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Discours de Viktor Orbán au XXIVᵉ pique-nique civique de Kötcse

Bonjour à toutes et à tous,

Je suis heureux d’être de nouveau parmi vous. Vous vous demandez certainement de quoi je vais parler aujourd’hui. Moi aussi, d’ailleurs. Évidemment, ce qui suscite le plus d’intérêt, c’est ce que nous appelons le « Plan de victoire 2026 ». C’est le document que nous avons finalisé cet été, et c’est pour en parler, entre autres, que nous sommes réunis ici. Cependant, cette rencontre n’a pas le même caractère que celles des années précédentes. La raison en est que cette fois, tout le monde peut nous voir et nous entendre. Cela ne change pas le fond de ce que nous voulons dire, mais cela en change la forme. Autrement dit, les meilleures parties des discours de Kötcse des années passées – les petites piques, les apartés, les traits d’humour parfois un peu mordants qui faisaient le sel de ce rendez-vous – devront être laissées de côté. En effet, puisque nous sommes en direct, certaines libertés de ton sont désormais interdites, si je puis dire, par respect pour les circonstances. Cela exige de nous non seulement du sérieux, mais aussi de la prudence. Nous devons peser nos mots. Mais cela n’enlève rien au fait que ce rendez-vous reste bel et bien un lancement de saison politique. Nous avons choisi de le rendre public, reconnaissons-le, principalement à cause de nos adversaires. Non pas que quiconque puisse nous contraindre à quoi que ce soit, mais parce que ce sont eux qui ont introduit deux phrases appelées à dominer toute la saison politique à venir : « Je ne peux pas dire ce que je pense, sinon nous perdrons l’élection. » et « Nous n’en parlerons pas maintenant, mais après l’élection tout sera possible. » En d’autres termes, nos adversaires ont placé la dissimulation et le secret au cœur de cette campagne. Notre seule réponse possible, c’est la transparence. Nous jouons cartes sur table. Selon nous, celui qui rôde dans la pénombre ou dans l’ombre, c’est celui qui a de mauvaises intentions. Et puisque nos intentions sont claires et honnêtes, nous avons décidé d’organiser cette année un pique-nique de Kötcse totalement ouvert. Nous pouvons être fiers d’une chose : nous avons toujours fait exactement ce que nous avions annoncé, et ce que nous avions annoncé, nous l’avons réalisé. Et nous entendons rester fidèles à cette règle pour l’avenir. Permettez-moi de rafraîchir notre mémoire : nous avions promis de renvoyer le FMI chez lui – et il est bien rentré. Nous avions promis un million d’emplois, une Hongrie sans migrants, de rester en dehors de la guerre, de protéger nos enfants, de soutenir les familles, de réduire les impôts, et de restituer le treizième mois de pension. Et tout ce que nous avions annoncé, nous l’avons accompli. C’est sur cette base que repose l’essence même de la politique, et en politique, la chose la plus importante, c’est la confiance. C’est uniquement grâce à cette confiance placée en nous, une confiance gagnée, une confiance méritée, que nous avons remporté, et que nous continuons à remporter, les élections.

Je le vois ainsi, Mesdames et Messieurs : la clé de l’élection à venir sera encore une fois la confiance. Tout le scrutin tournera autour de cette question : en qui peut-on avoir confiance ? Or notre adversaire est en train de perdre toute crédibilité. Gyurcsány et ses partisans ont au moins eu la ruse de n’avouer qu’après les élections, qu’ils avaient trompé les citoyens, tandis que le Tisza a proclamé avant même le scrutin qu’ils allaient les tromper. On pourrait dire qu’ils nous offrent leur propre tête sur un plateau d’argent. Eh bien, s’ils nous l’offrent, et puisque nous sommes une communauté civique, acceptons-la ! La perte de confiance a des conséquences en politique, non seulement sur le résultat final, mais aussi sur le processus politique lui-même. Alors que reste-t-il à celui qui a perdu la confiance ? Celui qui a perdu la confiance, plus personne ne croit un mot de ce qu’il dit. Alors, que lui reste-t-il ? Il ne reste que le vacarme, la provocation. C’est ainsi que naît, non seulement en Hongrie mais ailleurs aussi, ce qu’on appelle la politique du vacarme : la politique des partis discrédités. C’est ce que nous observons aujourd’hui. Que se passe-t-il ? La Hongrie fait tout de même 93 000 km², et pourtant, par un hasard extraordinaire, il n’y aurait qu’un seul village dans tout le pays où le Tisza peut se réunir et tenir un meeting pour ses partisans : exactement là où nous sommes, à l’endroit où nous nous retrouvons chaque année, à une date annoncée longtemps à l’avance. Pourquoi viennent-ils ici ? Ils viennent ici parce que plus personne ne croit ce qu’ils disent. Mais en venant, ils créent de la tension, du conflit, du vacarme. C’est tout ce qui leur reste. Et c’est cela que nous devons anticiper, car c’est de cela que sera faite leur politique pendant les sept prochains mois. On peut appeler cela la « politique du petit coq ». Cette politique a trois caractéristiques, nous venons de l’apprendre dans le cadre de la théorie des systèmes politiques. La première, c’est que tout y est affaire de parade : bomber le torse, faire de grands discours. La deuxième, c’est que, dans cette politique, le petit coq se place toujours au centre de l’univers et croit que si lui ne chante pas, le soleil ne se lèvera pas. Et la plus belle, c’est la troisième : le petit coq ne devient jamais un grand coq.

De quoi vais-je parler, alors ? C’est la question qui m’occupe aussi. Pour citer Chuck Norris : « de tout, et même plus ». Et puisque je vais parler de tout, ce sera un peu plus long que d’habitude. Une mère sécule appelle sa fille par téléphone : « Alors, comment ça s’est passé, l’accouchement ? » La fille répond : « Très bien, mais il a fallu y consacrer toute la journée. » Eh bien, je ne vais pas vous prendre toute la journée avec mon discours – d’autant plus que, ce soir, je dois rentrer chez moi. Car aujourd’hui, avec mon épouse, nous célébrons notre 39ᵉ anniversaire de mariage. En réalité, c’était hier, mais hier j’avais un devoir national à accomplir à Dublin. Alors au moins ce soir, je dois être de retour à la maison.

