Premier ministre, sachez que, de toute façon, personne ne vous croit là-dessus. Peut-être que moi, vous pourriez encore me convaincre, ici, à cette table…
Je n’essaie de convaincre personne, car l’intégrité d’un homme ne dépend pas du fait qu’on le croie sur parole. Je serais bien sûr ravi que l’on croie ce que je dis, mais il est impossible dans une démocratie que tout le monde croie ce que dit le Premier ministre, et plus on aborde des questions proches de la vie privée, moins les gens y croient. En Hongrie, il existe une certaine représentation de ce qu’est la politique, de ce qu’est la corruption, de ce qu’est la combine. Il y une idée reçue. Je ne peux pas la changer, mais je ne veux non plus m’y plier. J’ai une position claire, de principe, et je me comporte en fonction de cela. Autrefois, on croyait que la Terre était plate. Eh bien, soit ! Comment dire ? Il y a certaines choses que vous ne pouvez pas rendre dépendantes du fait que les gens y croient ou non. C’est comme ça, un point c’est tout. C’est comme je le dis. Même si vous ne le croyez pas, c’est ainsi. Si toi, András, ou vous, vous ne me croyez pas, cela n’y change rien : c’est ainsi. C’est ce que j’appelle l’intégrité.
András Hont : Puisque vous parlez de Terre plate, cela me fait penser aux subventions des domaines Laposa. Mais n’ouvrons pas ce sujet maintenant. C’était notre rubrique de jeux de mots affligeants.
Gábor Gavra : Passons aux questions d’impôt sur le revenu.
András Hont : Très bien.
Gábor Gavra : …ou passons à la question de la « mafia des huissiers ».
András Hont : Je voudrais parler des impôts.
Ce sont des questions importantes. Arrêtons donc ici cette discussion, sur la capacité de la société hongroise à accepter ou non le passage d’un état où « personne n’avait rien », ou seulement des biens personnels, à une société moderne fondée sur la propriété privée…
András Hont : Nous pouvons continuer à en discuter, mais…
où une part de la réussite se mesure en argent, où il y a des riches, des plus pauvres, une classe moyenne. La question est de savoir comment les gens perçoivent cela : qu’est-ce qui leur semble juste, qu’est-ce qui leur semble acceptable ou non. À mon sens, c’est une question clé. Mais peut-être est-ce davantage une question pour les philosophes ou les analystes que pour les politiques…
Gábor Gavra : Mais il y a un aspect pratique. Venons-en à cela, car c’est une partie essentielle : dans quelle mesure l’État est-il capable de protéger ses citoyens, ceux qui, à un moment donné, après la transition ou même après 2010, se sont sentis vulnérables face au marché ou à certains abus. Je propose donc que nous parlions un peu des huissiers.
András Hont : C’est exactement ce que je voulais dire.
Des huissiers ?
András Hont : Oui, des huissiers.
Gábor Gavra : Parce que, si je me souviens bien, vendredi dernier, ici même dans ce studio, László Toroczkai, président du mouvement Mi Hazánk (Notre Patrie), a affirmé que les enregistrements audios parvenus à son parti, dont une partie a déjà été rendue publique, démontreraient que la figure centrale de la « mafia des huissiers », qui est aujourd’hui poursuivie en justice, n’était pas György Schadl, ni même Pál Völner, mais un ministre, qu’il n’a pas encore nommé. Avez-vous connaissance, que ce soit par Mi Hazánk ou par d’autres sources…
Pardon ! M. Toroczkai est député, et je le considère par ailleurs comme un homme courageux. Alors, qu’il sorte les cartes ! Qu’est-ce que c’est que ce mystère, cette manière de faire à la Hadházy ? Qu’il dise de qui il s’agit ! Allons, qu’on entende son nom !
András Hont : Nous ne le savons pas.
Moi non plus.
András Hont : Donc, ce n’est pas la peine…
Gábor Gavra : Je lui ai moi-même posé la question.
Et qu’a-t-il répondu ?
Gábor Gavra : Qu’ils rendraient le nom public, mais qu’il ne pouvait pas encore le révéler.
András Hont : Mais le fait est que c’est encore un de ces sujets où l’air devient brûlant. Puisque nous parlions de fortunes, et de la manière dont la société y réagit…
Gábor Gavra : C’est au moins la deuxième fois que « l’air brûle ».
András Hont : Oui. Mais comment la société réagit-elle ? Car ce n’est pas tant l’existence de la richesse en soi, que l’idée qu’elle procure une existence au-dessus des lois. Et ça, c’est une expérience vécue au quotidien. Et les huissiers…
Non, non. Ne poursuivons pas dans ce sens, et ne l’acceptons pas ! Il ne faut en aucun cas hausser les épaules en disant : « si tu es riche, tu es au-dessus des lois ». C’est inacceptable ! C’est impossible ! On ne peut pas vivre dans un tel monde. On doit vivre dans un monde où tu peux raisonnablement penser que ton succès dépend fondamentalement de tes propres performances. Et si ce n’est pas le cas, parce que d’autres se trouvent au-dessus des lois, alors tu ne te sentiras pas bien dans ton pays. Donc, n’acceptons pas cela ! S’il y a un tel problème, combattons-le ! Ne le balayons pas d’un haussement d’épaules à la manière d’un vieux réflexe communiste ou de Gyula Horn : « et alors ? » Ne faisons pas cela ! Si nous pensons que c’est un problème, nous devons le résoudre.
András Hont : D’accord. Mais c’est précisément ce qui rend la question des huissiers si explosive, si irritante.
Je ne le pense pas.
András Hont : …parce que si je ne peux pas payer, je suis expulsé de mon logement, on me prend ma voiture, et pendant ce temps je vois que…
Je ne veux pas donner l’impression de connaître les détails quotidiens des procédures d’exécution, certainement pas. Mais je sais qu’il y a de vifs débats sur la question. Et ces débats arrivent devant le Parlement sous la forme suivante : faut-il que le système des huissiers fonctionne sur une base privée, ou faut-il qu’il soit étatique ? Avant il a été comme ci, aujourd’hui il est comme ça. Je pense que c’est un bon débat, un débat sensé.
Gábor Gavra : Par exemple, vous-même avez déjà eu ce débat avec László Toroczkai.
Oui, et c’est un débat légitime. On peut poser la question, et on peut la discuter. Je ne dis pas que la solution actuelle est forcément la meilleure. Je dis seulement : discutons-en de manière constructive. Et si une proposition de changement se présente, eh bien, changeons. Fondamentalement, il y a aussi des luttes d’intérêts, évidemment, car il s’agit d’un business. L’exécution est une activité économique qui génère un certain profit. Et puisque c’est l’État qui délivre les autorisations, ce n’est pas n’importe qui qui peut devenir huissier, il y a un cadre.
Gábor Gavra : Eh bien, il…
Tu obtiens la qualification, et cela devient une opportunité commerciale : ceux qui ont reçu cette habilitation participent au marché, les autres non. Donc, ces débats qui agitent la profession sont souvent aussi motivés par des intérêts financiers personnels. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas les prendre au sérieux. C’est un débat important, qu’il faut mener. Moi, je ne prête pas serment pour l’une ou l’autre des solutions.
