Zsolt Törőcsik : Ces derniers jours, plusieurs affaires ont agité l’opinion publique en Hongrie. Lors d’une manifestation, des participants ont agressé le père Pál, 82 ans, parce qu’il avait fait sonner les cloches de son église. Par ailleurs, l’affaire pénale visant l’ancien directeur du centre de redressement de la rue Szőlő a été utilisée par certaines personnalités publiques et des responsables politiques pour attaquer des membres du gouvernement sur la base de rumeurs, sans disposer de la moindre preuve. Entre autres, c’est aussi sur ce sujet que j’interroge le Premier ministre, Viktor Orbán. Bonjour, Monsieur le Premier ministre.
Bonjour ! Bonjour à nos auditeurs !
Mercredi, la ministre de la Justice a rendu public le rapport concernant l’affaire de la rue Szőlő. Ce rapport réfute les accusations et démontre qu’au moment de formuler leurs allégations, les personnes qui ont mis en cause des responsables gouvernementaux ne disposaient d’aucune preuve. Pourtant, certains continuent à insinuer le contraire. À quoi cela tient-il, selon vous ? Comment voyez-vous cette affaire ?
Nous sommes effectivement confrontés à un scandale bâti de toutes pièces autour de la rue Szőlő. Je plains d’ailleurs les habitants de cette rue ! l faut savoir qu’on y trouve un établissement pénitentiaire : on l’appelle officiellement un centre de redressement, mais il s’agit en réalité d’une prison pour mineurs délinquants, destinée aux garçons. Ce qui s’est passé, c’est que le directeur de cet établissement s’est livré à du proxénétisme, exploitant des femmes. Cela n’avait aucun rapport avec l’institution elle-même ni avec les garçons détenus sur place. Mais, dans un réseau complexe, qui semble même comporter des ramifications à l’étranger et qui reste à éclaircir, on a commencé à fabriquer un récit mensonger, prétendant qu’il s’agissait en réalité d’une affaire de pédophilie remontant jusqu’au gouvernement. Il s’agit d’une affaire extrêmement grave, car la pédophilie est le crime le plus grave que connaisse notre civilisation. Les pédophiles doivent être derrière les barreaux ; il n’y a pas de peine de mort, nous ne pouvons pas les « écarteler », ce qui serait sans doute, la solution optimale, mais leur place est bel et bien en prison. En revanche, accuser sans fondement quelqu’un d’un crime aussi grave constitue aussi un délit très sérieux. C’est grave même lorsque l’accusation vise un simple particulier. Mais lorsque la cible est une personne investie d’une responsabilité publique, un ministre, un policier, un militaire ou un haut fonctionnaire, quelqu’un qui exerce sa mission sous le sceau de la responsabilité envers la collectivité, c’est doublement grave. Et si de surcroît cette accusation sans preuve est lancée dans le but de nuire à sa carrière, de discréditer la police, de saper l’administration, de faire tomber un ministre, voire un gouvernement, alors c’est un crime d’une gravité triple. C’est pourquoi, dans un tel cas, la rumeur n’est pas un péché pardonnable. En Hongrie, nous avons un certain goût pour les discussions de café ; on dit souvent que notre pays est un pays de cafés, et cela va de pair avec le commérage. Le bavardage, passe encore. Mais accuser quelqu’un du crime le plus abject qui soit, c’est intolérable. Dans cette affaire, tous les membres du gouvernement sont innocents. L’honneur d’aucun ministre n’est entaché ; on ne peut les relier à ce type de crime. Quiconque persiste à le faire devra en assumer les conséquences. Il y aura de lourdes conséquences judiciaires.
Plusieurs responsables de la majorité l’ont d’ailleurs déclaré cette semaine, ce qui a conduit certains à y voir une forme de menace de la part du gouvernement.
Le terme de « conséquence judiciaire » relève du vieux droit romain : nous vivons dans un État de droit, et les règles sont connues de tous. Dans le cas présent, les personnes, y compris certains responsables de l’opposition, qui ont proféré de telles accusations savaient parfaitement qu’en imputant sans aucun fondement un crime pédophile à autrui, elles s’exposaient à des sanctions. Elles le savaient à l’avance. Lorsqu’ils ont agi de la sorte, ils connaissaient les conséquences judiciaires auxquelles ils s’exposaient. Elles recevront donc la sanction qu’elles pouvaient et devaient prévoir.