Mesdames et Messieurs,

De quoi avons-nous parlé l’an dernier ? L’an dernier, nous avons essentiellement parlé de questions d’ordre spirituel et intellectuel. Permettez-moi d’en rappeler brièvement le contenu. Nous avions avancé une thèse : ce que nous appelons la civilisation occidentale ne se trouve plus en Europe de l’Ouest, mais seulement en Europe centrale. Et désormais, seule l’Europe centrale peut sauver la civilisation occidentale. Tel était le fil conducteur de mon intervention de l’an passé. Nous avions aussi expliqué que, pour nous, « l’Occident » est une civilisation dont l’originalité tient à l’union singulière de la foi et de la raison. Le monde occidental vit de l’idée que foi et raison peuvent s’épauler dans la quête de la vérité : certaines choses ne peuvent être comprises que par l’intellect, d’autres seulement par la Révélation. Nous avions conclu que, quoi qu’il advienne de l’Europe de l’Ouest, il est évident que nous ne pouvons pas revenir à la civilisation chrétienne d’avant les Lumières, cela est impossible. Mais nous ne voulons pas davantage que la foi vivante et l’héritage chrétien soient effacés de la vie européenne. Alors, que se passe-t-il aujourd’hui en Europe de l’Ouest ? Nous avions posé cette question l’an dernier. En Europe occidentale, les fondements philosophiques de la civilisation occidentale se sont ébranlés. Un nouveau système de pouvoir a été bâti : une civilisation libérale. Et de cette civilisation libérale, il n’est plus possible de recréer une véritable civilisation occidentale en Europe de l’Ouest. Et cela pour deux raisons. D’une part, parce que la civilisation libérale a édifié un appareil de pouvoir si puissant qu’il paraît aujourd’hui indestructible. D’autre part, parce que, dans le même temps, s’est accélérée la formation de sociétés parallèles, pour le dire poliment. Plus crûment, on pourrait parler d’islamisation de l’Europe de l’Ouest. Voilà pourquoi ce que nous entendons par civilisation occidentale, cette articulation unique entre raison et foi, n’a plus sa place en Europe occidentale. Mais elle a encore sa place en Europe centrale. Et, en tant que gouvernement et système politique le plus efficace de l’Europe centrale, nous, Hongrois, avons une mission qui dépasse la politique au jour le jour : maintenir vivante la civilisation occidentale en Europe centrale. C’est une mission que nous connaissons, que nous assumons, et dont nous sommes fiers. Après avoir discuté de tout cela l’an dernier, il n’est pas nécessaire cette année de revenir sur des considérations de nature intellectuelle. En revanche, nous devons parler de perspectives, politiques et géopolitiques, pour replacer l’actualité dans le contexte temporel et dans l’espace qui lui correspondent. C’est pourquoi, dans la première partie de mon exposé, nous avancerons « en pleins phares », pour éclairer les grandes lignes, comme diraient nos frères sécules : avec de longs feux. Puis, dans la deuxième partie, nous passerons « en feux de croisement », pour éclairer juste devant nos roues et éviter les nids-de-poule : ce sera le moment de parler de la situation de la Hongrie.

L’an dernier, au cours des discussions du rendez-vous de Kötcse, nous avons laissé ouvertes de nombreuses questions. En 2025, pour presque chacune d’entre elles, nous avons désormais les réponses. Et, dans une large mesure, les hypothèses que nous avions formulées à l’époque ont été confirmées par les événements. Rappelons-les. Y aurait-il un nouveau président et une nouvelle politique aux États-Unis ? Nous étions encore en septembre 2024. Oui. Y aurait-il un nouveau gouvernement en Allemagne ? Oui. La France sortirait-elle du tourbillon de crises gouvernementales ? Non. Y aura-t-il un remaniement ou au moins un rééquilibrage du pouvoir en Pologne ? Oui. Le groupe de Visegrád (V4) pourrait-il renaître ? Oui. Y aurait-il une victoire militaire russe ? – demandions-nous l’an dernier. Oui. L’Ukraine serait-elle partagée ? Oui. Le groupe des BRICS continuerait-il de se renforcer ? Si vous avez suivi la rencontre de Pékin, vous connaissez la réponse : oui. Et l’Union européenne parviendrait-elle à résoudre sa contradiction fondamentale, incarnée par l’euro ? Non. Voilà les questions que nous avions posées, voilà les réponses que nous avons obtenues.

Un mot d’explication. Aux États-Unis, il y a aujourd’hui un nouveau président. Mais plus important encore : une nouvelle stratégie politique, internationale et géopolitique. Ce que font les Américains repose sur un constat simple : si l’ordre commercial mondial tel que nous l’avons connu ces trente ou quarante dernières années devait perdurer, alors les rivaux des États-Unis se renforceraient plus vite que les États-Unis eux-mêmes. Ils finiraient par les dépasser. C’est cette prise de conscience qui éclaire tout ce que nous voyons aujourd’hui de la part du président Trump. Une nouvelle stratégie américaine est en place, une politique totalement différente a vu le jour. Son essence, peut-être, est la suivante : au lieu de rêver, comme le faisaient les démocrates, à une paix mondiale, à une démocratie universelle, à l’exportation de la démocratie, les Américains affrontent désormais les faits. Ce ne sont pas des constats très réjouissants du point de vue américain. Le premier fait auquel ils sont confrontés, et qu’ils ont dû reconnaître, est que la Chine dispose d’un avantage démographique irrattrapable, d’un avantage technologique croissant, d’un avantage financier en expansion, et que son retard militaire se réduit rapidement. Sans les fournisseurs chinois, l’économie des États-Unis ne peut pas fonctionner, et au fil du temps, la Chine se retrouve de plus en plus en position de créancière face aux pays du monde occidental. Voilà la réalité.

Le deuxième fait auquel les Américains ont dû se confronter est que la Russie avait gagné la guerre. Sans l’envoi de troupes terrestres, des centaines de milliers de soldats, la victoire russe est irréversible. Or, il n’y a pas de volonté d’envoyer de troupes. Les stratèges américains admettent aussi une autre évidence : on peut certes conclure des affaires avec la Russie, mais il est impossible, pour les décennies à venir, de détacher Moscou de Pékin. Les États-Unis doivent également faire face à un autre constat : ils perdent du terrain dans la région indo-pacifique. Tout se joue autour de cette zone mystique des 200 milles marins : c’est la distance jusqu’à laquelle un pays dispose de droits économiques exclusifs depuis ses côtes. Et que fait la Chine aujourd’hui ? Tout, y compris la question de Taïwan, tourne autour de cela : développer des capacités militaires suffisantes pour repousser les forces américaines stationnées ou apparaissant occasionnellement dans cette bande des 200 milles. C’est l’enjeu de la partie : si les États-Unis perdent en Asie-Pacifique, ils perdront aussi leur statut global. Certes, ils ont des alliés dans la région : Taïwan, le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, les Philippines. Mais le danger grandit que, sans intervention militaire, la Chine parvienne peu à peu à intégrer ces pays dans sa propre économie, et à dépasser ainsi les États-Unis, là aussi.

Le troisième fait auquel se heurte la nouvelle politique américaine, c’est que l’Union européenne est faible, et qu’elle le restera. Voilà les réalités sur lesquelles repose tout ce que nous observons aujourd’hui.