Gábor Gavra : C’est intéressant. Pour deux raisons. D’abord, si l’on admet qu’il n’y a pas, au-dessus de Pál Völner, de responsable gouvernemental impliqué dans cette affaire…
Et là aussi, nous devons attendre le jugement, car pour l’instant, il n’y en a pas.
Gábor Gavra : Oui, nous attendons le jugement du tribunal.
András Hont : En fait, croyez-vous en son innocence ?
Je suis… comment dire ? … aveugle dans cette affaire. Je n’ai vu que ce qui ressortait des débats politiques. Moi aussi, j’attends la décision du tribunal.
Gábor Gavra : D’accord.
Et j’accepterai bien sûr le verdict du tribunal.
Gábor Gavra : Même si Pál Völner est reconnu coupable ?
Eh bien, que voulez-vous que je fasse ?
Gábor Gavra : Très bien. Donc, une chose est sûre : l’affaire est allée jusqu’au point où le parquet a inculpé votre ancien secrétaire d’État au ministère de la Justice. C’est une partie de l’affaire.
Oui, et qui plus est, mon ancien camarade d’université.
Gábor Gavra : Exactement !
Donc la douleur est double.
Gábor Gavra : Exactement !
Oui, c’est non seulement une affaire politique, mais aussi personnelle.
Gábor Gavra : Et d’un autre côté, votre position sur la question des huissiers, faut-il un système à but non lucratif ou basé sur le profit, a-t-elle évolué dans un sens précis ?
Ce n’est pas figé. Pour moi, c’est une question pratique. Je laisserais les experts formuler des propositions, et à partir de là, choisissons la meilleure solution, éclairée par l’expérience. Cela peut être l’un ou l’autre. Je ne suis attaché ni à la version sans profit, ni à la version profit.
Gábor Gavra : Mais justement, le fait que ce soit l’État qui délivre les licences et choisisse les huissiers, c’est ce qui a ouvert la voie, si le parquet a bien reconstruit les faits, à toute cette…
Oui, mais vous savez, il existe beaucoup d’autres professions de ce type. Il s’agit donc d’un réel…
Gábor Gavra : …à toute une série de délits.
Oui, c’est un problème bien réel. Il y a des activités économiques dont l’exercice est soumis à une autorisation étatique. Et cela comporte forcément un risque, celui que vous évoquez : le risque d’abus d’influence. Pour les notaires, par exemple, c’est aussi l’État qui délivre l’autorisation d’exercer. Pour certaines activités commerciales liées à l’industrie de défense, c’est également le cas. Cela va de pair, naturellement, avec l’existence d’un État moderne. Il faut donc des règles claires, de la transparence. Et si quelqu’un franchit les limites de la loi, il faut immédiatement en tirer les conséquences et le sanctionner. N’abandonnons pas cette exigence ! Ne haussons pas les épaules en disant que, de toute façon, « ça ne sera jamais ainsi ». Non, nous devons le vouloir, et y tendre. Et moi, en tant que Premier ministre, je dois être tenu pour responsable si cela n’est pas respecté. Pas parce que j’y serais impliqué personnellement, je ne le suis pas, mais parce que si cela se passe dans mon dos, alors la responsabilité politique doit retomber sur le gouvernement et sur le Premier ministre. C’est l’ordre juste des choses.
András Hont : Plusieurs personnes tentent de le faire.
Enfin, nous venons de parler de ceux qui seraient au-dessus des lois. Eh bien, justement, un de mes anciens camarades d’université, qui fut par ailleurs secrétaire d’État dans mon gouvernement, se retrouve aujourd’hui devant un tribunal. Je ne le vois pas tellement au-dessus des lois, pour le coup.
András Hont : C’est vrai, cela le confirme plutôt. Mais attendons quand même le verdict de la justice, et voyons où tout cela aboutira.
Gábor Gavra : Et attendons aussi, bien sûr, de voir si le parti Mi Hazánk balance éventuellement de nouveaux noms.
András Hont : Le problème, c’est que je ne peux pas esquiver la question, même si je change un peu de sujet. Dans une interview récente, vous avez parlé de Judit Varga. Vous avez dit qu’elle avait des qualités de Premier ministre. Vous êtes même allé jusqu’à dire que si vous aviez été son mari, Judit Varga serait aujourd’hui Premier ministre. Donc sa femme ou son mari ? Son mari. Oui, son mari, et dans ce cas, Judit Varga…
Vous voyez, dans le monde moderne, on s’y perd déjà… Oui ?
András Hont : Oui, oui, c’est vrai. C’est comme le problème des femmes de footballeurs…
Oui, oui.
András Hont : …ça brouille l’image. Mais donc, Judit Varga serait déjà Premier ministre. Je n’ai vraiment pas envie de charger quelqu’un qui a chuté, surtout dans une affaire aussi pénible. Ce n’est pas mon intention de l’accabler. Mais il faut reconnaître que cela ne donne pas un excellent témoignage de ses capacités que, dans deux dossiers différents, des choses très sérieuses se soient passées dans son ministère à son insu. D’un côté, il y a l’affaire Pegasus, où elle dit ne pas savoir qui avait signé quoi. Et de l’autre, il y a ce dossier des huissiers, selon lequel…
L’affaire Pegasus, c’est tout à fait autre chose. C’est un dossier juridiquement encadré de façon très stricte, dans lequel, à mon avis, la ministre de la Justice n’avait aucune responsabilité directe. Le fonctionnement du gouvernement définit très précisément quelles autorisations sont nécessaires pour les activités des services de renseignement, et quel organe ou quelle personne est compétente pour les délivrer. C’est désigné à l’avance. La responsabilité incombe à celui qui est désigné, pas à son supérieur. Et en l’occurrence, ce n’était pas la ministre, mais son délégué. Je crois que c’est encore le cas aujourd’hui. Donc je pense que Judit n’y a aucune part de faute. Dans l’affaire des huissiers, il y avait un partage de compétences : c’était uniquement le secrétaire d’État qui devait en assumer la responsabilité. En ce qui concerne le travail de Judit, son parcours peut bien sûr prêter à des critiques, comme le nôtre à tous, nul n’est parfait et la politique est un métier extrêmement difficile. Mais je maintiens ce que j’ai déjà dit : il y a, en politique comme au football, des joueurs formés et des joueurs nés pour ça. Tu les vois sur le terrain : certains ont appris le jeu, d’autres sont nés avec ce talent. C’est la même chose en politique. Il y a des politiciens nés pour cela, et il y a ceux qui apprennent et qui deviennent bons. Et Judit appartient à cette seconde catégorie : c’est une femme qui possède une personnalité et des capacités qui montrent qu’elle est née pour cela. Elle a toujours été, et elle reste, un talent donné par Dieu.
András Hont : C’est vrai que la question des huissiers est intéressante de ce point de vue, parce que les événements et les personnages s’y concentrent de manière assez piquante.