Quelles leçons peut-on tirer, sur le plan sociétal, de la campagne qui a été menée autour de cette affaire, et plus largement de ce que l’on pourrait appeler le climat politique de plus en plus agressif que nous observons ?
On en parle souvent, mais je ne suis pas partisan de compliquer les choses à l’excès. Se comporter correctement : cela seul aiderait déjà beaucoup, y compris en politique. Il n’est pas nécessaire d’attaquer l’autre, ni de céder à l’agressivité. Lorsque l’émotion nous submerge, car cela arrive, nous sommes tous humains, il faut prendre le temps de compter jusqu’à dix avant de parler, éviter d’atteindre l’honneur de l’autre, ne pas se réjouir de lui donner un coup bas. Bref, il faudrait simplement se comporter normalement ; ce n’est pas si compliqué. La politique, bien sûr, est un domaine où il y a des débats vifs, mais elle est faite pour ceux qui, même dans le feu de ces débats, savent gérer les situations humaines difficiles, y compris leur propre colère.
Mais à quoi attribuez-vous cette montée des tensions et l’agressivité accrue du débat politique ?
Il y a de nombreuses raisons, certaines très profondes à mon avis. En général, ce genre de situation apparaît lorsqu’une civilisation traverse des difficultés. Lorsque dirigeants et citoyens ont le sentiment de ne plus maîtriser la situation, que des événements indésirables leur échappent. Aujourd’hui, le monde européen, l’Europe occidentale en particulier, se trouve dans une telle situation. L’ensemble de l’économie ouest-européenne est en crise. La question migratoire a tout bouleversé. Les attentats terroristes, les bandes criminelles dans les rues : tout cela n’existait pas en Europe auparavant. L’Europe était, à l’instar de la Hongrie aujourd’hui, une île de paix et de sécurité. Peu à peu, seule l’Europe centrale, et plus particulièrement la Hongrie, peut être considérée comme un îlot de paix et de sécurité. Autour de nous, les choses se dégradent, la vie quotidienne se détériore malgré nous, et ce climat accroît l’agressivité générale. Cette tension se reflète dans la politique, parce que la politique est une lutte pour le droit de diriger un pays. Il y a donc un enjeu majeur. Plus l’enjeu est grand, plus le contexte ambiant pèse sur les débats. C’est pourquoi les responsables politiques ont le devoir de ne pas laisser cet état d’esprit nerveux, agressif et violent, qui découle de la situation générale de notre continent, s’infiltrer ou s’immiscer dans le débat public. Je conseille donc à chacun de réfléchir à dix reprises avant de s’exprimer. Et je pense que le gouvernement doit montrer l’exemple en affirmant clairement que la Hongrie entend rester un pays pacifique et sûr. Ce qui, hier encore, pouvait être considéré comme pardonnable ou que l’on ne jugeait pas utile de prendre trop au sérieux, doit désormais l’être. Je pense par exemple aux actes terroristes. Regardez le cas de l « Antifa » : il s’agit d’un réseau terroriste, un réseau d’extrême gauche. Des crimes ont été commis en Hongrie. Nous les avons pris au sérieux : les auteurs ont été arrêtés, placés en détention, traduits en justice. Ceux qui ne se sont pas réfugiés au Parlement européen, car il y en a eu qui ont agi ainsi, où ils ont été protégés par l’immunité parlementaire, ont reçu la sanction qu’ils méritaient. Mais je pense qu’il faut aller plus loin. Dans la situation actuelle, cela ne suffit plus. Il faut dire clairement que l’« Antifa » et ses organisations affiliées sont des organisations terroristes. Même s’ils n’ont pas encore commis de crime, il faut prendre des mesures à leur encontre avant qu’ils ne le fassent. Le gouvernement en a décidé ainsi lors de sa réunion de mercredi : il a déclaré l’« Antifa » organisation terroriste. Nous allons établir une liste nationale répertoriant les organisations considérées comme terroristes par la Hongrie, et nous agirons contre elles avec la plus grande rigueur. Le gouvernement doit être en première ligne pour garantir que ni les actes ni les intentions violentes et illégales annoncées ne restent sans conséquences judiciaires ni sanctions.
