Zsolt Törőcsik : Hier, le décret gouvernemental sur le prêt à taux fixe de 3 % a été publié. Il s’agit d’un programme de crédit qui démarrera dans un mois, le 1er septembre, et qui vise à faciliter l’accès à la propriété J’interrogerai également le Premier ministre Viktor Orbán sur les autres objectifs de ce dispositif. Bonjour à vous.
Bonjour à vous, et bonjour à tous les auditeurs.
Depuis la crise du COVID, on constate à travers l’Europe un certain désarroi des jeunes face à l’avenir, une forme de frustration, c’est peut-être le mot. Que signifie, dans ce contexte, cette nouvelle aide ?
Effectivement, le monde ne tourne pas rond depuis le COVID. Tout est un peu brouillé, comme un café qu’on a remué : le marc flotte encore, et on ne voit pas clairement ce qui va en sortir. Il règne une forme d’incertitude dans le monde. À cela s’ajoute la guerre entre l’Ukraine et la Russie, et maintenant cette série de guerres commerciales déclenchées par le président américain. Le monde est agité. Dans ce tumulte, la transition technologique vient également bouleverser les repères : les robots, l’intelligence artificielle… Beaucoup de choses que l’on croyait stables sont aujourd’hui remises en question. C’est dans ce contexte que chacun doit trouver sa voie. Nous, les plus âgés, nous avons plus de repères : nous avons déjà notre expérience, notre situation, une certaine stabilité. Et puis, disons-le, nous avons moins de chemin devant nous. Mais pour les jeunes, cette instabilité rend les choses plus difficiles. Se demandent-ils s’ils pourront jeter l’ancre quelque part, ou s’ils risquent d’errer sans cap dans ce monde, pour qui sait encore combien de temps ? Je pense que, dans cette situation, toute chose à laquelle un jeune peut rattacher sa vie est précieuse. Tout ce qui permet de se projeter, de faire des plans, de se construire un parcours pour quelques années. C’est un vrai défi aujourd’hui, je le vois bien. Je constate que les jeunes sont confrontés à cette difficulté, et nous essayons de les aider à trouver les bonnes réponses pour leur vie. Prenons par exemple la question du logement. Pour ceux de ma génération, disons les plus de 60 ans, c’est très clair : l’un des ancrages les plus importants dans la vie, c’est le foyer, la maison où vit la famille. C’est là que nous voulons apporter notre aide. Il y a deux conceptions en Europe. L’une dit : tu gagneras ta vie, tu loueras un logement, l’important c’est d’avoir un toit, peu importe si tu es propriétaire ou locataire. La conception hongroise est différente. Quelques autres pays pensent comme nous, mais pour le Hongrois, le foyer personnel, c’est « ma maison, mon château ». C’est la liberté, c’est la sécurité. On ne veut pas être földönfutó, littéralement « quelqu’un qui court sur la terre », c’est-à-dire déraciné, sans attache. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de langues dans le monde où ce mot ait une signification aussi forte que chez nous. Avoir une maison, c’est avoir un lieu auquel on appartient. Un endroit où l’on peut fonder une famille, où ramener sa femme, offrir un toit sûr à ses enfants. Et à travers cela, on fait partie, en tant que propriétaires, d’une communauté nationale. On n’est pas un földönfutó, on n’est pas un déraciné. Je crois que ce sentiment est essentiel. Pour tous les jeunes qui sentent déjà plus ou moins clairement où et comment ils veulent vivre, ce programme leur ouvre une possibilité. Son mot d’ordre, c’est : Lance-toi ! C’est une proposition, une invitation. Qu’ils y réfléchissent, et qu’ils en profitent.
Les grands principes étaient déjà connus. Il s’agit donc d’un prêt à 3 % avec un plafond de prix pour les logements. On connaît maintenant les détails. Que constatez-vous, quelle est l’ampleur de l’intérêt pour cette possibilité ?