Le ministère de la Justice, qu’on sous-estime en général, ne reçoit pas assez d’attention. Et pourtant, on y mène un travail…
Gábor Gavra : Sous l’ère de Judit Varga, en tout cas…
András Hont : On ne peut pas dire que ce ministère ait manqué de visibilité, mais…
On y mène un travail extrêmement important…
András Hont : Monsieur le Premier ministre…
Oui, mais je veux dire que là-bas, il y a des tâches d’une complexité énorme. Surtout avec les procédures européennes liées à l’État de droit : il faut défendre le système juridique hongrois, la constitutionnalité, dans plusieurs langues, dans un environnement hostile et face à des adversaires redoutables. Très peu de personnes que j’ai vues dans ma vie, j’en ai vues, mais très peu, ont accompli cela avec l’efficacité et l’élégance de la ministre.
Gábor Gavra : Quand vous dites que Judit Varga est un talent inné en politique, très bien, vous la connaissez. Mais diriez-vous qu’elle a réussi en tant que ministre de la Justice, alors même que…
Elle n’a pas réussi. Si elle l’avait été, elle serait toujours en fonction. C’est bien là toute la tragédie : être talentueuse, et pourtant ne pas avoir réussi.
Gábor Gavra : Oui, mais ce qui l’a poussée hors de la politique, ce n’était pas l’action de son ministère, mais l’affaire des grâces présidentielles. C’est aussi ce qui a empêché qu’elle devienne tête de liste du Fidesz aux européennes en 2024. Mais les deux dossiers évoqués par András, indépendamment de savoir si, dans l’affaire Pegasus, c’était ou non à son niveau que les décisions étaient prises…
Mais l’affaire Pegasus était parfaitement régulière. Aucune irrégularité.
András Hont : Oui, mais il y a eu des déclarations du type…
Rien à lui reprocher.
« Je ne savais pas ce que je signais », ou « Je n’étais pas informée de ce dont j’aurais dû l’être ». Et pour les huissiers, revenons-y un instant, parce que l’histoire est vraiment piquante : il ne s’agit pas seulement de savoir ce qu’un ministre de la Justice sait ou non, ou des partages de compétences. Moi, j’ai relu le règlement sur la nomination des huissiers judiciaires. Il y a une phase de pré-sélection, avec un représentant du Bureau national de la justice, qui peut être le président ou le vice-président.
Et il y a également un système de points.
András Hont : Et à l’époque, qui était le vice-président ? La belle-mère du ministre de la Justice !
Ah !
András Hont : Exactement, donc la mère de…
Exactement, donc la mère de Péter Magyar.
András Hont : Oui, oui.
Je ne la connais pas, je ne sais pas quelles sont ses compétences de juriste.
András Hont : Mais tout de même, c’est arrivé littéralement à quelques bureaux de distance, et je trouve ça très étrange.
Quelqu’un qui travaille dans l’administration, comme moi, n’est pas vraiment surpris par ça. Il y a un comité, un système de points, puis un secrétaire d’État qui doit signer et valider. À mon avis, là non plus, Judit n’a pas de responsabilité.
András Hont : Et puis, après tout ça, son mari sort dans la rue…
Eh bien, ça, c’est la malchance.
András Hont : …en clamant que tout cela est intolérable.
Eh bien, ça, c’est la malchance d’avoir épousé un tel mari. Eh bien, maintenant…
András Hont : Pardon ?
C’est la malchance d’avoir épousé un tel mari, voilà tout. C’est de la poisse. C’est sa malchance.
András Hont : Ah, la malchance ! Je ne voulais pas débattre de leur mariage, mais de cette situation étrange. Peut-être que je surinterprète…
Oui, ça, c’est de la surinterprétation. Une surinterprétation typique du libéralisme budapestois.
András Hont : Merci beaucoup. Soit.
Gábor Gavra : András, avons-nous encore un sujet « Union européenne » et « Fidesz pourri » ?
András Hont : Non, j’aimerais rester un peu sur la fiscalité. Parce qu’on a l’impression que c’est une sorte d’âge d’or républicain qui s’est abattu sur la Hongrie.
Voyons ça !
András Hont : Je n’ai jamais entendu un Premier ministre hongrois se vanter du fait que chez nous, l’allocation chômage ne dure que trois mois. Ou du fait que nous avons la législation la plus flexible pour les employeurs, donc la moins protectrice pour les salariés. Ce sont typiquement des arguments de républicains américains. Et cela devient un élément central de la campagne électorale, tandis que la « progressivité de l’impôt » devient un gros mot.
Et à juste titre. C’est bel et bien un gros mot.
András Hont : Mais nous parlons là du système fiscal adopté par la majorité des pays du monde.
Oui, mais beaucoup de pays ne font pas les choses correctement. À mon avis, la flat tax est bien meilleure que l’impôt progressif. Et les exemples autour de nous semblent le confirmer. Quant à l’allocation chômage, soyons clairs : après trois mois, on ne laisse pas les gens tomber dans la rue. Ils peuvent aller à la mairie, demander du travail d’intérêt public, et ils en obtiennent, généralement un travail décent. En plus, nous leur proposons également des formations pour les aider à trouver un emploi sur le marché du travail ou à rétablir des conditions de vie. Ainsi, nous ne laissons pas les gens se débrouiller seuls lorsque leurs allocations chômage expirent au bout de trois mois, mais nous souhaitons les aider à ne pas rester au chômage et à revenir vers le travail. Alors oui, peut-être que ça sonne républicain, mais moi j’appelle ça plébéien. Je crois que le mieux, c’est que les gens puissent et veuillent travailler, et qu’ils reçoivent la rémunération qui leur est due. Je ne sais pas si c’est républicain, mais plébéien, ça oui, certainement.
András Hont : Un des éléments de ma question, en citant votre discours, concernait l’allocation chômage, mais vous aviez d’abord évoqué l’impôt à taux unique, puis la réglementation du travail, etc. Le Tisza…
Attendez, parlons-en, justement, de ces règles : de la flexibilité du droit du travail. Moi, je constate que dans beaucoup de pays, soi-disant pour protéger les intérêts des travailleurs, on applique des règles si strictes que cela empêche ceux qui voudraient travailler davantage de le faire. Évidemment, il faut poser des limites : il n’est pas bon que les gens se tuent à la tâche. Mais il n’est pas bon non plus que ce soit l’État qui leur dicte comment, dans quelles conditions, et selon quel système de rémunération ils doivent travailler. Ils peuvent très bien en discuter avec leur employeur et trouver ensemble ce qui leur convient le mieux. Cela reste vrai tant qu’il y a plus d’emplois disponibles que de main-d’œuvre. Et en Hongrie, nous en sommes toujours là : si vous parlez aux entrepreneurs, ils vous diront surtout qu’ils ne trouvent pas assez de travailleurs. Dans ces circonstances, il est préférable de laisser les gens travailler et de les encourager à le faire. Ils ne sont pas menacés par le spectre du chômage. Le vrai danger pour les travailleurs, c’est le chômage. C’est le chômage qui rend les employés vulnérables face aux employeurs. Mais aujourd’hui, on les recherche à la corde, au lasso, pour les embaucher. Donc je pense que les travailleurs hongrois, dans l’ensemble, je ne parle pas des exceptions, ne sont pas du tout dans une position de faiblesse : au contraire, ils reçoivent du soutien, juridique et financier, de la part du gouvernement pour travailler. Nous relevons régulièrement le salaire minimum pour qu’aucun salaire ne tombe en dessous d’un certain seuil. Et je pourrais donner de nombreux autres exemples. Bref, selon moi, tout cela fonctionne correctement.