Le débat en Hongrie ne porte pas seulement sur des questions politiques, mais aussi sur des enjeux économiques, par exemple sur l’existence d’alternatives aux ressources énergétiques russes. De nombreux experts estiment que ces alternatives existent, mais que le gouvernement ne fait pas assez pour les rendre accessibles. Selon vous, par quoi pourrait-on remplacer le gaz et le pétrole russes, et à quel prix pour la Hongrie ?
À mes yeux, il n’y a pas de débat sensé sur ce sujet. Il n’existe qu’une position rationnelle, et elle tient en une phrase : la Hongrie n’a pas de littoral. Par conséquent, nous ne pouvons pas recevoir ni gaz ni pétrole par voie maritime. Comment donc les importer ? Par gazoduc et par oléoduc, évidemment. Un pipeline a deux extrémités : d’un côté on y injecte le pétrole ou le gaz, de l’autre il arrive chez nous. Pour l’instant, personne n’a été capable de nous proposer un autre pipeline permettant d’approvisionner la Hongrie, en dehors de celui construit à l’époque communiste et de ceux que nous avons développés au cours des dix dernières années vers le sud. J’en ai parlé d’ailleurs avec le président des États-Unis. Je lui ai expliqué que le FMI n’est pas particulièrement l’ami de la Hongrie : il n’est pas non plus notre ennemi, mais je ne dirais pas que c’est un partenaire proche. Or, il y a un mois, le FMI a publié un rapport sur l’état de l’économie hongroise. Nous contestons bien sûr certaines évaluations : nous estimons que celles-ci ne correspondent pas à la réalité. Mais il contient un point sur lequel nous sommes d’accord : il analyse la situation énergétique de la Hongrie et conclut que si l’on coupait du jour au lendemain notre accès au pétrole et au gaz russes, la performance économique de la Hongrie chuterait immédiatement de 4 %. J’ai attiré l’attention du président américain sur ce point. Une baisse de 4 % du PIB, c’est une catastrophe ! Cela signifierait que l’économie hongroise s’effondrerait. Il existe donc une évaluation officielle, qui n’a pas été réalisée par nos soins, montrant ce qui arriverait si nous suspendions nos achats de gaz et de pétrole russes, comme le réclament certains politiciens bornés à Bruxelles, qui se moquent de la réalité et n’écoutent que leurs lubies. Cela entraînerait aussitôt une chute de 4 % du PIB. Des centaines de milliers de familles seraient ruinées en un instant. D’une part, nous manquerions d’énergie ; d’autre part, celle qui resterait coûterait plusieurs fois plus cher, et les ménages hongrois paieraient des centaines de milliers de forints supplémentaires. Il n’est donc pas nécessaire d’épiloguer sans fin. Je pense que ce sont là les faits. La Hongrie ne doit pas se comporter comme si l’on pouvait la manipuler de l’extérieur, comme si d’autres pouvaient lui dicter ce qu’elle doit faire. Il est clair ce qui est dans l’intérêt de la Hongrie, et c’est en fonction de cet intérêt que nous agirons. Calmement, posément. Nous écouterons tout le monde, nous répondrons calmement à chacun, puis nous ferons ce qui est bon pour les Hongrois.
Le président américain a-t-il accepté vos arguments ? En effet, il a déclaré cette semaine qu’il s’entretiendrait avec vous pour que la Hongrie cesse d’acheter du pétrole russe.
Oui, j’ai parlé avec lui. Mais les États-Unis sont un grand pays et la Hongrie un plus petit. Sur un point cependant, nous nous ressemblons : nous sommes tous deux des pays souverains. Il n’est donc pas nécessaire que l’un accepte les arguments de l’autre. Les États-Unis ont leurs arguments et leurs intérêts, la Hongrie a les siens. Notre tâche à chacun est de les exprimer clairement et de les défendre. Et si nous entretenons de bonnes relations, si nous sommes amis, nous nous écoutons, puis chacun fait ce qu’il juge bon.