Je ne veux pas vous ennuyer, ni vous, ni les auditeurs, avec les détails techniques de notre travail, mais on pourrait croire qu’un prêt immobilier à taux fixe de 3 % est une affaire simple, que l’on peut résumer en trois phrases. Mais non. Le diable est dans les détails, surtout quand le diable s’appelle « banque ». Et ici, nous parlons tout de même d’un prêt. Il a fallu des mois pour examiner une à une toutes les questions techniques, pour tout peigner dans le bon sens, pour débattre avec les banques, les promoteurs immobiliers, les représentants du bâtiment. Je pense donc que le travail de préparation a été très approfondi. J’ai annoncé ce programme en février, dans mon discours sur l’état de la nation, mais cela n’a pas retenu l’attention à l’époque. J’ai dit alors que nous voulions réaliser une percée dans le domaine de la création de logements et du logement en 2025. Nous y travaillons depuis lors. Ce travail a porté ses fruits. Il a été mené sérieusement, et en même temps dans un contexte d’intérêt constant. Ce n’est pas une nouveauté tombée de nulle part : depuis des semaines, des mois, les gens savent qu’il y a quelque chose dans l’air. Ils se renseignent, font leurs calculs, et le marché immobilier commence à réagir. Un grand débat a eu lieu, et finalement la position qui a prévalu, après avoir écouté plusieurs dizaines d’experts, c’est qu’il fallait instaurer un plafond de prix. S’il n’y avait pas eu de limite de prix au mètre carré, cela aurait pu faire flamber les prix. Mais avec cette formule, cela ne peut pas arriver : le prêt ne peut être utilisé que pour des biens ne dépassant pas un certain prix au mètre carré maximal. Ce dispositif n’aura pas pour effet de stimuler le marché des logements de luxe ou des grands appartements. Il crée plutôt des opportunités pour les classes moyennes, et même pour ceux qui n’en font pas encore partie, qui sont juste en dessous, qui n’ont pas encore pu accéder à la propriété. Dans mon esprit, ce programme est aussi un levier d’ascension sociale. Il vise à bâtir la nation, à favoriser l’ancrage des jeunes, et à aider ceux qui veulent s’élever. L’intérêt est très fort. Et puisqu’on parle de logement, de foyer : il s’agit aussi du bâtiment. Cela représente un coût, bien sûr : ce prêt est moins cher qu’un prêt classique, et cette différence, c’est l’État qui la prend en charge, donc le budget public. En retour, l’État stimule une nouvelle dynamique de l’immobilier. Des chantiers vont démarrer, cela renforcera l’économie, apportera des revenus, des impôts, des cotisations, créera des emplois, et donc des recettes pour l’État. En somme, ce programme est non seulement bien conçu, mais aussi économiquement rationnel.
Cette semaine, vous avez également annoncé le lancement d’un programme spécifique de soutien au logement destiné aux agents de la fonction publique, à hauteur d’un million de forints par an. En quoi ce dispositif est-il lié au prêt à taux fixe de 3 %, et pourquoi cible-t-il précisément les agents publics ?
Tout d’abord, il faut savoir qu’un dispositif semblable existe déjà dans le secteur privé. Lorsqu’en début d’année nous avons présenté notre plan de relance de l’accession à la propriété, nous avons établi un cadre qui permet aux employeurs privés d’accorder à leurs salariés un soutien au logement à hauteur de 150 000 forints par mois, avec un régime fiscal avantageux. Non seulement pour l’achat, mais également pour la location. Mais force est de constater que cette mesure n’a pas rencontré l’écho espéré : je pensais qu’elle aurait plus de succès, mais il semble que la demande soit moins forte et que peu de personnes y aient eu recours. Il existait donc quelque chose de similaire sur le marché privé. L’État, lui, ne pouvait pas proposer la même chose, tout simplement parce que le budget ne permettait pas un tel effort. C’est pourquoi nous avons opté pour une autre formule, réservée aux agents de la fonction publique. Elle prévoit une aide annuelle nette d’un million de forints, que les bénéficiaires pourront utiliser soit pour rembourser un prêt immobilier, soit comme apport personnel pour l’achat d’un bien. Je pense que c’est une aide significative, et une réelle opportunité, pour ceux qui travaillent au service de l’État. Nous avons des difficultés de recrutement dans certaines professions, notamment à Budapest et dans le comitat de Pest, où les prix de l’immobilier sont particulièrement élevés. Il est difficile non seulement de trouver des professionnels, mais aussi de loger ceux que l’on fait