Zsolt Törőcsik : Bienvenue à toutes et à tous, et bienvenue à notre studio délocalisé ici, à Abou Dhabi, où nous recevons le Premier ministre Viktor Orbán. Bonjour !
Bonjour à vous !
Si nous parlons depuis Abou Dhabi aujourd’hui, c’est parce que vous allez rencontrer le président des Émirats arabes unis, qui est également l’émir d’Abu Dhabi. C’est déjà votre deuxième visite cette année, et le président s’est lui-même rendu en juillet en Hongrie pour vous rencontrer. Quel est l’enjeu de ces discussions ?
Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Nous avons réussi à établir une relation vraiment particulière avec les dirigeants et les milieux économiques des Émirats, et une coopération économique à un rythme extrêmement rapide est en train d’émerger, dont la Hongrie a besoin et qui représente pour elle une immense opportunité. Nous pouvons attirer des investissements massifs dans des secteurs stratégiques… Car ici, l’argent ne manque pas, je rappelle que ce pays est le cinquième exportateur mondial de pétrole brut, mais les dirigeants, gens avisés, ne dépensent pas simplement les profits tirés de leurs ressources, ils les investissent. Leur politique d’investissement est très active. Jusqu’à présent, l’Europe centrale, et la Hongrie en particulier, étaient écartées. Ils sont déjà présents en Serbie : c’est d’ailleurs là que j’ai remarqué l’augmentation des investissements venus des Émirats. Mais en Europe centrale, ils ne sont pas encore implantés. Nous avons donc saisi l’occasion pour bâtir un partenariat spécial avec eux. Ce sont des gens d’esprit occidental lorsqu’il s’agit de commerce, et nous voulons devenir leur partenaire stratégique dans la région. Nous avons identifié les secteurs où nous pourrons coopérer à grande échelle. L’entretien d’aujourd’hui est une étape importante : énergie, intelligence artificielle, infrastructures numériques, construction de grands centres de données et leur approvisionnement en énergie verte ; en effet, l’IA est extrêmement gourmande en énergie et nécessite de lourds investissements. Nous avons donc bien avancé. Nous n’en sommes plus au début ni au milieu : lors de la prochaine étape, je pense que nous pourrons déjà conclure plusieurs grands programmes d’investissement.
Nous verrons alors bien les résultats et nous en rendrons compte. Abordons maintenant…
Permettez-moi d’ajouter encore que rien que cette année, grâce à cette coopération stratégique lancée, les échanges commerciaux entre nos deux pays, certes encore modestes, ont déjà augmenté de 24 %. C’est un signe encourageant.
Passons maintenant aux affaires européennes, à ce que nous vivons en ce moment. Cette semaine, la situation de guerre s’est encore aggravée après que des drones russes ont pénétré dans l’espace polonais, où ils ont été abattus par la défense aérienne. À quel point cette situation est-elle dangereuse, pour l’Europe dans son ensemble, et pour la Hongrie en particulier ?
L’incident de mercredi illustre bien les conditions dangereuses dans lesquelles nous vivons au quotidien, seulement nous n’en avons pas toujours conscience. La vie de tous les jours, le travail, les enfants, la famille, accapare notre attention, et nous n’avons ni le temps ni l’énergie de réfléchir chaque jour au danger permanent qui nous entoure. Mais lorsqu’un problème « tombe du ciel », sous la forme d’un drone en Pologne par exemple, tout le monde lève soudain la tête. Cela aurait pu arriver hier, avant-hier, demain, en Pologne comme en Hongrie. La menace de guerre est donc directe. Nous ne sommes pas impliqués dans ce conflit, contrairement aux Polonais qui y sont plongés jusqu’au cou. Nous, nous gardons nos distances : ce n’est pas notre guerre, nous n’y participons pas. Mais nous sommes voisins du pays où elle se déroule, ce qui signifie un danger constant, permanent.
Lors de notre dernière conversation, le soir même, le président américain Trump et le président russe Poutine se sont rencontrés, et il semblait alors que les choses prenaient enfin la direction d’une solution. Or, depuis deux semaines, on a plutôt l’impression du contraire. Que s’est-il passé, qu’a-t-il pu se passer pour que cet élan, qui paraissait réel, retombe ?