Quelle est la réponse américaine à ces réalités ? La première est que les États-Unis doivent rentrer chez eux et accumuler des ressources. Tout ce que nous voyons va dans ce sens : autosuffisance énergétique ; autosuffisance en matières premières ; rapatriement, voire contrainte au rapatriement, des investisseurs ; droits de douane, encore des droits de douane ; réduction des déficits commerciaux aux dépens des États-Unis ; et collecte accrue de capitaux. Autrement dit, l’Amérique est en train de déconstruire l’économie mondialisée dans laquelle nous avons vécu, et ce sont désormais des zones économiques régionales qui se mettent en place à travers le monde. Un autre élément central de la stratégie américaine, c’est que l’exportation de la démocratie est terminée. Ils ne veulent plus donner de leçons à personne. Ils ne veulent plus dire quel est le « bon » système politique. Chaque peuple a sa culture, qu’il organise son système comme il l’entend. Mais les États-Unis reviennent à la politique de grande puissance. Leur comportement n’est plus régi par des règles internationales. Ils n’envisagent plus le monde comme un système de règles internationales respectées par tous, mais comme un champ d’acteurs, de puissances, de forces, d’influences, de capacités, de projection de puissance ; et où la force doit être employée. C’est ce que nous appelons la politique de grande puissance. Et c’est bien là que le monde est revenu.

Et si nous regardons maintenant l’Europe, à l’horizon 2025 ? Nous avons des questions, nous en avions déjà l’an passé, et l’année 2025 a commencé à y apporter des réponses, d’autres viendront dans les prochains mois. La question la plus importante est la suivante : l’économie européenne va-t-elle se redresser ? Nous sommes en direct, je vous dis que c’est peu probable. En Allemagne, la fin de l’État-providence vient d’être déclarée par le nouveau chancelier, mais aucun modèle alternatif, compétitif, n’a été présenté. En France, les crises gouvernementales se succèdent. Dès demain, un vote de confiance, ou plutôt de défiance, aura lieu contre le gouvernement. Dans le même temps, la dette publique française frôle désormais 120 % du PIB. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les niveaux d’endettement n’ont jamais été aussi élevés. En Pologne, la période de domination libérale touche à sa fin : un nouveau président est en place, il rééquilibre les pouvoirs et mène sa propre politique. Quant au groupe de Visegrád, il avait été démantelé sous direction allemande, avec la complicité polonaise et tchèque, au cours des deux ou trois dernières années. Aujourd’hui, la Pologne a un nouveau président qui veut relancer le V4 ; en République tchèque, Babiš est ante portas et l’aventure occidentale de Prague pourrait bien s’achever. Dès octobre, il est fort possible que les Tchèques reviennent au programme de construction d’une forte économie centre-européenne.

Reste devant nous la question de la guerre, ou plutôt, peu à peu, une série de réponses sur son dénouement. Nous savons déjà une chose : le président de la Russie est resté en place. Permettez-moi de rappeler que, dès le début du conflit, un président américain nommé Biden, dont on se souvient peut-être encore, s’était traîné jusqu’à Varsovie pour déclarer, et je cite en anglais pour l’authenticité : « Putin must fail ». Ce qui signifie : « Poutine doit échouer. » Non pas « nous devons le vaincre militairement », mais bien : « il doit tomber. » Les Américains annonçaient alors ouvertement leur volonté d’instaurer un autre régime politique en Russie. C’est de là que vient la situation actuelle : l’Union européenne finance la guerre, la Russie finance aussi la guerre, et une compétition de financement est en cours entre les deux camps ; compétition dans laquelle, pour l’instant, les Russes semblent en position de force. Résultat : eux s’affaiblissent, et nous, nous nous épuisons.

L’Ukraine, elle, est en train d’être partagée. C’était notre question, il y a un an : quel sera le sort de l’Ukraine ? Aujourd’hui, si nous observons les développements et si nous les analysons à froid, nous devons reconnaître que l’Ukraine est en train d’être partagée. Avant la guerre, la situation était claire : l’Ukraine existait comme un État-tampon, où les Russes exerçaient environ 50 % d’influence et l’Occident les 50 % restants. On se disputait à la marge, tel gouvernement arrivait, tel autre repartait, mais personne ne contestait que l’Ukraine se situait entre la Russie et l’Occident, et que la sécurité de tous dépendait de ce partage approximatif des influences. Telle était la situation jusqu’à la guerre. Voilà ce qui a volé en éclats après. Comment cela s’est produit exactement, ce serait le sujet d’une autre conférence. Mais le fait est que cet équilibre s’est rompu. Aujourd’hui, les Européens parlent avec élégance de « garanties de sécurité », mais ces garanties signifient en réalité le partage de l’Ukraine. La première étape est déjà franchie : les Occidentaux ont accepté l’existence d’une zone russe. La seule question est de savoir si, au-delà de la Crimée, cette zone couvrira deux régions, quatre, cinq ou six. Mais il n’est plus question de contester son existence. Une zone russe s’est déjà constituée, elle englobe environ 20 % du territoire ukrainien. C’est déjà acquis, et le débat est pratiquement clos. Ce qui reste en discussion, c’est la distance entre la frontière de cette zone russe et une future zone démilitarisée : 40 kilomètres ? 50 ? 100 ? 200 ? Nous ne le savons pas encore, les négociations sont en cours. Ce sera la deuxième zone. Le résultat du partage de l’Ukraine, ce sera donc : une zone russe, une zone démilitarisée, et, enfin, une zone occidentale, dont nous ne connaissons pas encore les contours ni les conditions exactes. Mais nous voyons déjà se dessiner une Ukraine divisée en trois zones.