venir de province. C’est le cas par exemple dans la police, j’en ai parlé hier avec le secrétaire d’État, ou encore dans la santé, notamment pour les infirmières. De manière générale, il serait souhaitable que davantage d’agents publics puissent devenir propriétaires de leur logement. Permettez-moi d’ouvrir ici une parenthèse : on parle peu des agents du service public. Le mot « agent du service public » passe souvent inaperçu, alors qu’il mérite qu’on s’y attarde. Dans d’autres pays, on parle de « corps de métiers », ce qui a aussi sa logique. En hongrois, on les appelle des « serviteurs publics », et cela veut dire quelque chose : ces personnes vivent bien sûr de leur salaire, comme tout le monde, mais le but premier de leur travail n’est pas l’argent, c’est le service aux autres. Un médecin n’opère pas lui-même, une infirmière ne soigne pas ses propres plaies, un enseignant n’instruit pas ses propres enfants. Ce sont des professions exercées au bénéfice d’autrui, des fonctions indispensables sans lesquelles la société ne peut fonctionner. Leur travail est essentiel. Il mérite une rémunération correcte, certes, mais l’objectif premier de permettre à l’autre de se débrouiller et de s’épanouir dans la vie. Cela vaut aussi pour les policiers, les militaires, et ainsi de suite. C’est pourquoi nous ouvrons cette possibilité d’aide annuelle d’un million de forints à tous ces professionnels : policiers, médecins, soignants, enseignants, fonctionnaires, et tous ceux qui relèvent de ce que nous appelons la fonction publique. Je pense que cela va bien au-delà de l’aspect financier : c’est une manière de revenir, peut-être enfin, à une idée trop peu évoquée jusqu’ici, celle que les agents du service public méritent notre estime. Ils travaillent pour nous, au service de tous. Il est important que nous sachions le leur rendre, et que l’État, lui aussi, exprime son respect et sa reconnaissance pour leur engagement.
Outre l’accès au logement, plusieurs mesures de soutien aux familles entreront également en vigueur dans les prochains jours. Dès le versement de ce mois-ci, les familles verront apparaître les premiers effets concrets : augmentation de l’avantage fiscal pour enfants, exonération d’impôt sur les prestations de maternité (CSED) et de congé parental (GYED). Comment le gouvernement évalue-t-il l’impact de ces mesures sur le budget des familles ?
Si je peux me référer au début de l’année, c’est l’autre grand domaine dans lequel nous avons annoncé une avancée majeure. Mais février, c’est déjà loin, et ce type de changement dans le système fiscal – même lorsqu’il entre en vigueur au 1er juillet – ne se fait sentir qu’au début du mois d’août. Depuis l’annonce, 5 à 6 mois se sont donc écoulés. Mais il ne s’agit pas de moins que d’une révolution fiscale, et plus précisément, d’une révolution fiscale favorable aux familles. Cela n’existe nulle part ailleurs dans le monde. En général, non, mais en particulier maintenant, alors que les pays de l’Occident imposent tous des restrictions, cela n’existe vraiment pas. La Hongrie fait exception. Alors que le monde traverse une crise économique et géopolitique confuse, nous ne serrons pas la vis, au contraire : nous ouvrons des possibilités pour les jeunes et les familles. Nous parlons ici d’une véritable révolution fiscale orientée vers les familles : le CSED et le GYED deviennent exonérés d’impôt, ce qui représente un gain potentiel d’un million de forints sur deux ans pour les bénéficiaires. De plus, l’avantage fiscal par enfant est doublé, en deux étapes. J’en ai peu parlé jusqu’ici, car comme le dit le dicton hongrois, « le grenier est plein de promesses » – et « je croirai quand je verrai ». Mais voilà qu’au 1er août, ou au cours de la première semaine d’août, tout le monde recevra son salaire augmenté grâce à l’allégement fiscal. Maintenant, il y a matière à parler. Maintenant, tu peux y croire, car tu le vois, mon ami. Si tu as deux enfants, ton revenu net augmente de 20 000 forints. Trois enfants ? Ce sera 50 000 forints ou plus. Et en janvier, une augmentation supplémentaire de 50 % de l’avantage fiscal est prévue pour les familles avec un, deux ou trois enfants. Et à ce stade, on peut raisonnablement croire aussi que dès octobre, les mères de trois enfants, quel que soit l’âge des enfants, seront exonérées d’impôt sur le revenu à vie. Puis ce sera au tour des mères de deux enfants à partir du 1er janvier. Nous vivons donc aujourd’hui les premiers jours d’une révolution fiscale qui se déploiera sur six mois.