D’abord, restons modestes : nous ne savons pas tout. Nous sommes certes en contact direct à la fois avec les Américains et avec les Russes ; notre ministre des Affaires étrangères parle régulièrement avec ses homologues de l’Union européenne, des États-Unis et de Russie, donc nous savons beaucoup de choses, sans doute plus que d’autres. Mais pas tout. Par exemple, nous n’étions pas assis à la table de la rencontre entre les présidents russe et américain. Mon sentiment est que les choses y avancent vite, à grande vitesse. Ce que nous, Hongrois, devons garder à l’esprit, c’est que la guerre russo-ukrainienne est pour nous la question centrale, mais elle ne l’est pas pour le monde entier. Le monde a d’autres problèmes liés à la Russie. Prenons l’approvisionnement énergétique mondial : peut-on acheter de l’énergie russe, ou pas ? Est-elle frappée de sanctions, ou pas ? Les Américains ont même tenté récemment de sanctionner les Indiens pour cela. Les entreprises occidentales peuvent-elles participer à l’extraction d’énergie russe ? Peut-on participer à ce commerce ? Peut-on investir en Russie ? Peut-on accepter des investissements russes ? Je veux dire par là que, tandis que nous nous concentrons, à juste titre, sur la guerre en Ukraine, car c’est pour nous une question vitale de sécurité, « les grands », eux, ne négocient pas seulement cela. Et je crois qu’ils progressent rapidement dans la clarification de toutes ces autres questions : faut-il ou non réintégrer la Russie dans le système international ? L’administration Biden et les Européens les avaient exclus du G7 et du G20. Mais aujourd’hui, les Américains disent déjà que, si une paix ou un cessez-le-feu est trouvé, il faudra réintégrer les Russes. Les Allemands, eux, disent : non. Bref, de nombreux dossiers restent ouverts au-delà de la guerre en Ukraine. C’est pourquoi, sur la question de la guerre, ou de la paix, les avancées sont lentes. En revanche, sur tous les autres dossiers, j’ai le sentiment que les négociations en coulisses progressent rapidement. Puisque nous avons parlé des drones, n’oublions pas qu’ils sont tombés en Pologne. Les Polonais sont nos amis. Au-delà des chamailleries de la politique quotidienne, ils sont, dans la dimension historique, nos alliés, proches de notre cœur. Entre amis, il y a des désaccords, mais tout ce qui porte atteinte à la Pologne, tout ce qui heurte sa souveraineté, la Hongrie doit y réagir immédiatement, et clairement, parmi les premières. C’est ce que nous avons fait : l’intrusion des drones russes en territoire polonais a été jugée inacceptable dès la première minute, et nous sommes aux côtés des Polonais. Nous leur apportons notre solidarité à cent pour cent.
Vous venez de dire que nous ne sommes pas en guerre. Pourtant, cette semaine, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a prononcé un discours où elle affirmait exactement le contraire : que l’Europe est en train de se battre. Et cela, le jour même de l’incident des drones. Quelle conclusion tirez-vous de cette déclaration, et plus généralement de son discours ?
La réalité, c’est que depuis trois ans et demi, nous subissons toutes les conséquences négatives d’une guerre avec laquelle nous n’avons rien à voir, dont nous ne portons aucune responsabilité, et dans laquelle nous n’avons jamais été engagés. Mais voilà que ces dames et messieurs de l’Ouest, comme Mme von der Leyen, veulent nous entraîner, nous tirer par l’oreille ou par le col dans ce conflit. Nous devons résister. Je ne veux pas exagérer par des analogies historiques, mais nous sommes Hongrois, et dans nos veines, avec notre sang, circule aussi l’histoire. Or, deux fois déjà, nous avons été poussés dans des guerres aux conséquences terribles pour la Hongrie : nous avons perdu tout le XXᵉ siècle dans deux conflits auxquels nous ne voulions pas participer. Ni à la première, ni à la seconde guerre mondiale nous ne souhaitions entrer. Mais des responsables politiques tels que Mme von der Leyen, nous y ont entraînés. Tisza István voulait nous tenir à l’écart de la Première guerre mondiale, mais Vienne nous y a précipités. Le régent Horthy voulait également rester à l’écart de la Seconde, mais les Allemands nous y ont entraînés. Et voilà qu’aujourd’hui, de nouveau, des responsables occidentaux germanophones, bien à l’abri, tentent de pousser les pays d’Europe centrale, dont la Hongrie, dans une guerre. C’est inacceptable ! Mes deux prédécesseurs n’ont pas réussi à résister. Moi, j’ai pris l’engagement d’y parvenir.
