Zsolt Törőcsik : Cette semaine sont parvenues de l’Europe plusieurs nouvelles préoccupantes qui semblent indiquer une dégradation de la situation sécuritaire actuelle. Le ministre belge de la Défense a déclaré : « si Vladimir Poutine tirait un missile sur Bruxelles, nous effacerions Moscou de la carte ». Des responsables militaires britanniques envisagent de partager leurs armes nucléaires avec Berlin, et en Croatie, le service militaire a été rétabli. Parmi les sujets abordés, je souhaiterais demander au Premier ministre Viktor Orbán dans quelle direction, selon lui, pointent ces déclarations, ces projets et ces mesures. Bonjour !
Bonjour ! Bonjour à nos auditeurs !
Selon vous, dans quelle direction évolue l’Europe au vu des nouvelles que je viens d’énoncer ?
J’ajouterais encore une information aux nouvelles que vous avez citées : les grandes puissances présentent de nouveaux systèmes d’armes, et ceux-ci deviennent de plus en plus efficaces. Nous sommes donc manifestement au point de départ d’une course aux armements, d’une spirale ; tout le monde parle d’augmentations massives des budgets militaires. Le cerveau humain fonctionne ainsi : quand il cherche des repères pour comprendre une situation ou qu’il veut déduire l’avenir à partir d’événements présents, il se tourne vers le passé, il cherche des modèles. Moi-même je travaille de cette manière : quand un dossier arrive et que ça ressemble à quelque chose que j’ai déjà vu, j’ouvre un dossier et je sais comment cela s’est passé à l’époque. Je pense que c’est valable à grande échelle, pas seulement pour les gestionnaires d’organisations, mais aussi pour ceux qui essaient de comprendre le monde. Il y a donc deux analogies : je regarde les analyses internationales et les études pour tenter de comprendre la situation actuelle. L’une renvoie à la Seconde Guerre mondiale, l’autre à la Première. Certains disent que nous sommes dans la même situation qu’en 1938 : Hitler progresse, les grandes puissances européennes ne l’arrêtent pas à temps, elles préfèrent s’arranger, et ces petits accommodements successifs aboutissent finalement à une grande Allemagne nazie d’où éclate la Seconde Guerre mondiale. Certains interprètent ainsi le conflit actuel. Je ne suis pas d’accord avec cette lecture, mais cela importe peu du point de vue des auditeurs. L’autre analogie, qui me paraît plus proche de mon interprétation, est celle de la Première Guerre mondiale, où en réalité personne ne souhaitait une grande guerre. Tout le monde voulait quelque chose, mais personne ne voulait une grande guerre européenne. Au final, les dirigeants européens se sont laissés entraîner dans une situation sans retour. C’est ce climat que je perçois aujourd’hui. J’ai le sentiment que les dirigeants européens ne réalisent pas qu’ils jouent avec le feu, qu’ils ne mesurent pas que telle décision – de nouveaux systèmes d’armes, plus d’argent pour l’Ukraine, davantage de soldats, le rétablissement du service militaire, etc. – peut se combiner à d’autres mesures pour former un mélange dangereux, un combustible qui finit par exploser. Donc, selon moi, l’Europe va aujourd’hui vers la guerre. On entend des déclarations que l’on n’imaginerait pas dans les discussions de haut niveau. Une grande puissance dit « nous réarmons, par exemple, l’Allemagne. Nous serons la plus grande armée d’Europe, la plus nombreuse en soldats, en armes, la plus grande industrie militaire ». Ou Ursula von der Leyen dit qu’il faut être prêts pour la guerre dans cinq ans. Ce sont des phrases terriblement dangereuses, et ceux qui les prononcent ne réfléchissent pas au fait qu’elles peuvent devenir des prophéties autoréalisatrices. Si vous posez un pistolet sur la table, vieil adage théâtral, tôt ou tard il se passera quelque chose, il risque d’être tiré. Je pense que l’Europe vacille étourdie vers une situation qui représente un danger de guerre de plus en plus immédiat. C’est pourquoi je dis aux Hongrois, à moi-même, au gouvernement, à la population, à vous tous : il faut maintenant nous décider, même si la suite des événements tourne mal, nous ne nous y laisserons pas entraîner. Alors que tout le monde dérive sans s’en rendre compte vers la guerre, nous devons au contraire ancrer notre position consciemment, nous placer clairement du côté de la paix, annoncer d’avance que nous nous abstiendrons des petites décisions actuelles pour ne pas nous retrouver, au final, en plein conflit. Pour l’avenir de la Hongrie, il est donc crucial d’avoir un gouvernement opposé à la guerre et favorable à la paix, et que les citoyens le comprennent et s’engagent : qu’ils expriment leur volonté de ne pas suivre les autres pays européens dans cette dérive dangereuse, mais de rester à l’écart en temps utile. C’est, à mon avis, la clé de la situation.