Quelles sont les ressources nécessaires pour cela ? Le tout dans le contexte international actuel, que vous venez de qualifier de difficile, avec une croissance économique européenne et hongroise proche de la stagnation. Comment le gouvernement entend-il financer ces mesures ?
Il faut bien gérer. Ce n’est pas si compliqué. Évidemment, ce serait plus simple si nous avions davantage d’argent, nous pourrions faire encore plus de choses en même temps. Mais un pays doit avoir des objectifs. En tout cas, depuis que la Hongrie a un gouvernement national, c’est ainsi que nous gouvernons. Est-ce que l’ancien gouvernement de gauche fonctionnait de cette manière ? On peut en douter. Mais à mes yeux, gouverner ne signifie pas simplement survivre au quotidien et se dire qu’il n’y a pas eu pire qu’hier. Ce serait un objectif bien modeste pour une communauté, une nation digne de ce nom. Non, il faut vouloir quelque chose, il faut avoir un but, il faut que notre travail, je ne parle pas seulement du travail gouvernemental, mais de celui des dix millions de Hongrois, ait un sens. Il faut que nous avancions, que nous allions quelque part. Cela concerne bien sûr l’économie, mais aussi d’autres dimensions de notre fierté nationale. Et le rôle du gouvernement, c’est d’aider les gens à pouvoir se fixer eux-mêmes des objectifs. Pour cela, encore faut-il que le gouvernement montre l’exemple et en fixe lui-même. C’est ce que j’ai toujours fait au début de chacun de mes mandats. Nous avons défini nos priorités, et nous avons voulu les atteindre. C’est bien de cela qu’il s’agit ici. Quand on a des objectifs, on doit subordonner le budget et la gestion à ces objectifs. Pour moi aujourd’hui, la priorité absolue, c’est une gouvernance favorable aux familles. Cela inclut l’accès au logement, mais aussi le soutien à ceux qui travaillent et élèvent des enfants. C’est aussi de cela qu’il s’agit quand je parle de révolution fiscale favorable aux familles.
Parlons un peu plus en détail des défis auxquels nous sommes confrontés, notamment de l’environnement international. Cette semaine, un accord douanier a été conclu entre l’Union européenne et les États-Unis, selon lequel Washington imposera des droits de douane de 15 % sur les produits européens. Ces derniers jours, vous avez répété à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’un mauvais accord. Pourtant, on constate aussi que le président Trump impose 50 = % de droits de douane aux pays n’ayant pas conclu d’accord, et que l’Europe aurait pu subir une taxe de 30 % dès aujourd’hui. Dans ce contexte, certains estiment même que l’Europe s’en sort plutôt bien. Pourquoi pensez-vous malgré tout que cet accord n’est pas satisfaisant ?
C’est exactement le type d’argumentation que j’ai toujours détesté. C’est ce que disaient les gens de l’époque Kádár : « Si ce n’est pas nous qui sommes au pouvoir, les Russes vont débarquer. » Non. Ce n’est pas une façon de penser. On ne peut pas vivre comme dans un roman américain où le chat – je crois que c’est dans Huckleberry Finn, si je ne me trompe pas – se fait attraper par la queue, Huckleberry le fait tourner au-dessus de la tête, puis il le repose au sol, et le chat est content. Attendre si peu de la vie, ce n’est pas une exigence sérieuse. Il ne faut pas tomber dans ce piège qui consiste à dire : « Cela aurait pu être pire. » Non, pensons autrement. Regardons les faits : les Britanniques ont quitté l’Union européenne. Ils sont un peu plus de 60 millions, près de 70 millions. Nous, Européens, nous sommes plus de 400 millions. Voyons maintenant quel type d’accord les Britanniques ont conclu avec les Américains : un bien meilleur accord que le nôtre ! Et pourtant, ils sont bien moins nombreux, donc moins puissants. 70 millions contre 400 millions et nous avons conclu un accord moins avantageux. Il n’y a rien à ajouter. Je parle ici en tant que chef de gouvernement : si un pays ayant moins de poids que moi obtient un meilleur accord, alors, sur le plan professionnel, j’ai échoué. C’est exactement la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les dirigeants européens.
