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Conférence de presse improvisée de Viktor Orbán après le sommet hongro-américain, à bord du vol Washington–Budapest

Ildikó Csuhaj(MTVA) : Monsieur le Premier ministre, vous avez confirmé aujourd’hui qu’hier, à la Maison-Blanche, le président Trump a accordé à la Hongrie une exemption illimitée des sanctions. Peut-on quantifier à quel point cette décision protège la politique de plafonnement des prix de l’énergie, surtout au regard des investissements et accords conclus, qui s’élèvent à quelque 466 milliards ?

Le maître des chiffres, c’est le ministre des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, c’est lui qui connaît les détails précis. Moi, j’ai conclu des accords avec le président. Bien sûr, tout cela sera ensuite mis par écrit, formalisé dans des documents officiels, mais l’essentiel est ailleurs : puisque les États-Unis ont un régime présidentiel, j’ai négocié et conclu avec le président lui-même. Le président m’a dit : « Très bien, nous vous accorderons une exemption des sanctions américaines, sans limite de durée », celles qui auraient visé le gazoduc TurkStream ou du Sud, et l’oléoduc Droujba. Ces sanctions n’existent plus. Un point, c’est tout. Ce que cela signifie, c’est qu’avec une estimation prudente, nous avons épargné aux Hongrois un prix de l’essence à 1 000 forints le litre. Et si l’on songe à la saison du chauffage qui commence, il faut comprendre que sans cet accord, les factures de gaz auraient été multipliées par deux et demie, voire par trois. Nous nous sommes donc protégés d’un désastre économique majeur. Ce n’est pas nous qui avons provoqué ce danger : c’est la guerre. Je le répète souvent : la guerre bloque l’économie européenne, à travers les prix élevés de l’énergie et les nouvelles sanctions successives. Et il suffit d’imaginer la Hongrie si les prix de l’énergie avaient doublé ou triplé : comment aurions-nous pu rester compétitifs ? Les conséquences auraient été incalculables pour nos emplois, nos usines, nos entreprises. Nous nous sommes donc épargné un grand malheur. Mais c’est ainsi dans ce métier : parfois, la foudre tombe, et il faut alors trouver un paratonnerre. Ce paratonnerre a fonctionné hier.

Eszter Zavaros (TV2) : Monsieur le Premier ministre, merci beaucoup de m’avoir permis d’être présente à la Maison-Blanche, et de pouvoir poser une question.

C’était excitant, non ?

Eszter Zavaros (TV2) : Trop excitant ! J’ai toujours cru parler un bon anglais, mais à un moment, j’ai commencé à en douter… Sur le vol aller, nous parlions justement de la manière de négocier avec Donald Trump : comment l’aborder, comment lui parler, quel est le secret pour conclure un accord avec lui. Maintenant que la rencontre a eu lieu, et qu’elle a manifestement été un succès : comment évaluez-vous l’entretien ? Avez-vous pu aborder tous les sujets ? Et surtout, vous m’aviez prédit dans l’avion qu’il serait direct, franc, et que tout se passerait comme il le dit : cela s’est-il vérifié ?

En effet, il y a des pièges à éviter. Les États-Unis sont un régime présidentiel : le président décide des grandes orientations, et confie les questions techniques à ses ministres. Donc, la difficulté, pour un Européen, ce n’est pas évident, c’est de ne pas partir des détails pour remonter vers l’ensemble, mais de partir de l’ensemble pour aller vers les détails. C’est au président ensuite de dire, une fois le fond compris, jusqu’où il veut descendre dans les détails. Si vous commencez par les détails, il vous dira : « Ce n’est pas un sujet important. » Autrement dit, une question est importante à ses yeux seulement si vous pouvez lui résumer en une phrase claire ce que c’est, et pourquoi c’est important. Ensuite, il décidera lui-même s’il veut en savoir plus. Mais il comprend immédiatement, il saisit l’essentiel en un instant. Et puis, il faut se souvenir d’une chose : un homme capable de traverser deux fois le champ de barbelés que représente une élection présidentielle américaine, ceci est la meilleure garantie du système politique américain qu’une personne incompétente ne peut pas accéder à la présidence. Cette épreuve n’existe pas pour faire souffrir les candidats : elle existe pour protéger les Américains. Celui qui parvient à surmonter toutes ces étapes, à remporter ces batailles successives, c’est quelqu’un à qui on peut confier le destin de l’Amérique. Et Donald Trump, lui, a franchi cet obstacle deux fois. Donc, qu’il soit un bon président ne fait plus débat, même pas la première fois, et encore moins aujourd’hui. Car jamais encore l’Amérique n’a eu un président avec un tel passé, un tel arrière-plan. Un homme qui a gouverné quatre ans, affrontant un réseau appelé « deep state », cette structure d’État profond qui cherche à freiner tout changement radical. Il a enduré cela, il a perdu, il a dû survivre : on a attenté à sa vie, il a survécu, on a voulu lui prendre sa fortune, on a tenté de l’envoyer en prison pour conspiration contre l’État. Il a surmonté tout cela, et il est revenu au pouvoir. Avec une telle expérience, un tel vécu, aucun président américain n’a disposé avant lui. C’est pourquoi tout avance aujourd’hui à un rythme de tornade. Ses huit années, quatre au pouvoir, quatre dans l’opposition, l’ont préparé à ce moment. Ce qui se passe aujourd’hui en Amérique est bien plus profond qu’on ne le perçoit lors d’une brève visite. C’est un changement d’échelle civilisationnelle. Une Amérique qui s’était tournée vers un progressisme libéral et globaliste est en train de revenir vers une société patriote, conservatrice, chrétienne, qui souhaite fonctionner selon des valeurs traditionnelles. Une entreprise sans précédent à cette échelle. Et, d’ailleurs, ce qui se joue là-bas détermine aussi l’avenir de l’Occident pour les décennies à venir. Parce que, au-delà des questions bilatérales hongro-américaines, il y a un combat plus vaste, plus élevé, celui pour l’âme de l’Occident, celui de la civilisation occidentale elle-même. La question est la suivante : le progressisme libéral l’emportera-t-il, avec tout ce qu’il comporte, idéologie LGBTQ, migration, et ce que nous considérons comme nocif ? Ou bien serons-nous capables, en préservant ce qui est bon dans notre passé, de créer une gouvernance chrétienne moderne ? C’est cela, l’enjeu réel de sa présidence. Et si lui parvient à le faire en Amérique, alors nous pouvons le faire en Europe. C’est une autre dimension de nos discussions. Ce n’étaient pas les points officiels de l’ordre du jour, bien sûr, mais cette idée planait au-dessus de tout, elle enveloppait nos échanges, et elle donnait un cadre à toutes les questions concrètes que nous avons abordées.