Gábor Gavra : On entend pourtant souvent, que ce soit de votre part, de celle de vos adversaires ou des commentateurs, qu’il est dommage qu’il n’existe pas en Hongrie de vrais débats de fond, de débats de politique sectorielle, par exemple sur la fiscalité. Moi, pour être franc, ce qui me gêne, c’est quand les influenceurs proches du Fidesz, comme Megafon et consorts, se jettent sur une phrase de Mária Zita Petschnig. La semaine dernière, avec mon collègue Hont, nous avons d’ailleurs noté dans notre émission ÖT que ce qu’elle disait était une évidence. Donc, ce qu’a dit Mária Zita Petschnig, et je comprends qu’elle soit économiste réformatrice, chercheuse en finance, et pour vous, comment dire, au moins…
András Hont : Pour reprendre une expression orbanienne, les économistes libéraux se réjouissent lorsque le sang coule. N’est-ce pas ? C’était quelque chose comme ça. La relation avec elle était controversée et longue, tout comme avec László Kéri, mais quand Mária Zita Petschnig dit: « Celui qui promet une baisse de TVA doit aussi promettre une hausse d’impôts », puis Megafon se rue sur cette phrase pour la déchiqueter, pas physiquement, bien sûr, tandis que le parti Tisza s’en lave complètement les mains, comme si ça ne le concernait pas ; résultat : il est impossible d’avoir un débat sérieux sur la politique fiscale, parce que votre camp comme vos adversaires agissent de cette manière.
Oui, mais selon moi, il ne s’agit même pas d’un débat de politique sectorielle…
András Hont : Alors de quoi ?
La question, aujourd’hui, c’est celle de la crédibilité. Évidemment, on peut discuter du fond, du choix entre un impôt progressif et un impôt à taux unique. C’est une vraie question technique, on peut en débattre sérieusement.
Gábor Gavra : C’est toute la discussion autour de Mária Zita Petschnig, comme si c’était un simple débat technique…
Je reviendrai à elle dans un instant. Mais je maintiens : le problème actuel, ce n’est pas la fiscalité, c’est que l’opposition dit : « Nous ne révélons pas nos intentions, parce que si nous disions ce que nous pensons vraiment faire, nous perdrions les élections. » Ce n’est pas un débat fiscal, c’est une tromperie, pour le dire poliment. L’idée est : « Aujourd’hui, nous ne disons rien, mais après les élections, nous pourrons tout faire. » Voilà ce dont il est question, pas de l’impôt…
András Hont : Je comprends bien que la phrase en question…
Les phrases, oui.
András Hont : …oui, mais cette phrase : « petite victoire, petit changement, grande victoire, grand changement ». n’était pas aussi brutale, mais cela n’a pas non plus révélé toute la vérité.
C’était une formule simple, claire, sans tromperie, et les choses se sont passées comme je l’avais annoncé. Ici, en revanche, il s’agit bien d’une tromperie. On voit le Tisza demander à ses sympathisants de voter, et 80 à 90 % se prononcent pour l’impôt progressif ; puis, le lendemain, ils le nient. Ce n’est pas un débat fiscal, c’est une question de crédibilité, de fiabilité politique.
Gábor Gavra : Monsieur le Premier ministre, en 2010, dans l’ancien système électoral à deux tours, quand vous avez obtenu la majorité des deux tiers, vous n’aviez pas dit un mot sur le fait que vous alliez changer la Constitution unilatéralement, ni sur la réforme électorale. Vous aussi, vous avez gardé le silence sur de nombreux points. Je ne pense pas que vous puissiez reprocher quoi que ce soit au parti Tisza sur ce point, donc…
Ce n’est pas nous, mais tous les Hongrois, bien sûr, on doit taper du poing sur la table face à eux. Comment est-il possible…
Gábor Gavra : On n’a pas tapé du poing sur la table face à vous non plus.
Comment est-il possible, dans une démocratie, d’annoncer en face : « Je ne dis pas ce que je vais faire, parce que si je le disais, je perdrais les élections » ? Alors, pour quoi vote-t-on ? Comment vote-t-on ? On ne peut pas dire que pour l’instant…
András Hont : Mais au fond, vous, vous voteriez pour le Tisza ?
Là, je parle au nom d’un simple citoyen. « Aujourd’hui, nous ne disons rien, mais après les élections, nous pourrons tout faire. » Comment ? C’est un miracle que le ciel ne leur tombe pas sur la tête.
Gábor Gavra : Mais n’est-ce pas parce que Péter Magyar a vu chez vous que cette stratégie marchait ? Simplement, son vice-président est moins habile, il en dit trop haut et trop fort ?
Je ne sais pas si on peut parler d’amateurisme dans le cas du vice-président, mais on ne peut pas traiter les gens ainsi.
Gábor Gavra : Mais vous, vous n’avez pas fait pareil ?
Non, jamais. Ne plaisantez pas.
Gábor Gavra : Vous avez déclaré que la Constitution…
Je n’ai jamais caché quoi que ce soit, ni menti au peuple, sur aucun sujet.
András Hont : Vous aviez pourtant déclaré, lors d’une réception à l’ambassade, qu’il ne fallait pas écouter ce que vous disiez, mais regarder ce que vous faisiez…
Oui, mais c’était dans une conversation avec une Américaine qui ne comprenait pas le hongrois. Je lui ai expliqué que, plutôt que de chercher à comprendre mes paroles sorties de leur contexte, elle devait simplement regarder mes actes, et elle verrait alors ce qui se passait en Hongrie. C’était une remarque à l’intention de l’ambassadrice. Je pense qu’il n’est pas possible de dire aux électeurs : « Je ne vous dis pas ce que je prépare, parce que sinon vous ne voteriez pas pour moi. » Ce serait impensable. Là, ce n’est même plus un problème de démocratie, c’est un problème de civilisation.
Gábor Gavra : Pardon, mais à l’époque, au sein de la direction du Fidesz, personne n’est allé devant les caméras pour dire : « Je ne peux pas révéler nos projets, sinon… »
Parce que nous ne préparions rien qu’il aurait fallu cacher.
András Hont : Pourtant, la réduction des compétences de la Cour constitutionnelle, par exemple, ne faisait pas partie de cette catégorie. Vous affirmiez vous-mêmes que ses décisions étaient déterminantes…
Prenons les choses dans l’ordre ! Ne me faites pas porter ce qui ne m’appartient pas. Oui ?
András Hont : Avant 2010, vous aviez déclaré, quand la Cour constitutionnelle avait rejeté une demande de référendum du Fidesz, qu’« il existe une loi de fer en politique hongroise : c’est la Cour constitutionnelle qui tranche ». Puis, une fois au pouvoir, vous avez finalement quitté cet âge de fer, puisque vous avez supprimé la possibilité pour la Cour de se prononcer sur les questions financières.
