Zsolt Törőcsik : Je vous souhaite la bienvenue depuis le centre des médias publics à Bruxelles. Nous accueillons dans notre studio le Premier ministre Viktor Orbán. Bonjour.
Bonjour à vous aussi !
Hier soir, pendant la pause du sommet européen, vous avez dit à l’interviewer de la chaîne Patrióta qu’avec la consultation Voks2025, vous aviez réussi à bloquer l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Mais António Costa, président du Conseil, a dit dans la nuit que l’Union européenne ouvrait la voie à l’adhésion de l’Ukraine. Alors, le processus a-t-il été stoppé ou la voie vers l’adhésion est-elle désormais ouverte ?
Hier, avec plus de deux millions de votes pour Voks2025, nous avons arrêté le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Nous l’avons fait malgré des vents contraires considérables : notre annonce, selon laquelle nous ne soutiendrions pas l’ouverture du premier chapitre de négociation, n’a pas été accueillie avec enthousiasme. De quoi s’agit-il ? D’un processus long, découpé en chapitres. Chaque chapitre ne peut être ouvert qu’avec l’accord unanime de tous les États membres, y compris la Hongrie. Sans unanimité, pas de chapitre ouvert. En coulisses, il est possible de travailler, certes, mais sur le chemin de l’adhésion, pas un seul pas ne peut être franchi sans ce premier feu vert. Et hier, la Hongrie a clairement indiqué qu’elle ne donnerait pas son accord pour ouvrir ce premier chapitre. Les dirigeants européens ne sont pas d’accord avec cela. Ils veulent que l’Ukraine devienne membre de l’Union européenne aussi vite que possible, et cherchent une solution pour écarter les Hongrois de leur chemin. Mais jusqu’ici, cela leur a été impossible. Jusqu’à présent, j’étais seul face à eux, tel cet homme qui se dresse devant les chars sur la place Tian’anmen dans cette vidéo célèbre. Aujourd’hui, nous sommes 2,2 millions à nous être dressés et à avoir dit : « Ce n’est pas la bonne voie. » Nous comprenons les Ukrainiens. Nous voyons à quel point leur situation est difficile, leur combat héroïque, et qu’ils ont besoin d’aide. Mais nous voulons les aider sans nous autodétruire. L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne signifierait la destruction de l’Union elle-même. Il existe de nombreuses formes de coopération – partenariats stratégiques, accords spéciaux – et ce n’est pas la même chose que l’adhésion. L’adhésion signifie que les Ukrainiens auraient les mêmes droits que, disons, les Hongrois. Par exemple, pour travailler en Hongrie. Ou pour bénéficier de subventions agricoles, ou des fonds de développement de l’Union européenne. Ce ne serait plus une question de décision, ce serait un droit. Et dès cet instant, tout changerait. Mais notre argument décisif, c’est qu’il s’agit d’un pays en guerre. Peu importe que ce soit de leur faute ou non, ils ont manifestement été attaqués, ils sont victimes d’une action militaire qui viole le droit international, mais cela ne change rien au fait qu’il s’agit d’une guerre. Et si nous intégrons un pays en guerre dans l’Union, nous intégrons également la guerre. Nous entrerions en conflit avec la Russie, presque immédiatement. C’est pourquoi il ne faut pas permettre à l’Ukraine de devenir membre de l’Union européenne : cela importerait la guerre sur le territoire de l’UE, donc en Hongrie aussi. Et les Hongrois ont clairement dit qu’ils ne le veulent pas.
Les partisans de l’adhésion avancent, eux, que la guerre a lieu maintenant, et que Kyiv ne rejoindrait l’Union européenne, ou même l’OTAN, que dans plusieurs années. Sur quoi vous fondez-vous pour penser que la menace de guerre existera encore à ce moment-là, si, d’ici là, la guerre venait à prendre fin ?