Andrea Hagyánek (Magyar Nemzet) : Monsieur le Premier ministre, à la fin de votre discours hier soir, vous avez dit qu’il était très important que le gouvernement reste au pouvoir, et si possible, le plus longtemps possible.

Le gouvernement hongrois, vous voulez dire ?

Andrea Hagyánek (Magyar Nemzet) : Oui, le gouvernement hongrois.

Évidemment, nous y tenons davantage…

Andrea Hagyánek (Magyar Nemzet) : Et quels sont vos plans à long terme pour le pays ? Vous m’aviez aussi dit, sur le vol en direction de Washington, ériger une barrière autour de Bruxelles, mais que ce serait une étape ultérieure. Que vouliez-vous dire par là exactement ? Et quelle vision géopolitique se trouve derrière cela ?

Je vais repartir du début : aujourd’hui, dans le monde occidental, se déroule un combat d’ordre civilisationnel, un combat sur ce que doit être ce que nous appelons l’Occident. Il y a toujours eu, traditionnellement, une grande lutte au sein de la politique occidentale : d’un côté, ce qu’on peut appeler la droite, c’est-à-dire ceux qui sont restés ancrés dans la tradition chrétienne, nationale et occidentale, et qui construisent leurs programmes politiques sur ces fondations ; et de l’autre, ceux qui ont quitté ou se sont exclus de cette tradition, le monde progressiste de gauche, qui a lui aussi sa vision du monde et son propre système de pouvoir globaliste. Cette bataille se déroule depuis cent cinquante ans en Europe. Et aujourd’hui, le camp libéral, globaliste, progressiste s’est déplacé vers des extrêmes, formulant des projets de société absurdes, notamment en matière de famille, de questions LGBTQ, de migration, et avec cette idée des frontières ouvertes, qui a plongé la civilisation occidentale dans un péril existentiel : par la migration, par les problèmes démographiques, et par la dégradation de la sécurité publique. Et maintenant, nous devons corriger cela. Les forces politiques restées fidèles à la tradition chrétienne et occidentale, appelons-les simplement la droite, doivent remporter cette bataille et ramener notre monde dans ce cadre. C’est ça, l’enjeu. Mon projet, à moi, c’est d’abord que la Hongrie comprenne que cette lutte est en cours. Que les Hongrois comprennent que leur propre destin est en jeu. Et qu’ils le comprennent à temps, parce qu’un petit pays qui réagit trop tard est perdu. Pour pouvoir s’adapter et se préparer à un changement d’une telle ampleur,
il faut comprendre à temps et en profondeur les dynamiques de cette lutte civilisationnelle. C’est là-dessus que je travaille : que chaque Hongrois le saisisse clairement. Ensuite, il faut apporter des réponses concrètes à ces défis : la migration, la sécurité, la famille, la démographie, l’éducation, que transmettons-nous à nos enfants ? Et encore, l’adaptation technologique, la tension entre patriotisme et internationalisme, et la question de la souveraineté. J’ai un projet pour que la Hongrie prenne part à ce grand bouleversement mondial en connaissant parfaitement ses intérêts, en comprenant la situation, et en prenant les bonnes décisions avant les autres. C’est ce que je fais depuis 2010 : de la politique migratoire à la réforme constitutionnelle, du système économique aux mesures de soutien aux familles, tout cela suit la même logique. Ce n’est pas un jeu intellectuel, ni une compétition pour être « plus malin que les autres », c’est une question de survie nationale. Parce que si tu ne perçois pas les connexions à temps, tu es en danger. C’est la première chose. Et puis, il y a le concret. Car, bien sûr, il y a aussi des adversaires sur le terrain, ce que je n’avais pas encore mentionné : hier, j’ai signé avec le président américain un accord sur un bouclier financier pour la Hongrie. Cela signifie que si un jour la Hongrie subissait une attaque extérieure, contre son système financier, par exemple, les Américains se sont engagés à défendre la stabilité financière de la Hongrie. C’est quelque chose de très important. Et dans l’hypothèse où la Hongrie ferait face à une attaque extérieure, disons, de nature spéculative ou politique, nous pourrions compter sur un bouclier financier américain. C’est ainsi que je calcule l’avenir. Bonjour, Bruxelles !

Krisztián Lentulai (Mandiner) : Monsieur le Premier ministre, il est bien connu que vous êtes resté aux côtés de Donald Trump, même lorsqu’il était au plus bas dans les sondages, et plus encore à une époque où personne n’aurait parié un sou sur son retour. Alors, si la stratégie hongroise de négociation s’est élaborée sur une feuille à carreaux, peut-on dire que, comme tactique de négociation, vous avez misé aussi sur cette forme de loyauté chevaleresque, de « betyárbecsület », pour reprendre l’expression hongroise ?

