Zsolt Törőcsik : Un porte-parole de la Commission européenne a réagi cette semaine aux résultats de la consultation nationale Voks2025 en disant qu’il n’existait aucune raison qui empêcherait l’Ukraine d’entamer le processus d’adhésion à l’Union européenne. Pourtant, lors de cette consultation, près de 2,3 millions de personnes, soit 95 % des votants, se sont prononcées contre l’adhésion. L’invité de notre studio est le Premier ministre Viktor Orbán. Bonjour à vous !
Bonjour !
La semaine dernière à Bruxelles, vous avez dit que les résultats de la consultation Voks2025 avaient permis de bloquer le processus d’adhésion de l’Ukraine. Mais aujourd’hui, le porte-parole de la Commission tient ce discours. Que s’est-il passé entre-temps ? Pourquoi la Commission refuse-t-elle malgré tout de tenir compte du résultat ?
C’est intéressant, cette phrase que vous avez choisie. Elle ne m’avait pas marqué autant, mais en vous écoutant maintenant… « Il n’existe aucune raison », c’est ce qui a été dit, n’est-ce pas ? Cela en dit long sur Bruxelles. Parce qu’en réalité, nous, nous avons une raison : les citoyens ont pris cette décision. Il y a bien une raison, mais dans leur esprit, à Bruxelles, elle n’a aucune valeur. J’ai cette hypothèse : si chaque pays de l’Union européenne organisait une consultation nationale comme le Voks2025 en Hongrie, pour demander aux citoyens s’ils veulent que l’Ukraine rejoigne l’UE, je pense que la majorité des pays, voire tous, diraient non, comme nous l’avons fait en Hongrie. L’élite bruxelloise vit dans une bulle, ce sont des bureaucrates déconnectés. Ils trouveront toujours des explications alambiquées sur pourquoi l’adhésion de l’Ukraine serait bénéfique. Mais les citoyens, eux, ont deux réponses simples, concrètes et évidentes pour dire non : Premièrement, accueillir l’Ukraine, un pays en guerre, signifie accueillir la guerre. Or nous ne voulons pas de guerre en Europe. Deuxièmement, l’adhésion de l’Ukraine déstabiliserait nos économies. Plus on s’approche de l’Est, plus le risque est élevé. Plus on s’éloigne de l’ouest, c’est-à-dire de l’océan Atlantique, pour se diriger vers l’Ukraine, plus le risque est grand que votre économie s’effondre si l’Ukraine devient membre. Malheureusement pour nous, les Hongrois, sommes justement au bout de cette ligne de fracture, nous sommes les voisins directs de l’Ukraine. Et plus vous êtes proches géographiquement, plus vous êtes directement menacés : à la fois par la guerre et par les conséquences économiques. La Commission fait donc fausse route. Elle pense qu’il est possible de prendre des décisions qui engagent l’avenir de toute l’Europe sans consulter les citoyens. Elle se trompe. L’adhésion de l’Ukraine n’aura pas lieu. La Hongrie l’a stoppée. Et même s’ils prétendent ignorer notre position, ils ne peuvent pas nous contourner. Ils devront nous affronter. Bien sûr, il y aura des manœuvres, et on en entend déjà les premiers signes dans ce genre de déclarations, mais au bout du compte, on ne pourra pas intégrer l’Ukraine contre la volonté des citoyens européens. Et lorsque nous y parviendrons, nous ne serons plus seuls, exactement comme dans le cas de la migration. Là aussi, nous étions les premiers à dire non, maintenant presque tous les pays nous ont rejoints. Il en sera de même pour l’Ukraine, la guerre et la paix. Les Européens sentent bien qu’ils vivent dans l’ombre d’un danger de guerre permanent. On pourrait dire que l’esprit de l’époque, c’est celui d’un continent qui vit dans l’ombre d’un danger de guerre. Fondamentalement, nous vivons bien sûr dans l’ombre d’une guerre européenne, la guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais il y a aussi des guerres dans d’autres parties du monde auxquelles nous prêtons moins attention. Mais il y a également eu un conflit entre Israël et l’Iran, puis celui entre le Pakistan et l’Inde. Autant de foyers de tension dans le monde, dont les échos nous parviennent ici. Et les gens, moi le premier, et je pense que vous aussi, si nous devions mettre des mots sur l’époque que nous vivons, nous dirions que c’est une époque de dangers, une période marquée par le risque permanent de guerre. Mais ici, en Europe, la guerre vient de l’Est. Elle vient d’Ukraine. Et nous devons nous en protéger, nous en isoler, refuser d’y être entraînés.
