Miklós Szánthó : À Washington, il est question de négociations de paix, d’objectifs de paix, du renforcement des relations économiques bilatérales… mais peut-être y a-t-il encore autre chose qui vous rapproche, Monsieur le Premier ministre, de Donald Trump. Lorsque Donald Trump a été investi président, il a immédiatement annoncé qu’il mènerait la bataille contre le deep state américain. Vous-même, Monsieur le Premier ministre, vous répétez régulièrement que nous ne voulons pas quitter Bruxelles ni l’Union européenne, mais bien « prendre Bruxelles ». Ces deux structures – le deep state américain et l’État profond bruxellois – ne seraient-elles pas deux faces d’une même pièce, une même mécanique destinée à mettre sous tutelle les responsables politiques souverainistes ? Ou s’agit-il simplement d’une coïncidence, de mécanismes analogues à l’œuvre ici et là au sein de ces États profonds ?
Ce terme de « deep state », pour une large partie de l’opinion publique hongroise, reste une expression floue. Cela a des avantages et des inconvénients. L’avantage, c’est que chacun peut y projeter ce qu’il veut – c’est stimulant. L’inconvénient, c’est que le discours manque alors de clarté.
On ajoutera dans la vidéo un petit encadré explicatif pour définir ce qu’est l’État profond.
Quant à moi, lorsque je parle de deep state, pardonnez-moi, cher Miklós, je tente ici de me justifier, je veux dire deux choses, et ce n’est pas forcément ce que chacun a en tête, y compris vous. D’une part, le sens classique du terme : il existe une bureaucratie qui fait tourner la machine étatique ; ce sont des rouages du pouvoir non élus mais employés, et, il y a les dirigeants élus. Les dirigeants élus arrivent, veulent donner une orientation, parfois nouvelle, mais ceux qui assurent l’exécution, issus de l’ancienne pratique, s’y opposent. Par inertie, par confort, parce qu’ils désapprouvent cette nouvelle direction, ou parce qu’ils restent loyaux à l’ancien leadership politique battu aux élections. Et tout cela fait que le système dysfonctionne. Le dirigeant veut faire avancer l’État dans une direction, et l’État ne suit pas. Voilà le premier sens. Le second sens, dans mon esprit, désigne l’anneau de structures qui entourent le pouvoir politique, un dispositif que les Américains ont bâti, dès les années 1980, comme une invention propre à leur système. Des fondations, un réseau d’influence autour du pouvoir : ce n’est peut-être pas « profond » au sens souterrain, mais cela peut influer très profondément sur le fonctionnement du gouvernement, et donc sur les dirigeants politiques eux-mêmes. À quoi les Hongrois doivent-ils penser ? On peut le résumer en un mot : Soros. Le système Soros, le réseau Soros, constitue à mes yeux une structure d’État profond, car, souvent en collusion avec les bureaucrates, il entrave l’action des gouvernements non-libéraux, non-de gauche, que ce soit aux États-Unis ou à Bruxelles.
Donc les mécanismes et la structure contre lesquels le président Trump se bat à Washington et ceux contre lesquels les souverainistes, y compris vous, Monsieur le Premier ministre, luttent à Bruxelles, présenteraient les mêmes traits ?
Si j’ai développé ma réponse aussi longuement, c’est pour pouvoir vous répondre clairement : au début du second mandat du président Trump, les deux structures se ressemblaient effectivement beaucoup. Mais au cours des dix derniers mois, cela a changé. Ce qui s’est passé, c’est que la majeure partie de ce réseau, de cet univers Soros, a commencé à être démantelé par les Américains. Les États-Unis ont lancé la lutte contre les groupes qui cherchent à influencer le pouvoir politique dans un sens contraire à la volonté des dirigeants élus ou au service d’intérêts étrangers. Une partie de ces acteurs s’est même enfuie. Et la situation a changé parce qu’ils sont arrivés à Bruxelles. Aujourd’hui, Bruxelles est donc devenu le dernier refuge des libéraux américains. Le président Trump a coupé les financements de ces ONG, de ces organisations non gouvernementales, et cet argent est désormais compensé illégitimement depuis Bruxelles. Je n’ai jamais consenti à ce qu’un seul forint des contributions que versent les Hongrois à Bruxelles soit attribué au réseau Soros. Et pourtant, Bruxelles le fait – nous l’avons révélé, tout comme l’équipe du président Trump l’a fait aux États-Unis. Nous avons une liste : nous voyons comment Bruxelles finance les organisations de cet anneau de pouvoir opposé aux souverainistes et servant les intérêts du centre impérial bruxellois. Nous voyons comment ces structures ont migré depuis l’Amérique, nous connaissons tout cela. Pour résumer votre question : oui, les structures coïncidaient, mais elles présentent désormais des différences significatives. Les États-Unis ont accompli d’immenses progrès vers le démantèlement de ces réseaux, tandis qu’à Bruxelles, la situation s’est fortement dégradée du point de vue hongrois.