Oui, avant la Première Guerre mondiale, les dominos se sont effectivement tombés les uns après les autres, mais quelle réalité y a-t-il aujourd’hui à parler de paix, à organiser un camp pour la paix, comme l’avait notamment visé son voyage à Rome ?
La situation est bien meilleure qu’avant. Aujourd’hui, ce sont les Européens qui veulent la guerre. Ils l’affichent ouvertement : ils se préparent à mener une guerre contre la Russie. Nous, nous avons vécu ce genre d’expérience, pas une fois, ni deux, et nous ne leur conseillons pas d’en faire autant ; mais eux, ce sont les gros bras, nous sommes plus petits. Nous nous réjouissons déjà de pouvoir influer sur notre propre destin ; il ne faut pas imaginer que nous pourrons changer la volonté des grandes puissances. Bien sûr nous sommes prêts à contribuer : même si nous sommes petits, notre capacité de réflexion est là, nous avons des idées, un message, des propositions, mais nous n’avons pas la force d’imposer aux grandes puissances un comportement plus rationnel. Pourtant, notre devoir est d’exposer ces profondeurs dont nous parlons maintenant et d’obliger tout le monde à regarder au fond du puits : que ceux qui parlent de guerre mesurent les conséquences possibles de leurs mots – fin de la parenthèse. Cependant, la situation était pire il y a un an, car à l’époque, les Américains étaient également du côté de la guerre. Aujourd’hui, seuls les Européens et les Ukrainiens le sont. Les Américains sont du côté de la paix, et les Russes sont arrivés au point où, sous certaines conditions désormais connues, ils sont prêts à accepter la paix ou un cessez-le-feu. Les Ukrainiens, eux, poursuivent une guerre défensive : ils ne veulent pas signer la paix, ce qui se comprend, mais pour nous c’est un développement extrêmement défavorable : ils ont perdu 20 à 22 % de leur territoire, ils ne parviennent pas à s’y résigner, et c’est pourquoi ils préfèrent poursuivre la guerre. Les Européens financent cette guerre, alors qu’il est clair que ce conflit n’a pas de solution et que la ligne de front n’atteint pas de point d’équilibre. Donc ceux qui pensent qu’on peut obtenir une victoire militaire se trompent : si les Russes croyaient pouvoir écraser l’Ukraine, ou si les Ukrainiens croient pouvoir chasser les Russes des territoires conquis en poursuivant la guerre, tous ceux qui disent ou qui pensent cela, se trompent. Cela conduira à une situation gelée, à un front figé où les combats se poursuivront en permanence, où des milliers de vies seront perdues, où d’énormes sommes seront englouties, et où le débat lui-même pourra entraîner certains pays européens dans le conflit. Nous sommes dans une situation très dangereuse.
Oui, mais justement, l’Union européenne affirme vouloir la paix, simplement, elle dit vouloir y parvenir par le soutien à l’Ukraine.
Ils ne disent pas la vérité.
Mais jusqu’où l’Union européenne pourra-t-elle maintenir ce soutien ?