D’abord, ils veulent l’adhésion maintenant, pas plus tard. Ils parlent tous d’un élargissement avant 2030 – dès que possible ! Alors, à ceux qui croient que l’adhésion de l’Ukraine est une affaire lointaine, je dois dire : détrompez-vous. Ce sont les mêmes dirigeants qui nous ont attaqués hier parce que nous avons mis un frein à l’adhésion, qui déclarent maintenant qu’il faut le faire au plus vite. Nous entendons même que l’Ukraine est pratiquement prête. C’est donc une menace immédiate. Quel est le cœur du problème ? C’est qu’avant de faire entrer un pays dans l’Union, il faut savoir ce qu’est ce pays. Quelle est sa taille ? Où sont ses frontières ? Quelle est sa population ? Ensuite, nous pouvons nous pencher sur la question de savoir si son système juridique ou économique est adapté. Mais la première question, c’est : est-ce une entité définie ? A-t-elle une identité, des frontières claires, comme la Hongrie ? Nous savons exactement ce qu’est la Hongrie. La Hongrie, à l’heure actuelle, s’étend sur 93 000 kilomètres carrés et compte environ 10 millions d’habitants. Cela lui confère un poids précis dans le calcul du droit de vote, nous donne des droits dans les questions financières, et c’est aussi cette superficie qui est prise en compte pour le calcul des subventions agricoles. Les Ukrainiens, sans en être responsables, constituent aujourd’hui une entité non définie. Personne ne peut vraiment dire ce qu’est, à l’heure actuelle, l’Ukraine. Nous savons ce qu’elle a été. Mais nous ne savons pas ce qu’elle est aujourd’hui, ni ce qu’il en restera demain, ni où se situeront ses frontières. Ses frontières orientales sont sous occupation militaire. La population est en train de fuir. Nous ignorons combien ils sont, combien ils seront. Et pourtant, nous voudrions intégrer dans l’Union européenne un pays dont les contours ne sont ni tracés, ni stables. C’est là un risque que nous avons déjà connu, chaque fois que des pays issus du bloc soviétique ont rejoint l’Union européenne. La solution, jusque-là, a toujours été claire, et même si cela nous a parfois causé des désagréments, c’était une bonne solution : ces pays ont d’abord été intégrés à l’OTAN. Cela garantissait leur sécurité militaire. L’Union européenne n’avait pas à s’en occuper. À l’époque, tout le monde pouvait savoir que la Hongrie, la Pologne, la Lituanie et la Roumanie faisaient déjà partie de l’OTAN. Leurs frontières étaient bien connues. Et ces frontières étaient considérées comme immuables, parce que l’OTAN, y compris les États-Unis, les garantissait par toute sa puissance militaire. Ce n’est qu’une fois cette garantie assurée que l’Union européenne est intervenue. L’Union n’est pas une alliance militaire, mais une structure de coopération politique et économique. Une fois qu’un territoire est sécurisé sur le plan militaire, il est possible de discuter de la manière de fonctionnement. Dans le cas de l’Ukraine, cette démarche n’est pas possible : admettre l’Ukraine au sein de l’OTAN reviendrait à précipiter une troisième guerre mondiale. Effectivement, cela signifierait accueillir un pays en guerre contre la Russie. L’OTAN entrerait donc immédiatement en conflit armé avec Moscou. Ce scénario mènerait à une guerre mondiale, que personne ne souhaite, du moins je l’espère. C’est pourquoi l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est pas envisageable. Et tant qu’une telle adhésion est exclue, il reste impossible de fixer ses frontières orientales. Si l’Union européenne décide d’agir avant l’OTAN, si elle cherche à accueillir l’Ukraine sans sécurité préalable, alors ce n’est pas dans l’OTAN que la guerre sera importée, c’est dans l’Union européenne elle-même. C’est une folie ! Un sujet aussi grave mérite une discussion honnête et sérieuse. Je suis conscient que ce message est terrible pour l’Ukraine, un pays qui ne rejoindra ni l’OTAN, ni l’Union européenne. Mais il est irresponsable de nourrir les illusions d’une nation qui combat, qui verse chaque jour son sang pour son avenir. Il faut lui dire la vérité, clairement : cela est possible, cela ne l’est pas. L’aide est envisageable jusqu’à un certain point. Mais au-delà, elle ne l’est plus. Nous, Hongrois, disons les choses avec franchise et sérieux. À Bruxelles, des promesses illusoires sont faites aux Ukrainiens. Des engagements leur sont offerts, alors qu’ils ne pourront jamais être tenus.
En effet, la vraie question, c’est jusqu’à quel point pouvons-nous encore parler franchement de ce sujet. Le Voks2025 a donné un résultat clair, mais une nouvelle étude publiée en Pologne montre elle aussi que la majorité ne soutient plus l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ni à l’OTAN. L’opinion publique évolue, et cela semble vrai dans de plus en plus de pays. e changement d’ambiance a-t-il été perceptible à huis clos, que ce soit au sommet de l’OTAN ou à celui de l’Union européenne ? Qu’en avez-vous ressenti ?
Le sommet de l’OTAN, c’était plus simple. Les Américains sont arrivés, les nouveaux venus, et ont dit, poliment bien sûr, mais très clairement : « Très bien, messieurs, cette petite réunion sympathique où chacun pouvait raconter tout et n’importe quoi, c’est fini. Parlons sérieusement. Vous pensez vraiment intégrer l’Ukraine dans l’OTAN ? Oubliez ça ! » C’était aussi notre position, même si nous n’employons pas ce ton, car notre taille ne nous permet pas de parler de cette façon. Mais notre position est devenue majoritaire au sein de l’OTAN. C’est désormais la position officielle de l’Alliance. L’Union européenne, c’est plus compliqué. L’Union européenne est censée être composée d’États membres, avec Bruxelles comme simple centre de coordination. Mais aujourd’hui, Bruxelles agit de plus en plus comme Moscou à l’époque. Je réalise que beaucoup d’auditeurs ne comprendront peut-être pas la comparaison, parce que Moscou, il y a 35 ans, c’était encore une vraie référence de pouvoir. Mais ceux qui sont plus jeunes ne savent pas ce que cela signifiait. À l’époque, Moscou était un centre de commandement qui envoyait des instructions directement à Budapest. Et aujourd’hui, c’est exactement ce que fait Mme Ursula von der Leyen avec M. Weber. Ils donnent des ordres, parfois directement, parfois en passant par leurs partis politiques. Car oui, il existe en Hongrie des partis bruxellois, qui ne défendent pas les intérêts de la Hongrie, mais ceux de Bruxelles. C’est par ces partis – comme le Tisza et la DK – que ces consignes sont relayées. Et parfois, Ursula von der Leyen le fait directement, comme maintenant. C’est du pur Moscou. Elle commence à montrer des signes de « brejnévisation » : elle agit de plus en plus comme un secrétaire général du Parti soviétique. Comme lorsqu’en 1968, Moscou a dit aux Tchèques : ce ne sera pas ce que vous voulez, ce sera ce que nous décidons ici. Ou comme en 1980-81 avec les Polonais. Bruxelles a un vrai problème, mais c’est peut-être un sujet pour une autre conversation. En tout cas, nous n’avons pas à avoir peur d’être seuls. Cela a déjà été le cas sur la question migratoire. À l’époque, tout le monde était pro-migration. On parlait de Willkommenskultur : la culture de l’accueil, la joie d’accueillir les migrants. Nous étions les seuls à nous y opposer. Quelques années ont passé, et aujourd’hui, tout le monde dit ce que nous disions à l’époque. Il en ira de même avec la question de l’Ukraine. Nous, dès le départ, nous disons les choses telles qu’elles sont. Non pas parce que nous cherchons à imposer notre opinion, ni pour faire du bruit. Sur la migration aussi, nous avons été les premiers à dire non, pas par goût du conflit, mais parce que nous étions directement concernés : les migrants étaient à la gare Keleti, ils arrivaient chez nous. C’est la même chose avec la guerre. Si j’étais Premier ministre du Luxembourg, ou de la France, avec l’Atlantique à proximité ou en toile de fond, moi aussi je dirais : « C’est intéressant ce qui se passe là-bas », et je proposerais une idée. Mais ce n’est pas là que nous vivons. Nous vivons ici. Et si la guerre avance, c’est nous qu’elle atteint en premier. Les conséquences de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union frapperaient d’abord l’Europe centrale. C’est pourquoi c’est ici que le climat d’opinion changera le plus vite. En Hongrie, c’est toujours le bon sens qui domine. Dans les pays d’Europe centrale, ce changement d’ambiance est inévitable : il deviendra de plus en plus évident que ce sont les États d’Europe centrale qui seront les premiers à perdre si l’Ukraine est intégrée. Puis ce sera le tour des autres : plus on avance vers le cœur du continent, plus les pays vont basculer. Les Allemands, les Autrichiens, les Tchèques… Et à la fin, les Français également, qui, de toute façon, sont souvent plus enclins que les autres à refuser les élargissements. Il ne sortira donc rien de tout cela. Je le répète : les dirigeants bruxellois trompent et trahissent de manière moralement inacceptable les Ukrainiens, alors qu’ils devraient leur parler franchement, avec honnêteté.
Vous avez d’ailleurs évoqué tout à l’heure qu’ils essaient de contourner la position hongroise. Et en effet, la proposition revient de plus en plus souvent : il faudrait supprimer le droit de veto des États membres. Et si l’on parle de messages directs, citons Manfred Weber, président du Parti populaire européen, qui a dit qu’il en avait assez de voir Viktor Orbán « danser sur la tête des citoyens européens ».
Il en a tellement assez qu’ils ont monté à toute vitesse un parti : le Tisza. Ils l’ont fabriqué ici, à Bruxelles, et l’ont officiellement lancé. J’étais moi-même présent à un débat où cela a été annoncé : selon eux, je dois plier bagage, moi et le gouvernement national. Parce que Bruxelles veut un nouveau gouvernement pour la Hongrie. Leur solution, c’est le Tisza, son chef : voilà, c’est le futur gouvernement. Ils travaillent à cela à plein régime, et ils ne s’en cachent même pas. Pour eux, la solution ne consiste pas à nous convaincre, ni à trouver un compromis, ni à reconnaître la légitimité de la position hongroise. Non. Leur solution, c’est de faire en sorte que, quoi que disent les Hongrois, un autre gouvernement soit en place : un gouvernement qui, lorsqu’un vote est requis ici à Bruxelles, votera comme le souhaitent M. Weber ou Mme von der Leyen. Voilà le nom du jeu. C’est pourquoi, hier, j’ai débattu avec les commanditaires de l’opposition hongroise. Bien sûr, il faut échanger avec l’opposition en Hongrie, mais cela a peu d’importance. Le vrai combat, il est ici, à Bruxelles. Face aux commanditaires du Tisza et de la DK. C’est face à eux que je dois défendre les intérêts de la Hongrie. Le Tisza et le DK ne sont que des mandataires. Ils représentent Bruxelles en Hongrie, et non la Hongrie à Bruxelles.
Il y a un autre dossier dans lequel on cherche également à contourner le veto hongrois, ou la menace d’un veto : c’est le projet d’interdiction d’importation d’énergies fossiles russes. Avant le sommet, vous aviez dit que ce point devait absolument être retiré de l’ordre du jour. C’était l’un des objectifs hongrois. Quel résultat avez-vous obtenu sur cette question ?
Cette question n’a même pas été inscrite à l’ordre du jour. Le combat se poursuit la semaine prochaine, au niveau des ministres des Affaires étrangères. Hier, j’ai eu des discussions avec les Slovaques : nous sommes sur la même ligne. Nous ne pouvons pas accepter l’exigence de l’Union européenne de cesser tout achat de pétrole ou de gaz russes. Les Slovaques seraient eux aussi dans une situation dramatique, et nous aussi. Les factures énergétiques des familles hongroises, pour l’électricité, elles doubleraient ; pour le gaz, elles seraient multipliées par trois et demi. Alors, franchement, j’invite chacun à me donner un seul argument valable : pourquoi un Premier ministre hongrois devrait-il accepter une décision qui aurait pour conséquence directe de faire exploser les factures de gaz des ménages ? Pourquoi me le demandez-vous ? Et comment peut-on seulement avoir une idée pareille ? Nous sommes ici pour améliorer la vie des gens, pas pour la rendre plus difficile. Et vous nous demandez de soutenir une mesure qui nuirait directement aux Hongrois. Il faut comprendre une chose : je n’y consentirai jamais.
La Commission évoque régulièrement une possible compensation pour les États membres qui subiraient des pertes, et prétend que l’interdiction ne s’appliquerait qu’à partir de 2028. Sur quoi le gouvernement s’appuie-t-il pour dire que les effets seraient visibles dès maintenant ? Et existe-t-il des engagements concrets sur une éventuelle compensation ?
Ils veulent introduire la réglementation entre 2027 et 2028. Je ne sais pas comment vous vous projetez dans l’avenir, mais moi, selon mes plans, je serai encore en vie à cette date. Donc ce n’est pas si lointain que ça. Décider aujourd’hui quelque chose qui ferait tripler notre facture de gaz d’ici 2027, ce n’est pas une perspective réjouissante, même si cela ne se produit pas dès demain. Mais soyons clairs : il faut avoir un minimum de vision à moyen terme. Deuxièmement : dès que ce genre de décision est connue, les prix commencent à grimper. Les contrats à long terme, à prix avantageux, ne pourront plus être conclus, parce que le gaz ou le pétrole russes à bas prix disparaîtraient. Il ne resterait plus que des contrats plus chers, et cela se répercuterait immédiatement. Mais encore une fois : le bon vieux bon sens, revenons-y. Voilà une décision, une proposition, et elle est mauvaise pour nous. Pourquoi la soutiendrions-nous ? Nous ne la soutiendrons pas.
Puisque vous évoquez les messages directs, Ursula von der Leyen en a envoyé deux ces derniers jours. Pas à vous personnellement, mais aux autorités hongroises, au sujet de la Pride. Elle ne s’est pas contentée de demander, elle a exigé que la marche de la Pride prévue demain à Budapest soit autorisée, en invoquant le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique. Sur quel fondement peut-elle faire une telle demande ?
Sur le même fondement que Moscou autrefois. Elle considère la Hongrie comme un pays subordonné, et s’imagine qu’elle peut, depuis Bruxelles, donner des ordres aux Hongrois sur leur manière de vivre, sur ce qu’ils doivent aimer ou ne pas aimer, sur leur système juridique, sur ce qui doit être interdit ou autorisé. Je le répète : comme Brejnev. Je me souviens des années 80, c’était exactement comme ça.
Puisque nous parlons de la Pride, un débat juridique a émergé autour de la manifestation prévue : la police invoque la loi sur les rassemblements, pour affirmer que cela n’est pas possible, tandis que le maire estime qu’il n’y a rien à interdire, puisqu’il n’a pas été tenu de déclarer l’événement. Que faut-il prendre en compte ici ? Et finalement : aura-t-elle lieu ou non, la Pride demain ? Quel est votre point de vue ?