Après la guerre, parlons maintenant de l’Europe et de l’avenir de l’Union européenne. Il y a un chiffre fondamental à garder en mémoire, si l’on veut comprendre où nous en sommes et replacer notre situation dans le temps long et dans les dynamiques historiques. L’année de la crise financière, c’était 2008–2009. Et quand, en 2008, on regardait l’économie mondiale, que voyait-on ? Les États-Unis représentaient 22,9 % du PIB mondial, disons 23 %. L’Union européenne, elle, en représentait 25,4 %, disons 25 %. Nous étions à 25, les Américains à 23 %. Si l’on regarde l’économie mondiale en 2025, que voit-on ? Les Américains représentent 26,8 % du PIB mondial, disons 27 %. Et nous, Européens, seulement 17,6 %. De 2008 à 2025 ! Voilà le cadre historique dans lequel nous vivons, nous Européens. De 2008 à 2025, les Américains ont augmenté leur part de 4 %, tandis que nous avons perdu 8 %. Cela montre bien que notre situation actuelle n’était pas inévitable. En effet, en 2008, nous étions encore au même niveau que les Américains. Si nous n’y sommes plus, c’est uniquement parce que l’Europe a été mal dirigée. Si nous avions été dirigés aussi efficacement que les États-Unis, nous serions encore aujourd’hui au coude-à-coude avec eux. Le fait que ce ne soit pas le cas est uniquement la conséquence de politiques européennes erronées. C’est sur ces faits que je fonde la thèse que je veux partager avec vous aujourd’hui. Je pense que l’Union européenne est entrée dans une phase de délitement et de fragmentation. Et si les choses continuent ainsi, ce qui est, hélas, le scénario le plus probable, alors l’histoire retiendra l’Union européenne comme une expérience noble, mais à l’issue décevante. Le temps de l’Union européenne apparaîtra, dans une perspective historique, comme l’époque du déclin du continent européen et de sa marginalisation. Voilà comment on la verra. Quel était l’objectif ? Car évidemment, ce n’était pas cela le but de la création de l’Union européenne. Quand nous avons fondé l’Union, nous nous étions fixé des objectifs précis. D’abord, faire de l’Union européenne un acteur majeur sur la scène politique et économique mondiale. Même en 2008, les chiffres semblaient encore justifier cette ambition. Le plan était de créer la plus vaste zone de libre-échange au monde. On l’exprimait ainsi : de Lisbonne à Vladivostok. Ce grand projet européen devait inclure la Russie, le Royaume-Uni, la Turquie, le Caucase et les Balkans. Voilà ce que nous aurions dû construire. Mais cela n’a pas abouti. Qu’avons-nous à la place ? Le Royaume-Uni est parti. La Russie s’est éloignée, ou bien nous l’avons poussée dans les bras de la Chine, peu importe, mais aujourd’hui elle est du côté de Pékin. Et l’idée selon laquelle un conflit finirait par éclater entre Russes et Chinois est une illusion, un mirage. Car si l’on regarde la structure de leurs économies, on constate qu’elles ne sont pas concurrentes mais complémentaires, qu’elles s’emboîtent avec une facilité déconcertante. Croire que Moscou et Pékin vont s’affronter, et que cela rouvrira l’espace de manœuvre de l’Europe, est une incompréhension totale de la structure des deux économies. Bref, nous n’avons pas réussi à garder la Russie de notre côté, et nous avons laissé la Turquie dans une zone grise sur laquelle je ne m’attarderai pas maintenant. Alors, pourquoi le grand projet européen n’a-t-il pas abouti ? Pourquoi n’avons-nous pas réussi à faire de l’Europe un acteur politique et économique mondial ? La réponse est simple, presque trop simple. Il y a trente ans, l’Union européenne n’était pas encore l’Union européenne, mais un simple marché commun. L’idée était de transformer ce marché commun en une union économique et politique. Et l’outil choisi pour cela, c’était l’euro, la monnaie commune. Tôt ou tard, tout le monde devait rejoindre l’euro. Avec une monnaie unique, il y aurait un budget commun. Avec une monnaie et un budget communs, il y aurait un État commun : les États-Unis d’Europe, une union économique et politique. Le problème, et c’est là que l’expérience a échoué, c’est que, si nous avons bien une politique monétaire commune, puisqu’il y a une monnaie commune pour les pays de la zone euro, nous n’avons pas de politique budgétaire commune. Tous les économistes sérieux s’accordent sur ce point : il est impossible de maintenir durablement une politique monétaire commune sans politique budgétaire commune derrière. Tout le monde le dit : tôt ou tard, cela craquera, se fissurera, se disloquera, impossible de maintenir un tel système à longs termes. C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, à l’heure où se prépare le budget européen 2028–2035, je voudrais formuler cette thèse : même si ce budget devait être adopté, ce qui est déjà fort incertain, il sera le dernier cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Après cela, ce sera la fin, si cela continue ainsi. Je vais vous dire dans un instant si cela doit continuer ainsi. Mais si les choses continuent ainsi, nous pourrons encore peut-être bâtir un budget, malgré le chaos provoqué par le dossier ukrainien, mais je considère comme impossible l’élaboration d’un budget après 2035. Et de là découle une autre conclusion : la zone euro se disloquera. Ce sera un processus confus et coûteux.

Y a-t-il une issue ? Ce dont je parle ici, c’est d’une issue théorique. En politique, la théorie n’est pas inutile : dans le meilleur des cas, elle sert de boussole, de fil conducteur à l’action. Ainsi, ce que j’expose n’est pas une question de faisabilité immédiate, mais une question intellectuelle : est-il concevable, en théorie, que l’Union européenne, malgré sa situation actuelle, ne se désagrège pas mais puisse rester unie sous une forme ou une autre ? À cette question, nous pouvons donner une réponse sur le plan intellectuel : oui, ce n’est pas impossible. Mais pour que l’Union ne se défasse pas, pour que le budget en préparation ne soit pas le dernier, il faut une réorganisation de fond en comble. Car aujourd’hui, les forces centrifuges ne cessent de croître, tandis que les forces de cohésion s’amenuisent. Une réorganisation pourrait inverser cette tendance : rendre la majorité des États membres intéressés au maintien de l’Union, et réduire le nombre de ceux qui, dans les dix prochaines années, auraient intérêt à sa dislocation. Pour cela, une réorganisation très sérieuse doit être mise en œuvre. L’Union européenne doit être transformée en une structure circulaire. Attention : ce n’est pas la même chose qu’une « Europe à plusieurs vitesses ». L’Europe à plusieurs vitesses suppose que nous soyons tous assis dans la même voiture, avec une seule boîte de vitesses, mais que nous roulions à des rythmes différents, tout en allant vers la même destination. Ce n’est pas de cela que je parle. Je parle d’une Europe en cercles concentriques. Dans le cercle extérieur se trouvent les pays qui ne veulent coopérer que dans deux domaines : la sécurité militaire et la sécurité énergétique. Dans ce cercle pourraient figurer, sans problème, la Turquie, le Royaume-Uni, horribile dictu, l’Ukraine. Le deuxième cercle, plus restreint, serait celui du marché commun : les pays qui souhaitent partager un marché, au-delà de la coopération militaire et énergétique. Comme c’était le cas auparavant et comme c’est le cas aujourd’hui. Le troisième cercle réunirait ceux qui veulent aller plus loin encore : non seulement le marché commun, mais aussi une monnaie commune. Ce serait la zone euro, avec derrière elle un budget commun. Enfin, le quatrième cercle, au cœur, rassemblerait les pays qui souhaitent non seulement partager un marché et une monnaie, mais encore harmoniser leurs idées et leurs principes politiques : sur le genre, la migration, l’État de droit, et d’autres questions où ils veulent suivre ensemble des orientations communes, dont l’interprétation serait uniforme et dont l’application pourrait être imposée par les tribunaux. En résumé : sécurité et énergie – marché commun – zone euro – union politique. Si nous parvenons à passer à un tel système, alors le grand idéal de la coopération européenne, que nous appelons Union européenne, peut survivre à la prochaine décennie. Mais si nous continuons comme aujourd’hui, ma thèse est la suivante : nous réussirons peut-être à élaborer encore un dernier budget, mais après, il n’y en aura plus. L’Union se disloquera.