Celui qui veut la paix, fait la paix. Alors, arrêtons les histoires : nous ne sommes pas des enfants. Nous en avons fini avec l’époque où quelqu’un pouvait se lever, dire une chose et faire le contraire, sans que personne ne s’en aperçoive, ou en feignant que cela ne pose pas de contradiction. Aujourd’hui, une seule grande puissance veut réellement la paix : les États-Unis d’Amérique. Si nous voulions la paix, nous soutiendrions le président américain. Mais au lieu de cela, nous multiplions les déclarations, puis nous faisons exactement le contraire de ce qui pourrait aider le président des États-Unis à conclure la paix. En réalité, le principal obstacle aux tentatives de paix du président américain, aux efforts de médiation qu’il entreprend, c’est le groupe des pays européens qui se désignent eux-mêmes comme la coalition des volontaires. Volontaires à quoi ? À envoyer les autres faire la guerre et mourir à leur place, car eux, bien sûr, ne vont pas encore se battre : ils ne font que s’armer. Aujourd’hui, il existe donc une contradiction fondamentale entre les États-Unis et l’Union européenne sur la manière de mettre fin à la guerre. Mais nous ne voulons pas l’admettre : nous ne voulons pas dessiner devant nous le spectre d’une fracture transatlantique. Nous ne voulons pas non plus placer les citoyens face à une telle confrontation. Alors nous disons : « tout va bien, les Occidentaux, Européens et Américains veulent en réalité la même chose ». Mais ce n’est pas vrai !
Jusqu’à quand l’économie européenne pourra-t-elle supporter le financement de l’Ukraine ? Le président Zelensky a encore déclaré cette semaine qu’il demandait aux dirigeants européens d’assurer pendant un certain temps une aide financière stable à l’Ukraine.
Or, selon moi, la première phrase-clé, la plus importante, est celle-ci : celui qui soutient l’Ukraine, soutient la guerre. Autrement dit, aujourd’hui, soutenir l’Ukraine, c’est soutenir une Ukraine qui veut continuer la guerre, donc soutenir la guerre elle-même. Et comme une guerre exige de l’argent, de l’argent, et encore de l’argent, soutenir l’Ukraine revient à soutenir aussi les hausses d’impôts et les ponctions sur les budgets nationaux, puisque Bruxelles n’a pas d’argent. Parce que, soyons clairs : il n’existe pas « d’argent de Bruxelles ». C’est une jolie histoire que l’Union européenne a su vendre dans de nombreux pays, et que certains peuples à l’esprit moins critique croient peut-être, mais Bruxelles n’a pas de ressources propres. Elle essaie de créer des impôts européens, mais cela reste marginal. L’argent de Bruxelles, c’est celui que nous, États membres, envoyons à Bruxelles. Donc, quand Bruxelles accorde une aide, ou que l’Union contracte un emprunt, dont nous sommes en dernière instance les garants, l’argent qu’elle envoie à l’Ukraine est aussi notre argent. Pas uniquement le nôtre, certes, mais en partie le nôtre. Or, selon le projet de budget européen pour les sept prochaines années, déjà sur la table, plus de 20 % de ce budget commun, constitué des contributions des États membres, seraient transférés directement ou indirectement à l’Ukraine, alors même que l’économie européenne est en très grande difficulté. Je pense donc qu’il n’y a plus d’argent : l’Union européenne n’a plus d’argent. Nous voulons financer une guerre, continuer à soutenir financièrement les Ukrainiens, maintenir leur armée en état de combat, alors que nous n’avons pas un sou pour cela. Il faudra donc prendre cet argent quelque part : aux États membres. C’est pourquoi, à mon avis, le parti Tisza parle d’instaurer de nouveaux impôts, comme un impôt sur les retraites, parce qu’ils savent qu’il faudra verser davantage à Bruxelles. Ou alors, Bruxelles contractera de nouveaux emprunts encore plus importants, et là, viendra l’addition : ces dettes devront être remboursées. Dans le budget des sept prochaines années, le deuxième poste le plus important, après les aides à l’Ukraine, sera le paiement des intérêts de la dette déjà contractée. Et ces charges ne cessent d’augmenter, encore et encore, jusqu’à nous écraser. Tout cela nous mène droit à une crise de la dette classique.
Compte tenu de la détermination de Bruxelles, quelle est la valeur de la pétition nationale lancée contre les projets de guerre ?
Nous devons nous employer à faire en sorte que, de ce débat, du conflit entre Américains et Européens, ce soient les Américains favorables à la paix qui s’en sortent vainqueurs. C’est une phrase étrange : ce n’est pas ce qu’on a appris, ce n’est pas ce à quoi on s’est habitué ces soixante-soixante-dix dernières années. Les Américains étaient généralement les faucons, plutôt partisans de la guerre, et les Européens étaient du côté du « doucement », de la prudence, nous avons eu deux guerres mondiales sur le continent, il ne faut pas précipiter les choses. Aujourd’hui, les rôles se sont inversés : il y a aux États-Unis, grâce au ciel, un président qui veut la paix, et les Européens sont les faucons. Notre intérêt est donc que ce débat bascule en faveur du président américain, que l’intention pacificatrice l’emporte. Le Vatican reste, et je l’ai constaté personnellement lors de ma visite, le centre spirituel de la paix : de là émane une telle volonté, et c’est très important à mes yeux. Dans des situations aussi difficiles, les décideurs ont besoin d’un renfort spirituel et moral, la rencontre avec le nouveau Souverain Pontife nous a beaucoup aidés, il nous a confirmé que nous sommes sur la bonne voie, pour parler de façon profane, c’est-à-dire sur la voie de la paix. Il est bon que les chrétiens soient unanimes sur ce point. Et puis arrivent les résultats électoraux en Europe : de plus en plus de pays voient arriver des gouvernements favorables à la paix plutôt que des gouvernements pro-guerre. C’est ce qui s’est passé en Slovaquie, c’est ce qui vient d’arriver en République tchèque, et j’attends d’autres évolutions similaires.
Vendredi prochain, vous rencontrerez Donald Trump et vous discuterez, entre autres, de la paix à la Maison Blanche. Pouvons-nous être, d’ici une semaine, plus proches de la paix, ou au moins d’un sommet pour la paix à Budapest ?
Je crois que oui, nous pouvons nous en rapprocher. Nous travaillons depuis longtemps à cette rencontre. Ce n’est pas comme si nous pouvions simplement nous voir en passant ; moi, je le ferais bien volontiers, mais le président, lui, n’a pas ce loisir. Si nous nous rencontrons, cela doit être sérieux. Ainsi, il ne s’agit pas seulement du fait que le chef du gouvernement hongrois rencontre le président des États-Unis, ce qui, en soi, a de l’importance pour nous, mais nous ferons presque une « journée hongroise » à Washington. Des dirigeants économiques, plusieurs ministres, des responsables d’organismes d’État importants, le conseiller principal à la sécurité nationale, et ainsi de suite seront du voyage. Nous irons avec une grande délégation ; chacun aura ses interlocuteurs, et les relations américano-hongroises feront l’objet d’un examen et d’un rajeunissement approfondis. Lors des entretiens au plus haut niveau, l’un des aspects importants sera la paix, mais pour nous, Hongrois, un autre volet est tout aussi crucial : nous discutons depuis des mois d’affaires économiques, et j’ai le sentiment que si nous n’y allons pas de travers, et pourquoi irions-nous nous tromper, nous pourrons conclure un paquet de coopération économique américano-hongroise.
Que peut en tirer l’économie hongroise ? Il y a une ombre qui plane sur ce dossier : la question énergétique.
Il faudra l’éclaircir, mais je travaille depuis des mois à faire imaginer aux Américains la carte européenne ou d’Europe centrale. Ce n’est pas leur devoir : ils ont leur propre carte, centrée sur les États-Unis. D’ailleurs, j’ai trois cartes du monde dans mon bureau, je ne veux pas vous ennuyer avec ça, je n’ai pas perdu la raison : il n’y a qu’une Terre, un globe, mais on peut la regarder de manières différentes. J’ai une carte centrée sur l’Europe, qui montre le monde depuis l’Europe ; j’ai aussi la carte qui se trouve dans le bureau du président américain, où les États-Unis sont au centre ; et il y a une troisième carte que le président chinois consulte chaque jour, où la Chine est au centre. Comme nous ne sommes pas assez grands, nous devons souvent nous adapter et apprendre à voir le monde avec les yeux des autres. Si l’on raisonne ainsi, il faut dire que les relations bilatérales sont les plus importantes. Pour nous, Hongrois, l’essentiel est que les relations américano-hongroises produisent des avantages concrets pour le peuple hongrois. Je tiens à souligner que, pendant que les Américains rapatrient leurs entreprises de nombreux endroits du monde, des investissements américains arrivent en Hongrie les uns après les autres. Ceux-ci ne tombent pas du ciel : ils résultent d’accords. Dans le paquet de coopération économique que nous préparons, nous avons des demandes et des propositions pour attirer de nouveaux investissements américains en Hongrie, mais la condition préalable, comme vous l’avez dit, est de régler la question de l’énergie. Pour qu’un investisseur accepte un projet de long terme, il doit pouvoir prévoir l’un des principaux postes de coûts de la production : le prix de l’énergie. Je dois convaincre les Américains, qui ne peuvent pas imaginer ce que c’est qu’un pays sans accès à la mer, car eux-mêmes en ont. Le président américain voit sur sa carte un pays entouré d’eaux par tous côtés ; la Hongrie, au contraire, est un pays fermé, sans mer, ce qui exclut le transport maritime direct. Nous sommes tributaires des voies d’acheminement par lesquelles l’énergie peut arriver en Hongrie. Ce sont principalement des oléoducs et gazoducs ; il y a aussi des lignes électriques, mais c’est une autre affaire. Nous devons nous adapter à ces réseaux de conduites, sinon nous serons privés d’énergie. Et avec les Américains… comment dire ? Il nous faut leur faire comprendre cette situation particulière qu’ils ne connaissent pas et les difficultés qui en découlent, si nous voulons obtenir des dérogations aux sanctions américaines frappant la Russie. Nous ne sommes pas complètement seuls : cela a été peu relayé dans la presse hongroise, ce qui m’étonne, mais j’ai vu un rapport de renseignement, peut-être même une information publique, selon lequel les Allemands, qui ont un accès à la mer, demandent une exemption des sanctions américaines pour l’une de leurs raffineries. Or je me souviens qu’on nous tirait l’oreille pour que nous quittions l’énergie russe. Maintenant, quand tout le monde doit réduire sa dépendance, voilà que, comme par hasard, les Allemands demandent immédiatement une dérogation. Cela ne les a pas empêchés jusqu’ici de nous faire la leçon. Je veux seulement dire qu’un État a le droit de défendre son économie nationale face à un régime de sanctions, même l’Allemagne, qui a une façade maritime ; et si eux ont ce droit, comment ne l’aurions-nous pas, nous qui n’avons pas de mer ?
Les questions économiques sont d’autant plus importantes que l’économie hongroise a stagné au troisième trimestre par rapport au précédent. Or, selon les experts proches du parti Tisza, l’État devrait faire des économies, ce qui impliquerait, par exemple, une hausse des impôts et la taxation des retraites. La réduction des dépenses et l’augmentation des recettes sont-elles justifiées, même à ce prix ?