Et pourtant, pendant que Voks2025 se déroulait, et depuis, il est attaqué. De Bruxelles, de Kiev, et même ici, à Budapest. Le média Politico affirme que vous vous référez à l’opinion des Hongrois alors que moins de 3 millions ont voté. Péter Magyar, président du parti Tisza, ironise en disant que seulement 95 % ont voté non, alors qu’on aurait promis 105 %. Quant au ministère ukrainien des Affaires étrangères, il parle de haine gratuite et infondée. Quelle est aujourd’hui la pression exercée sur la Hongrie pour qu’elle change de position sur l’Ukraine, malgré le vote ?
Il faut distinguer les choses. En Hongrie, certains croient qu’insulter les autres est acceptable, ou que si cela leur fait plaisir, ils peuvent le faire. Mais je considère qu’il n’est pas correct de se moquer de 2,3 millions de citoyens qui se sont exprimés. Même si l’on est un artiste talentueux ou président d’un nouveau parti, personne n’a le droit de traiter ces citoyens de « protozoaires », de créatures unicellulaires primitive, parce qu’ils ont participé à la consultation Voks2025 et sont automatiquement étiquetés comme proches du gouvernement. On ne peut pas dialoguer comme ça. Une telle approche ne peut être justifiée par le talent, la jeunesse ou l’ambition politique. Il faut rejeter ces propos, et surtout se protéger les uns les autres. Les gens normaux, ceux qui veulent respecter autrui, doivent se soutenir. C’est pourquoi je parle de tout cela, et fermement. Là, il faut remettre les choses à leur place. Quant aux pressions venues de l’étranger, c’est un autre sujet. Ce n’est pas nouveau : Bruxelles agit ainsi depuis longtemps. Les bureaucrates bruxellois disposent de ressources colossales, dont une partie sert à influencer la vie politique hongroise – il faudra d’ailleurs s’en occuper sérieusement cet été ou au début de l’automne. Avec leur argent, leurs 30 000 employés, leur influence diplomatique, leur pouvoir médiatique, et leurs délégués dans les pays membres, leurs gouverneurs locaux, comme ici, ils croient pouvoir reconfigurer la politique intérieure des États. Bruxelles ne cache pas qu’elle a des préférences dans les élections nationales. Elle veut voir un parti au pouvoir, pas un autre. Elle veut indiquer aux citoyens, notamment aux citoyens hongrois, pour qui voter, comment vivre et quelle position adopter sur les questions importantes. Pour moi c’est inacceptable ! Bruxelles n’a pas ce droit. C’est un abus de pouvoir, et ce n’est pas pour cela que nous avons créé l’Union européenne. Ce n’est pas pour que Bruxelles fasse pression sur les citoyens des États membres lorsqu’ils s’expriment politiquement. Ils n’ont pas le droit de faire cela ! C’est pourquoi nous devons refuser cette logique, et continuer à suivre nos intérêts, nos convictions, notre mode de vie, et nos principes – comme le fait la Hongrie aujourd’hui. Je suis très fier de mon pays, car ici, les citoyens viennent dès qu’ils le peuvent, donnent leur avis même sur les sujets les plus complexes, que Bruxelles voudrait écarter discrètement. Quand nous sommes clairs dans notre formulation, le peuple hongrois répond présent. Et ensuite, nous représentons cette opinion. Et j’espère qu’il y aura toujours un gouvernement en Hongrie, peu importe qui le compose – qui, à Bruxelles comme ailleurs, défendra les intérêts du peuple hongrois.