Pourquoi la Hongrie ne s’est-elle pas effondrée, alors que l’économie européenne, elle, s’est visiblement effondrée ? C’est une question qui mérite qu’on s’y arrête un instant. Notre réponse est la suivante : la Hongrie ne s’est pas effondrée parce qu’en temps utile, précisément en 2010, deux ans après la crise financière de 2008, au moment où nous avons remporté les élections avec une majorité des deux tiers, nous nous sommes éloignés du modèle économique européen. Ce modèle européen, qui aime à se présenter comme un « État-providence », est en réalité une économie fondée sur l’assistance. En 2010, nous nous en sommes détachés pour construire un autre modèle : une économie fondée sur le travail, ou si l’on veut, un État fondé sur le travail. À première vue, une économie hongroise ne semble pas si différente d’une économie ouest-européenne. Mais si l’on regarde en profondeur, il existe des différences fondamentales. C’est comme si nous vivions dans deux mondes distincts. Je vais énumérer maintenant les principaux points où nous nous sommes séparés des autres pays de l’Union européenne. Tout d’abord, il y a la réglementation du marché du travail. Nous avons la réglementation la plus flexible et la plus favorable au marché. Elle repose sur une logique complètement différente de celle de l’Occident. Elle repose sur un principe simple : celui qui veut travailler doit pouvoir travailler. Le deuxième élément est le système d’allocations de chômage. Notre système est très différent de celui de l’Europe occidentale. Non seulement parce qu’il ne dure que trois mois (contre 9, 12 ou 18 ailleurs), mais surtout parce qu’à son terme, il n’y a plus rien, sinon le travail d’intérêt public. En Europe occidentale, cela est inconcevable. Notre système fiscal est radicalement différent aussi de celui des pays occidentaux, ce qui nous ramène au débat actuel sur les systèmes fiscaux. Nous avons un impôt à taux unique. Cela n’existe nulle part ailleurs ! Partout ailleurs, l’impôt est progressif. Notre système d’aide aux familles. Nous parlons tous de « politique familiale », mais ce ne sont pas les mêmes réalités. En Occident, les aides sont accordées de plein droit. Chez nous, une grande partie des aides est liée au travail, en raison de la structure particulière de notre société : ceux qui travaillent reçoivent des aides plus importantes. Il en va de même pour les successions. Il n’y a pas d’impôt sur les successions en Hongrie, alors qu’il existe presque partout ailleurs. Pourquoi ? Parce que, selon notre conception, ce qui existe appartient à la famille, non à l’individu : aux grands-parents, aux parents, aux enfants. Tout le monde a contribué, pourquoi faudrait-il payer deux fois l’impôt ? En Europe occidentale, cela est inconcevable. La taxe sur les transactions financières. La taxe sur les transactions est une innovation de Matolcsy, que quelques pays tentent aujourd’hui d’adopter, mais qui était jusque-là jugée impensable en théorie, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’une TVA sur l’argent. En Hongrie, elle existe, et nous considérons même qu’il est juste que l’argent soit soumis à la TVA. Les taxes sectorielles. On en voit apparaître à l’Ouest, mais ce ne sont pas des éléments structurants du système. En Hongrie, les taxes sectorielles sont une composante essentielle de notre fiscalité. Un système énergétique basé sur la réduction des factures des ménages. C’est bel et bien unique ! Peut-être que les Bulgares tentent quelque chose de similaire, mais en Europe de l’Ouest, cela n’existe pas. Là-bas, la priorité, ce sont le profit et le rendement ; chez nous, c’est le niveau des dépenses des ménages. Le soutien aux investissements à l’étranger. Il existe très peu de pays en Europe qui accordent des fonds à leurs propres entrepreneurs pour aller investir dans des régions stratégiques pour le pays donné. En Hongrie, un tel système fonctionne. Création de logements. Dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, la priorité est de fournir rapidement des logements locatifs abordables. Chez nous, le débat est d’une autre nature : il porte sur la propriété. Un Hongrois se sent en sécurité lorsqu’il a un toit à lui, une maison qui lui appartient. Et voici le dernier élément, celui qui nous distingue radicalement de l’Europe de l’Ouest : la sécurité existentielle, ou l’indépendance, des femmes. En Hongrie, une femme qui a donné naissance à deux enfants est exonérée de l’impôt sur le revenu pour toute sa vie. C’est une sécurité immense, et cela n’existe nulle part ailleurs en Europe de l’Ouest. Tout cela pour vous dire que ces différences ne sont pas superficielles. Elles sont fondamentales, structurelles. Et tandis qu’eux se sont effondrés et que leur performance économique a décliné après la crise financière, la Hongrie, elle, ne s’est pas effondrée. Au contraire : elle a accru sa performance économique. Pourquoi ? Parce qu’en 2010, au prix de deux ou trois années de dur travail, nous avons mis en place une transformation structurelle et créé un modèle économique hongrois totalement différent du modèle occidental. Et comme le montrent clairement les résultats électoraux, ce modèle est accepté et soutenu par les citoyens. On pourrait décrire ainsi le système économique hongrois : il faut que le beurre arrive aussi jusqu’aux bords du pain. Et c’est bien ainsi que fonctionne notre modèle.

Que tente actuellement l’Union européenne ? Pas la solution que nous proposons : une Europe réorganisée en quatre cercles concentriques. L’Union européenne s’efforce aujourd’hui de préserver sa forme actuelle. Nous assistons, à mes yeux, à une ultime tentative désespérée. Son nom : l’endettement commun. Avant que l’Union n’explose, on veut entraîner tout le monde dans une grande dette commune, car une fois à l’intérieur, il est impossible d’en sortir. Dès lors, la dette commune crée une qualité d’État. C’est ainsi que sont nés les États-Unis. Je le recommande à chacun : étudiez-le. Au départ, il n’y avait pas « d’États-Unis », seulement des États indépendants, issus des colons britanniques. Les États-Unis sont nés au moment, qu’on appelle le moment hamiltonien, où le secrétaire au Trésor d’alors a imposé une dette commune aux États. À ce moment-là que les États-Unis d’Amérique ont été créés. Le projet est exactement le même aujourd’hui. De surcroît, ils pensent que le meilleur instrument pour instaurer cette dette commune, c’est l’Ukraine. Il ne faut donc pas voir seulement la guerre, pas seulement la géopolitique, mais aussi l’avenir de l’Union européenne. Les dirigeants européens croient que le motif le plus « vendable », en tout cas en Europe de l’Ouest, pour contracter une dette massive, c’est précisément la guerre en Ukraine, autrement dit la sécurité. Sous ce prétexte, ils veulent nous entraîner dans un endettement colossal. Or, de notre point de vue, selon les Hongrois, selon moi, c’est une erreur. Car l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, conséquence inévitable de ce mécanisme d’endettement commun, implique qu’il faudra l’aligner sur le niveau de vie européen. Mais nous n’avons pas l’argent. Il faudra donc emprunter. Ils pensent que la guerre et l’adhésion de l’Ukraine justifieront l’endettement commun. Mais en réalité, l’adhésion de l’Ukraine entraînera l’Union européenne dans la guerre. En effet, il est inconcevable qu’un État membre de l’Union européenne soit attaqué de l’extérieur ou plongé dans un conflit frontalier, comme c’est aujourd’hui le cas de l’Ukraine avec la Russie, et que les autres États membres ne volent pas à son secours. Or, a question de savoir si l’Ukraine est « attaquée » ou non ne dépendra jamais de l’Ukraine, mais toujours de la Russie. C’est pourquoi, en vérité, nous serons déjà engagés dans la guerre. Voilà pourquoi, selon moi, les Européens se trompent : l’adhésion de l’Ukraine, directement ou indirectement, nous conduira à la guerre. Et en plus, nous n’avons pas d’argent. Je vous ai montré les chiffres : l’Union a décliné. Nous n’avons même pas les moyens de restaurer notre propre compétitivité, et voilà que l’argent disponible serait envoyé en Ukraine. Résultat : nous détruirions l’Union européenne, aussi en termes économiques. Tel est le plan : un endettement commun dont les conséquences sont, à mon avis, mal calculées.