Non, non ! Nous ne l’avons pas supprimée, nous l’avons restreinte. Nous avons dit que tant que la dette publique ne descend pas sous un certain seuil, la Cour constitutionnelle ne peut pas statuer sur les questions financières. Mais nous atteindrons ce seuil, nous ferons baisser la dette, et alors la Cour retrouvera cette compétence.
András Hont : À propos, dans quel état se trouve l’économie hongroise ? Puisque nous parlons des impôts… À votre place, je dirais, je ne veux pas donner de conseils à la campagne du Fidesz…
Allez-y, je les accepte volontiers.
András Hont : Très bien. Car quand on promet une baisse d’impôts, on peut répondre : « Cela prouve bien que l’économie n’est pas au bord de l’effondrement. »
Mais bien sûr, c’est absurde de prétendre le contraire…
András Hont : Non, attendez, moi je ne l’affirme pas. Mais si j’étais au gouvernement et que l’opposition arrivait avec des projets de baisse d’impôts, c’est ce que je dirais.
Oui, je pourrais le dire aussi, mais un débat inconsistant sur l’état de l’économie n’a aucun sens.
András Hont : Et à quoi ressemble un vrai débat économique, consistant ?
C’est un débat où l’on parle de faits, voilà ce qui lui donne de la consistance. Or, aujourd’hui, il n’y a pas de débat factuel, seulement des débats de foi : pour ceux qui soutiennent l’opposition, l’économie hongroise s’effondre ; pour ceux qui soutiennent le gouvernement, elle est solide. Mais aucun chiffre n’est avancé, c’est pourquoi ce débat est inconsistant. En période de campagne, on ne peut pas s’attendre à autre chose.
András Hont : Pourtant, en début d’année, vous avez parlé d’un décollage économique. Depuis, la partie de l’opinion publique dont nous parlions tout à l’heure, celle qui sympathise avec l’opposition, dit que cela ne s’est pas produit.
Comment ça, ce n’est pas arrivé ? Excusez-moi, mais ce n’est pas le cas ?
András Hont : Eh bien…
Excusez-moi, que s’est-il passé ? Nous avions annoncé un plan d’action économique pour cette année, en partant de l’hypothèse que les sanctions et la guerre ne bloqueraient plus l’économie hongroise, étant donné que le président américain venait d’entrer en fonction. Il s’est avéré que ce n’était pas le cas, puisque la guerre continue, et j’ai donc dû rééchelonner l’année budgétaire.
Gábor Gavra : Donc vous vous êtes trompés, vous avez été trop optimistes.
Peut-être, mais, excusez-moi, je reviens à la question de la fiabilité, nous faisons tout ce que nous avons annoncé. Simplement, il a fallu décaler de six mois. Le décollage n’a donc pas eu lieu en janvier, mais comme je le dis : la piste était longue et il y a dix millions de passagers dans l’avion, difficile de s’envoler. Mais dès le 1er juillet, toutes les mesures promises, retraites, baisse d’impôts, soutien aux familles, ont été mises en œuvre, ou le seront.
András Hont : Selon vous, à quoi ressembleront les chiffres de croissance du troisième trimestre ?
Je ne sais pas. Peut-être que Márton Nagy pourra le dire, si toutefois, dans la situation économique européenne actuelle, quelqu’un ose encore faire des prévisions. C’est extrêmement risqué. Tout ce que je peux dire, c’est que chaque mesure que nous avons annoncée, et déjà partiellement appliquée, repose sur un fondement économique solide. Même si la croissance n’était que de 1 %, nous pourrions quand même les réaliser.
András Hont : Vous m’aviez dit en avril que vous placiez de grands espoirs dans la présidence de Donald Trump, aussi pour la Hongrie, et que des accords avec les États-Unis étaient attendus pour l’automne.
Certaines choses se sont faites, d’autres restent à venir, pour parler de façon optimiste. Les sanctions à motivation politique ont été levées, et alors que l’économie mondiale est dominée par la volonté des Américains de rapatrier leurs capitaux, voire d’inciter les autres à investir chez eux plutôt qu’en Europe, depuis l’entrée en fonction du président Trump, cinq ou six investissements américains majeurs, de très haut niveau technologique, ont eu lieu en Hongrie. Nous avons donc une coopération avec les Américains qui se traduit par l’apport de capitaux en Hongrie, et non leur retrait. Ainsi, la victoire du président Trump apporte des avantages économiques aux Hongrois, grâce à ces investissements de pointe venus des États-Unis.
Gábor Gavra : Vous parliez tout à l’heure de débats sans consistance, en disant que ceux qui sympathisent avec le gouvernement voient l’économie hongroise debout sur des bases solides, tandis que ceux qui soutiennent l’opposition, disons le Parti Tisza, y voient un effondrement imminent…
Je l’avoue, moi je sympathise avec le gouvernement.
Gábor Gavra : Eh bien, je ne sais pas pour qui le gouverneur de la Banque nationale, Mihály Varga, éprouve de la sympathie…
Pour Karcag. Pour le Karcag SE.
Gábor Gavra : Sans doute. Mais il dit aussi qu’il faut regarder les faits en face : au cours des douze derniers trimestres, le PIB a reculé sept fois, un phénomène comparable uniquement à la période de crise de 2007-2008 après la transition. Ce n’est certes pas un effondrement, mais ce n’est pas brillant non plus…
Bien sûr ! Mais c’est justement ce que je voulais dire : malgré cela, nous avons pu rendre les allocations parentales (GYED, GYES) exonérées d’impôts ; nous avons déjà augmenté de 50 les réductions d’impôts pour les enfants ; à partir du 1er octobre, les mères de trois enfants ne paieront plus d’impôt sur le revenu de toute leur vie ; et nous avons lancé un prêt au logement à 3 % d’intérêt subventionné par l’État. Ce sont des mesures majeures. Pouvoir mettre en place tout cela dans une situation économique aussi difficile que celle que vous venez de décrire, c’est un véritable tour de force de la part du ministre de l’Économie, mettons cela entre parenthèses, mais c’est surtout la preuve qu’il y a une vraie énergie vitale dans ce pays. Même avec la croissance telle que l’a décrite le gouverneur de la Banque nationale, la Hongrie est capable de tenir ces engagements. Quelle force de vie dans ce pays ! Comme je le disais, je me range du côté du gouvernement : je pense que l’économie hongroise repose sur des bases solides.
András Hont : Et, selon vous, cette solidité pourra-t-elle se maintenir à long terme ?
Que pouvons-nous dire à ce sujet ? C’est une question difficile. Tout ce que je peux dire, c’est que les mesures que nous mettons en place dans les mois à venir, nous pouvons les réaliser avec les performances actuelles de l’économie. Mais combien de temps encore on pourra continuer à lancer de nouveaux programmes, cela dépend en grande partie de l’évolution de la guerre. Car la guerre et les sanctions freinent la croissance européenne, y compris la hongroise. Si nous pouvions nous libérer de l’une et des autres, et c’est mon objectif, les perspectives de croissance de l’économie hongroise s’amélioreraient immédiatement et considérablement.