Puisque nous parlons de pressions politiques, parlons aussi de ceci : mercredi, la Commission de la sécurité nationale du Parlement a été informée que les services de renseignement ukrainiens avaient approché des journalistes et des responsables politiques en Hongrie. Récemment encore, un responsable ukrainien chargé des affaires européennes a déclaré que si l’opposition prenait le pouvoir en 2026, il n’y aurait plus d’obstacle à l’adhésion de l’Ukraine. Quel message le gouvernement tire-t-il de ces déclarations et de ces mesures ?
Tout cela est déjà bien préparé. Le parti Tisza a organisé sa propre consultation, où 60 % des participants, évidemment leurs partisans, ont dit qu’ils soutenaient l’adhésion de l’Ukraine. Le plan est donc en place, le produit est prêt : créer un autre grand parti pour remplacer ou concurrencer le parti au pouvoir, lui faire gagner les élections, et ensuite lui faire appliquer les décisions déjà prises à Bruxelles. C’est aussi simple que bonjour. L’Ukraine entre dans le tableau parce que la question centrale pour l’Europe dans les dix prochaines années sera celle de la guerre ou de la paix. Autrement dit : faut-il intégrer un pays en guerre ? Faut-il ouvrir les portes de l’Union à la guerre ? Et évidemment, les Ukrainiens y jouent un rôle clé. Cela concerne l’avenir de l’Ukraine, mais aussi le pouvoir bruxellois. Et du point de vue ukrainien, ce qui peut se comprendre de la part d’un pays en guerre, la solution passe par la force. C’est pourquoi ils mènent en permanence des opérations de renseignement en Hongrie. Nous n’en parlons pas souvent, et ce n’est pas censé être public, nous les appelons services secrets non sans raison, mais cela se passe bel et bien. Et ce ne sont pas seulement les Ukrainiens. La politique internationale a son côté obscur, ses zones d’ombre impénétrables, où toutes sortes de choses ont lieu. Tous les pays participent à cela : certains s’en défendent, d’autres y contribuent. Nous aussi, nous nous défendons. Nous avons nos services, nous observons les autres, nous voyons ce qui se passe en Hongrie. Et même si je n’irai pas plus loin, je peux dire ceci : il y a aujourd’hui une activité intense des services ukrainiens en Hongrie. Ils ne se contentent pas de faire pression sur les responsables politiques : ils approchent aussi leurs relais dans les milieux intellectuels, dans les fondations, dans les cercles d’influence, dans les médias et chez les journalistes. C’est exactement ce que prescrivent les méthodes classiques des services de renseignement. Il y a donc une présence ukrainienne active en Hongrie, mais nous sommes là, nous veillons.
Mais le parti Tisza affirme lui aussi qu’il ne soutient pas une adhésion accélérée de l’Ukraine. Où est donc la contradiction ? Pourquoi les Ukrainiens croient-ils que l’opposition hongroise serait plus conciliante que le pouvoir en place actuellement ?
Cette distinction, c’est-à-dire d’adhésion « accélérée » ou non, n’a plus de sens. Il s’agit d’une forme d’adhésion et l’Union européenne a déjà dit : elle veut intégrer l’Ukraine d’ici 2030. On peut appeler cela accéléré ou comme on veut, cela n’a pas d’importance, ils souhaitent les accueillir. Et cette adhésion, qui signifie faire entrer la guerre dans l’Union, et déstabiliser les économies européennes, y compris la nôtre, ce n’est pas un danger lointain. La Commission a un plan de travail. Je suis présent aux sommets des chefs de gouvernement, je vois le calendrier : les étapes sont fixées année par année. Ils souhaitent clore ce processus d’ici 2030. Ce n’est pas une hypothèse pour nos enfants. Cela nous concerne, nous. Cela va se produire sous nos yeux, dès l’an prochain, et après, jusqu’à 2030. C’est à notre porte.