Que signifie tout cela pour la période d’un à deux ans qui vient ? D’abord, que l’Union européenne restera un acteur secondaire sur la scène mondiale. Son État le plus important, l’Allemagne, tente d’organiser la fin de l’État-providence, comme elle l’a annoncé. Mais cela entraîne une succession de crises gouvernementales, et même l’alternance démocratique, l’essence même de la démocratie, est en danger. Permettez-moi d’attirer votre attention : cette incapacité des systèmes démocratiques à gérer les grands défis historiques conduit aujourd’hui à empêcher des rivaux électoraux de se présenter, lorsqu’ils sont en mesure de remporter les élections. Mme Le Pen est empêchée de se présenter alors même qu’aucune condamnation définitive n’a été prononcée contre elle. Il n’y a qu’un jugement de première instance sur un problème de financement de parti. Bien sûr, il peut être contesté en appel, et il y aura un jugement définitif. Mais la peine accessoire prononcée, interdire à Mme Le Pen de se présenter, est d’application immédiate, sans attendre l’appel. Et ce n’est pas tout : son numéro deux est déjà presque sous le coup d’une procédure judiciaire. Car il se pourrait bien qu’il y ait des élections cette année en France. Ou regardez l’Allemagne. L’AfD, qui est en ce moment le parti le plus soutenu, est tout simplement classé « dangereux » et empêché de se présenter aux élections. À l’heure actuelle, on leur interdit de participer à une élection municipale. Nous ne parlons donc pas seulement d’un problème économique, la gestion de la fin de l’État-providence, mais d’un véritable problème démocratique auquel nous devons faire face. La réalité, c’est que l’Union européenne restera un acteur secondaire sur la scène mondiale. Elle essaiera, mais il est très incertain qu’elle y parvienne dans un cadre démocratique, de piloter la fin de l’État-providence. Dans le même temps, la constitution de sociétés mixtes est déjà bien avancée, avec pour conséquence la fin du projet d’un système juridique européen unifié. Nous étions habitués à l’idée : un pays, un système juridique. Mais en Europe occidentale, cela touche à sa fin. Car il y aura désormais une communauté fondée sur les traditions chrétiennes, avec son droit, et une autre, fondée sur l’islam, avec son propre droit. Aujourd’hui déjà, dans certains pays d’Europe de l’Ouest, la loi n’autorise certes que le mariage d’un homme et d’une femme, plus exactement de deux personnes seulement, mais il est déjà possible de déclarer à l’État que, tout en étant marié, vous vivez parallèlement en concubinage avec une autre personne, et l’État l’enregistre. C’est là un signe évident : sous l’effet de l’islamisation, l’unité du droit européen est en train de se disloquer. Et qui dit sociétés parallèles dit aussi systèmes juridiques parallèles. Pendant ce temps, l’islamisation progresse, l’immigration continue, et le résultat, visible chaque jour, c’est la désintégration de l’ordre public. Voilà ce à quoi l’Union européenne devra faire face dans les années à venir.

Non pas pour nous faire mal au cœur, mais je vais maintenant vous présenter l’autre scénario : celui qui aurait pu aboutir à une autre réalité, celui d’une occasion manquée, celui qui montre que si les dirigeants de l’Union européenne avaient pris certaines décisions, nous ne serions pas dans la situation où nous sommes aujourd’hui. Je vais vous énumérer ces mesures. Il aurait fallu réellement mettre en place le grand marché de Lisbonne à Vladivostok, c’est-à-dire parvenir à un accord avec les Russes sur les questions économiques. Il aurait fallu, dès la crise financière de 2008–2009, entamer la réorganisation de l’État-providence. Il aurait fallu garder le Royaume-Uni à l’intérieur. Il aurait fallu conclure un partenariat stratégique avec la Turquie. Il aurait fallu tenir l’islam en dehors de l’Europe et intégrer les Balkans. Il aurait fallu établir un accord de coopération technologique avec la Chine, et avec les États-Unis un accord de sécurité transatlantique. Voilà la situation. Tout cela était possible. Si cela ne s’est pas fait, c’est parce que l’Europe n’avait pas de dirigeants capables de le réaliser. Pourquoi n’en avait-elle pas ? Parce qu’une condition préalable s’imposait : être stable chez soi. Si, chez toi, tu n’es pas stable, mais que tu gouvernes avec des coalitions fragiles, alors tu ne peux pas peser sur la scène européenne. Nous, en Hongrie, n’avions pas ce problème, car nous formons une alliance solide avec le KDNP. Mais sans un arrière-plan politique stable et sûr, comme celui dont dispose la Hongrie, même si tu vois ce qu’il faudrait faire pour l’Europe, tu es incapable de l’accomplir. Voilà la leçon des vingt années passées.