András Hont : Vous avez d’ailleurs abordé ce sujet dans votre discours à Kötcse : vous avez dit que cette guerre, ce sont les Russes qui l’ont gagnée.
Oui, c’est bien ma position.
András Hont : Mais quand quelqu’un gagne une guerre, en général, celle-ci s’achève. Qu’est-ce qui empêche donc qu’on en vienne à la paix, qu’elle soit bonne ou mauvaise selon le camp ?
Pour quel club êtes-vous supporter, András ?
András Hont : Du Vasas, évidemment.
Si vous étiez supporter du Fradi, vous sauriez déjà la réponse. « Encore, encore, ce n’est jamais assez ! » C’est la nature de la guerre : même quand on gagne, on continue. Or, aujourd’hui, les Russes sont en position de force.
András Hont : Donc cela signifie que… ?
Que notre intérêt est de les arrêter le plus vite possible.
András Hont : Mais les Russes ne vont pas s’arrêter, puisqu’ils exigeraient même d’aller au-delà de l’Ukraine occidentale.
La vraie question, c’est : comment les arrêter ? Selon moi, il n’y a qu’une façon : par un accord. Il faut négocier avec eux. À mon avis, ce qu’il faudrait, c’est un grand accord européen–russe, qui dépasse la seule question ukrainienne, qui intègre aussi des enjeux économiques majeurs et des garanties de sécurité. C’est la seule manière de les contenir. Militairement, nous n’y arriverons pas. Sur le front, ce n’est pas possible : seule la diplomatie peut fonctionner.
András Hont : Ce qui voudrait dire…
Tous les experts militaires qui ont écrit ou parlé récemment du conflit sont d’accord : la victoire militaire russe, qui, selon moi, est déjà acquise, ne pourrait être inversée que si les Occidentaux envoyaient des troupes par centaines de milliers. Ce serait un pas vers une troisième guerre mondiale, aux conséquences incalculables. Et personne n’en veut vraiment. Donc la solution ne peut pas être militaire, uniquement diplomatique.
Gábor Gavra : Oui, mais la diplomatie…
C’est précisément ce que tente aussi le président Trump.
Gábor Gavra : D’accord, mais sur près de vingt ans, la Russie s’en est prise à plusieurs de ses voisins : la Géorgie en 2008…
C’est une histoire controversée.
Gábor Gavra : Oui, Moscou a occupé ses régions autonomes, mais du point de vue du droit international…
La question est de savoir qui avait attaqué le premier.
Gábor Gavra : …la Géorgie tentait de reprendre ses territoires, et les Russes y sont entrés.
Le résultat a été pire qu’avant.
Gábor Gavra : À l’époque, vous n’aviez pas ménagé les dirigeants russes…
C’est exact.
Gábor Gavra : …concernant cette question. Puis, en 2014, il y a eu l’Ukraine. L’autre jour, dans l’émission Ring, l’ambassadeur Simonyi a qualifié Donald Trump d’homme d’État, ce qui m’a surpris venant de lui.
Je pense également que c’est une belle performance de sa part.
Mais dans le même temps, il a traité Angela Merkel et les dirigeants européens d’alors de traîtres, parce qu’ils avaient conclu les accords de Minsk avec les Russes. Selon lui, cela n’a jamais amené de paix durable. Et j’ai l’impression que vous proposez aujourd’hui quelque chose de semblable.
Vous voyez juste, c’est effectivement une démarche similaire que je préconise.
Gábor Gavra : Mais n’est-ce pas, dans le fond, nourrir sans cesse un prédateur insatiable ?
Non, car en réalité, c’est nous qui sommes les plus forts. C’est là tout le paradoxe : on parle de la Russie comme d’un prédateur… Quel adjectif avez-vous utilisé ? Un prédateur comment ?
Gábor Gavra : Un prédateur insatiable.
En réalité, c’est nous qui sommes les plus forts. M’OTAN est infiniment plus puissant que la Russie. Et même sans les Américains, nous Européens seuls, nous sommes plus forts que la Russie.
Gábor Gavra : Très bien, mais alors, pourquoi ne faisons-nous pas usage de cette force ? Personne, aucun esprit sensé, ne veut d’une troisième guerre mondiale. Mais si nous sommes les plus forts…
Oui ?
Gábor Gavra : …Alors pourquoi ne faisons-nous pas usage de cette force et pourquoi… ?
Je suis d’accord avec vous. Exactement, c’est bien la question. Et ma réponse, c’est parce que nous sommes bêtes, parce que l’Europe est mal dirigée. Nous sommes plus forts, mais comme nous ne voulons pas nous battre, la seule manière d’exercer cette supériorité, c’est à la table des négociations. Si nous sommes les plus forts, mais que nous ne souhaitons pas nous battre, telle est la situation, alors cette force…
Gábor Gavra : Le partage de l’Ukraine est-il une démonstration de force ?
…alors cette force ne peut être exercée que lors de négociations. Or, si nous refusons de négocier, alors notre avantage ne sert à rien, et c’est le plus faible qui avance. Dans une telle situation, il n’y a qu’une chose à faire : prendre l’initiative. À chaque Conseil européen, je répète que ce sont les Européens, en premier lieu les Allemands et les Français, qui devraient ouvrir des pourparlers avec Moscou. Pas besoin d’aller frapper à Washington pour chuchoter à l’oreille du président américain : l’Europe n’y gagnera rien.
András Hont : Et selon vous…
En tant qu’Européens, nous devons négocier avec les Russes en notre propre nom, en étant conscients de notre force. Il faut leur dire : « Messieurs, toutes les cartes sont sur la table, nous voyons ce que vous pouvez faire, vous voyez ce que nous pouvons faire, mettons-nous d’accord.
András Hont : Mais pour négocier, il faut deux parties. Et il faut au minimum un peu de fiabilité, un minimum de confiance, pas seulement en politique intérieure.
Je comprends, mais on ne fonde pas une politique étrangère sur la parole donnée.
Gábor Gavra : Surtout dans ce cas précis.
András Hont : Mais alors, que peut-on dire de Vladimir Poutine ?
Il faut s’appuyer sur un équilibre des forces. La politique étrangère doit se construire sur l’équilibre des forces.
András Hont : Mais alors, de Vladimir Poutine, quelles garanties peut-on obtenir pour qu’il respecte un accord de paix ?
l ne s’agit pas de lui, mais de la Russie dans son ensemble. Ce qu’il faut, ce sont des garanties qui s’imposent quel que soit le dirigeant. Et cela n’est possible que si l’accord est à la fois acceptable pour eux et favorable pour nous, et surtout si nous disposons d’une force, clairement énoncée dans un traité, que nous pouvons mettre en œuvre. C’est la seule manière. Avec les Russes, on ne négocie pas sur la base de la bonne volonté. Quiconque connaît leur histoire le sait. C’est une question militaire…
Gábor Gavra : Le problème, c’est qu’ils n’ont même pas envisagé qu’il soit possible de négocier avec eux.