Qu’est-ce qu’il aurait fallu pour obtenir un meilleur accord ?
Pour bien négocier, il faut deux choses. Je ne veux pas jouer au donneur de leçons depuis Budapest, ce n’est pas un comportement correct. Mais avec l’expérience que j’ai derrière moi, je peux dire ceci : pour conclure un bon accord, deux éléments sont essentiels. D’abord, le bon timing. À quel moment engagez-vous les négociations ? Est-ce vous qui prenez l’initiative, ou attendez-vous que l’autre le fasse ? Vous menez l’offensive, ou vous êtes sur la défensive ? Ce sont des choix cruciaux à faire. C’est donc pour le timing. Ensuite, il faut un contenu solide à votre offre, une proposition claire sur laquelle vous souhaitez tomber d’accord. Et idéalement, il faut plusieurs offres à disposition. Parce qu’un bon accord passe souvent par une série de contre-propositions. C’est un peu comme aux échecs ou au jeu de carte appelé ulti : il faut savoir penser plusieurs coups à l’avance. Jouer un « betli », c’est-à-dire une manche risquée où l’on s’engage à ne prendre aucune levée, ressemble beaucoup à celle qu’exige la négociation d’un bon accord international. Or, l’Union européenne a commis plusieurs erreurs. D’abord, sur le timing. Dès l’entrée en fonction du président américain, il aurait fallu le prendre plus au sérieux. Au lieu de cela, il a été tourné en dérision. Il n’a pas été pris au sérieux, il a été insulté à Bruxelles, en pensant que ce n’était qu’un accident de l’histoire. Même des propos déplacés ont été tenus à son égard. Mais c’est un homme qui n’oublie rien. Ce n’est pas une bonne stratégie de négociation. Deuxième erreur : ne pas avoir cru que le président américain allait réellement changer l’ordre économique mondial. Ils se sont dit : « c’est juste un entrepreneur bavard, il ne fera jamais la moitié de ce qu’il promet. » Et maintenant que se passe-t-il ? Il met en œuvre point par point tout ce qu’il a promis à ses électeurs. C’est un homme qui agit. Et cela inclut de modifier les règles du commerce mondial, notamment les tarifs douaniers défavorables aux États-Unis. Si vous n’avez pas pris cela au sérieux, si vous avez ricané en disant « allez donc », alors vous vous retrouvez dans une situation difficile. Et c’est exactement ce qu’a fait l’Union européenne. Depuis février, je répète que nous devons prendre l’initiative. C’est à nous de faire une offre. Passons à un régime de libre-échange complet. Ou bien choisissons des secteurs clés, et concluons des accords sectoriels spécifiques. Mais surtout, ne restons pas passifs, comme un lapin figé dans les phares ou un animal hypnotisé par un serpent prêt à mordre. Montrons plutôt de la vitalité, faisons des propositions concrètes. Or rien de tout cela n’a été fait. Pour ce qui est maintenant du contenu, il est essentiel, dans toute négociation, de ne s’engager que sur ce que l’on peut tenir, et sur ce qui nous concerne directement. Si vous concluez un accord au sujet du terrain du voisin, alors que vous n’avez rien à y voir, cela finira mal. Et c’est exactement ce qui s’est passé. La présidente de la Commission a conclu un accord sur des sujets qui ne relèvent pas de ses compétences. Dans cet accord, il est par exemple prévu que nous, Européens, achèterons une quantité considérable d’énergie aux États-Unis. Mais enfin, Bruxelles n’a jamais acheté un seul mètre cube de gaz ! L’Union européenne n’est pas un État, ce sont les États membres qui achètent leurs énergies. Moi, je ne lui ai donné aucun mandat pour négocier en mon nom. Et je doute fort que d’autres l’aient