Un autre débat d’ordre économique s’est intensifié ces dernières semaines : celui concernant le système fiscal. À partir de mercredi prochain, les mères de trois enfants seront exonérées d’impôt sur le revenu. Mais plusieurs économistes de gauche et libéraux ont critiqué cette mesure, ainsi que l’exonération accordée aux mères de deux enfants, la jugeant coûteuse et injustifiée. Pourquoi le gouvernement a-t-il tenu à l’instaurer malgré tout ?
Coûteuse et justifiée – c’est ainsi que le gouvernement voit les choses. Il est vrai qu’une véritable révolution fiscale est en cours en Hongrie, en trois ou quatre étapes, et qu’elle laisse environ 4 000 milliards de forints dans les poches des familles. Autrement dit, le budget de l’État sera allégé de 4 000 milliards, mais les familles, elles, seront enrichies d’autant. Et je considère que c’est une bonne chose : plus l’argent reste entre les mains des familles, mieux c’est. Il y a toujours eu un désaccord entre l’opposition et nous sur la question fiscale. Si je l’examine sous un angle philosophique, l’opposition est composée de partis, et de ce point de vue le Tisza est semblable à la DK (Coalition démocratique), donc un parti de gauche, qui estiment qu’il faut prendre l’argent aux citoyens et aux entreprises pour le redistribuer de manière à rendre le monde plus juste. J’ai appris pour ma part que cela conduit inévitablement à la faillite économique, et qu’à la fin, tout le monde y perd. Notre philosophie est de garantir le fonctionnement de certains services publics, mais de laisser autant que possible l’argent dans les familles et les entreprises, car elles savent beaucoup mieux que l’État ce dont elles ont besoin, au lieu que quelqu’un, depuis un centre, leur dise comment utiliser cet argent et leur fasse des transferts. C’est pourquoi nous avons toujours été un gouvernement de baisse d’impôts, tandis que nos adversaires, la gauche, y compris le Tisza, veulent toujours les augmenter. Ils s’entourent d’économistes qui ont toujours défendu cette ligne. L’un d’eux, d’ailleurs, est quelqu’un qui a quitté mon équipe en 2011, ou que j’ai dû écarter à l’époque, et il est aujourd’hui le principal expert économique du Tisza. C’est un homme de talent, mais c’est un banquier, il pense comme un banquier, il figure sur la liste de paie d’une banque étrangère et perçoit un salaire de l’étranger ; il a toujours été opposé à notre politique économique « non orthodoxe », dont le cœur est précisément le soutien financier aux familles. Cela signifie que nous allons continuer dans cette voie, en doublant l’avantage fiscal lié aux enfants. Au terme de ce processus progressif, un million de mères hongroises ayant au moins deux enfants, qu’ils soient mineurs ou adultes, ne paieront plus jamais d’impôt sur le revenu au cours de leur vie. C’est une sécurité dont les familles, et en particulier les mères, ont grandement besoin, et nous sommes en mesure de la leur offrir. Donc, ce projet dispose d’une couverture financière. De même, l’opposition a toujours jugé excessives les dépenses consacrées à la culture et au sport. Pourtant, il ne suffit pas de bien vivre matériellement, il faut aussi vivre dans la beauté. Et c’est une chose difficile. Une certaine dimension de cette question, comment nous entendons-nous avec notre conjoint, nos enfants, nos parents, ne relève pas de la compétence du gouvernement, S’il y a des difficultés dans ce domaine, c’est plutôt aux Églises d’agir, non à l’État. Mais le rôle du gouvernement est de permettre que nous ne vivions pas seulement comme des rouages, comme des unités de travail, mais que nous puissions aussi, lorsque nous en avons les moyens, vivre dignement et dans un environnement harmonieux. La culture et le sport apportent de la beauté dans la vie des gens. Le sport, en particulier, est aujourd’hui très important. Dans le monde instable qui est le nôtre, il inculque des valeurs claires : l’exigence de performance, la discipline, l’esprit d’équipe, l’humilité ; ces qualités, on les retrouve avant tout dans le sport, dans les vestiaires. Si nous voulons aider les parents à élever correctement leurs enfants, il faut aussi soutenir le sport. J’ai donc été consterné d’apprendre que le Tisza envisageait de supprimer le système sport-TAO, qui permet de financer le sport par l’impôt sur les sociétés. Cela ne concerne pas les athlètes de haut niveau, mais des centaines de milliers d’enfants. À mon avis, on ne peut pas faire cela. Notre gouvernement a donc une approche globale : culture, sport, soutien aux familles, aux mères, à l’emploi et aux foyers. Nous ne plaçons pas l’individu isolé, tel ou tel citoyen, au centre de notre politique, mais nous mettons la famille au cœur de notre action, et nous organisons l’économie autour d’elle.