Oui, mais la question semblait aller dans ce sens. Alors remettons les réalités au centre. Il y a la Russie : un immense pays puissant. Et il y a l’Europe. Les Russes sont 130 millions. Mais nous, Européens, nous sommes 400 millions. Leur PIB n’est qu’un fragment du nôtre. Leurs dépenses militaires restent bien inférieures à ce que nous, Européens, sans même compter les Américains, dépensons chaque année pour notre défense. Sur le papier, nous sommes beaucoup plus forts. Et pourtant, nous paraissons faibles. Voilà le problème : une faiblesse de leadership.
Gábor Gavra : ais si l’Europe négocie avec la Russie, comme vous le proposez, sur un éventuel partage de l’Ukraine, en quoi paraîtrait-elle plus forte ?
On verra bien ce qui pourra être convenu une fois à la table des négociations. Mais l’important est d’y arriver avec…
Gábor Gavra : Cette proposition n’affaiblit-elle pas l’Europe ?
Non, je ne pense pas. Actuellement, nous nous affaiblissons chaque jour. Les Russes progressent chaque jour, je ne sais pas de combien de mètres, mais chaque jour. Et surtout, nous donnons l’image de gens incapables de conclure par nous-mêmes un accord de sécurité avec Moscou. Nous courons à Washington, comme des subordonnés qui attendent que « Daddy » fasse valoir nos points de vue dans ses propres décisions. Nous sommes assis là comme des subordonnés devant leur patron. Vous avez vu ces images ?
Gábor Gavra : On aurait dit un conseil de classe.
Tandis que tous ceux qui étaient assis à cette table, dans cette posture de dépendance, parlent d’autonomie stratégique européenne. C’est intenable. Bien sûr, je ne suis ni président de la France, ni chancelier de l’Allemagne ; la Hongrie n’a pas 80 millions d’habitants, ni 66 millions, seulement 10. Je sais quelle est notre place et quelles sont nos limites. Mais au moins une chose reste à notre portée : penser. Réfléchir logiquement, développer des arguments, et les présenter aux dirigeants européens. C’est ce que je ferai demain encore, en rencontrant M. Costa, le président du Conseil européen, afin de déterminer ce qu’il convient de faire pour réussir. Car le paradoxe est là : nous sommes objectivement plus forts, mais nous échouons. Nous échouons dans la guerre, dans le redécoupage géopolitique, dans l’économie, alors que toutes les conditions sont réunies pour être gagnants.
András Hont : J’aurais aimé que nous parlions plus longuement de l’Union, parce que tout ce qui a été dit…, mais c’est incroyable comment…
Demain, la présidente Ursula von der Leyen prononcera son discours sur « l’état de l’Union » au Parlement européen. Il y aura de quoi réagir, j’aurai sûrement une opinion bien arrêtée.
András Hont : Il ne faudrait pas que je manque ça, je vais mettre mon réveil. Mais là, le temps file, et je pense que nous testons déjà la patience de nos spectateurs si nous prolongeons trop.
Ce sera donc pour une prochaine fois que nous pourrons débattre plus longuement de votre vision de l’organisation circulaire de l’Europe. Mais laissez-moi poser encore une question. Gábor, vous avez quelque chose ?
Gábor Gavra : Non, András, je pense que vous pouvez poser encore une question.
András Hont : Très bien. Très bien. Lorsque nous nous sommes rencontrés en avril, nous ne savions pas encore que cette émission allait devenir une série de podcasts.
Voilà un secret que j’ai bien gardé.
András Hont : Ah bon ?
Gábor Gavra : Ceci.
Ce sont mes grands secrets.
András Hont : C’est vrai. Donc, nous ne le savions pas à l’époque.
Je ne sais pas si vous me croyez, mais même moi, je ne le savais pas à l’époque.
András Hont : D’accord, mais ma vraie question est : est-ce que cette expérience vous a inspiré une leçon particulière ?
Oui, la leçon était déjà dans la cause même. Je crois que, cela nous plaise ou non, nous vivons une période de ce qu’un philosophe allemand appelait la transformation structurelle de l’espace public. C’est Habermas qui a écrit cela…
András Hont : Oui.
… au début des années 70 : « La transformation structurelle ou changement de l’espace public ». Et quelque chose de similaire se produit actuellement. Nous sommes entrés dans un univers médiatique entièrement différent, qui affecte tout : notre vie privée, notre travail, nos revenus, mais aussi la vie politique et collective. Il faut s’y adapter. L’une des conséquences de cette situation, qui représente pour moi un défi majeur et me préoccupe, est de savoir comment préserver le sérieux de la politique. En effet, ce nouveau système médiatique a introduit ce que j’appelle des campagnes d’impact quotidien. Autrefois, un débat sur une idée ou un projet pouvait durer plusieurs jours, être mené en profondeur. Aujourd’hui des campagnes impulsives se déroulent quotidiennement dans l’espace numérique. Chaque jour impose un nouveau sujet. C’est pourquoi il est surprenant pour nous, les personnes plus âgées, que lundi quelqu’un dit une chose, mardi son contraire, mercredi encore autre chose ; et tout cela compte moins pour sa cohérence que pour son effet immédiat : est-ce que ça fait du bruit ce jour-là ou non ? Voilà à ce que la politique se résume peu à peu. Je ne veux pas critiquer gratuitement, mais je le vois même au Conseil européen : souvent, seuls deux ou trois dirigeants ne sont pas rivés à leur téléphone pour suivre en direct les dernières nouvelles. Et nous parlons ici de dirigeants européens. C’est dire à quel point le système démocratique est désormais dominé par ces impulsions médiatiques quotidiennes. Alors j’essaie, moi aussi, de m’adapter, mais sans renoncer à préserver le sérieux de la politique. C’est pour cela que je viens à vos podcasts, et à d’autres émissions de longue durée. Non pas seulement parce que je vous apprécie, même si c’est vrai, mais parce que je veux qu’à côté de ces micro-polémiques quotidiennes, il reste un espace de réflexion. Sinon, nous allons régresser. Si la politique se réduit à de petites affaires montées en épingle jour après jour pour mener une campagne, comment un pays peut-il devenir intelligent ? Comment la politique peut-elle rester intelligente ? Notre seule arme, c’est notre esprit. Nous ne pouvons pas laisser la politique se primitiviser. Voilà pourquoi je participe à ces émissions. J’y vais et je discute. Parfois elles sont agréables, parfois moins, mais peu importe : tant qu’il y a une chance d’avoir un débat sérieux, je suis disponible.
András Hont : Cet été…
Évidemment, je n’ai pas envie de mal m’en tirer dans ces entretiens. Si je participe, ce n’est pas pour me créer de l’antipathie ou des ennemis, je crois que c’est compréhensible. Mais je veux aussi parler sérieusement aux journalistes, et à travers eux aux citoyens. C’est pour ça que je suis allé dans ces podcasts. C’est un changement, András, vous avez raison. Un grand changement par rapport à ce que je faisais jusqu’ici, parce que jusque-là, c’était l’inverse : je pensais que si le Premier ministre parlait trop souvent et trop longtemps, ça banalisait la portée et l’importance de ses paroles.
Gábor Gavra : Mais quand vous vous exprimiez, disons, dans votre propre sphère médiatique, celle de l’État ou des médias proches du Fidesz, au cours de la dernière décennie et demie, n’aviez-vous pas l’impression de vous « rouiller » faute de questions substantielles ?