Oui, on pouvait compter là-dessus. Nous étions certains d’être accueillis dans un climat amical. Il n’y a rien de brisé dans les relations entre la Hongrie et les États-Unis. Il y a eu des accidents dans le passé, l’administration Biden, par exemple, qui nous a bien compliqué la vie pendant quatre ans, mais nous ne l’avons jamais pris personnellement. Nous nous disions : « Cela passera. Trump reviendra, et nous réparerons les choses. » Il y a donc eu des accrocs, certes, mais aucune faute historique, aucun tort irréparable n’a jamais pesé sur nos relations mutuelles. Même le bombardement de Budapest, que je considère comme quelque chose qui arrive en temps de guerre, nous a profondément meurtris, c’est vrai : les bombardements anglo-saxons de la Seconde Guerre mondiale ont causé des destructions considérables, dont on parle trop peu, mais c’est un fait. Cependant, cela n’a pas créé de blessures durables au point que l’un ou l’autre camp voie désormais un ennemi dans l’autre. Et puis, il reste ce petit goût amer, dont on parle parfois : en 1956, il faut bien le dire, ce n’était pas très glorieux de la part des Américains de nous avoir laissés seuls. Ronald Reagan lui-même l’a reconnu à plusieurs reprises. Les Américains ont, en ce sens, une vraie capacité d’autocritique. Donc, historiquement, il n’y a pas de contentieux profond entre nous, et c’est important. Si vous regardez les relations de la Hongrie avec d’autres pays, peu d’entre eux peuvent se vanter d’avoir une histoire exempte de blessures encore ouvertes. Mais dans cette relation bilatérale, il n’y en a pas. Premièrement. Deuxièmement : la politique, ce sont des hommes qui la font, et si vous n’y prenez pas garde, vous pouvez facilement blesser l’autre. Et beaucoup, en Europe, l’ont fait à l’égard du président Trump. Je crois qu’il y a très peu de chefs de gouvernement, à part moi, s’il y en a un seul, qui n’aient pas une longue liste de propos désobligeants ou malveillants qu’ils auraient tenus à l’encontre du président américain. Et la Hongrie n’a jamais figuré sur cette liste. Les Hongrois, par nature, sont des gens loyaux. Ce n’est pas parce qu’un ami perd une élection qu’on l’abandonne. Bien sûr, il faut rester réaliste, mais après la défaite de Donald Trump, je n’ai pas appelé le président élu Joe Biden en premier ; j’ai d’abord appelé le perdant, Donald Trump, parce que c’est mon ami. Et puisque la politique est faite par des hommes, il importe de savoir si les relations personnelles ont été abîmées, ou, au contraire, si dans les moments difficiles, nous avons appris que nous pouvions compter l’un sur l’autre. Et c’est précisément le cas ici. Je considère que le président américain n’a pas pour mission de défendre les intérêts de la Hongrie, ni de satisfaire nos demandes. Sa tâche, c’est de représenter et de servir les intérêts de l’Amérique. Mais j’étais certain que si je pouvais présenter les choses de manière que la solution ne nuise pas aux États-Unis tout en profitant à la Hongrie, il dirait oui. Et c’est ce qui s’est passé : il a dit oui à tout ce qui n’était pas contraire aux intérêts américains, mais bénéfique pour nous, et oui à tout ce qui était bon pour les deux pays. Là où l’Amérique pouvait rester neutre, il aurait pu dire non, mais dans chaque cas, il a dit oui. Et cela, c’est grâce aux nombreuses années de relations solides que nous avons derrière nous.

Ákos Bittó (Blikk) : Monsieur le Premier ministre, il y a eu récemment quelques chiffres relativement effrayants ; au vu de cela, l’accord de Washington me paraît effectivement un accord important et significatif. Sur les quelques mois à venir, y a-t-il d’autres dossiers de même ampleur qu’il faudra absolument boucler ou résoudre ?