Par ailleurs, l’expert économique du Tisza que vous avez mentionné, András Kármán, a indiqué dans une conférence qu’il réduirait également les aides accordées aux entreprises, estimant que l’État dépense trop dans ce domaine. Mais que se passerait-il si l’État dépensait moins ?
Il est indéniable que l’État hongrois soutient l’investissement. Je me suis récemment rendu à Békéscsaba, où un projet d’investissement de 280 milliards de forints est en cours : il s’agit d’un investissement d’une entreprise d’Asie orientale, basée à Singapour. Ce projet créera directement 2 500 emplois, et plusieurs milliers d’autres dans les entreprises partenaires et sous-traitantes. Le gouvernement a accordé, si je me souviens bien, plus de 40 milliards de forints pour que cet investissement ne parte pas ailleurs, mais vienne en Hongrie. Si nous avions suivi la logique de M. Kármán, mon ancien secrétaire d’État, nous n’aurions pas accordé cette aide, et par conséquent ces 2 500 emplois n’auraient pas vu le jour à Békéscsaba. Après cet entretien, je pars pour Debrecen, où nous inaugurons l’usine BMW. Si le gouvernement n’avait pas soutenu cet investissement, BMW ne serait pas venu en Hongrie et ses effets bénéfiques ne se seraient pas fait sentir en Hongrie, mais ailleurs. Je comprends donc ces raisonnements d’économistes théoriques, pour dire ce qui est bon ou mauvais sur papier, dans les manuels ou en général, mais ces personnes n’ont jamais quitté leur banque ni leur fauteuil de directeur bancaire ; elles ignorent tout de la vie de ceux qui ne peuvent nourrir leur famille que s’il existe des emplois dans leur région. Ces emplois, il faut les créer. Si les emplois se créaient d’eux-mêmes, nous n’aurions pas besoin d’agir ainsi. Mais la Hongrie se trouve engagée dans une compétition acharnée pour attirer ces emplois. Dire qu’il ne faut pas soutenir les entreprises ni les investissements, c’est en réalité retirer le pain de la bouche des Hongrois. C’est ce que j’avais déjà dit à M. Kármán lorsqu’il était mon secrétaire d’État : je lui avais demandé de ne pas tenir de tels propos, car ils vont à l’encontre de l’intérêt des Hongrois. C’est d’ailleurs pour cette raison que nos chemins se sont séparés : il est parti au Tisza, tandis que nous sommes restés fidèles à notre politique. La réalité est qu’il faut ces soutiens, et qu’il faudra continuer à les accorder dans un avenir proche. Le jour viendra peut-être où notre pays sera assez riche pour que les entreprises croulent sous les capitaux et puissent investir sans aide publique, de sorte que chaque Hongrois ait un emploi. Alors, nous pourrons envisager de renoncer à ces aides. Mais nous en sommes encore loin.
Nous parlerons dans un instant des projets de développement de la Grande Plaine hongroise, mais revenons sur la question fiscale. Péter Magyar dément vouloir augmenter les impôts et a présenté un programme de réduction de la fiscalité. Le gouvernement, de son côté, a lancé une consultation nationale sur le sujet, qui abordera notamment l’impôt à taux unique et les avantages fiscaux familiaux. Mais enfin, qui souhaiterait payer plus d’impôts, ou à l’inverse, qui ne voudrait pas en payer moins ?