Si vous le permettez, j’aimerais dire quelques mots sur la guerre. Il règne une telle confusion qu’il est difficile de comprendre qui fait quoi et quels sont les objectifs de chacun. Je voudrais apporter ici un peu de clarté. Qui veut quoi ? Pour le comprendre, il faut se placer à un bon point d’observation, sur une sorte de mirador, d’où le terrain devient lisible. Quelle est la clé pour comprendre cette guerre ? Voici mon interprétation. D’autres interprétations totalement contraires sont possibles, et il y en a certainement. Le rêve du marché global appartient au passé. Il ne reviendra pas. Désormais, ce sont des blocs concurrents et des marchés concurrents qui s’affronteront. La politique de grande puissance revient. Or, les dirigeants européens croient que le renforcement des institutions de l’Union permettra à l’Europe de jouer un rôle de grande puissance. Cependant, ce n’est pas le cas. C’est une erreur qui s’accompagne d’une centralisation impitoyable. Regardons maintenant les objectifs de chacun : L’objectif russe est de limiter l’expansion de l’Occident. L’objectif chinois est de transformer l’ordre mondial dominé par les États-Unis en un ordre multipolaire, et obtenir un accès privilégié à l’économie russe. L’objectif ukrainien est de maintenir l’arrivée des soutiens financiers pour éviter l’effondrement économique. Car sans les aides financières reçues en raison de la guerre, l’économie ukrainienne ferait faillite en un jour. Quel est l’objectif européen ? Maintenir la capacité militaire de l’Ukraine et garder les États-Unis impliqués dans le conflit. Quel est l’objectif américain ? Cela évolue. Comme j’ai dit, le président Biden avait d’autres buts que le président Trump. Selon moi, l’objectif du président Trump est de parvenir à un accord économique avec les Russes et de placer l’Union européenne dans une dépendance économique vis-à-vis des États-Unis. Tant que la guerre se poursuit, l’Union européenne est un canard boiteux. Elle est paralysée, incapable de bouger, car du point de vue de la défense, elle est totalement dépendante des États-Unis. Sans les États-Unis, elle n’est pas seulement incapable de régler la question ukrainienne : elle ne peut même pas garantir sa propre sécurité. Or, quand on est dépendant sur le plan sécuritaire, on ne peut pas mener une politique commerciale autonome non plus. C’est ce que nous avons vu lors des négociations douanières. C’est ce que nous avons vu lors des négociations douanières. En vérité, l’Europe ne devrait pas aller frapper aux portes de Washington, mais se rendre à Moscou pour conclure un accord de sécurité UE–Russie, pas seulement sur l’Ukraine, mais un véritable accord de sécurité entre l’Union européenne et la Russie. Cet accord devrait naturellement inclure une clause selon laquelle l’Ukraine n’adhérera ni à l’OTAN ni à l’Union européenne. Mais il pourrait très bien, et la Hongrie pourrait soutenir cela, prévoir un accord de coopération stratégique entre l’Ukraine et l’Union européenne. Nous ne voulons pas rejeter l’Ukraine dans le vide. Nous ne sommes pas anti-ukrainiens. L’histoire et les minorités compliquent nos rapports, certes, mais nous voulons un avenir et une perspective pour l’Ukraine. Car un effondrement ukrainien, à notre frontière orientale, représenterait un immense danger. Mais cette perspective ne peut pas être l’adhésion, car celle-ci signifierait la guerre. En revanche, un accord de coopération stratégique, oui, ce serait possible. Et l’Union européenne ne peut pas davantage s’ouvrir vers la Chine ou l’Inde tant que la guerre continue, parce quer la guerre est le point de référence de tout. Accuser la Chine et l’Inde d’acheter de l’énergie russe et donc de financer la guerre rend impossible, dans le même temps, la conclusion d’un accord de coopération économique avec ces pays. En somme : la poursuite de la guerre équivaut à une stratégie perdante pour l’Europe. Les États-Unis, eux, n’ont qu’une chose à faire, et ils le font : commander un café, pendant que le patron écoute ses subordonnés européens. Voilà ce qui se passe. Et si nous ne changeons pas, voilà ce qui continuera. Assez parlé du monde.

Nous avons utilisé les pleins phares ; passons maintenant aux feux de croisement. Que se passe-t-il en Hongrie ? Avec le recul nécessaire, je vois qu’une clarification est en cours sous nos yeux : l’équation politique confuse des dernières années se simplifie. Il est désormais évident qu’il n’existe, stratégiquement, que deux options pour la Hongrie. Nous devons choisir entre elles. Les deux sont possibles, les deux ont des contours précis, une substance, une logique. La première, c’est de rallier la politique de Bruxelles. À mes yeux, ce serait catastrophique, avec pour conséquences le chaos et l’appauvrissement. Rattacher tout simplement le wagon hongrois au train de l’Union européenne. Aujourd’hui, cette option est bien présente dans le débat politique : c’est ce que propose la Coalition démocratique (DK) depuis longtemps, et c’est ce que propose aussi Tisza. La seconde option, c’est que la Hongrie persévère dans le modèle que nous avons bâti en plus de dix ans. Si nous accrochons notre wagon au train de l’Union européenne, train qui, à mon avis, roule droit vers le précipice, cela signifiera, comme le disent d’ailleurs DK et Tisza, que l’économie fondée sur l’assistance sera rétablie, qu’il faudra accepter les exigences économiques de Bruxelles, entrer dans la zone euro, abandonner la souveraineté budgétaire de l’État hongrois, renoncer à la baisse des factures de l’énergie, revoir la treizième mensualité de retraite, introduire l’impôt progressif, comme on l’exige ailleurs, renoncer à l’énergie russe, et donc à la politique de baisse des charges, et transformer notre politique familiale actuelle en un système d’aides universelles, de plein droit. Il faudrait accepter les exigences de guerre de Bruxelles : donner de l’argent à l’Ukraine, envoyer des soldats en Ukraine, et laisser entrer l’Ukraine dans l’Union européenne. Si nous choisissons ce chemin, voilà ce qui en découle. Il faudrait aussi accepter la politique verte de Bruxelles, à laquelle nous nous opposons, accepter le pacte migratoire sur la répartition des migrants, et accepter la politique économique de l’Union. Cela signifierait, en somme : guerre commune, dette commune, politique économique commune, monnaie commune. Voilà la première option. On peut la choisir.

Je le dis à voix basse : ce n’est pas si simple, car il y a aussi la question du Parquet européen. Je voudrais attirer votre attention sur l’état actuel de l’immunité parlementaire à Bruxelles. Aujourd’hui, c’est au nom de cette immunité qu’on tient la main du chef de file politique pro-Bruxelles en Hongrie. Avec l’immunité ! C’est un cas sans précédent : on refuse de lever l’immunité d’un responsable poursuivi en Hongrie pour des soupçons de délits de droit commun. Et si elle était levée, il devrait répondre devant la justice hongroise pour délit d’initié et vol. Une seule chose sauve aujourd’hui le chef de l’opposition de cette issue : l’immunité européenne. Voilà la réalité. Peu importe que ce soit juste ou non, conforme à l’État de droit ou non : c’est ainsi qu’ils le tiennent. Et maintenant, je vois apparaître un nouveau « grand maître » de l’économie, un banquier, salarié d’une banque étrangère : il travaille pour Erste. Voilà l’homme qu’on nous propose comme chef de file économique. L’un est tenu par l’immunité parlementaire, l’autre est payé par les banquiers occidentaux. Voilà la situation. On peut choisir la voie européenne, mais qu’on ne s’y trompe pas : ce ne sera plus un choix autonome. Car une fois qu’on l’aura prise, on ne pourra plus en sortir. C’est bien de cela qu’il s’agit avec le Parquet européen : celui qui agit ainsi avec l’immunité parlementaire, que fera-t-il demain avec le Parquet européen en Hongrie ? La même chose. Inutile d’avoir beaucoup d’imagination. L’autre option, c’est de rester fidèles à notre propre programme et à notre modèle hongrois. C’est ce que proposent le Fidesz et le KDNP. Un État fondé sur le travail, un marché commun mais une politique économique nationale, le refus d’entrer dans la guerre, le refus de la dette commune, pas d’adhésion pour l’Ukraine mais un partenariat stratégique, une politique énergétique nationale, le rejet de la migration, pas de société mixte mais une protection de l’enfance, la réorganisation du V4, et des relations spécifiques avec les États-Unis, la Chine et la Russie. On peut résumer ainsi : paix, marché commun, politique économique nationale, monnaie nationale, indépendance. Voilà la structure politique des élections de 2026.

J’arrive bientôt, Anikó. Mais il me faut encore dire quelques mots sur la situation actuelle. Le point de départ, c’est que nous sommes les favoris. En Hongrie, il existe une curieuse conception de ce que signifie être favori, qu’on observe particulièrement dans le sport. On parle du « fardeau du favori ». Une invention bien hongroise. Pour une personne normale, le vrai fardeau n’est pas d’être favori, c’est d’être outsider, non ? Il est bien pire d’être outsider que d’être favori. Et nous devons comprendre cela aussi : nous sommes les favoris. Nous sommes en tête. Il y a bien sûr des débats autour de tous les sondages. Nos propres analyses disent qu’aujourd’hui, si les élections avaient lieu, nous remporterions 80 circonscriptions sur 106. Cela garantirait une gouvernance sûre et stable. Nous avons nos candidats, nous avons une organisation solide, non pas virtuelle ou numérique, mais une véritable communauté humaine. Nous développons aussi nos capacités numériques ; en octobre, nous serons déjà en position de force, même si ce n’est pas encore le cas. Et nous avons des programmes économiques ciblés. Nous avons dû les rééchelonner. Au départ, nous pensions pouvoir les lancer début 2025, convaincus que le président américain mettrait fin à la guerre dans les mois suivants, car la guerre bloque l’économie. Sans la guerre, nous aurions eu non pas 1 % de croissance, mais 3 ou 4 %, et nous aurions pu démarrer nos programmes en janvier. Mais comme le président américain n’a pas obtenu la paix et que les sanctions et la guerre continuent de bloquer l’économie, la croissance n’a pas atteint le niveau que nous espérions. Nous avons donc dû reporter tous nos programmes ciblés de six mois. Il était en effet tout simplement trop risqué de les lancer dans l’incertitude de janvier ou février. Ils ont donc démarré avec six mois de retard. Mais ils ont démarré. Et nous verrons si, au final, ce report se révélera positif ou négatif.

Quels sont ces programmes ciblés ? Au 1er juillet, nous avons exonéré d’impôts les allocations de maternité et parentales : cela représente 40 à 60 000 forints par mois pour les ménages concernés. Au 1er juillet, nous avons augmenté de 50 % la réduction d’impôt pour enfants. Le 1er septembre, nous avons lancé le programme d’accès au logement à 3 %. En octobre, déjà maintenant, en fait, nous envoyons aux retraités un bon d’achat pour compenser la TVA élevée. En octobre encore, les mères de trois enfants deviendront exonérées d’impôt à vie. En novembre, nous verserons les compléments de retraite. En janvier, nous paierons la prime spéciale des forces de l’ordre, équivalente à six mois de salaire. Au 1er janvier, nous augmenterons à nouveau de 50 % la réduction d’impôt pour enfants. À partir du 1er janvier, les mères de moins de 40 ans ayant au moins deux enfants seront exonérées d’impôt à vie. Nous défendrons l’augmentation prévue de 13 % du salaire minimum, et dans les secteurs sociaux et culturels, nous irons au-delà. Enfin, nous paierons la treizième mensualité de retraite début février. Voilà ma vision des sept prochains mois : tous nos engagements, toutes nos promesses, avec six mois de retard, certes, mais tous seront réalisés. Et chacun pourra constater ce que j’ai dit au début : ce que nous annonçons, nous le faisons.

Quelle est l’essence du plan de victoire ? Le nom sonne bien, comme si tout était déjà réglé. Mais ce n’est pas le cas. Un bon programme ne suffit pas pour gagner une élection. Le respect des promesses non plus, à lui seul, ne suffit pas. Parmi nous, il y a de vieux combattants qui ont déjà senti l’odeur de la poudre en 2002. Nous avions alors tenu toutes nos promesses. Nous n’avions pas mal gouverné. On pouvait nous faire confiance. Et pourtant, parce que nous n’avions pas accompli notre tâche comme il le fallait, nous n’avons pas gagné les élections. L’itinéraire est tracé, mais il faut le parcourir. Être favori ne se traduit pas automatiquement en victoire. C’est à nous de convertir cet avantage. Il y a du travail. Les tâches doivent être accomplies. Il faut tout mener à bien, exactement comme nous l’avons planifié. Voilà ce qu’est le plan de victoire. Pour son exécution, notre présidence a désigné Balázs Orbán. La construction numérique doit être accélérée : tout le monde à bord ! Peu importe que l’on se dise pessimiste culturellement, que l’on aime ou non les gadgets : toute personne animée d’un sentiment national doit embarquer et participer à la vie numérique.

Petite parenthèse : nous ne pouvons pas « désinventer » Internet, Facebook ou les smartphones. Ils existent. Si nous ne nous adaptons pas, nous perdrons. Peu importe que cela nous plaise ou non, le monde va dans cette direction. Nous devons nous adapter de façon à saisir les plus grandes opportunités au cours même de cette adaptation. C’est le seul choix qui s’offre à nous. Nous n’avons pas pu « désinventer » l’avion, ni le moteur à explosion. De même, malgré la méfiance, dont je pourrais longuement parler, que suscite le numérique, malgré ses aspects indésirables que nous connaissons tous, nous ne pouvons l’ignorer. Si nous n’y allons pas, si nous ne comprenons pas que la politique se fait aujourd’hui là-bas, que les débats, les relations, les discussions se déroulent là-bas, et que, pendant ce temps, nos adversaires, eux, y vont, alors nous ne pourrons pas gagner. Voilà pourquoi la construction numérique doit se poursuivre ! Tout le monde à bord ! Marches pour la paix, et même plusieurs marches pour la paix – avec le plus large rassemblement possible. Débats thématiques pour prouver notre capacité à gouverner et remporter la bataille de la compétence. Mobilisation durant les sept prochains mois. Nous lancerons bientôt une consultation nationale sur les projets de hausse d’impôts qui ont fuité : cela fera aussi partie de la mobilisation. Tout doit être subordonné à la victoire commune. Je n’ai qu’une chose à dire : à partir de maintenant, que chacun fasse vraiment tout ce qu’il peut. Car, vous me connaissez, je ne suis pas du genre à menacer ou à hausser le ton, croyez-moi : rien ne sera oublié. Tout sera noté, et tout sera réglé.

Il y a une seule idée qu’il faut garder à l’esprit au cours des prochains mois. Une seule, mais essentielle : la Hongrie est un pays de dix millions d’habitants. Notre pays ne possède pas de ressources naturelles. Notre pays est situé au cœur d’une région instable. Notre pays a besoin de capacités de leadership particulières. Si nous avons un gouvernement incompétent, nous serons condamnés. Voilà ce que chacun doit garder en mémoire dans les mois qui viennent. Et après la victoire ? Nous renforcerons le V4, nous doublerons le groupe des Patriotes à Bruxelles, nous prendrons Bruxelles. Et, à l’automne 2026, je vous donnerai une conférence passionnante à ce sujet.

Je vous remercie de votre attention !

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