Il nous reste encore une bataille énergétique qui touche les ménages et les entreprises hongroises : c’est la question des sanctions bruxelloises, et il faudra la mener. De façon plus générale, il est vital pour l’économie hongroise d’avoir accès à des ressources financières suffisantes. Et aujourd’hui je peux dire sans hésiter que, certes, nous récupérerons tous les forints, euros ou pennys qui nous reviennent du budget européen, j’ai déjà récupéré la moitié, mais je peux aussi affirmer ceci : s’il n’y a pas d’argent venu de Bruxelles maintenant, il y a de l’argent américain. Pas de panique. Cette série de discussions a pour conséquence que l’économie hongroise n’aura pas de problèmes financiers, pas de problèmes de financement. Nous avons aussi conclu des accords d’investissements, et ainsi de suite. D’autre part, la question énergétique est plus importante qu’on ne le croit, et là nous courons contre la montre. Car il est évident que nous ne pouvons pas vivre longtemps dans une situation où l’on est exposé aux fluctuations des prix mondiaux du gaz et du pétrole, à une guerre qui se déroule chez un voisin, et à une politique de sanctions erronée de Bruxelles. Il n’y a qu’une seule façon d’en sortir : disposer de sources d’énergie indépendantes, c’est-à-dire, indépendantes des combustibles fossiles traditionnels. C’est pourquoi l’énergie nucléaire est une question clef, une question d’indépendance pour la Hongrie. Il est essentiel que nous puissions développer notre système énergétique, notamment notre réseau solaire, et construire derrière lui des centrales capables d’en garantir le fonctionnement sûr, ce qui représente un investissement considérable. Trois ou quatre centrales de ce type sont d’ailleurs en construction en Hongrie. Nous disposons donc d’une stratégie énergétique complexe, destinée à libérer la Hongrie de cette situation où, comme aujourd’hui, il faut sans cesse, année après année, décennie après décennie, se tirer d’une mauvaise passe, et à nous assurer des sources d’énergie dont nous ne dépendrons de personne. Et nous avons fait un grand pas dans cette direction : les Américains entrent désormais dans l’industrie nucléaire hongroise, alors qu’ils n’y étaient pas présents auparavant. Cela peut sembler ambitieux, mais il est peut-être raisonnable de dire que les Hongrois méritent le meilleur en matière de technologies. Peu m’importe que cela vienne de Chine, des États-Unis ou de Russie : il faut que ce soit le meilleur pour nous. Bien sûr, des considérations politiques limitent parfois ce libre choix, mais la règle doit rester : peu importe d’où, que ce soit le meilleur, comme pour les vaccins au moment du COVID. Dans le domaine nucléaire, il y a deux ou trois sous-secteurs où les Américains sont aujourd’hui de loin les meilleurs. Nous avons pu conclure des accords dans ces domaines et nous importerons ces technologies de pointe. Concernant les petits réacteurs modulaires, presque inexistants encore dans le monde, beaucoup en parlent, et technologiquement les Américains sont en tête. Ils en construisent même un en Ontario ; nous suivons cela très attentivement, pour tirer les leçons de cette réalisation. Ainsi, nous pourrions obtenir une technologie de minicentrales nucléaires qui permettra d’alimenter en énergie bon marché les immenses développements industriels que nous menons en Hongrie, soit connectées au réseau, soit en mode autonome. Il y a un débat légitime en Hongrie : ces énormes capacités industrielles que nous mettons en place vont consommer beaucoup d’énergie ; d’où viendra-t-elle ? Nous avons plusieurs réponses, et l’une d’elles est précisément celle-ci. Par ailleurs, comme l’économie du futur est centrée sur les données, toutes les décisions seront fondées sur des analyses de données, ces données nécessitent de l’énergie. La question clé de la décennie à venir, je l’appelle la souveraineté des données. La Hongrie doit encore prendre plusieurs décisions importantes pour préserver sa souveraineté sur les données. L’un des aspects, pas le seul, mais l’un des plus importants, est de produire de manière souveraine l’énergie nécessaire aux grands systèmes de traitement des données, qui consomment des quantités colossales d’électricité, afin que nos bases de données ne deviennent pas dépendantes du côté énergie. Aujourd’hui, nous avons aussi fait un pas significatif dans cette voie, grâce à des technologies américaines.

Vilmos Velkovics (HírTV) : Monsieur le Premier ministre, le fait d’avoir conclu ces accords d’exemption vis-à-vis des sanctions américaines, le fait que le président américain se soit exprimé si clairement et ouvertement en faveur de la Hongrie, en quoi cela peut-il aider la Hongrie à infléchir la politique de sanctions de Bruxelles ? Je sais que la glace est mince sur ce plan.

La Hongrie est membre de l’Union européenne, et même un membre loyal ; je n’ai donc jamais fait appel, et je ne ferai pas davantage à l’avenir, à des acteurs ou à des forces extérieures dans nos différends internes à l’Union. C’est un terrain de bataille qu’il faut livrer là-bas, par nos propres forces. Ce qui facilite la tâche de la Hongrie, en revanche, c’est que certains instruments bruxellois applicables à notre égard sont désormais neutralisés. Le fait que nous disposions d’un bouclier financier élimine bon nombre des plans de Bruxelles à notre encontre. On n’a même plus besoin d’y réfléchir. L’idée qu’on pourrait s’en prendre à la Hongrie ou à notre monnaie, qu’on pourrait mettre en difficulté notre budget, qu’on pourrait étrangler la Hongrie par la contrainte financière ; oubliez-le : c’est fini. Nous avons réglé cela avec les Américains, sans être dans une logique d’opposition à Bruxelles, mais indépendamment d’eux. Cependant, nos débats internes, comme la question des sanctions énergétiques bruxelloises, il faudra les mener à Bruxelles. Mais je m’assoirai à la prochaine table du sommet bruxellois dans une position bien meilleure que celle d’il y a un mois. Et ce n’est pas négligeable.

Dániel Bohár (Megafon) : Monsieur le Premier ministre, le monde de la gauche libérale et globaliste a eu bien du mal à encaisser la journée d’hier. Et dès ce matin, il a déjà trouvé comment attaquer et tenter de minimiser l’immense succès obtenu par le gouvernement hongrois, en affirmant que l’exemption de sanctions ne durerait en réalité qu’un an. Quelle est la vérité ?

J’ai serré la main du président des États-Unis sur un engagement relatif à une exemption de sanctions est illimitée dans le temps. Point. À ceux qui n’y croient pas, je dis : rendez-vous dans un an, et nous verrons bien.

Dániel Bohár (Megafon) : Et au-delà de cela, quels autres résultats ont été obtenus ?