Voici la situation. Il faut être vigilant, car la politique est pleine de mensonges ; je recommande donc à chacun d’être prudent. Les électeurs du Tisza, je ne parle pas ici du chef du parti, sont majoritairement favorables à une hausse des impôts et à l’instauration d’un impôt progressif. Autrement dit, ils veulent remplacer l’actuel impôt à taux unique par un système progressif. Ils l’ont d’ailleurs voté. Il n’y a donc pas lieu de discuter : ce sont des faits. Tout le pays a pu voir ces enregistrements où ils votaient, et 80 à 90 % d’entre eux se sont prononcés en faveur de la progressivité. C’est ainsi qu’ils le pensent, c’est ce qu’on leur a enseigné ; c’est peut-être leur conviction, je ne peux le dire. Mais je peux affirmer qu’il existe en Hongrie des citoyens, heureusement minoritaires, qui veulent remplacer l’impôt sur le revenu actuel, à taux unique, par un système à plusieurs tranches. Ils ont même admis qu’ils ne le diraient pas ouvertement avant les élections, car sinon ils les perdraient. Je l’ai vu de mes propres yeux sur les vidéos où ils le reconnaissaient. Ce qui est encore plus inquiétant à mes yeux, c’est qu’ils veulent également réformer le système de soutien aux familles. Ils ne veulent donc pas seulement remplacer l’impôt sur le revenu actuel, relativement faible, par un impôt plus élevé, ce qui, d’après mes calculs, ferait payer chaque mois 23 000 forints de plus aux infirmiers, 30 000 forints de plus aux enseignants, 264 000 forints de plus aux médecins, et 30 000 forints de plus aux sage-femmes ; ce qui reviendrait à leur laisser moins d’argent à la fin du mois. Ils veulent en outre toucher au système d’aides aux familles. Et il y a encore un point qui n’est pas tout à fait clair : ils parlent aussi d’un impôt sur le patrimoine. Je dois moi-même remplir chaque année une déclaration de patrimoine, et c’est normal : les responsables politiques doivent rendre des comptes. Mais pourquoi devriez-vous en remplir une, vous ? Si l’on instaure un impôt sur le patrimoine, alors chacun devra établir une telle déclaration, car comment l’État contrôlerait-il sinon les biens possédés ? Il faudra donc créer un cadastre patrimonial. L’administration viendra vérifier. Ils viendront frapper aux portes. On verra apparaître des enquêtes sur l’enrichissement. Les habitants aisés de Buda paieront des impôts très élevés sur leurs biens immobiliers, et il y aura de vives polémiques sur la valeur à leur attribuer. La Hongrie a déjà connu ce genre de situation. Je recommande donc que le système fiscal reste simple, que les impôts soient faibles et que l’on évite de tracasser les citoyens. N’allons pas inspecter leurs maisons, n’exigeons pas d’eux des déclarations complexes, ne nous mêlons pas de savoir où ils passent leurs vacances ou quelle voiture ils conduisent. Laissons-les travailler et gagner leur vie. Exigeons seulement qu’ils s’acquittent d’un impôt faible et simple, puis laissons-les vivre comme ils l’entendent.
Puisque nous évoquons le Tisza Párt, le Parlement européen n’a pas levé cette semaine l’immunité de Péter Magyar, au sujet duquel vous avez parlé de « magouilles ». Klára Dobrev a, pour sa part, déclaré que la commission compétente n’aurait pas dû le faire, car la justice ne serait pas indépendante en Hongrie. Selon vous, quelle est la véritable raison ?
Voyez-vous, pour Bruxelles, c’est une aubaine. Bruxelles a des exigences vis-à-vis de la Hongrie, que je ne satisfais pas. La Hongrie non plus ne les satisfait pas ; en réalité, c’est moi, personnellement, qui me retrouve face à eux, comme devant Ponce Pilate, et je refuse certaines choses. Je refuse d’accepter les migrants. Je refuse de supprimer la taxe bancaire et celle imposée aux multinationales : ils doivent payer. Je refuse de renoncer au plafonnement des prix de l’énergie pour les ménages. Ils exigent que nous modifiions notre système de soutien aux familles, que nous transférions l’argent ainsi économisé à l’Ukraine et que nous nous engagions dans la guerre. Je dis non à tout cela. Et on ne peut pas me faire chanter. On ne peut pas dire au Premier ministre hongrois de changer d’avis. C’est un problème pour eux. Ils veulent un dirigeant qu’ils puissent faire plier. Pour Bruxelles, le grand lot, c’est un homme politique hongrois qu’on peut faire chanter. Celui-là laissera entrer les migrants. Celui-là entraînera la Hongrie dans la guerre. Celui-là se rangera du côté de l’Ukraine. Celui-là mettre un terme au plafonnement des tarifs de l’énergie. Ils veulent un dirigeant en Hongrie qu’ils puissent téléguider depuis Bruxelles ; ou, pour le dire simplement en hongrois : qu’ils puissent faire chanter. Or, voici qu’ils en ont trouvé un. Péter Magyar, on peut le faire chanter. S’il n’est pas traduit devant un tribunal hongrois pour corruption, c’est parce que Bruxelles le protège grâce à son immunité parlementaire. Ils veulent le faire parvenir au poste de Premier ministre et lui arracher ensuite des décisions qui mettraient la Hongrie en danger. Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Tant que nous avons un gouvernement national, cela n’arrivera pas, et à l’avenir, cela ne devra pas arriver non plus.