Quant au discours lui-même, beaucoup ont critiqué ce qu’il taisait : la compétitivité, l’accord commercial avec les Américains. D’ailleurs, les Patriotes ont même déposé une motion de censure contre Mme von der Leyen, ce qui coïncide avec un sondage récent selon lequel 60 % des Européens souhaiteraient sa démission. Mais changer de présidente changerait-il la direction de la politique européenne ?
Je n’attache qu’une importance limitée à ce genre de sondages : en politique, l’opinion publique est fluctuante. Un jour elle vous soutient, le lendemain elle vous lâche, puis elle revient, puis elle vous voue aux gémonies. Il n’est donc pas possible d’adapter les décisions politiques à l’opinion publique quotidienne. À long terme, oui, seul le peuple décide. Mais pas au jour le jour ; sinon, à quoi serviraient les dirigeants ? Un responsable politique doit avoir la solidité nécessaire pour supporter une impopularité passagère. Donc, je ne tire aucune conclusion des chiffres de popularité concernant le départ de Mme von der Leyen. Mais je tire une conclusion des faits. Que faut-il à l’Europe ? Revoir la transition verte, car les prix de l’énergie, en partie causés cette transition, sont préjudiciables à l’économie européenne. Revoir la politique ukrainienne. Revoir les sanctions. Revoir la politique commerciale, car nous avons conclu un mauvais accord avec les États-Unis. Revoir la politique migratoire. En substance, toutes les questions importantes doivent être réexaminées. Car avec Mme von der Leyen à sa tête, l’Union européenne file droit vers un précipice. Ce ne sont donc pas les indices de popularité qui sont intéressants ici, mais les politiques erronées et la mauvaise gestion. Voilà pourquoi je dis qu’il serait préférable que la présidente de la Commission plie bagage, rentre discrètement chez elle et laisse Bruxelles à ceux qui sont en mesure de conduire une politique meilleure, car il faut revoir de fond en comble tout ce qu’elle a défendu avec tant d’ardeur. Le problème, ce n’est pas sa popularité ou son impopularité. Le problème, c’est sa politique. Elle repose sur quatre ou cinq piliers, et tous sont mauvais. Il faut les remplacer. Or, elle n’en est pas capable. Elle ne va pas se lever un matin en disant : « Jusqu’à hier, je me trompais, à partir d’aujourd’hui, je change de ligne. » Cela n’arrivera pas. Pourtant, il ne s’agit pas d’un seul dossier, mais de quatre ou cinq questions essentielles. Regardez : en Sicile, des jeunes filles hongroises ont été violées. Nous sommes à leurs côtés, nous leur souhaitons un rétablissement rapide, physique et moral. Mais c’est bien la preuve qu’avec une politique migratoire désastreuse, l’Europe a perdu sa sécurité. Les prix de l’énergie dans l’Union européenne sont deux, trois, parfois quatre fois plus élevés qu’aux États-Unis. Comment pourrions-nous rester compétitifs ? C’est une mauvaise politique environnementale ! Sur le plan militaire, nous perdons sans cesse. es Russes gagnent, nous perdons, et l’argent, déjà rare, dont l’Europe aurait un besoin vital, part en Ukraine. Quant à la compétitivité, inutile de développer : tout est écrit noir sur blanc dans le rapport Draghi. Un homme sérieux, ancien président de la Banque centrale européenne, pas simplement un Premier ministre hongrois en exercice. Il a décrit il y a un an ce qu’il fallait faire pour éviter la faillite. Nous en avons débattu à Budapest. Nous avons adopté une Déclaration de Budapest sur le sauvetage de l’économie européenne. Il suffirait de la mettre en œuvre. Or, ils font exactement le contraire. Avec de tels dirigeants, l’Europe ne peut finir qu’au fond du gouffre.
Si l’on projette cela sur la situation hongroise, vous écriviez récemment dans un billet que « les changements arrivent, que nous le voulions ou non », et que la vraie question est de savoir quelles réponses nous allons y apporter : une réponse bruxelloise ou une réponse hongroise ? De quoi dépend la réponse que donnera la Hongrie, et pourquoi certains choisiraient-ils une réponse bruxelloise ?