Au-delà de cela ? Nous allons accéder à des technologies de très haut niveau, notamment dans le domaine nucléaire. Je reste prudent dans mes formulations, car il y a des considérations de sécurité nationale, mais certains systèmes d’armement sont désormais accessibles à la Hongrie. Nous avons un vaste programme de modernisation de l’armée, et l’administration Biden avait interdit à la Hongrie d’acheter certains équipements militaires américains : nous n’avions donc pas accès à certaines technologies. Tout cela appartient désormais au passé : ces restrictions ont été levées, et nous pouvons acquérir ces technologies. Et puis, des investissements hongrois vont arriver aux États-Unis. La Hongrie est un pays qui, autrefois, ne pouvait que souhaiter voir venir des investissements étrangers, car notre économie manquait de capitaux, et il fallait une force extérieure pour soutenir la croissance. Et puis, nous ne disposons pas, dans tous les domaines, de technologies avancées ; les investissements étrangers étaient donc nécessaires pour y accéder. Par exemple, nous ne pouvons pas fabriquer de BMW, sauf si BMW investit en Hongrie. Nous ne pouvons pas non plus produire de pièces pour Boeing, sauf si Boeing investit chez nous, ce qui, d’ailleurs, s’est fait. Jusqu’à présent, le public hongrois avait surtout l’habitude d’entendre que le but était d’attirer le plus d’investissements possible : parce que cela veut dire des emplois, de la technologie, de l’argent. Et c’est vrai : les investissements américains continuent d’arriver. Mais la Hongrie en est aujourd’hui à un autre stade. Nous avons désormais nos propres champions régionaux, des entreprises disposant d’un solide capital, qui cherchent à investir à l’étranger. Et nous avons aujourd’hui aux États-Unis un climat politique qui veut justement attirer ce type d’investissements. Au cours de ces négociations, de grandes entreprises hongroises ont conclu des accords d’investissement importants aux États-Unis, qui, nous l’espérons, seront rentables et généreront des profits pour des sociétés hongroises. Il faut aussi rappeler un point souvent négligé : la Hongrie n’est plus seulement un acheteur de pétrole ou de gaz, elle possède désormais des actifs. Nous avons des parts de propriété dans des champs pétroliers et gaziers, notamment grâce à la coopération développée avec les pays d’Asie centrale, certaines détenues par l’État, d’autres par le groupe MOL, donc dans le secteur privé. Autrement dit, la Hongrie est aujourd’hui une économie bien plus forte qu’il y a dix ou quinze ans, à l’époque où nous ne faisions qu’attendre que des capitaux étrangers viennent investir chez nous. Désormais, nous cherchons nous-mêmes les lieux où nos entreprises privées peuvent investir à l’étranger ; dans le cas de MVM, c’est même une entreprise publique hongroise qui recherche des opportunités d’investissement. Pour que cela soit possible, il faut ouvrir des portes. Et le rôle de la politique, dans ces moments-là, c’est de créer des conditions favorables pour les investissements hongrois à l’étranger. Je peux le dire sans exagération : jamais encore les investissements hongrois n’avaient été accueillis avec autant de bienveillance aux États-Unis qu’en ce moment. Si quelqu’un veut faire des affaires en Amérique, c’est maintenant qu’il faut y aller. Les secteurs de plus haute technologie sont ouverts à la Hongrie, et c’est pour cela que nous avons conclu des accords de coopération dans la recherche spatiale et dans l’industrie de défense la plus moderne. En résumé : nous avons écarté de graves dangers, ouvert des portes à nos grandes entreprises, et gagné beaucoup d’argent pour la Hongrie avec cette série de négociations.

Dániel Deák (Megafon) : Monsieur le Premier ministre, vous avez également rencontré hier soir le vice-président américain, J. D. Vance. Quels sujets ont été abordés lors de cette rencontre ? Et puisque vous le connaissez moins personnellement, quelle première impression vous a-t-il faite ?

Le Fidesz entretient depuis longtemps de bonnes relations avec le vice-président, même si mes relations personnelles avec lui sont moindres. Mes contacts directs se sont toujours orientés vers le président lui-même. En revanche, dans le monde intellectuel autour du Fidesz, les think tanks, les chercheurs, les cercles d’idées, nos liens se situent plutôt du côté de Vance. Déjà pendant la campagne, il était responsable de ce qu’on pourrait appeler la production d’idées, et je crois que c’est toujours le cas aujourd’hui. Le président, lui, est responsable du pouvoir, des décisions, de l’argent, de tout cela. Mais la réflexion, la mise en perspective, la compréhension des grandes lignes, l’exploration des horizons intellectuels, cela relève du vice-président. J’ai donc eu à Washington une conversation d’un type très européen, très intellectuelle, ce qui, il faut bien le dire, est une expérience rare là-bas. Le vice-président s’exprime dans des catégories anglo-saxonnes, mais d’une manière qui nous est compréhensible ; il sait décrire des sujets complexes de façon claire. Et c’est, en plus, un homme du peuple, ce qui facilite les choses : nous parlons le même langage. Même si, à mon avis, Felcsút, mon village natal, était un meilleur endroit pour grandir que celui où il a grandi ; c’est du moins ce que je crois pouvoir dire sans offenser personne, après avoir lu son livre. Mais enfin, nous savons ce que c’est que de venir d’en bas ; nous ne sommes pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche, et cela crée une vraie compréhension mutuelle. Deuxième point : il y a des sujets que je n’avais pas pu aborder avec suffisamment de profondeur lors des discussions avec le président, simplement parce que les questions bilatérales concrètes et celles liées à la guerre étaient si complexes qu’elles ont absorbé tout le temps disponible. Par exemple, nous avons peu parlé des Balkans, alors qu’il le faudrait. Avec le vice-président, j’ai pu avoir une longue discussion sur ce sujet, et aussi sur ce réseau d’amis américains, pour des raisons intellectuelles proches des nôtres, qui soutiennent la Hongrie et cherchent à coopérer avec nous, que ce soit au sein de l’Union européenne ou dans le monde balkanique non communautaire. Ce sont des thèmes que j’ai pu aborder avec le vice-président, mais pas avec le président. C’est pourquoi il était très important qu’à la rencontre avec le président succède aussi une rencontre avec le vice-président. Les deux ensemble m’ont permis d’atteindre pratiquement 100 % de mes objectifs.

Csongor Gáll (index.hu) : Monsieur le Premier ministre, de nombreux points ont été abordés, dont nous avons déjà beaucoup parlé. J’aimerais vous interroger sur un point qui, lui, n’a pas été évoqué. Hier, en réponse à une question de journaliste, vous avez cité la Hongrie comme un pays patriote en Europe, qui se tient du côté de la paix, et les États-Unis comme une nation d’outre-Atlantique qui se bat, elle aussi, au nom de la paix. Et, selon moi, le point le plus important, c’est que le président américain n’a pas réagi à cette affirmation : il ne l’a pas contestée. Il n’a pas remis en cause l’idée que la Hongrie est le seul pays en Europe à lutter pour la paix, tandis qu’en Amérique, ce serait les États-Unis. Pensez-vous que cette attitude du président américain crédibilise la position et la narration hongroises, la position du gouvernement ? Et, pardonnez-moi, encore une petite question : avez-vous invité le président américain à venir vous voir à Budapest ?