Vous avez mentionné que vous vous rendiez ensuite à Debrecen pour l’inauguration de l’usine BMW. Vous avez également beaucoup voyagé cette semaine dans la Grande Plaine, et c’est la tendance de ces dernières années : de nombreux investissements se concentrent désormais dans le Nord et le Sud de la ’Grande Plaine. Quelle en est la raison ? Quelle stratégie sous-tend cette orientation ?
Nous avons grandi, je parle des années 1960, 1970, 1980 et 1990, avec l’idée enfoncée dans la tête que la Hongrie était composée de deux parties : l’Ouest et l’autre côté du Danube, l’Est. On disait que la partie occidentale, la Pannonie, était développée, et que la partie orientale, la « Hunnie », était en retard. Nous avons grandi avec cette idée. Quand le Fidesz est entré en politique et qu’il a été possible de se débarrasser des communistes, nous avons affirmé qu’il fallait aussi supprimer cet héritage négatif du communisme. Pourquoi la vie des Hongrois de l’Est devrait-elle être plus difficile que celle des Hongrois de l’Ouest ? Certes, il y a des raisons historiques, mais c’est justement le rôle d’un gouvernement de corriger ces inégalités. Grâce à un travail persévérant, en dix à quinze ans, nous avons changé la situation. Aujourd’hui, quiconque observe les investissements, les emplois, les salaires voit que l’égalité n’est pas encore complète, mais que l’Est de la Hongrie est sur une bonne trajectoire ; les habitants le constatent eux-mêmes. Une grande partie de cette Hongrie orientale est située dans la Grande Plaine. La Grande Plaine est plus difficile à rattraper que les anciennes régions industrielles du Nord de la Hongrie. C’est une région historiquement agricole, mais on ne peut plus vivre uniquement de l’agriculture : il faut aussi de l’industrie. Cela a été difficile, car il manquait même les infrastructures routières. Sans routes, pas d’investissements, pas de transport ni de logistique. Il fallait aussi apporter des technologies modernes. Un exemple remarquable est l’usine BMW que nous inaugurons aujourd’hui : ce n’est pas simplement une usine automobile, ce qui est déjà important, mais une usine qui produira des véhicules avec les technologies les plus modernes. Comme il s’agit de voitures électriques, cela entraîne aussi des investissements dans les batteries et d’autres nouvelles technologies. C’est la direction dans laquelle évolue le monde, et nous avons pu amener cela en Hongrie orientale. C’est une immense opportunité de développement. C’est pourquoi nous avons lancé un programme pour la Grande Plaine, spécifiquement axé sur l’implantation d’industries de pointe, de niveau mondial. C’est ce que nous avons fait récemment à Békéscsaba, c’est ce qui se passe aujourd’hui à Debrecen, et des projets similaires sont en cours à Nyíregyháza. Nous avons construit les routes, créé des parcs industriels, soutenu les investissements et mis en place les bases d’une culture industrielle avec la formation professionnelle et des écoles. Je pense qu’il faut encore quelques années et qu’il n’y aura plus de différence entre l’Est et l’Ouest de la Hongrie en termes de niveau de vie et de revenus.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur le scandale de désinformation de la rue Szőlő, sur l’énergie, la fiscalité et l’économie.