La politique hongroise a une tradition. Elle est ancienne : une partie des partis politiques hongrois s’est toujours tenue au service de puissances étrangères. Il y a les forces et partis nationaux, et puis il y a ceux qui agissent, disons, en tant que mercenaires politiques. C’est une vieille habitude : parfois c’était Moscou qui les dirigeait, parfois Berlin, aujourd’hui c’est Bruxelles. Autrement dit, il y a un « parti de Bruxelles » en Hongrie. Il ne porte pas ce nom, mais s’appelle Tisza ou DK (Coalition démocratique). En réalité, ce sont les partis des dirigeants politiques bruxellois. Ces responsables, des Hongrois pourtant, ne s’en cachent même pas : ils disent ouvertement que la Hongrie doit faire ce que Bruxelles fait, demande ou exige, que ce soit sur la migration, l’économie ou la guerre. Donc oui, nous avons à Budapest, en Hongrie, un courant politique bruxellois. Et si les électeurs leur donnent mandat pour gouverner, ce qui est leur droit, alors il ne faudra pas s’étonner de voir l’échec des politiques de Bruxelles se reproduire à Budapest. Ce que Bruxelles fait mal à Bruxelles, un gouvernement hongrois à la solde de Bruxelles l’appliquerait en quinze jours chez nous. Nous sommes au cœur d’une région instable. Il est très difficile d’y mener une politique nationale et de tenir bon sur la défense des intérêts hongrois. Mais il existe aussi cette autre tradition : une politique nationale, solide comme le roc, qui sert exclusivement les intérêts des Hongrois. En face, il y a toujours ces partis téléguidés de l’étranger, qui plus est sous chantage. La DK n’existerait plus depuis longtemps sans les financements venus de Bruxelles. e parti Tisza n’existerait pas non plus sans les subsides de Bruxelles. Les ONG et médias qui les soutiennent sont eux aussi financés par Bruxelles, hier encore par Washington, jusqu’à ce que le président Trump y mette fin. Aujourd’hui, le financement vient de Bruxelles. Et puis il y a les pressions liées à l’immunité parlementaire : on ne lève pas l’immunité de certains dirigeants d’opposition en Hongrie, ce qui sert de levier de chantage Car s’ils perdaient cette immunité, ils devraient répondre devant la justice. Ce que je viens de vous expliquer est donc décrit de manière élégante et analytique, mais en réalité, c’est une situation brutale en termes de pouvoir. À Bruxelles, il y a un centre de pouvoir qui tient par la main, pour rester poli, certains dirigeants hongrois, qui les maintient dans une position de dépendance, modifie peut-être même leurs convictions, et veut les amener au pouvoir pour imposer en Hongrie la politique migratoire, la politique de guerre, la politique économique et énergétique de Bruxelles. Et derrière tout cela, évidemment, il y a l’argent. Car les entreprises d’énergie, les traders et les banques qui opèrent en Hongrie veulent engranger plus de profit que ce que le gouvernement national hongrois leur autorise. Si un gouvernement pro-Bruxelles arrivait demain, l’argent, le capital, le profit sortiraient du pays en un clin d’œil. Voilà de quoi il est question. Et ce sont ensuite les Hongrois qu’on ferait payer. C’est pour cela qu’il y a un débat sur la fiscalité : le parti Tisza veut relever l’impôt sur le revenu par le biais de sa « taxe Tisza », imposer les biens immobiliers et maintenant, je vois, même les entreprises, tout cela pour relâcher la pression fiscale sur les multinationales, parce que Bruxelles le leur exigera. Bruxelles exige la même chose de moi, mais moi je refuse. Bref, tout est lié, et à la fin tout se résume à une seule question : notre indépendance nationale et notre souveraineté.