fait. Autre exemple : elle a promis que nous investirions pour 600 milliards d’euros aux États-Unis. Mais l’Europe manque déjà de capitaux ! Ce qu’il nous faudrait, c’est faire venir de l’argent ici, pas l’envoyer ailleurs. Là encore, je ne l’ai pas mandatée pour cela, et je ne pense pas que les autres chefs de gouvernement l’aient fait non plus. La présidente de la Commission a donc pris des engagements vis-à-vis des Américains qui ne relèvent pas de ses attributions. Les droits de douane, c’est effectivement son domaine. Mais si j’ai bien compris, même la clause secrète sur les livraisons d’armes à l’Ukraine ne relève pas de sa compétence. Car si je comprends bien, ce qui se profile en arrière-plan, c’est que les Américains livreront les armes à l’Ukraine, mais que ce seront nous, Européens, qui paierons la facture. Personne ne m’a consulté à ce sujet. Il n’y a eu aucune décision européenne indiquant que c’est ce que nous souhaitons. Ce que je veux dire, c’est que ce qui s’est passé est bien plus grave qu’on ne le croit. Il ne s’agit pas seulement d’un mauvais accord commercial. Désormais, tous les produits européens qui entrent aux États-Unis sont taxés à 15 %, alors que ceux qui viennent des États-Unis ne paient rien. Quel genre d’accord est-ce là ? Mais ce n’est pas tout. Nous avons pris des engagements manifestement intenables. Ce qui veut dire que les conflits douaniers ne sont pas clos : nous avons juste perdu la première bataille, et d’autres suivront, car le président américain, lui, est sérieux. Dans six mois ou un an, il reviendra vers nous pour poser la question : « Les gars, il est où, ce fameux 600 milliards que vous avez promis ? Ah bon, il n’y est pas ? Eh bien, il va falloir renégocier les tarifs douaniers. Et les armes, elles sont où ? Et l’énergie que vous aviez acceptée d’acheter ? Vous ne tenez pas votre parole ? Dans ce cas, on rouvre tout. » Et on va encore perdre. Encore et encore. Permettez-moi de le dire sans fausse modestie : d’un point de vue professionnel, tout ce qui pouvait être raté dans cet accord l’a été, sur toute la ligne.
L’élément ukrainien est intéressant, car le commissaire chargé du commerce a défendu l’accord en expliquant qu’il concernait aussi l’Ukraine et d’autres difficultés géopolitiques. Que faut-il entendre par là ? Et quel est le rapport entre l’Ukraine et les droits de douane ou le commerce ?
Absolument aucun ! Normalement, on ne mélange pas les torchons et les serviettes, comme on dit. Un esprit sain n’assemble pas dans un même paquet des sujets totalement indépendants, surtout quand c’est au prix d’un compromis global défavorable, en l’occurrence pour les Européens. C’est une erreur de méthode. Il faut séparer les dossiers. Ce que je peux gagner, je dois le gagner. Ce que je suis forcé de concéder, je le fais, mais au minimum. Si on commence à tout lier, surtout face à une partie plus forte, on va droit au mur. Et c’est bien ce qu’il se passe ici : nous négocions avec un partenaire plus puissant. Donc, si nous voulons parvenir à un accord avec les Américains à propos de l’Ukraine, ce n’est pas dans une clause secrète d’un traité douanier qu’il faut le faire figurer. Il faut le sortir du lot, le mettre sur la table et le négocier à part.
Vous l’avez évoqué, et de nombreux experts s’accordent à le dire : cet accord douanier aura des effets néfastes pour l’Europe.
C’est un très mauvais accord. Un véritable but contre notre camp, sur le plan économique.
Que peut faire la Hongrie pour s’en prémunir ou au moins en atténuer les conséquences ?