Non, partout j’ai seulement donné des interviews où il y avait des questions substantielles. Ce que vous voulez dire, si je comprends bien, c’est que je n’ai jamais accepté d’« interviews revoler ». Et c’est vrai. Je ne vais pas dans des formats où le journaliste sort son arme et commence à tirer, et moi je dois esquiver. Parce que dans ce cas-là, ni les gens ne deviennent plus éclairés, ni le sujet n’est vraiment développé. Ça tourne au bras de fer, au combat de coqs. Ça, je ne l’accepte pas. En revanche, discuter avec des personnes qui ne pensent pas comme moi, mais qui se prennent elles-mêmes au sérieux, ça oui, volontiers.
András Hont : Cet été ne s’est pas résumé à cette tournée de podcasts, mais aussi à un autre phénomène, très relayé dans la presse : les slogans « Fidesz pourri » dans les festivals. Tout d’abord, quel est votre avis là-dessus ? Ensuite, j’aurai encore une question, pour conclure.
J’ai grandi dans les stades de football. Ce n’est pas inhabituel, même si je n’aime pas l’entendre là non plus. Mais ça existe…
András Hont : Bien. C’est en fait l’introduction à une question, selon moi essentielle. Parce que ce n’est pas seulement une affaire de jeunes, ce « Fidesz pourri », même si certains le croient. Mais il est vrai que de nouvelles générations entrent désormais en politique.
Ne sommes-nous pas encore en train de trop intellectualiser ? N’est-ce pas simplement, comme avant chaque élection, que quelques mois avant le scrutin, les émotions et les tensions montent, des choses se disent que, quelques mois plus tard, on regrette un peu ? Par exemple, traiter ses adversaires politiques de « pourris ». Je pense que c’est plutôt ça. Et ça passera. Mais il y a un autre problème : de nouvelles générations arrivent, et elles considèrent comme allant de soi beaucoup de choses pour lesquelles notre génération s’est battue.
Gábor Gavra : Cela signifie pour vous, en partie, que… ce n’est pas suffisant, disons, « d’être meilleurs que Gyurcsány et les siens », n’est-ce pas ?
Mais nous, auprès des jeunes, nous allons obtenir la majorité aux élections. Nous devons les convaincre. Nous devons aller leur parler. Donc je ne suis pas inquiet à cause de ces nouvelles générations. J’ai d’ailleurs une opinion sur les jeunes… je ne sais pas combien de temps il nous reste…
András Hont : Nous vous écoutons.
Je ne veux pas m’étendre trop longtemps, mais au-delà de l’ambiance des concerts ou de la nervosité d’avant-élection, j’ai une bonne opinion des jeunes. Ceux que je connais, et j’en connais beaucoup, ont un vrai problème avec ce qu’on appelle le faux. Ils ne veulent pas de vies factices, pas de simulacres. Ils veulent du sérieux : une vie qui ait du poids, des enjeux, de vraies possibilités. Pas seulement un meilleur niveau de vie ou un logement plus grand, mais une existence qui ait du sens, qui soit respectable. Pas seulement agréable ou facile, mais digne de respect. Je connais beaucoup de jeunes comme ça, et avec eux, on peut dialoguer. Même si, à un concert, ils crient « Fidesz pourri », ça ne change rien. Cependant, les jeunes qui en ont assez de cette vie factice et qui ont le sentiment de ne pas pouvoir donner du poids à leur vie, parce qu’on ne leur propose pas de véritables enjeux, ce sont eux avec qui il faut parler. Et je ne crois pas qu’ils soient pires que nous ne l’étions.
András Hont : Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire, mais plutôt…
Ce n’était pas facile pour nous non plus.
András Hont : Je ne peux pas en juger. Mais si je pars de Lajos Simicska et de vous, alors…
Demandez à votre père, András.
András Hont : Je ne peux pas le faire ; il est décédé.
Je vous prie de m’excuser.
András Hont : Seulement, de quoi seront faites nos prochaines années, car il y aura des gens pour qui beaucoup de choses que nous mentionnons dans une conversation comme celle-ci, ou qui sont évoquées dans un discours à Kötcse, appartiennent déjà au passé. Ils étaient enfants à l’époque, non pas lorsque vous êtes arrivés au pouvoir, mais lorsque, par exemple, il y a eu les manifestations pour défendre cause de la CEU.
Oui, mais qu’est-ce que cela implique ? Nous, nous avons mené trente années de combats. Je ne veux pas faire ici un discours de vétéran, mais simplement rappeler que tout ce qui fonctionne aujourd’hui en Hongrie, tout ce qui fait la force et l’avenir de ce pays, ne s’est pas fait tout seul, quelles que soient les opinions que l’on ait de la situation actuelle. Beaucoup de jeunes sont nés dans ce contexte et pensent que c’est normal que tout le monde ait un emploi ; qu’un diplôme garantisse un salaire nettement plus élevé ; ou que la formation professionnelle se fasse en alternance, non plus dans un atelier où l’on accumule des heures inutiles pour apprendre un savoir sans débouchés, mais directement en entreprise, où l’on t’appelle dès la sortie de l’école pour te donner un vrai travail. Pour eux, c’est l’ordre naturel des choses. Et ils se disent aussi, pour filer une image, qu’on peut voler en pilote automatique, sans risque, puisque cela ne peut pas tomber en panne. Mais ce n’est pas vrai : avec le pilote automatique, on finit par s’écraser. C’est cela qu’il faut leur expliquer, entre autres. Et c’est difficile. En politique, il y a un dicton un peu alambiqué : ce qui existe n’existe plus. Autrement dit, ce qui a déjà été accompli n’est plus perçu comme un succès politique, mais comme un acquis naturel. Voilà un défi que nous, responsables politiques, devons apprendre à relever.
Gábor Gavra : Eh bien, c’était le Ring. Merci au Premier ministre Viktor Orbán d’avoir été avec nous. Merci aussi à mon collègue András Hont d’avoir animé cette émission avec moi, et surtout merci à vous, chers spectateurs, de nous avoir suivis. C’était le troisième Ring d’une heure et demie en une semaine, après le débat Balázs Orbán–Péter Tarjányi et l’interview de László Toroczkai. Alors, ceux qui ont regardé ces trois fois 90 minutes mériteraient presque une médaille ! Pour conclure, je vous invite, si vous ne l’avez pas encore fait, à vous abonner à la chaîne YouTube « ÖT ». Si cette discussion vous a plu, cliquez sur « j’aime », partagez-la. Si elle vous a déplu, n’hésitez pas à nous le dire : à Viktor Orbán, à András Hont ou à moi, dans les commentaires sous la vidéo. On se retrouve la semaine prochaine. Au revoir !
Mais non, on se retrouve au match ! Allez la Hongrie !
Gábor Gavra : Oui, juste après l’enregistrement, il y a Hongrie–Portugal au stade Puskás. Vous, chers spectateurs, vous connaissez déjà le résultat…
András Hont : Les deux tiers des spectateurs de ce débat seront sûrement au stade.
Gábor Gavra : Pas moi. Bon, à bientôt, et au revoir !