Puisque nous parlons de la « taxe Tisza », le président de ce parti nie qu’une telle chose existe ; lui parle de baisse d’impôts. Pourtant, plusieurs experts proches de son parti ont déjà plaidé pour l’impôt progressif…
Oui, mais selon moi il ne s’agit pas d’un simple débat fiscal. Ce serait déjà intéressant d’avoir un vrai débat sur les impôts, mais la politique intérieure hongroise ne se résume pas à ça. Ici, le problème est qu’un parti, et pas un petit parti, a clairement reconnu, on pourrait même dire qu’il l’a jeté à la figure des Hongrois, qu’il y a des sujets dont ils ne parlent pas, parce que s’ils révélaient leurs véritables projets, ils perdraient les élections. Autrement dit : « faisons comme si nous ne voulions rien changer, mais une fois les élections passées, tout sera possible ». C’est ce qu’ils ont dit. En face, sans détour. Donc ce n’est pas seulement une affaire d’impôts. Bien sûr, leur objectif est de ponctionner davantage les citoyens, impôt foncier, impôt sur le revenu progressif, impôt sur les sociétés plus élevé, j’ai déjà vu ce film. Mais au fond, c’est une question de confiance : allons-nous aborder les élections et les quatre prochaines années en sachant ce qui attend la Hongrie, ou bien allons-nous être tenus dans l’ignorance, pour ensuite avoir une mauvaise surprise ? C’est exactement ce qui s’est passé avec le MSZP sous la direction de Gyurcsány : ils ont promis mille choses, puis est venu le discours d’Őszöd, et on a découvert que c’était tout le contraire qui allait se produire. Résultat : après quatre ans, le pays en faillite, étranglé par les crédits en devises, surendetté, avec 12 % de chômage. Tout le monde en a souffert, sauf les banques et les multinationales. Est-ce vraiment là que nous voulons retourner ? Voilà de quoi il est question. C’est un problème de confiance, pas de technique fiscale.
Vous dites que ce n’est pas une question de technique fiscale, et pourtant le gouvernement lance une consultation nationale sur la fiscalité. Pourquoi est-ce nécessaire, alors qu’il y aura de toute façon des élections dans six mois, où les gens pourront donner leur avis, y compris sur la question des impôts ?
Justement parce que plusieurs acteurs majeurs de la vie politique hongroise ont dit qu’ils ne dévoileraient pas leurs projets à l’avance. Dans ce cas, mieux vaut interroger les citoyens dès maintenant. Ce que nous savons déjà, c’est qu’ils instaureraient un impôt progressif à plusieurs tranches à la place du taux unique actuel de 15 %. J’ai fait des calculs : pour un revenu moyen, cela représenterait une ponction supplémentaire de 242 000 forints par an. Pour les enseignants, cela voudrait dire 30 000 forints de moins par mois, soit 364 000 forints de moins par an. Les infirmiers perdraient 280 000 forints par an, les policiers 154 000, les militaires 476 000, et les médecins jusqu’à 3 172 000 forints à l’échelle annuelle. Les habitants de Buda comme des zones pavillonnaires peuvent déjà préparer leur bourse : avec l’impôt sur le patrimoine immobilier, ce serait un vrai matraquage. Il suffit de se promener à Pasarét, au Rózsadomb, au Svábhegy ou dans les banlieues pavillonnaires de Pest pour comprendre : ce sera la saignée. Donc, mieux vaut en parler à l’avance. C’est pour ça qu’il faut provoquer le débat avec une consultation, recueillir les avis, avant les élections. Ainsi, personne ne pourra dire après coup : « ils nous ont caché leurs véritables intentions, nous avons été trompés ». Ne les laissons pas nous duper : débattons-en dès maintenant !
Si nous prenons un peu de recul, quel serait l’effet d’un tel changement sur la classe moyenne et les familles, dont le renforcement est justement un objectif affiché du gouvernement à travers sa politique fiscale ?
Vous savez, nous pouvons aborder la question de l’impôt sous un angle philosophique, et ce n’est pas inutile. Mais il vaut mieux partir de l’état concret d’une communauté donnée, en l’occurrence, de la communauté nationale hongroise aujourd’hui. Je pense que pendant encore longtemps, très longtemps même, la Hongrie ne sera pas un pays suffisamment fort, les familles et la classe moyenne ne seront pas suffisamment solides pour que nous puissions nous permettre autre chose que des impôts bas. Un impôt élevé appauvrit la classe moyenne. N’oublions pas que nous avons eu quarante-cinq ans de communisme, puis une transition chaotique de vingt ans : l’histoire a mis ce pays à rude épreuve aussi du point de vue économique. Ce dont nous avons besoin, c’est qu’on respecte la propriété de chacun, ses revenus, sa vie. Je donne un exemple : une idée comme l’impôt sur la fortune implique que tout le monde, vous y compris, doive remplir chaque année une déclaration de patrimoine. Pas seulement les hommes politiques, mais tout le monde. Cela veut dire un registre général, et des contrôles. Des contrôles de patrimoine arriveront. On viendra frapper à votre porte, le fisc vous dira : « Tiens, vos vacances et vos revenus ne semblent pas correspondre ». Et les tracasseries commenceront. Nous avons déjà connu ça. Alors mieux vaut laisser les gens tranquilles, les laisser travailler, les aider à travailler. Laisser autant d’argent que possible dans leurs poches, et qu’ils en disposent eux-mêmes, plutôt que l’État. Selon moi, pour encore une ou deux décennies, c’est cette approche-là qui est la bonne. Ensuite, nous verrons. Mais aujourd’hui, je ne veux pas plaider pour des vérités fiscales éternelles ou pour des principes philosophiques. Je dis simplement qu’en Hongrie, il faut laisser les gens en paix, et que les impôts bas sont bénéfiques à tout le monde.