Avant-hier, nous avions réunion de gouvernement, et nous avons été contraints d’ouvrir ce dossier. J’essaie de cerner, avec les experts, les conséquences négatives. Ce n’est pas si simple de calculer l’impact tarifaire : les formules sont plus complexes que ne l’imagine le commun des mortels. Mais je peux déjà avancer qu’au total, les biens exportés directement depuis la Hongrie vers les États-Unis, ou indirectement – c’est-à-dire intégrés dans des produits exportés par d’autres pays – représentent environ 11 milliards de dollars. Un droit de douane de 15 % appliqué à cela, cela fait 1,5 milliard de dollars. Ce sont les entreprises implantées en Hongrie qui vont en faire les frais. Que faire alors ? Il faut leur parler. Tout de suite. La première décision prise par le gouvernement a donc été de lancer, par tous les canaux possibles, des discussions rapides sur les contre-mesures à prendre. Le ministre Szijjártó a reçu mandat pour s’entretenir avec les grands investisseurs liés à la Hongrie par un partenariat stratégique : beaucoup d’entre eux exportent vers les États-Unis. Le ministre Márton Nagy a été chargé d’engager immédiatement le dialogue avec la Chambre de commerce et d’industrie. Les négociations sont donc lancées, et après cette réunion de cabinet, il est clair que nous allons devoir élaborer deux plans d’action. Le premier : un plan de protection de l’emploi, pour éviter que les entreprises étrangères présentes en Hongrie ne réagissent à la hausse des droits de douane en licenciant du personnel. Et si cela devait malgré tout arriver, il faut que l’État soit prêt à proposer immédiatement une solution de remplacement à ces travailleurs. Le second : un plan de soutien à l’industrie, pour éviter que certaines usines ne ferment tout simplement parce qu’il ne serait plus rentable, en raison des droits de douane américains élevés, de produire en Hongrie pour exporter vers les États-Unis. Il faut donc protéger l’industrie, et protéger l’emploi. Ces deux plans sont en cours de préparation, et les discussions sont déjà engagées.
Nous avons peu de temps, mais parlons encore d’un phénomène. C’est sur un terrain de golf en Écosse qu’a été conclu l’accord commercial en question, tandis qu’une délégation de l’Union européenne s’est rendue cette semaine en Chine. Selon des experts en diplomatie, ses dirigeant, ceux de la Commission et du Conseil, ont connu des moments pour le moins embarrassants : personne n’est venu les accueillir à l’aéroport, pas même le bus censé les prendre en charge. Pourquoi les grandes puissances se permettent-elles ce genre de traitement à l’égard des dirigeants européens ?
Parce que nous sommes ce que nous sommes : faibles, ridicules. Nous avons la parole facile, nous donnons des leçons aux autres, mais quand il faut négocier, nous ne faisons preuve ni de force ni de talent. C’est la pire des combinaisons. Dans le monde, on compte aujourd’hui quatre grands pôles de puissance, si l’on met de côté pour un instant l’Inde et l’espace turc : les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe. Regardons l’Europe : comment mène-t-elle sa politique étrangère ? Nous sommes en mauvais termes avec les Américains. Nous sommes en mauvais termes, voire en guerre avec les Russes. Et nous sommes en mauvais termes avec la Chine. Mais quel genre de politique est-ce là ? La politique devrait servir à se faire des amis et à ouvrir des perspectives, pas à se recroqueviller dans un coin comme un petit hamster, à souffler sur tout le monde, à se brouiller avec tous et à se laisser humilier. Et en prime, c’est encore nous qui nous permettons de les sermonner sur les droits humains, la démocratie, rule of law, ou leur façon de se comporter ? C’est grotesque. On ne peut pas continuer comme ça. L’ensemble du système de direction de l’Union européenne repose sur un fait : le Parti populaire européen (PPE) est le groupe dominant au Parlement européen, et la majorité des chefs de gouvernement en font partie. C’est lui qui soutient Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Et voilà tout ce qu’ils arrivent à faire, avec une majorité parlementaire claire et solide ? C’est bien peu. Dans ce genre de situation, il faut plier bagage, remercier pour la confiance reçue, et rentrer chez soi.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán à propos des aides au logement, des mesures de soutien aux familles et de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis.