Zsolt Törőcsik : Bonsoir à tous, nous sommes à Washington, à l’ambassade de Hongrie, où j’ai le plaisir de recevoir le Premier ministre Viktor Orbán.
Bonsoir, bonjour, ou bon après-midi à vous !
Effectivement, nous enregistrons cet entretien quelques heures avant sa diffusion. Ici, à Washington, c’est jeudi soir. Demain, vous rencontrerez le président américain Donald Trump. Votre dernière visite officielle remonte à près de six ans et demi, également chez Donald Trump. À l’époque, vous aviez dit que cette rencontre avait permis de renforcer les liens d’alliance sur plusieurs points essentiels. Puis sont venues quatre années de présidence démocrate. À quel point l’ambiance sera-t-elle différente cette fois-ci, par rapport à celle de 2019 ?
Tout sera différent. La véritable valeur d’une alliance se mesure à l’épreuve du temps. Tant qu’elle n’existe que sur le papier, dans des déclarations communes, elle n’a qu’une portée limitée. Mais plus elle résiste aux tempêtes, plus elle traverse de combats menés côte à côte, plus elle devient forte et précieuse. Et aujourd’hui, l’alliance américano-hongroise appartient à cette catégorie. On peut remonter jusqu’à l’ère Biden, mais il faut sans doute aller encore plus loin dans le passé. En 2010, un pays d’Europe, un pays du monde occidental – la Hongrie – a eu le courage de dire que la direction prise par l’Occident, celle que ses dirigeants imposaient à leurs peuples, menait droit dans le mur. Que ce chemin-là était une impasse. Que le modèle dit « libéral et globaliste » avait épuisé ses ressources et ne savait plus répondre aux questions fondamentales des citoyens. Le chômage augmentait, la compétitivité s’effritait, le coût de la vie explosait, et une crise financière frappait de plein fouet. Puis, dans les années qui ont suivi, sont venus les flux migratoires, la déferlante des idéologies hostiles à la famille, à commencer par le mouvement de genre. Dès le début des années 2010, il était clair qu’il fallait autre chose pour permettre aux gens de mener une vie paisible, sûre, équilibrée et heureuse. Et ce sont les Hongrois qui ont été les premiers à poser cette question, et à y répondre en choisissant non pas un gouvernement libéral et globaliste, mais une voie conservatrice, chrétienne et nationale. Nous étions alors les seuls dans le monde occidental à emprunter ce chemin. En 2016, nous avons reçu une grande confirmation de notre choix : aux États-Unis, c’est Donald Trump qui a remporté la présidentielle, un homme qui pensait exactement comme nous. Il estimait, lui aussi, qu’il fallait changer le cap du monde occidental, ou du moins permettre à certaines nations d’emprunter une autre voie, de se soustraire à cette dérive, comme les Hongrois l’avaient fait à leur échelle, les Américains pouvaient le faire à la leur. Il s’y est essayé, et il est allé assez loin. Mais il a perdu l’élection suivante. Alors, les démocrates globalistes et libéraux sont revenus au pouvoir ici, aux États-Unis, et aussitôt, les excellentes relations américano-hongroises qui existaient jusque-là se sont brutalement détériorées. Des sanctions ont été imposées contre nous : politiques et financières. Ils ont tenté de bloquer la construction de notre centrale nucléaire, nous ont refusé l’accès à certaines technologies américaines de pointe, y compris dans le domaine militaire, et ont laissé expirer sans la renouveler l’accord entre les deux pays visant à éviter la double imposition. Bref, dans tous les domaines, les Américains nous ont sanctionnés. Tout cela a pris fin cette année. En janvier, Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche, et nous sommes revenus au point où nous en étions en 2016 ; à cette différence près que le président américain est aujourd’hui bien mieux préparé. Il a eu le temps de mesurer l’ampleur de la tâche : changer la culture de gouvernement du monde occidental. Pendant des années, il a rassemblé autour de lui les hommes et les femmes nécessaires à cette entreprise, ici, aux États-Unis. Nous avons, nous aussi, participé à l’élaboration de son programme. Et aujourd’hui, il est de retour : armé de toute son expérience, animé d’une énergie juvénile malgré les années, tel un véritable tornade Trump sur la scène mondiale. Et pour nous, Hongrois, c’est une bonne nouvelle. Voilà, en somme, notre histoire commune, résumée en quelques mots.
Vous avez dit tout à l’heure que c’était une bonne chose pour nous, les Hongrois. Qu’entendez-vous exactement par là ? Et, soit dit en passant, cela fait presque dix ans que, lors de votre discours de Tusnádfürdő en 2016, vous avez été le premier chef de gouvernement en exercice à soutenir Donald Trump ; et vous l’avez refait à plusieurs reprises depuis, malgré les attaques, qu’elles viennent de Hongrie ou de Bruxelles. Alors, après ces dix années de fidélité, peut-on dire que cela porte ses fruits, notamment lors des discussions que vous aurez demain ?
Tout d’abord, il faut rappeler qu’en Hongrie, 1 400 entreprises américaines sont actuellement implantées. Elles représentent à elles seules près de 100 000 emplois, c’est-à-dire 100 000 familles hongroises qui vivent grâce à une entreprise appartenant à des capitaux américains. Ce n’est donc pas un poids économique négligeable. Ensuite, ces entreprises sont pour la plupart à la pointe de la technologie ; elles appartiennent non pas au passé, mais à l’avenir. Elles apportent non seulement des emplois, mais aussi des technologies à la Hongrie. Rien que cette année, sept grands investissements ont déjà été réalisés en Hongrie, pour une valeur supérieure à 100 milliards de forints, et nous en attendons encore trois ou quatre autres d’ici la fin de l’année. Tout cela est évidemment lié à l’évolution positive des relations américano-hongroises. S’il y a jamais eu un âge d’or dans nos rapports, c’est maintenant. S’il y a jamais eu un moment où les Hongrois pouvaient faire des affaires aux États-Unis, c’est aujourd’hui. Et s’il y a jamais eu une période où les entreprises américaines avaient envie de venir s’implanter en Hongrie et de contribuer à la dynamique de notre économie, c’est bien aujourd’hui. Les coopérations universitaires sont excellentes, les partenariats entre instituts de recherche le sont aussi, et même au plus haut niveau politique, que ce soit sur les questions de paix et de guerre, d’immigration ou de défense des valeurs familiales, nos deux gouvernements sont en parfaite harmonie. C’est une relation d’alliance et de camaraderie, tout en gardant à l’esprit que le président américain défend les intérêts du peuple américain, et moi ceux du peuple hongrois.
Nous parlerons tout à l’heure de la guerre et de la paix, mais l’énergie sera également un sujet important des discussions. Donald Trump a déclaré récemment que vous aviez demandé une exemption des sanctions contre la Russie, sans l’obtenir. Dans l’avion qui vous amenait ici, vous avez dit, je vous cite, « c’est presque une question de vie ou de mort ». Que faudra-t-il pour convaincre Donald Trump d’accorder à la Hongrie une dérogation ? Après tout, il connaît bien la situation géographique et les contraintes énergétiques de la Hongrie : vous en avez déjà parlé au téléphone il y a quelques semaines.
Je pourrai vous répondre demain après-midi. En effet, parmi les sujets que nous aborderons, celui-ci est le plus grave et le plus crucial pour les ménages hongrois, pour les familles et pour nos entreprises. C’est un dossier dans lequel je dois obtenir un résultat demain.
Pouvons-nous offrir quelque chose qui amènerait le président américain à faire preuve de plus de souplesse ?
Je ne veux rien “offrir” au sens commercial du terme. Il ne s’agit pas pour nous de demander un cadeau ou une faveur inhabituelle aux Américains, mais simplement de faire reconnaître une évidence : le régime de sanctions imposé sur l’énergie russe place des pays comme la Hongrie, des pays sans accès à la mer, dans une situation intenable. Je vais donc demander au président d’en convenir, et je viendrai avec plusieurs propositions de solution. J’espère qu’il en acceptera une. Cependant, je ne souhaite pas y parvenir sur une base commerciale, mais sur la base du bon sens et de la compréhension. Sur d’autres sujets, bien sûr, j’emploierai une approche différente : là, ce sera plutôt la logique des avantages réciproques, « je donne, tu donnes, selon les circonstances ». Pour les questions énergétiques et industrielles, nous discuterons sur un plan économique. Mais s’agissant de l’énergie russe, ce n’est pas une affaire commerciale : c’est une question de bon sens, et j’en appelle à la lucidité du président américain.
Parlons maintenant de la question de la guerre et de la paix. Sur ce point, vos positions semblent converger. Que pouvez-vous dire au président qui pourrait rapprocher les parties et les amener à la table des négociations ? Car, au fond, la première étape serait que Vladimir Poutine et Donald Trump se reparlent.
Ce qu’il faut d’abord savoir, et c’est important pour nous, Hongrois, de le comprendre aussi, c’est que le président américain est un homme de paix. Et ce n’est pas, chez lui, un simple objectif politique. Je le connais depuis longtemps, et indépendamment de toutes les polémiques qui l’entourent, je peux affirmer que c’est un homme de foi, un chrétien, convaincu que la guerre est une mauvaise chose. Et que celui qui reçoit de Dieu un talent, une position ou une influence a le devoir de mettre cette force au service de la paix, d’utiliser tout ce qu’il a reçu pour éviter que des vies soient perdues, pour que la guerre cède la place à la paix. Et pour un esprit américain, la paix a un bienfait majeur : c’est la liberté du commerce et de la coopération économique entre les peuples. Les Américains sont persuadés que des relations économiques libres et ouvertes conduisent, au bout du compte, au bonheur. Nous, Européens, et surtout nous, Européens du Centre, nous avons une vision un peu plus nuancée de cette idée. Mais ce n’est pas ce qui importe ici. Ce qu’il faut retenir, c’est que le président américain, souvent décrit par la gauche comme un dirigeant autoritaire ou démoniaque, est en réalité un homme affable, animé par la conviction profonde qu’il faut éliminer le mal, et que parmi les maux du monde, le plus grand de tous, c’est la guerre. Il croit cela sincèrement. Il le ressent au plus profond de lui, et il cherche réellement des solutions pour mettre fin aux conflits. En huit mois, il a réussi à clore huit conflits de différentes ampleurs. Mais le plus grand défi reste devant lui : mettre un terme à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, un défi immense, même pour un président américain.
Selon vous, que faut-il pour qu’un sommet de la paix puisse se tenir dans un avenir proche ?
Je pense que ce sommet aura bien lieu, puisqu’il a déjà été annoncé. La vraie question est de savoir quelle fonction on veut lui donner. S’agira-t-il d’un sommet destiné à rapprocher les positions et faire progresser la paix, c’est-à-dire une étape vers un accord ? Ou bien attendra-t-on d’avoir réglé toutes les questions préalablement, pour que ce sommet serve non pas à avancer vers la paix, mais à annoncer la paix déjà conclue ? Cela, on ne le sait pas encore. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura un sommet pour la paix. Nous ne savons pas encore s’il s’agira du sommet définitif, celui qui apportera une solution, ou d’une étape importante sur le chemin de la paix.
Mais il y a aussi l’Europe. Et si l’on observe la situation sous cet angle, Bruxelles continue de voir dans le soutien à l’Ukraine la clé de la résolution du conflit. Selon une analyse publiée cette semaine, l’Ukraine aurait besoin de l’équivalent de 140 000 milliards de forints en dollars sur les quatre prochaines années pour poursuivre la guerre. Pour donner une idée, c’est presque le double du produit intérieur brut annuel de la Hongrie. Mais alors, d’où viendra cet argent ? Où l’Europe trouvera-t-elle les moyens de financer une telle somme ?
C’est une question tout à fait légitime. En réalité, il y a deux questions distinctes que nous devons garder à l’esprit, et elles sont toutes deux extrêmement complexes. La première est la suivante : comment éviter que la guerre ne s’étende et n’entraîne les Européens dans son sillage ? Comment éviter qu’à la suite d’une mauvaise décision, ou d’un accident, l’Europe ne se retrouve soudain directement impliquée dans ce conflit ? Pour l’instant, elle n’y participe qu’indirectement : en fournissant des armes et de l’argent. Mais cette politique marche sur la corde raide, à la limite de ce que permet la tolérance au risque. Un seul faux pas, et, comme on dit, le conflit pourrait s’étendre, l’escalade deviendrait inévitable, avec des conséquences imprévisibles, pouvant aller jusqu’à une troisième guerre mondiale. C’est là le premier point sur lequel nous devons réfléchir. Mais nous, Hongrois, qui avons l’habitude de penser à long terme, nous savons qu’un jour ou l’autre, il y aura un cessez-le-feu, puis la paix, si Dieu nous prête main-forte. Et alors viendra la grande question : « Et après ? » Comme on disait autrefois, du temps des communistes : on sait ce qu’il y aura après, mais d’ici là, que va-t-il se passer ? La question est donc de savoir si l’Ukraine, une fois la guerre terminée, sera capable de subsister en tant qu’État autonome. Et, aujourd’hui, la réponse est plutôt pessimiste. La conviction générale, c’est que l’Ukraine ne pourra pas survivre sans aide financière étrangère, non seulement à cause des destructions de la guerre, mais aussi en raison d’autres faiblesses. Alors, qui va payer ? Et combien cela coûtera-t-il ? C’est la deuxième question majeure, à laquelle il faut réfléchir : comment aider les Ukrainiens à tenir debout, sans que cela ruine l’Europe.
Mais existe-t-il une telle solution ? Car, à ce stade, l’Europe ne semble pas aller dans cette direction.
Effectivement, l’Europe ne raisonne pas ainsi. Elle ne réfléchit pas à la seconde question. Si elle pensait comme nous, elle aurait depuis longtemps cessé de soutenir la guerre. Aujourd’hui encore, l’Europe croit pouvoir gagner la guerre. Les dirigeants européens pensent que la solution se trouve sur le champ de bataille, que les Ukrainiens finiront par vaincre la Russie, et qu’on pourra alors contraindre Moscou à payer des réparations. Et, dans cette logique, la Russie paierait rétroactivement les coûts de la guerre, mais aussi ceux de la reconstruction et du fonctionnement futur de l’État ukrainien. Voilà le raisonnement européen. Mais pour un esprit hongrois, ce scénario est à des années-lumière de la réalité. Penser qu’on pourra faire payer à la Russie la totalité des coûts de la guerre, de la reconstruction et du redressement de l’Ukraine, c’est, à mes yeux, une illusion dont aucun esprit sérieux ne devrait se bercer. Et pourtant, l’Europe persiste dans cette illusion aujourd’hui. Si cette hypothèse s’effondre, si l’Ukraine ne gagne pas la guerre et ne peut pas forcer la Russie à payer, alors qui paiera ? Et combien ? Il n’y a pas de réponse à ces questions. Pourtant, la facture existe déjà, et quelqu’un devra la régler. Jusqu’à présent, ce sont les citoyens européens qui ont payé. 185 milliards d’euros ont déjà été dépensés, et on parle d’en ajouter 40 de plus. La Hongrie s’y oppose, car cet argent inclurait aussi celui des contribuables hongrois, et je ferai tout pour empêcher que l’argent des Hongrois parte en Ukraine. Nous parlons déjà de sommes colossales, et pourtant, comme vous l’avez rappelé, elles ne représentent encore qu’une fraction des montants envisagés par les analystes pour les années à venir. Or l’Europe n’a pas cet argent. Et si elle ne peut pas payer, et qu’elle ne peut pas non plus forcer la Russie à le faire, que va-t-il se passer ? Voilà le grand dilemme auquel l’Occident doit faire face. Et, entre nous soit dit, ce n’est pas notre problème. Car nous ne participons pas à cette guerre. Nous aidons l’Ukraine sur le plan humanitaire, mais nous n’avons aucune obligation d’y envoyer ni soldats, ni armes, ni argent. Nous l’avons dit dès le premier jour, et je défends avec raison le droit des Hongrois à ne pas voir leur argent envoyé en Ukraine. Mais pour ceux qui ont soutenu l’Ukraine jusqu’ici, comment vont-ils faire marche arrière ? Voilà la grande question politique des six prochains mois pour l’Europe.
Quelle est l’ampleur des pressions exercées sur la Hongrie, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur, pour qu’elle rejoigne la ligne adoptée à Bruxelles ?
C’est la pression la plus forte imaginable. Je ne saurais même pas la mesurer avec des unités physiques. Tout le monde travaille à pousser la Hongrie dans cette guerre, à la faire rentrer dans le rang, à ce qu’elle aussi fournisse des armes, et le moment venu, peut-être même des soldats, et qu’elle envoie son argent à l’Ukraine, comme le font aujourd’hui les gouvernements occidentaux qui soutiennent la guerre. Mais moi, je ne le veux pas. C’est le véritable enjeu de ce combat.
Cette campagne nationale de pétition contre la guerre, qui est en cours en ce moment, peut-elle contrebalancer ces pressions ?
Comment peut-on les contrebalancer ? D’abord, il y a cette mobilisation populaire pour la paix, cette pétition contre la guerre, qui exprime l’unité du peuple hongrois dans son engagement pour la paix. Ensuite, nous pouvons contrebalancer cette pression en travaillant main dans la main avec les Américains pour instaurer la paix ; ou, à tout le moins, un cessez-le-feu. Et l’alliance avec les États-Unis, les discussions prévues demain, ainsi que l’unité du peuple hongrois, doivent donner au Premier ministre de Hongrie toute la force nécessaire pour résister à la pression, aussi intense soit-elle, et pour maintenir une ligne politique conforme aux intérêts du pays.
Cette semaine, une affaire a attiré l’attention : après la fuite de données concernant environ 200 000 utilisateurs de l’application mobile du parti Tisza, il semble que ces données aient pu se retrouver en Ukraine. Vous avez ordonné une enquête sur cette affaire. Péter Magyar nie toute implication ukrainienne et parle d’un simple vol de données. Où en est cette enquête ? Dispose-t-on déjà d’informations précises ?
Pour l’instant, elle est en cours. Depuis que j’ai ordonné cette investigation, je ne m’en suis pas directement occupé. Un conseil des ministres se tiendra mercredi prochain, et j’y attends le rapport des ministres compétents. Avant cela, je ne peux pas entrer dans les détails. Mais je peux dire ceci : le droit hongrois est parfaitement clair, et les exigences morales dans l’esprit des Hongrois le sont tout autant. Lorsqu’une personne ou une organisation collecte des données, elle devient responsable de leur gestion, elle devient un « gestionnaire de données », et elle assume la responsabilité de leur traitement conforme. Si elle ne respecte pas cette obligation, elle viole une règle fondamentale de la loi et démontre qu’elle n’est pas apte à traiter ni à protéger des données sensibles. Or, c’est exactement ce qui s’est produit ici. Un gestionnaire de données, peu importe qu’il s’agisse d’un parti d’opposition, la question n’est pas là, s’est révélé incapable de garantir la sécurité des données qui lui avaient été confiées. Résultat : des données personnelles ont été rendues publiques sans le consentement des personnes concernées. Et ces personnes, bien sûr, n’auraient probablement pas donné leur accord. Je peux même dire avec certitude que la plupart des gens n’aiment pas voir leur nom associé à leur numéro de téléphone, à leur adresse, à leurs contributions financières passées ou, pire encore, à leur localisation géographique. Les gens, en général, tiennent à ce que leurs informations privées restent privées, et ils ont bien raison, car c’est ainsi que l’on se sent en sécurité. L’élément ukrainien intervient ici parce que les fils de tout ce système de gestion des données mènent jusqu’en Ukraine. C’est un fait établi : le système en question a été développé, ou en partie développé, par des ingénieurs ukrainiens, liés à une entreprise associée au gouvernement ukrainien. Et parmi les administrateurs dotés de privilèges spéciaux, certains sont basés en Ukraine. Autrement dit, les données collectées ont été, en partie, confiées à une personne située en Ukraine. Or, l’Ukraine est un pays en guerre, et nos relations sont tendues, notamment sur deux sujets : faut-il, et comment, la Hongrie doit-elle soutenir l’Ukraine, et plus tard, quelle position adopter sur son adhésion à l’Union européenne. Les Ukrainiens ont donc intérêt à convaincre les Hongrois : à envoyer des soldats, des armes, de l’argent, et à soutenir leur intégration européenne. Ils cherchent donc à identifier les citoyens, les acteurs politiques, les journalistes, les électeurs susceptibles d’être influencés lors de futures décisions, voire lors d’élections. En effet, leur intérêt, c’est qu’en Hongrie arrive au pouvoir un gouvernement pro-ukrainien. Aujourd’hui, la Hongrie a un gouvernement pro-hongrois, ce qui, pour Kiev, n’est pas un gouvernement ami. Les relations sont tendues, et nos intérêts divergent sur de nombreux points. Les Ukrainiens, eux, souhaitent un changement de gouvernement. Ils cherchent les personnes, les agents, les partis ou les médias qui pourraient les aider dans ce sens, car d’un gouvernement pro-ukrainien, ils espèrent qu’il rapprochera la Hongrie de la guerre et qu’il apportera un soutien plus fort à l’Ukraine que ne le fait le gouvernement actuel. C’est un raisonnement logique, et c’est dans ce contexte politique qu’il faut comprendre l’affaire de la fuite de données.
Restons un instant sur le sujet du parti Tisza. Officiellement, ils affirment vouloir baisser les impôts et augmenter les retraites. Mais cette semaine, leur responsable économique, András Kármán, a déclaré qu’il faudrait réduire les aides aux entreprises et alléger les taxes exceptionnelles. D’autres experts qui gravitent autour d’eux évoquent également des ajustements budgétaires, voire des mesures d’austérité. Pourquoi, selon vous, veulent-ils aller dans cette direction ? L’un de leurs arguments, c’est que le budget ne supporterait pas le rythme actuel des dépenses.
En trente-cinq ans de vie politique, j’ai appris qu’en Hongrie, deux grandes conceptions économiques s’affrontent. Par souci de simplicité, appelons-les l’une libérale de gauche, et l’autre nationale et conservatrice. La politique économique libérale de gauche consiste toujours à augmenter les impôts et à réduire ou supprimer certaines prestations que ses promoteurs jugent « non légitimes ». Ils ont, par exemple, supprimé la treizième mensualité des retraites, ou encore le treizième mois de salaire. La politique conservatrice de droite, au contraire, part du principe qu’il faut réduire les impôts. Ce n’est pas à l’État de décider comment les citoyens doivent dépenser leur argent. Mieux vaut laisser le plus d’argent possible entre les mains des gens, pour qu’ils puissent décider eux-mêmes de leur vie et de leurs priorités. Le rôle du gouvernement, c’est de créer les conditions nécessaires en prélevant le moins d’impôts possible sur les familles. Et, lorsque c’est possible, de soutenir les familles, notamment à travers des avantages fiscaux familiaux, car élever des enfants n’est pas seulement une affaire privée, c’est aussi une responsabilité nationale. Plus il y a d’enfants, mieux ils vivent et plus ils grandissent dans de bonnes conditions, plus la nation s’enrichit de citoyens forts, sains et confiants. C’est pourquoi la politique familiale a toujours été au cœur de la politique économique de droite. À mesure que nous approchons des élections, ce clivage réapparaît clairement. D’un côté, il y a une politique économique de gauche, représentée par la DK et le parti Tisza ; de l’autre, une politique nationale et conservatrice, fondée sur la baisse des impôts et le soutien aux familles, que défendent le Fidesz et le KDNP.
Le gouvernement a d’ailleurs lancé une consultation nationale sur ce sujet. Que devra-t-il en faire une fois les résultats obtenus ? Et cette consultation pourrait-elle créer, à long terme, une forme d’obligation pour le gouvernement ?
Le but de la consultation nationale, c’est d’apporter de la clarté dans un contexte politique confus. En ce moment, la période préélectorale ressemble à un brouhaha permanent, où il devient presque impossible pour les citoyens de savoir qui veut quoi. Autrefois, ce n’était pas comme ça. Vous êtes jeune, vous ne vous en souvenez peut-être pas, mais il fut un temps où l’on ne pouvait pas renier le mardi ce qu’on avait dit le lundi, ni dire autre chose le mercredi. Ce n’était tout simplement pas toléré. On demandait des comptes aux gens, ou peut-être avaient-ils honte, mais en tout cas, cela n’était tout simplement pas possible. Et ceux qui parlaient dans tous les sens, les électeurs les sanctionnaient. Aujourd’hui, c’est une cacophonie mondiale, pas seulement hongroise. Et dans ce chaos, il est devenu très difficile de discerner les positions réelles. La consultation nationale sert donc à remettre de l’ordre dans les idées, à poser clairement quelques questions essentielles : Faut-il augmenter les impôts, ou non ? Faut-il taxer les retraites, ou non ? Faut-il maintenir le plafonnement des prix de l’énergie ? Faut-il préserver le système d’aides familiales ? Je pense donc que la consultation nationale aide aujourd’hui les Hongrois à exprimer clairement et de manière compréhensible leur position sur certaines questions. C’est, en somme, une possibilité de dialogue fondé sur le bon sens.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que ces jours-ci, 250 000 mères de trois enfants reçoivent leur premier salaire exonéré d’impôt sur le revenu. Comment le gouvernement évalue-t-il l’impact de cette mesure ? Et comment évolue, ou pourrait évoluer, la marge de manœuvre financière des familles concernées ?
Écoutez, tout le monde est guidé par quelque chose. Les politiciens aussi, et moi le premier : j’ai mes convictions, mes passions, mes missions. Et parmi elles, il y en a une qui anime profondément toute la droite, et moi avec elle : faire en sorte que celles et ceux qui choisissent d’avoir des enfants ne se retrouvent pas dans une situation économique plus difficile que ceux qui ne souhaitent pas en avoir. Nous avons déjà pris plusieurs mesures en ce sens : par exemple les réductions d’impôt pour les parents d’enfants à charge. Mais la décision que nous mettons aujourd’hui en œuvre nous tient particulièrement à cœur. Parce que nous savons que le cœur de la famille, ce sont les mères, et que leur sécurité financière détermine à la fois le nombre d’enfants qu’elles oseront avoir et l’avenir même de notre communauté nationale. Nous sommes donc arrivés à un tournant : jusqu’à présent, il existait un crédit d’impôt familial, dont nous avons déjà doublé la valeur, de 50 % depuis le 1er juillet, et elle sera à nouveau augmentée de 50 % à partir du 1er janvier. Mais nous allons plus loin : nous avons introduit une mesure spécifique en faveur des mères. Désormais, toute femme ayant eu au moins trois enfants sera exonérée d’impôt sur le revenu à vie, quelle que soit l’âge de ses enfants. Cela concerne actuellement 250 000 mères hongroises. Et à partir du 1er janvier prochain, la même exonération s’appliquera aux mères de deux enfants. Puis, en 2027, elle sera étendue aux mères de deux enfants âgées de moins de 50 ans, et progressivement à d’autres catégories dans les années suivantes. Autrement dit, nous atteindrons le point où la Hongrie comptera un million de mères exemptées d’impôt sur le revenu à vie. Parce qu’en donnant la vie, en élevant et en éduquant leurs enfants, elles contribuent à notre communauté, elles créent de la valeur, et la société reconnaît cet apport, par l’exonération fiscale, comme un signe de respect et de gratitude. C’est l’une des forces spirituelles les plus profondes de la droite. Et je suis heureux qu’après seize années de gouvernement, nous soyons parvenus à ce résultat. Il nous reste encore deux ou trois projets du même esprit, que j’espère réaliser après les prochaines élections.
Certains experts, toutefois, mettent en garde contre la poursuite ou l’extension de ces exonérations aux mères de deux enfants.
La gauche, elle, s’y oppose farouchement. Voyez-vous, pour la gauche, nous ne sommes que des contribuables individuels. Elle considère la société comme une somme d’individus isolés. Il y a, certes, une part de vérité là-dedans. Mais nous, nous pensons que la société, la nation, est un ensemble de familles. Nous estimons qu’il est plus proche de la réalité de considérer les familles comme une unité et non comme trois ou quatre individus distincts. Si l’on considère la famille comme une unité, comme dans la vraie vie, et que le système fiscal reflète cette réalité, en adaptant les soutiens aux besoins des familles, alors on sert véritablement le bien commun. En revanche, une approche économique de type libérale ou individualiste est incapable de gérer cette dimension familiale. C’est pourquoi toute politique inspirée de cette logique finira toujours par éliminer tout ce qui relève de l’aide aux familles.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán notamment sur le sommet américano-hongrois, sur les perspectives de paix et sur le scandale de la fuite de données du parti Tisza.