Il y a également une autre question sur laquelle Kiev exerce, ou essaye d’exercer des pressions : le 18ème paquet de sanctions, et la rupture totale avec les énergies russes. Le président Zelensky a récemment demandé à la ministre allemande des Affaires étrangères de convaincre la Hongrie de soutenir ces mesures. Que faudrait-il pour vous convaincre ?
Écoutez, quand un Allemand veut nous convaincre, et que nous avons a un peu de mémoire historique, nous nous disons : « Bon, attendons un instant, les Allemands ne doivent pas nous convaincre de quoi que ce soit. Nous avons été entraînés deux fois dans une guerre mondiale après avoir été « convaincus ». Merci, mais nous ne voulons plus être « convaincus » par les Allemands. Alors qu’ils s’occupent de leurs affaires, les Allemands, comme les Ukrainiens, et qu’ils laissent les Hongrois décider de la Hongrie. Ce qui est clair, c’est qu’il existe un plan Zelensky. Ce plan vise à contraindre les deux pays européens qui achètent encore de l’énergie russe, principalement du pétrole et du gaz – la Slovaquie et la Hongrie – à y renoncer totalement. C’est aussi ce que j’ai dit lors du dernier Conseil européen. Je comprends qu’ils croient que cela nuirait à la Russie… Mais permettez-moi de préciser : la part de la Hongrie dans les importations européennes de pétrole russe est inférieure à 3 %. Ce n’est pas ça qui fera tomber la Russie ou désespérer Vladimir Vladimirovitch… En revanche, la réalité, c’est que si nous suivons cette logique, les factures des familles hongroises vont exploser : pour le gaz, multipliées par 3,5, et pour l’électricité, doublées. Et je leur ai dit : écoutez bien, je suis capable de tout comprendre. Donnez-moi une seule bonne raison pour laquelle un Premier ministre hongrois devrait soutenir une décision qui fait tripler les factures de ses propres citoyens ? Qu’un seul argument me soit donné, qu’un homme sain d’esprit puisse défendre. Moi, je ne le ferai pas. Je mettrai mon veto, je bloquerai, je m’y opposerai, je me battrai contre vous. Ne nous demandez pas cela. C’est cela, le plan Zelensky : sacrifier les familles hongroises pour les intérêts de l’Ukraine. C’est inacceptable.
Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises le fait que les charges pourraient être multipliées par trois, voire par quatre, si ce plan se mettait en place. Cela surviendrait justement au moment où le gouvernement augmente les aides aux familles et introduit de nouvelles mesures en faveur des jeunes. Comment cela affecterait-il la portée de ces aides si, à côté, les gens devaient payer beaucoup plus en facture d’énergie ?
Il faudrait tout repenser. Bien sûr, les gens vivent leur vie quotidienne et ne s’intéressent pas toujours à ce que je dis sur les fondements de l’économie, mais même leur quotidien repose sur des piliers. Si ces piliers s’effondrent, tout leur niveau de vie, qu’ils ont construit eux-mêmes, s’effondre aussi ou devient instable. Premier pilier : le travail. Il est essentiel qu’en Hongrie, quiconque veut travailler puisse le faire. Si les prix de l’énergie augmentent pour les entreprises, elles ne seront plus rentables, ne pourront plus vendre leurs produits, devront ajuster leur fonctionnement, ce qui entraîne des licenciements. Des prix élevés de l’énergie constituent donc une menace pour l’emploi. Et sans emploi, la sécurité de n’importe quelle famille hongroise est immédiatement en jeu. Deuxième pilier : les salaires. Même si une entreprise ne licencie pas, si elle passe dans le rouge à cause de l’énergie, elle peut vous dire : « Cher Zsolt, malheureusement, si vous souhaitez continuer à travailler, vous devrez accepter une baisse de salaire le mois prochain. » Nous ne sommes plus habitués à cela en Hongrie depuis que nous avons un gouvernement national. Cela n’existe pas ! Mais ce temps-là peut revenir. Cela a existé, mais nous ne nous en souvenons plus, avant 2010, c’était fréquent. Troisième pilier : la planification. Si toutes les économies d’une famille partent dans les factures, il faut renoncer aux rêves, aux projets d’avenir. Plus d’achat de voiture, plus de logement plus grand. Juste survivre et payer les factures. C’est de cela qu’il s’agit quand nous parlons du « plan Zelensky ». Ce n’est pas un concept abstrait : ça entre dans les foyers, au travail, dans la vie réelle des citoyens. C’est pour ça qu’il ne faut pas céder, car cela menacerait directement la stabilité matérielle des familles. C’est pourquoi il faut à tout prix empêcher Bruxelles de dicter ce qui doit se passer en Hongrie. Ils essaient depuis longtemps. Ils ont un argument simple. Le parti Tisza dit la même chose qu’eux à Bruxelles. Prenez le débat sur l’eau gratuite pour les agriculteurs. Bruxelles veut appliquer des prix de marché. Moi aussi, je suis pour les prix de marché en temps normal. Mais si les prix de marché ruinent les gens, alors il faut protéger les gens, pas les prix. Il existe donc des cas, et nous vivons actuellement une période de guerre, où il est nécessaire de protéger les familles. Dans de telles circonstances, il est nécessaire d’avoir un gouvernement national, de s’opposer à Bruxelles et de défendre nos intérêts.
Puisque nous parlons d’eau et d’irrigation : le Parlement européen a adopté un rapport réclamant que les agriculteurs assument une part proportionnelle des coûts de l’eau, alors qu’en Hongrie, ils peuvent encore irriguer gratuitement. Quel sera l’avenir de l’irrigation à long terme, sur la base de cette proposition ? C’est d’autant plus crucial avec les sécheresses actuelles.
Il y a deux questions dans la vôtre. La première est à long terme : quel avenir pour l’agriculture hongroise sous ces conditions climatiques ? Ce que nous observons actuellement – sécheresse, canicule – est-il temporaire ? Nous savons, grâce à la Bible, qu’il y a généralement sept années sèches suivies de sept années humides, ou bien assistons-nous réellement à un changement climatique qui obligera l’agriculture hongroise à s’adapter à plus long terme ? En tant que conservateur, je pars toujours du pire scénario. Il ne faut jamais se préparer aux petits problèmes, mais toujours aux grands, et les éviter. Il faut donc un plan. Et nous en avons un. Aujourd’hui, nous irriguons environ 100 000 à 110 000 hectares. Il faut passer rapidement à 300 000 ou 400 000 hectares, et ensuite encore davantage. Nous cultivons 4 à 5 millions d’hectares : il faut irriguer une part croissante. En effet, la Pannonie, s’en sort mieux à cause de son relief : à l’exception de la région de la Petite plaine, il y a peu de terrains plats. Dans notre région vallonnée, où je vis moi-même, c’est difficile, voire presque impossible. Mais il faut sauver les plaines. Il est donc indispensable d’élaborer un grand plan d’irrigation. Nous en avons les grandes lignes, nous y avons déjà investi de l’argent, mais les défis sont bien plus importants que nous ne le pensons. Il faudra encore beaucoup d’argent. Et à court terme, pour cet été : la sécheresse est déjà là, inutile d’espérer y échapper. Il faut en atténuer les effets. Nous avons mobilisé 5 milliards de forints, environ 1 000 personnes, 205 à 210 engins lourds – des pelleteuses géantes – pour curer les fossés, les canaux, réparer les écluses pour que l’eau puisse circuler. J’étais hier sur un chantier où cela se passe très bien. Nous avons un énorme avantage : l’université de Baja (à mon époque c’était encore un institut) où les ingénieurs hydrauliques hongrois sont formés. C’est le cœur intellectuel du savoir-faire national dans le domaine. Et nous sommes très forts dans ce domaine. Hier encore, j’ai rencontré plusieurs