Le renforcement de la classe moyenne passe aussi par une nouvelle forme de soutien. Le programme de prêts immobiliers à taux fixe de 3 % a démarré il y a près de deux semaines, et dès la première semaine, cinq mille demandes de prêt ont été déposées, tandis que l’intérêt pour l’achat de logements a quasiment doublé. Comment le gouvernement évalue-t-il ces premiers résultats ? Il s’agit évidemment des données de la première semaine.
Ce qui se passe correspond exactement à ce que nous attendions. Il y avait en effet une accumulation de frustrations et de tensions dans la société hongroise : les gens voyaient les prix de l’immobilier grimper, les salaires aussi, certes, mais pas aussi vite, et de plus en plus de personnes, notamment parmi les jeunes, regardaient leur fiche de paie et les prix des logements en se disant : « Comment pourrai-je un jour avoir un logement à moi dans toute ma vie ? » Il fallait donc trouver une solution. C’est bien, bien sûr, que les salaires augmentent et que les propriétaires veuillent vendre plus cher, mais il fallait une réponse pour éviter que des générations entières n’aient le sentiment d’être exclues de l’accès à la propriété. Ce problème ne se pose pas partout avec la même intensité. Dans certains pays, les gens sont habitués à vivre en location, en appartement loué, etc. Le fait que les logements soient en majorité en propriété privée et que les citoyens veuillent habiter leur propre bien, c’est un réflexe naturel, une aspiration nationale en Europe centrale, si je ne me trompe pas. En Allemagne, par exemple, c’est moins le cas. Mais les Hongrois estiment que sans toit à soi, on n’est pas en sécurité ; c’est une expérience historique : à tout moment, on peut devenir sans-abri. Il fallait donc résoudre ce problème. C’est donc un vrai problème en Hongrie depuis des années. Nous avons travaillé à un programme de logement, et nous en sommes arrivés à la formule actuelle, qui, je crois, touche la bonne corde sensible. Nous avons trouvé une solution juridique et un montage financier qui composent une mélodie attrayante pour les gens. C’est cette formule : un montant maximum de 50 millions de forints (jusqu’à 150 millions pour une maison, 100 millions pour un appartement), un apport de 10 %, un taux fixe de 3 %, sans ruse bancaire, sans taux qui montent et descendent – tout est garanti, prévisible. C’est une construction dans laquelle les citoyens peuvent réellement se projeter. C’est pourquoi les demandes affluent en si grand nombre ; je m’y attendais. Nous avons volontairement laissé le champ le plus large possible : pas de condition liée aux enfants, à l’état civil, à l’âge, ni au fait d’habiter à la campagne, en ville ou en grande ville. Nous voulions offrir une opportunité à tous, et manifestement, les gens l’ont comprise. Je suis donc optimiste. Je constate même que la hausse des loyers semble s’être arrêtée. C’est un chiffre tout récent, il faudra voir dans un mois si la tendance se confirme. Et de l’autre côté, celui des investisseurs et de l’immobilier, le mouvement est lancé également : les demandes se multiplient pour que les permis de construire soient délivrés plus vite dans le cadre de projets de logements plus vastes. Des dizaines de milliers de logements vont être construits dans la catégorie de prix permise par ce crédit : jusqu’à 100 millions pour un appartement, 150 millions pour une maison. Comme il y a un plafond, cette formule ne peut pas provoquer une flambée des prix, elle cible un segment précis. C’est pourquoi ces types de logements seront construits. Je suis très confiant : je crois que cela ouvre une perspective, un horizon, pour des centaines de milliers de familles.
Nous avons déjà évoqué la migration et l’agression survenue en Sicile. L’occasion est d’autant plus propice que cela fait dix ans qu’Angela Merkel prononçait son fameux discours avec le « Wir schaffen das », autrement dit « Nous y arriverons », pour affirmer que l’intégration des migrants serait possible. Et mardi marquera aussi le dixième anniversaire des émeutes de Röszke. Selon vous, quelle est la principale leçon de cette décennie, alors qu’un commissaire européen a affirmé récemment que le pacte migratoire permettrait désormais à l’Union de gérer correctement ces défis ?