Concernant les invitations, j’en ai adressé plusieurs, et le sommet de la paix de Budapest fait partie de ces occasions, je pense qu’il aura bien lieu. Quant à votre mot, « crédibiliser », je me demande s’il est tout à fait juste dans ce contexte. Autrement dit : le fait de se trouver sur la même ligne que le président américain rend-il la position hongroise plus crédible ? Je ne saurais répondre ainsi. Je ne sais pas s’il est même nécessaire que quelqu’un vienne « valider » la position hongroise ; en effet, cette position doit tirer sa légitimité d’une source plus profonde, à la fois morale et fondée sur l’intérêt national hongrois. Donc je n’utiliserais peut-être pas ce mot-là. Ce qui est sûr, c’est que cela aide beaucoup. Parce que, que disent nos adversaires à propos de la guerre et de la paix ? Comme on le dit souvent en plaisantant : « Nous sommes vingt-sept, et vous êtes les seuls à ne pas être fous ? » N’est-ce pas ? C’est un peu comme sur l’autoroute : vous roulez à contresens, pas nous. Il est donc, c’est très difficile pour un petit pays comme le nôtre de dire : « Oui, nous sommes vingt-sept, mais nous avons raison, et c’est vous qui vous trompez. Votre stratégie n’est pas la bonne, la nôtre l’est. » Ce n’est pas simple à soutenir. Cela dit, j’ai déjà un précédent sur lequel m’appuyer : la question de la migration. Là aussi, tout le monde nous a contredits, et maintenant, tout le monde sait que les Hongrois avaient raison. Donc oui, un seul peut avoir raison contre vingt-six. Mais ce terrain reste fragile, la glace est fine. Alors, si je peux aujourd’hui dire que ce n’est pas seulement l’exemple de la migration qui montre que nous pouvons avoir raison, mais aussi celui de la paix, et que notre position ne paraît pas absurde, surtout lorsqu’une grande puissance mondiale, le leader du monde occidental, les États-Unis, dit la même chose, eh bien, cela signifie que peut-être la position hongroise n’est pas si insensée. Et cela rend mon rôle beaucoup plus facile en Europe : ce n’est plus l’image de quelqu’un qui roule seul à contre-sens sur l’autoroute, mais celle de quelqu’un qui suit de près un énorme camion, et moi, avec ma petite Opel Corsa, je reste dans son sillage. Ce n’est quand même pas la même chose que si j’étais tout seul dans ma petite Volkswagen… Donc je ne dirais pas que cela « crédibilise » notre position, mais cela lui donne du poids, cela me facilite la tâche, et cela la rend plus sérieuse, plus audible. Peut-être que c’est cela, le bon mot. « Crédibiliser », c’est autre chose, c’est quelque chose de plus profond, fondé sur la morale ou sur la stratégie nationale. Et là, peu importe ce que disent les Américains : la conviction hongroise doit venir de nous-mêmes. Mais on peut aussi le dire ainsi : si c’étaient Biden et son équipe qui avaient remporté les élections, est-ce que la Hongrie aurait pu maintenir sa position pro-paix sans devenir ridicule, insignifiante, marginalisée, voire sans s’effondrer sous le poids de sa solitude ? Nous ne le saurons jamais avec certitude, nous ne pouvons donc pas répondre à cette question avec une certitude absolue, mais il est fort probable que nous n’aurions pas pu tenir le coup. Le retour du président Trump dans le coin pro-paix du ring, pour la Hongrie, c’est comme une réanimation. C’est d’une importance immense.

Mátyás Kohán (Mandiner) : Monsieur le Premier ministre, vous venez d’évoquer à grands traits le bouclier financier. J’aimerais maintenant que nous descendions, autant que possible, vers le concret : cet accord politique majeur prévoit-il des mécanismes capables de neutraliser ou d’atténuer les effets du blocage des fonds européens, que ce soit via le canal du taux de change, de la confiance des investisseurs envers la Hongrie, du manque d’investissements étrangers, ou encore du fameux équilibre du profit, que vous surveillez toujours de près ? Et, deuxième question : y a-t-il eu des décisions concernant des investissements d’une ampleur encore supérieure à celui, déjà considérable, du centre de développement de produits de Diligent, d’un montant de 37 milliards ?

Oui, il y a eu des accords d’une ampleur supérieure à celui-là. Et je peux affirmer sans réserve que si, depuis n’importe quel point du globe, laissons Bruxelles de côté un instant, une attaque financière était lancée contre la Hongrie, qu’il s’agisse de notre taux de change, de notre notation de crédit ou de notre évaluation financière, nous disposons désormais d’une assistance américaine pour y faire face. Nous avons passé en revue deux ou trois mécanismes techniques permettant de le faire concrètement. Et je peux aussi dire que nous avons désormais des possibilités de financement quasiment illimitées aux États-Unis, qui nous permettent de remplacer n’importe quel argent venu de Bruxelles. Je peux donc affirmer que la Hongrie n’aura pas à renoncer à ses grands projets économiques d’importance stratégique pour la nation, même si Bruxelles tarde encore deux ou trois ans à nous verser les fonds qui nous reviennent. Nous n’aurons donc rien à reporter ni à reprogrammer : tout pourra être réalisé. Cela se verra d’ailleurs sur les marchés financiers, on peut déjà le constater sur le cours du forint, et on le verra aussi lors de nos prochains emprunts. Sur les marchés internationaux, la position de la Hongrie est aujourd’hui, au lendemain des négociations, bien plus forte qu’avant. Le bouclier financier américain nous renforce et crée pour nous une situation financière internationale plus favorable. C’est ce qu’on peut affirmer.