Si l’on est de gauche, on voit les choses ainsi, et je comprends leur logique : ils ont toujours fait comme ça. Je ne dis pas qu’il n’y a pas, au fond, une part de vérité économique là-dedans. Mais enfin ! Nous avons peu de temps, mais laissez-moi vous expliquer la différence entre un économiste et un responsable de la politique économique. Un économiste, c’est une personne formée, qui a étudié les mécanismes économiques à l’université. Il connaît les chiffres, car l’économie, après tout, c’est une affaire de chiffres. Il regarde une situation, analyse les données, et formule une proposition. Voilà, c’est un économiste. Un responsable de la politique économique, lui, regarde la même situation et se dit : « attention, il y a des familles, des retraités, des personnes modestes, des travailleurs à l’étranger, des gens employés dans tel ou tel secteur ». Il travaille donc avec une réalité sociale, pas seulement avec des chiffres. C’est une approche différente. Le politique ne voit pas des chiffres, il voit des gens. C’est d’ailleurs la même chose dans mon métier, le droit. Il y a les bons juristes, qui connaissent les textes et ne voient que les lettres, et il y a le législateur, qui, lui, influence la vie des gens par son travail. Ce dernier doit voir des personnes. C’est un autre métier. Ainsi, économiste et politique économique, ce sont deux métiers différents. Nous avons besoin du savoir des économistes, bien sûr, mais il ne faut jamais leur obéir aveuglément. On peut écouter leurs conseils, mais pas parce qu’ils seraient plus intelligents : il faut d’abord passer leurs propositions au filtre de la politique économique, et n’en garder que celles qui résistent à l’épreuve du temps. Le problème avec les conseils que vous venez d’évoquer, ceux de la gauche, du parti Tisza ou de la DK, c’est qu’ils ont déjà été testés, et qu’ils ont échoué. Nous avons déjà filtré ces brillantes idées d’économistes, nous les avons appliquées, je citerai un nom symbolique, celui de Lajos Bokros, et cela a causé d’énormes dégâts. Je suggère donc que nous oubliions tout ce fatras : les recettes de Tisza, du DK, des économistes libéraux et de gauche. Cette approche n’a apporté que des problèmes à la Hongrie. Une politique économique réussie, nous n’en avons eue qu’après 2010, et elle est exactement l’inverse de ce qu’ils conseillent. C’est pourquoi je suggère en tant responsable politique non-économiste, qui gère des questions relevant de la politique économique, avec tout le respect que je dois aux économistes, de remercier ces derniers pour leurs conseils avisés, de les oublier rapidement et de faire ce qui est bon pour les citoyens, plutôt que ce qui permet d’équilibrer les comptes. Selon moi, on ne peut pas relancer l’économie hongroise par l’austérité. Il faut comprendre pourquoi la croissance est lente ; et cela est lié à la lenteur de la croissance européenne. L’économie hongroise croît, certes, entre 0,6 et 1 %, mais c’est peu. Pour ceux qui ne s’occupent pas d’économie, disons qu’une croissance d’un pour cent génère pour le budget entre 400 et 500 milliards de forints de ressources redistribuables. C’est énorme ! La situation budgétaire serait bien meilleure avec 3 % de croissance : nous aurions alors mille milliards de forints pour réduire la dette ou pour soutenir un bon objectif, mais il vaudrait mieux réduire la dette, bien sûr. Mais cet argent n’existe pas aujourd’hui. Et si l’économie hongroise ne peut pas croître davantage qu’à 1 %, c’est pour la même raison que l’économie européenne. J’ai écouté la présidente de la Banque centrale européenne au dernier sommet de Bruxelles : elle prévoit 1 % de croissance pour la zone euro l’an prochain. Il faudrait au moins 3 %, et si cela ne se produit pas, c’est parce qu’il y a la guerre. La guerre bloque l’économie européenne. Quand l’argent part dans les armes, quand il part en Ukraine ; bref, quand les Européens font ce qu’ils font aujourd’hui, alors l’économie européenne ne peut pas redémarrer, ou seulement à crédit, ce qui est extrêmement dangereux. Voilà pourquoi la paix et le cessez-le-feu sont, pour les familles hongroises, un intérêt économique direct et vital. S’il n’y a plus de guerre, je ne dis pas que le pain sera moins cher, mais les salaires seront plus élevés, et le pain sera donc plus abordable par rapport au revenu. Autrement dit, le coût de la vie diminuera lorsque la guerre prendra fin et que la croissance reprendra. Je ne m’attends donc pas à une croissance forte tant que la guerre et les sanctions économiques dureront. C’est déjà un miracle, et je tire mon chapeau au ministre de l’Économie, Márton Nagy, que dans une Europe et une Hongrie paralysées par la guerre, il soit encore capable de mener des programmes de hausse des salaires, certains viennent d’être annoncés hier, de maintenir un programme de prêts à 3 % pour l’achat du premier logement, et de mettre en œuvre la plus grande baisse d’impôts d’Europe. Je regarde les autres pays européens : aucun ne peut faire cela. Chapeau donc à l’équipe économique hongroise qu’il dirige, d’avoir réussi à maintenir le déficit dans des limites acceptables tout en évitant les coupes et restrictions exigées par les économistes libéraux et le parti Tisza, et en continuant à mener des programmes importants malgré une croissance faible. Certes, cela comporte des risques, les économistes ont raison là-dessus, mais c’est la seule approche capable de produire une politique économique acceptable pour la population, même au prix d’un certain risque. Je souhaite maintenir la politique économique du pays sur cette voie.
Il nous reste peu de temps, mais parlons encore de deux sujets. Hier, vous avez annoncé qu’il y aurait une quatorzième mensualité de retraite. C’est donc acquis, et il ne reste qu’à en préciser les modalités. Quelle est la principale question encore en suspens ?
Nous nous occupons toujours des retraites et des salaires. Mais, vous savez, les Hongrois, et sans doute pas seulement eux, ont tendance à considérer que ce qui est déjà arrivé appartient au passé, que ce n’est plus intéressant. Or, quand on veut décider de l’avenir, il faut se souvenir de ce qu’on a fait. Dans le cas des retraités, cela signifie qu’en 2010, ils souffraient. Ils souffraient parce que les gouvernements précédents avaient diminué la valeur des retraites et supprimé le treizième mois. C’est pourquoi nous avons conclu avec eux un pacte, selon lequel plus jamais une telle situation ne pourrait se reproduire en Hongrie, du moins tant qu’il y aura un gouvernement national, et tant que je serai Premier ministre. Les retraites ne doivent pas perdre de valeur, nous devons les augmenter autant que possible, et nous avons promis de rendre le treizième mois. Cela n’a pas été facile, nous avons travaillé d’arrache-pied, mais nous y sommes parvenus. Et je pense qu’il faut maintenant aller plus loin : instaurer une quatorzième mensualité. Je ne veux pas modifier le système de retraite lui-même, car chaque bonne idée, même moralement juste, chaque ajustement interne crée au moins autant d’injustices nouvelles qu’il n’en corrige. J’ai de l’expérience dans ce domaine : il est toujours plus juste d’augmenter les retraites de manière uniforme pour tous les retraités, plutôt que de favoriser un groupe particulier. C’est pourquoi il faut continuer à augmenter régulièrement les pensions. Le quatorzième mois va dans ce sens, et nous devons le faire. C’est la même logique pour les salaires. Dans le secteur social, il y aura l’an prochain une augmentation de 15 %. J’ai regardé les chiffres : en 2010, le salaire brut moyen dans le secteur social était de 137 000 forints. Aujourd’hui, la plupart des salariés gagnent entre 400 000 et 450 000, et la médiane est plus haute encore, autour de 500 000 forints. Et nous allons pouvoir augmenter encore de 17 %. C’est énorme, quand on pense qu’en 2010 nous étions à 137 000 forints, et cela, alors même que la guerre freine la croissance économique. Encore une fois, le Parti Tisza, la DK et les économistes libéraux disent que ce n’est pas le moment d’introduire une quatorzième mensualité. Mais si, c’est le moment, et nous allons le faire. La seule question, c’est en combien d’étapes nous pourrons le mettre en œuvre. Nous ne pourrons évidemment pas imposer cette charge au budget en une seule fois, mais, comme pour la treizième mensualité, nous pourrons le faire progressivement. Nos experts travaillent en ce moment sur le scénario précis de cette mise en place.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur ses efforts pour la paix, sur les retraites et sur les augmentations de salaires.
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