C’est en effet la stratégie trumpienne du « drain the swamp », l’assèchement du marécage, quand il s’est attaqué à l’État profond. Et, coïncidence ou non – camarades –, le slogan du CPAC Hungary de l’an dernier était lui aussi : « asséchons le marécage ». Et puisqu’on parle de CPAC Hungary, et puisqu’on évoque les réseaux Soros ou l’État profond, je pense que, sous l’impulsion ou l’inspiration de la droite hongroise, une organisation internationale des forces nationales s’est engagée depuis huit à dix ans. Du côté de la gauche, du camp progressiste, il existe en effet un réseau extrêmement professionnel, structuré depuis cinquante, soixante, soixante-dix ans, dans toutes ses ramifications : justice, ONG, mouvement des droits de l’homme…
L’anneau.
Oui, l’anneau. Et je pense que, désormais, une plateforme mondiale – mais anti-globaliste – commence à émerger aussi du côté droit. Évidemment, les libéraux de gauche disposent d’un avantage considérable dans ce type de réseau international. Monsieur le Premier ministre, selon vous, où en est la droite dans ce combat international ?
La gauche dispose ici de deux avantages majeurs. Le premier, que vous venez de très bien décrire : l’avantage du temps. Le second relève de leur univers mental. La gauche, fidèle à son instinct traditionnel, est internationaliste et globaliste. Je ne dirai pas qu’elle n’a ni Dieu ni patrie, ce serait sans doute injuste, car il y a sûrement beaucoup de gens à gauche qui ont à la fois un Dieu et une patrie. Mais pour eux, la coopération internationale, le globalisme, passent toujours avant l’attachement national, et les courants intellectuels modernes priment toujours sur le lien avec le Bon Dieu. Je ne prétends pas qu’ils soient complètement sortis du cadre culturel occidental, mais l’ordonnancement des valeurs dans le monde occidental n’est clairement pas le même pour eux que pour nous. Dans leur instinct profond, l’idée que « prolétaires de tous les pays, unissez-vous » ou qu’il faut « abolir définitivement le passé », toutes ces formations internationales, leur est naturellement sympathique. Alors que nous, conservateurs… ou comment dire… patriotes, nous sommes de l’autre côté. Notre instinct nous pousse dans la direction inverse. Dans toute coopération internationale, nous voyons d’abord un risque : n’est-ce pas quelque chose qui va à l’encontre de nos intérêts nationaux ? Premièrement. Ensuite, se pose une vraie question intellectuelle : comment défendre des intérêts nationaux, qui impliquent nécessairement un débat entre nations, tout en rassemblant des forces nationales au sein d’un réseau international ? Nous devons donc surmonter une forme de résistance culturelle, un système d’instincts hérités. Nous progressons ; c’est une belle tâche. Les victoires remportées sur nous-mêmes sont les plus précieuses, quand nous vainquons nos propres faiblesses. Mais cela demande du temps. La situation est contrastée. Et de manière intéressante, cela a avancé plus vite du côté américain. La coopération internationale fondée sur l’intérêt national avec les Américains, grâce au CPAC, grâce à vous, grâce à vous tous, Miklós, a progressé rapidement. En Europe, c’est beaucoup plus difficile. Intégrer dans une coopération internationale des forces françaises, allemandes, italiennes, toutes fondées sur la défense de l’intérêt national, c’est une tâche beaucoup plus complexe. Ici, l’avancée est plus lente. Nous avons créé l’organisation des Patriotes, qui constitue le cadre institutionnel de cette coopération. Nous avons aussi défini les grands thèmes sur lesquels nos intérêts convergent, et nous voyons ceux sur lesquels ils divergent – ceux-là, nous pouvons les laisser de côté. Au niveau international, il faut se concentrer uniquement sur les domaines où nos intérêts coïncident. Mais pour que cela devienne une routine quotidienne, il faudra encore quelques années. Mais autrement, Bruxelles ne pourra pas être reprise. Cette transformation, ce dépassement de nous-mêmes, doit aussi se produire dans la dimension bruxelloise.
Il y a plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous divisent, c’est certain.
Et même si ce n’est pas « plus », c’est en tout cas plus important.
Là-dessus aussi, je suis entièrement d’accord. D’un côté, il y a cette organisation de la droite, et de l’autre, il y a nos alliés, ou plutôt nos compagnons de lutte, comme le président Trump et les républicains américains. Dès les premiers jours, en janvier-février, le président Trump a supprimé les financements de l’USAID. Et les dernières informations indiquent que l’agence américaine de médias internationaux – où vient justement d’être nommé un de nos amis, proche allié de Trump – s’apprête, semble-t-il, à suspendre les aides financières aux médias américains opérant à l’étranger. Y compris, par exemple, la Radio Free Europe, réputée pour son indépendance… parfois très relative et assez sulfureuse, dont les activités politiques en Hongrie ont été particulièrement intenses. Revenons-nous ainsi vers une situation où l’ingérence étrangère dans nos élections sera moins agressive ? Ou bien ne s’agit-il que de petites gouttes, de micro-grains, et devons-nous nous attendre encore à de beaux remous venus de l’extérieur ?
S’agissant de la dimension américaine, la Radio Free Europe a été créée pour s’opposer au gouvernement national hongrois. Ils ne l’ont pas caché : ils l’ont dit ouvertement. C’est sous la précédente administration, celle de Biden. Ils ont déclaré : nous créons ce média parce que la ligne défendue par le gouvernement hongrois s’écarte du modèle de valeurs universelles, occidentales, américaines, selon lequel le monde devrait vivre. Par exemple : nous aimons notre patrie et plaçons l’intérêt national avant les coopérations internationales ; nous protégeons nos familles des idéologies LGBTQ et du genre ; nous ne voulons pas de guerre, nous voulons la paix. Il est donc devenu clair que la ligne défendue par le gouvernement hongrois différait de celle de l’administration américaine. Et tout comme Bruxelles l’a fait, les Américains ont mis en place leurs propres agences, disons les choses franchement, à travers lesquelles ils souhaitaient influencer la vie publique hongroise et, au bout du compte, la composition et les décisions du gouvernement hongrois. Je comprends cela lorsque nous sommes dans une relation hostile, ce qui fut le cas. Ce n’était pas de notre fait, c’est l’administration Biden qui en a décidé ainsi. Mais aujourd’hui, c’est une administration Trump. Si nous ne sommes plus ennemis, à quoi bon une telle radio ? J’ai l’impression que les Américains se sont posé la même question : ils l’ont supprimée. Et c’est bien ! Nous, Hongrois, n’allons pas financer des ONG opérant contre le gouvernement américain aux États-Unis. Pourquoi devraient-ils le faire ici ? Au contraire : puisque ceux qui agissent contre le gouvernement républicain américain sont les mêmes que ceux qui agissent contre le gouvernement national hongrois, je proposerai que nous unissions nos forces pour lutter ensemble contre les grands réseaux internationaux. Si je peux les aider – car, évidemment, les tailles ne sont pas comparables – je le ferai volontiers ; et eux pourront certainement m’aider à débarrasser définitivement la Hongrie de l’ensemble de l’univers Soros.