Ce n’est pas vrai : le pacte migratoire signifie exactement le contraire, il ne ferme pas les frontières. C’est un artifice, une ruse. On fait semblant de régler le problème, mais on ne le règle pas. Or il n’existe qu’une seule solution : personne ne doit pouvoir entrer sur le territoire de l’Union européenne sans autorisation nominative. e. Pas question de se présenter, de franchir la frontière en se déclarant migrant ou réfugié, de s’installer déjà dans l’UE, puis de devenir inexpulsable même quand il s’avère qu’on n’avait en réalité aucun droit de rester. Si cette situation perdure, cela conduira à la ruine. La seule solution, c’est d’attendre à l’extérieur, aux frontières de l’État hongrois, par exemple, de déposer sa demande, et d’attendre la réponse dehors : si c’est oui, vous entrez, si c’est non, vous restez dehors. Point. En général, bien sûr, cela ne se passe pas ainsi. En Europe de l’Ouest, le problème est déjà d’une autre nature : nous luttons pour éviter l’installation de migrants en Hongrie, mais eux ont déjà créé le problème et cherchent maintenant à vivre avec. Cela mériterait une longue discussion, avec des éléments philosophiques, pour comprendre comment les dirigeants occidentaux n’ont pas vu venir ce qui allait se passer. Et pourtant, il n’y avait rien de sorcier à prévoir, il suffisait de nous écouter, nous, les Européens du Centre. Pas seulement moi : M. Babiš, les Polonais, M. Kaczyński, M. Morawiecki – nous les avions avertis : « Attention, voilà ce qui va arriver, ne le faites pas ! » La société mixte a des conséquences lourdes : une société à moitié chrétienne, à moitié islamique ; la désintégration d’un système juridique unifié ; l’insécurité publique ; le risque d’attentats terroristes ; et, en prime, l’impossibilité financière de subvenir aux besoins de ces populations. Pourquoi avoir fait cela ? Il suffisait de les arrêter à la frontière. Mais non : ils ont dit Wir schaffen das, on peut gérer. Ils ont laissé entrer, et maintenant ils ne savent plus gérer. Et leur avenir est compromis, car c’est comme un tube de dentifrice : une fois pressé, impossible de remettre le contenu dedans. On peut faire de la soupe de poisson avec du poisson, mais on n’a jamais réussi à refaire du poisson avec de la soupe de poisson. C’est irréversible. Certaines erreurs, une fois commises, ne se réparent pas. C’est pourquoi, pour la Hongrie, il y a bien sûr la guerre, l’économie, mais pour la Hongrie, la priorité absolue reste d’empêcher que notre pays ne soit « habité à notre place ». Car cette occupation passe par la migration, financée par Soros et par les passeurs, qui organisent le transport des malheureux du monde entier vers l’Europe. Je comprends ces gens, j’ai de la compassion : il est difficile d’accepter la différence de niveau de vie entre, par exemple, la Hongrie et un pays africain frappé par la guerre ou les crises économiques. Mais cela ne justifie pas de venir s’installer ici et de nous prendre notre pays. C’est impossible ! Nous préférons aider là-bas, porter l’aide sur place, plutôt que d’importer le problème ici. Voilà la leçon des dix dernières années.
Notre temps est écoulé, mais puisque vous avez évoqué la nécessité de tenir certaines choses à l’écart, il faut mentionner aussi le meurtre de Charlie Kirk : on constate dans le monde occidental que l’agressivité verbale se transforme souvent en violence physique. L’agressivité verbale est présente aussi chez nous. Comment empêcher que la violence physique franchisse nos frontières ?
Par la mesure, par le calme, par le sang-froid. Avant de dire des choses trop dures, comptons jusqu’à dix. Avant de jouer des mises en scène où l’on menace de pendre ou d’abattre tel ou tel dirigeant du pays, asseyons-nous un instant et demandons-nous : « Est-ce vraiment une bonne idée ? » Je pense que nous sommes un peuple raisonnable. Les Hongrois disent parfois des paroles fortes, mais quand il faut agir, nous restons généralement mesurés et lucides. Préservons cette lucidité, y compris dans nos paroles.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur la situation de guerre, les débats de politique économique et les questions migratoires.