Máté Kulifai (Hetek) : Vous avez souvent mentionné que votre bonne relation personnelle avec Donald Trump avait grandement contribué au succès de ce sommet et, plus largement, à celui des relations hongro-américaines. Mais il y aura en décembre à Bruxelles une autre grande bataille, comme vous l’avez peut-être dit en venant ici. Or, là-bas, vous n’avez pas de relations personnelles aussi chaleureuses, disons, avec Ursula von der Leyen ou Manfred Weber.

Et pourtant, je fais la cour sans relâche.

Máté Kulifai (Hetek) : À défaut de bonnes relations, quels moyens avez-vous à votre disposition ? Quelle stratégie préparez-vous pour ces négociations, afin qu’elles soient couronnées de succès ?

D’abord, nous prions pour qu’Andrej Babiš prenne ses fonctions de Premier ministre avant le sommet de Bruxelles. Parce que, dans ce cas, la situation sera bien différente là-bas. Voyez-vous, moi, je passe encore pour un cas facile du point de vue bruxellois, comparé à M. Babiš. Il n’exprime peut-être pas ses opinions aussi sabre au clair que nous avons coutume de le faire, disons, à la manière des hussards, mais il avance avec la lente fermentation d’une bière tchèque : implacablement. Il démarre, et s’il le faut, trois jours et trois nuits durant, il continue sans relâche, sans jamais abandonner. Et il a un sujet qui, pour nous, est absolument crucial : la transition verte. Là se cache un danger considérable, si vous me permettez d’en parler ici. Il existe un système appelé ETS2, typiquement le genre de mécanisme qu’on ne peut inventer qu’à Bruxelles, dont le principe est que, si vous consommez une certaine quantité d’énergie générant des émissions de CO₂, vous devez, au-delà d’un seuil, payer une pénalité. Actuellement, cela s’applique déjà aux entreprises, et c’est d’ailleurs ce qui a conduit plusieurs sociétés hongroises à la faillite. C’est presque impossible à éviter. Mais désormais, ils veulent étendre ce système au chauffage domestique et aux véhicules particuliers. Autrement dit, si, dans un pays, le chauffage des habitations dépasse une certaine quantité d’énergie fossile, il faudra payer une taxe supplémentaire, ce qui fera augmenter les prix. Il existe différentes estimations, mais l’impact sur les factures des ménages serait presque aussi grave que celui des sanctions américaines. Et il en va de même pour les voitures : au-delà d’un certain niveau d’utilisation, il faudra aussi payer une pénalité liée à la consommation de carburant. Tout cela est calculé sur la base de quotas nationaux, répartis entre les États, et c’est d’une complexité effrayante, mais voilà l’essentiel. Il faut à tout prix empêcher cela. Ce sera l’un des dossiers les plus importants du sommet de décembre à Bruxelles. Et sans le Premier ministre Babiš, ce sera très difficile. D’autres pays d’Europe centrale se sont déjà alignés pour faire front, mais le plus persévérant et le mieux préparé d’entre nous, sur ce point, c’est M. Babiš. C’est un ancien ministre des Finances, il manie les chiffres comme un mathématicien, il connaît tout, par cœur. Et, dans ce genre de négociation, c’est un atout inestimable. C’est pourquoi je prie pour que ce soit bien M. Babiš, et non l’actuel Premier ministre tchèque, qui représente la République tchèque à Bruxelles. C’est la chose la plus importante. Deuxièmement, je suis de très près la situation en Pologne, où il y a eu un demi-renversement politique : le président est désormais un patriote, élu face au candidat de la gauche progressiste et libérale. Mais, à Bruxelles, ce n’est pas le président qui représente la Pologne au Conseil européen, c’est le Premier ministre. J’observe donc attentivement ce qui se passe là-bas, et il semble que le Premier ministre polonais, lui aussi, s’adapte à la nouvelle donne et qu’il soit désormais de notre côté. Et pourtant, s’il est un gouvernement soutenu et tenu à bout de bras par Bruxelles, c’est bien celui de la Pologne ! Mais le changement y est déjà en marche. Donc je crois que, lorsque nous arriverons à Bruxelles en décembre, et j’ai déjà discuté de cela avec la Première ministre italienne la semaine dernière, la Hongrie ne sera pas seule. Nous agirons au sein d’un groupe fort et déterminé. Les perspectives sont meilleures qu’à l’accoutumée, et, comme je le dis souvent : j’ai déjà gagné des paris avec des cotes bien plus faibles.

Tamás Király (Ultrahang) : Monsieur le Premier ministre, certains se montrent critiques à l’égard de l’accord que vous venez de conclure. Ils disent que les États-Unis ont « acheté » la Hongrie pour 466 milliards de forints, et que c’est la somme que votre gouvernement s’est engagé à dépenser dans la période à venir. Cet accord est-il avantageux pour nous ? Selon eux, cet accord va même endetter la Hongrie et il n’est pas du tout avantageux pour nous. Que leur répondez-vous ? Et puis, une question de politique intérieure : vos deux ministres les plus importants, Antal Rogán et Gergely Gulyás, que vous avez souvent qualifiés comme tels, pourquoi ne sont-ils pas du voyage ?

Qui garderait alors la boutique ? Eh bien, quelqu’un doit bien y rester. On ne peut pas emmener tous les poids lourds à la fois. Concernant l’autre question, il faut démêler un peu les choses. Je conseillerais à ceux qui doutent, ou qui hésitent à juger cet accord, de le regarder point par point. De détailler séparément chaque volet et de se demander, pour chacun d’eux, s’il est avantageux ou non pour la Hongrie. Pas comme un ensemble indissociable, mais comme des mesures indépendantes, chacune justifiable par elle-même. Et s’ils le font, ils verront que chacun des accords conclus est bon pour nous. Je peux tout de suite donner quelques exemples. Prenons d’abord le gaz naturel liquéfié (LNG). Nous devions, de toute façon, en acheter une certaine quantité, à peu près celle que nous prendrons aux Américains. La seule question était : à qui allions-nous l’acheter ? Et puisque nous avons pu obtenir un bon accord avec les États-Unis (même s’il restera une discussion sur le prix), c’est une bonne affaire. C’est nécessaire pour diversifier notre système énergétique. Nous aurions pu acheter du LNG européen ou arabe, mais nous avons choisi l’américain, parce que c’était la meilleure option. De toute manière, nous devions en acheter : c’est bénéfique pour la Hongrie. Deuxième exemple : la technologie de stockage des déchets nucléaires. Nous avons besoin d’une solution qui permette de stocker le combustible usé sur le site même de Paks, sans devoir l’en exporter, la solution la plus sûre et la moins coûteuse possible. Le système que nous venons d’acquérir est meilleur, moins cher et plus avancé que celui que nous utilisions auparavant. Là encore, nous y gagnons. Troisième point : l’industrie de défense. Nous avons conclu plusieurs accords dans ce domaine. La Hongrie est engagée dans un programme de modernisation militaire, et l’argent que nous dépensons aujourd’hui pour acheter des armes, nous aurions dû le dépenser de toute façon. La seule question était : à qui allions-nous l’acheter ? Tous nos systèmes ne sont pas américains. Quand j’étais Premier ministre pour la première fois, j’avais refusé de placer la défense aérienne hongroise sous système américain : je pensais qu’il était plus sain d’avoir des bases européennes. Nous avions donc opté pour une solution suédo-britannique, avec les Gripens, et nous n’y touchons pas. Les Américains seraient ravis que nous changions de système, mais ce n’est même pas envisagé. En revanche, certains systèmes, comme les HIMARS, des systèmes de lance-roquettes, ou, plus exactement, de défense anti-missile, sont les meilleurs du monde. Celui qui veut aujourd’hui garantir sa sécurité par ce type d’équipement n’a pas mieux à acheter. Et puisque nos rivaux régionaux en ont déjà acquis, nous devons suivre le rythme. Rien que pour cela, c’est une décision rationnelle. Et je pourrais continuer : nous achetons aussi du combustible nucléaire auprès de Westinghouse. La Hongrie, jusqu’ici, fonctionnait avec des réacteurs de conception russe. Il faut donc une extrême prudence quand on introduit du combustible provenant d’autres sources, pour éviter tout incident technologique, cela s’est déjà produit ailleurs dans le monde. C’est pourquoi nous étudions la question depuis des années. Sur la proposition du ministre Lantos, nous avons décidé d’établir un approvisionnement sur deux et demi ou trois piliers : ouvrir l’accès aux Français, qui collaboreront d’ailleurs avec les Russes, et aux Américains. En termes de sécurité d’approvisionnement, c’est mieux que de dépendre d’une seule source. Et nos experts affirment désormais, avec un haut degré de confiance, que du combustible français ou américain peut être utilisé dans des réacteurs de type russe. C’est donc techniquement justifié d’élargir nos options. Je n’en étais pas sûr pendant longtemps, mais le débat est désormais tranché : la science, la technique ont parlé, et nous avons suivi l’avis du ministre compétent. C’est donc, là encore, une bonne décision pour la Hongrie. Voilà pourquoi je dis que ceux qui affirment que ce n’est pas un bon deal devraient le décortiquer point par point, et se demander :« Aurions-nous pu conclure un meilleur accord, avec quelqu’un d’autre, pour remplir chacune de ces fonctions essentielles à l’économie nationale ? » Et selon moi, il n’existe pas de meilleure source, ni de technologie plus avancée, ni de conditions plus avantageuses. En résumé, c’est un excellent accord pour la Hongrie. Et surtout, il a rapporté beaucoup d’argent à notre pays.

Dániel Kacsoh (Mandiner) : Monsieur le Premier ministre, nous rentrons maintenant en Hongrie, où s’annonce sans doute la campagne électorale la plus précoce de l’histoire du pays. Comment voyez-vous les rapports de force, cette polarisation croissante qui marque la société ? Et que répondez-vous à la déclaration du chef de l’opposition, qui a dit que, lorsqu’il sera Premier ministre, il renégociera tous les accords avec Donald Trump ?

Non. Je ne commente pas les choses dépourvues de sérieux. Il faut un minimum de gravité pour qu’une question mérite une réponse au niveau d’un Premier ministre. Nous, nous avions fait une promesse avant les élections, et l’accord conclu aujourd’hui en est un bon exemple. J’avais dit, pendant la dernière campagne, que même ceux qui ne voteraient pas pour nous s’en porteraient bien. Regardez : nous avons protégé la politique du plafonnement des tarifs de l’énergie. Aujourd’hui, les électeurs socialistes et libéraux eux aussi bénéficient du fait que leurs factures ne vont pas doubler ni tripler. De même, la quatorzième mensualité de retraite n’est pas réservée aux retraités fidèles au Fidesz : tout le monde la reçoit. J’ai donc tenu mon engagement : sous notre gouvernement, même ceux qui n’ont pas voté pour nous en tirent profit. C’est cela, pour moi, une chose sérieuse, et c’est de cela qu’il vaut la peine de parler. Tous les accords que nous avons conclus sont bons pour la Hongrie, bons pour tous les Hongrois, quelles que soient leurs opinions politiques. Bien sûr, nous sommes en campagne. Et une campagne, par nature, ouvre des perspectives divergentes aux yeux des citoyens : les uns disent une chose, les autres disent le contraire. Mais, après chaque élection, il faut réunifier le pays. À chaque fois. Et cela fait cinq mandats que je m’y emploie. Je pense que je saurai le faire une sixième fois aussi.

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