Le Centre pour les Droits Fondamentaux pourra d’ailleurs apporter son aide si nécessaire. Quant au « kirsch sur le gâteau », c’est la rencontre Trump–Orbán. Lorsque les grands dossiers politiques et stratégiques sont sur la table, création de la paix, coopération économique bilatérale, énergie, investissements, emplois, est-ce que, formellement ou informellement, reviennent aussi les grandes questions idéologiques plus abstraites – wokisme, migration, genre –, sur lesquelles vous partagez, semble-t-il, les mêmes positions que le président Trump ? Du moins, c’est ce que j’ai entendu. Est-ce que cela joue un rôle dans un tel entretien ? Y a-t-il une sorte d’affinité naturelle, ou bien cela reste-t-il une négociation purement politique, où ces éléments n’entrent pas en ligne de compte ?
C’est la base de tout, nous le savons, et nous le confirmons par quelques gestes et quelques phrases au début, c’est la coutume. Nous le savons tous les deux : encore une fois, les proportions diffèrent, donc le poids aussi, mais nous appartenons l’un et l’autre à la même grande entreprise civilisationnelle. Eux aussi tentent, dans un monde devenu ce qu’il est, appelons-le un monde libéral, de gauche, globaliste, d’instaurer un gouvernement moderne fondé sur les valeurs chrétiennes aux États-Unis. Ils emploient le mot « chrétien » avec plus de prudence que nous, mais c’est bien de cela qu’il s’agit : en partie restaurer l’ordre de la création, voyez les questions LGBTQ, en partie rétablir le règne du bon sens contre l’idéologie, voyez l’écologie radicale, les questions d’éducation, etc. C’est une grande expérience. Nous avons lancé cela dès 2010 en Hongrie. Le président Trump est arrivé plus tard dans ce combat. Nous ne sommes pas seuls : certains ont essayé en Angleterre, ils sont aujourd’hui en recul, mais cette aspiration internationale demeure forte. On pourrait dire que les mondes traditionnels, chrétiens, culturels, conservateurs, nationaux, les gens, les familles, les communautés, ont le sentiment de ne plus être représentés dans la politique moderne, alors qu’ils sont plus nombreux. Les élections diront s’ils le sont réellement, mais selon moi, oui : en général, ils sont plus nombreux que ces familles, individus et groupes adhérant aux valeurs modernes, globalistes, libérales… Une grande partie du monde occidental n’est donc plus représentée politiquement. Ce qu’ils pensent du monde n’est pas converti en volonté politique. Et c’est précisément ce à quoi nous avons entrepris de répondre en 2010 en Hongrie, et ce à quoi le président Trump s’est engagé aux États-Unis. C’est ce que nous appelons une fraternité d’armes : pas une amitié classique, mais une camaraderie. Nous savons tous deux que nous participons aussi à une grande entreprise spirituelle : ce n’est pas seulement une question de pouvoir, c’est aussi une question intellectuelle. Cette bataille doit être menée dans de nombreuses dimensions : de la philosophie profonde à la formation de l’opinion publique, jusqu’aux décisions politiques concrètes. Nous le savons. Et cela a son importance. C’est cela qui fonde la possibilité, ensuite, de s’entendre sur les questions concrètes, de l’énergie à la guerre, ou de s’aider mutuellement. Voilà pourquoi c’est essentiel. Le travail mené en coulisses par le CPAC et les organisations associées, comme le Centre pour les Droits Fondamentaux, joue un rôle considérable dans un sommet de cette nature : sans cette base, les discussions concrètes auraient une tout autre allure. Et c’est pourquoi nous sommes si nombreux à nous rendre aux États-Unis. Non seulement je rencontrerai le président, non seulement les ministres rencontreront leurs homologues, mais aussi les think tanks, les conseillers, les analystes, les intellectuels qui fondent idéologiquement la politique rencontreront leurs partenaires américains. C’est un contact qui se déploie sur tout le spectre entre l’Amérique et la Hongrie, placé sous le signe d’un gouvernement conservateur, chrétien et national.
Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, et merci aussi pour vos paroles aimables. Je crois que tout le travail de construction mené depuis tant d’années par la droite hongroise arrive aujourd’hui à maturité. Je suis heureux de perdre ici ma « virginité d’interview » avec vous, Monsieur le Premier ministre. C’est ma première interview avec vous. J’espère qu’il y en aura d’autres. Je vous suis très reconnaissant pour cet échange ! Gloire à la Hongrie !
Allez la Hongrie !