La situation est simple : il y a des lois. Ces lois sont élaborées par le législateur. Et celui-ci y définit, pour chaque cas, ce qu’on appelle une situation juridique, ce qui est proposé, ce qui est autorisé, et ce qui est sanctionné. Chaque loi est accompagnée d’un exposé des motifs. Et si jamais une question se pose sur le véritable sens d’un texte, il suffit de lire ces justifications pour comprendre pourquoi la loi a été rédigée ainsi. J’ai une formation juridique, je ne pratique plus, mais je suis toujours juriste de formation. Et les lois hongroises sont très claires : un rassemblement doit être déclaré, et la police doit l’approuver. Si la police le refuse, il est possible de saisir un tribunal, et c’est le tribunal qui tranche. C’est ainsi que la procédure fonctionne. Donc, peu importe que quelqu’un affirme que l’autorisation de la police n’est pas nécessaire : elle l’est. Telle est la situation. C’est la loi. Et quiconque ne respecte pas cette procédure organise ou participe à un événement interdit par la loi. Et la loi indique aussi quelles sont les conséquences juridiques d’un tel acte. Nous sommes des adultes. Je conseille donc à chacun de faire un choix. Respecter la loi, c’est ce que je fais, et c’est ce que je recommande aussi aux autres. Mais si quelqu’un décide de ne pas le faire, qu’il assume alors les conséquences légales clairement énoncées. La loi, c’est la parole claire, disait peut-être le poète Attila József. Et il faut savoir à quoi s’en tenir. Évidemment, la police aurait le droit de dissoudre ce genre d’événements. Mais la Hongrie est un pays civilisé, une société civile. Nous n’avons pas pour habitude de nous agresser les uns les autres. Ce n’est pas la mission des forces de l’ordre, du moins plus aujourd’hui. Sous Gyurcsány, c’était différent : les citoyens qui exprimaient leur opinion étaient frappé, même s’ils enfreignaient la loi, même s’ils portaient des vêtements inappropriés, même si leur tenue ou leur comportement étaient choquants dans l’espace public, au point que nous devions détourner les yeux de nos enfants en leur disant : « Tu vois, ces messieurs n’existent pas vraiment, c’est une blague. » Si quelqu’un agit de telle façon, il y aura des conséquences juridiques, qui ne pourront toutefois pas atteindre le niveau de la violence physique, parce que cela est tout simplement étranger à la culture hongroise. Nous ne sommes pas là pour rendre la vie plus difficile, mais pour la rendre plus facile. Et une loi chrétienne, ça veut dire qu’on est là pour alléger le fardeau de l’autre, pas pour l’alourdir. C’est la version terre-à-terre du commandement « Aime ton prochain. » Et donc, le rôle de la police n’est pas d’avoir recours à la violence physique, mais d’amener les gens à respecter la loi. Bien sûr, dans certains cas, face à des criminels, par exemple, la force peut être nécessaire. Mais dans ce cas, ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Il semble donc que la Pride aura bien lieu demain. Mais ce qui a été annulé, en revanche, c’est la réunion prévue cette semaine du Conseil municipal de Budapest. Pourtant, les sujets ne manquent pas, et la capitale est confrontée à une situation proche de la faillite, qui devrait être traitée. Comment voyez-vous cette situation ? Quel est votre avis ? Qui est responsable de l’état dans lequel se trouve la ville ? En effet, nous avons l’impression que chaque camp rejette la faute sur l’autre.
Quand nous regardons Budapest, qu’est-ce que nous voyons ? Du chaos, des embouteillages, une quasi-faillite et la Pride. Nous ne sommes pas tous pareils. Il y en a sûrement beaucoup à Budapest à qui cela plaît. C’est leur goût, leur point de vue. Mais moi, je n’aime pas ce que je vois. Et bien sûr, le maire n’est pas obligé de tenir compte de mon opinion, je ne suis qu’un citoyen parmi d’autres. Mais pendant que la ville est en faillite, pendant qu’elle est paralysée par les bouchons, pendant que le travail à faire est énorme, pendant qu’il n’y a plus d’argent, alors même qu’elle a reçu des financements considérables, qui se sont évaporés quelque part, au lieu de s’occuper de la gestion de crise, ils organisent la Pride… et spéculent sur l’immobilier. Je ne veux pas m’en mêler. C’est l’affaire de la capitale. Mais ce que je peux dire, c’est que ce qui se passe est indigne. C’est une ville magnifique. La capitale de la Nation. Notre ville. Nous l’aimons. Et elle mérite une direction qui ne la laisse pas sombrer, mais qui soit capable de révéler tout le potentiel extraordinaire que cette ville possède. Car à Budapest, on pourrait vivre très bien. Mais aujourd’hui, notre quotidien est rempli de contrariétés.
Un dernier sujet : mercredi, il a décollé, et hier il est arrivé à la Station spatiale internationale : Tibor Kapu, le deuxième astronaute hongrois. En 2021, le gouvernement avait annoncé le programme HUNOR, avec l’intention d’envoyer un astronaute dans l’espace. À l’époque, beaucoup avaient accueilli cette annonce avec scepticisme, certains remettant en question la nécessité même du projet. Mais ces derniers jours, il semble que tout le pays ait célébré ce succès d’une seule voix. Comment évaluez-vous ces quatre années, depuis le lancement du programme jusqu’à sa réalisation ?
Tout d’abord, nous sommes Hongrois, et cela a des conséquences. Parmi mes lectures favorites, il y a les comptes rendus parlementaires du XIXe siècle. On y trouve les débats sur les grands projets d’infrastructure : la construction du Parlement, du Pont des Chaînes…Vous ne pouvez pas imaginer les choses que ces braves Hongrois se disaient alors ! Tout était jugé absurde, irréaliste, inutile. Et puis, le Parlement a été construit, le Pont aussi — et tout le monde s’est levé pour dire : « Quel magnifique projet ! Voilà un symbole de fierté nationale, quelle réussite ! » C’est souvent ainsi que cela se passe chez nous. Lorsqu’on veut initier quelque chose, il faut s’attendre, en tant que Hongrois, à ce qu’on vous tire par la manche, qu’on vous agrafe le pantalon, et qu’un débat éclate. Si vous croyez qu’un bon projet sera accueilli sans contestation, qu’il obtiendra automatiquement du soutien… eh bien, cela ne peut pas se produire en Hongrie. Ici, même pour une bonne cause, même pour une cause évidente, il faut se battre. Mais ce n’est pas un problème. C’est notre caractère. Il faut le faire, et ensuite tout le monde sera heureux et fier. Aujourd’hui, nous sommes fiers, tous, et nous avons de bonnes raisons de l’être. D’abord, parce qu’un homme d’exception, physiquement et intellectuellement, représente la Hongrie dans une équipe internationale, là-haut, dans l’espace. Il représente, comme il l’a dit, 15 millions de Hongrois. Nous lui tirons notre chapeau. Merci à lui d’avoir apporté de la gloire à la Hongrie, de nous avoir donné une raison d’être fiers d’être Hongrois. Mais il y a aussi un aspect plus pragmatique. Il faudra un jour parler sérieusement du fait que la Hongrie possède de véritables compétences dans le domaine spatial. Le lancement d’un vaisseau spatial est spectaculaire, c’est pourquoi nous pensons que seuls les grands pays ont un rapport avec l’espace, car ce sont eux qui peuvent lancer des vaisseaux spatiaux. Et pourtant, ce n’est pas vrai. Il faut des composants, des instruments, des expériences scientifiques, toutes sortes d’équipements pour pouvoir mener des activités dans l’espace. Et ici, en Hongrie, je parle des entreprises privées, il existe des sociétés sérieuses, peut-être pas de niveau NASA ou américain, mais hautement qualifiées, qui participent à des missions spatiales, souvent sans que personne ne le sache, en apportant un savoir-faire scientifique, technique et intellectuel de grande valeur. Et elles en font aussi un business. Le spatial n’est donc pas un domaine inaccessible pour la Hongrie. Je ne dis pas qu’il va remplacer l’agriculture dans les années à venir, mais c’est un secteur en croissance, porteur de nouvelles opportunités, et il est positif que des entreprises hongroises y soient présentes sur une base privée. Et grâce à des projets emblématiques, comme l’envoi de notre astronaute, nous signalons aussi au monde que, dans cette industrie d’avenir, dans l’industrie du futur, la Hongrie est là. Et il faudra compter avec les Hongrois.
Depuis Bruxelles, j’ai interrogé Viktor Orbán, Premier ministres, entre autres, à propos du sommet européen d’hier, de la Pride à Budapest, et du voyage dans l’espace de Tibor Kapu.