spécialistes qui ont été formés là-bas, et ils savent visiblement tout ce qu’il y a à savoir. Donc nous avons des professionnels, nous avons un plan : il faut simplement réussir à passer l’été. Cela dit, la sécheresse n’affecte pas tout. Les céréales ont déjà été récoltées en grande partie. D’après ce que je constate en parcourant le pays et en discutant avec les agriculteurs, les céréales à grains donnent des rendements et des moyennes corrects. Hier, par exemple, j’étais dans une région où les rendements agricoles étaient étonnamment bons. Par chez nous, ici dans le comitat de Fejér, c’est plutôt moyen, mais l’essentiel, c’est qu’il n’y a pas de problème. En ce qui concerne les céréales, tout est en ordre : nous récolterons comme d’habitude, il y aura du pain pour le pays, personne ne mourra de faim, nous aurons de quoi manger. Nous produisons en général deux fois plus de céréales que ce que nous consommons nous-mêmes, donc nous pouvons même en exporter : de ce côté-là, c’est bon. Le vrai problème commence avec le tournesol et le maïs. Ce sont des cultures de printemps, et elles ont besoin d’eau maintenant. En mai, tout allait bien, mais aujourd’hui il n’y a plus de pluie. Il faut donc irriguer, et cette tendance va perdurer. Juillet, août, septembre : ces mois vont être critiques. Et si l’hiver est sec, sans neige pour s’infiltrer dans les sols, il faudra compenser autrement. Si le Bon Dieu ne nous aide pas, il faudra intervenir artificiellement. C’est l’un des grands projets, l’un des grands défis de la Hongrie pour les quinze prochaines années.
Et dans quelle mesure les mesures ou les projets du Parlement européen en matière d’irrigation risquent-ils de freiner ce plan ?
Là-bas, comme je l’ai déjà dit : ce sont des gens qui vivent dans une bulle, totalement déconnectés de la réalité. Nous avons le même problème avec Bruxelles qu’avec les petits bourgeois de Buda du parti Tisza. Exactement le même ! Ils vivent dans leur bulle, ils ne connaissent rien à la réalité du terrain. Assis à Bruxelles, ils nous expliquent que ce qui est juste, c’est que tout ait un prix de marché. Bien sûr, en théorie, c’est une bonne chose. Mais les agriculteurs hongrois, eux, ne peuvent pas se permettre de payer l’eau à ce prix-là. Résultat : les surfaces irriguées diminuent, faute de moyens. Dans ce genre de situation, il ne faut pas se réfugier dans les manuels de théorie. Il faut dire : il y a ici un problème concret, il faut agir ici et maintenant. Peu importe ce qu’ont lu les petits bourgeois de Buda ou les technocrates de Bruxelles dans leurs livres : il faut partir de la réalité. Et nous, les gens des campagnes, cette réalité, nous la connaissons. Nous savons ce qu’il faut : de l’eau. Et nous savons que les agriculteurs n’ont pas les moyens de payer l’eau au prix du marché. Il faut donc la leur fournir à bas prix, voire gratuitement, même si Bruxelles se met la tête à l’envers. C’est exactement ce que nous faisons en ce moment. Nous trouvons toujours un moyen juridique de permettre aux agriculteurs d’avoir accès à l’eau gratuitement. C’est une question clé pour l’agriculture hongroise, mais aussi pour la vie même de nos agriculteurs.
Il s’agit donc d’un désaccord avec Bruxelles, mais un débat a aussi lieu ici, au sein même de la société hongroise, à propos de la Pride de la semaine dernière. Il y a un point de tension : qui représente, ou représentait, la majorité de la population sur cette question ? Les organisateurs de la Pride, tout comme l’opposition, affirment que c’est eux, parce qu’ils étaient très nombreux à défiler. Du côté du gouvernement, on met en avant le résultat du référendum de 2022 comme étant la référence pertinente. Comment voyez-vous les choses ? Que faut-il prendre en compte dans cette question ?
Je crois que chacun devrait s’écouter lui-même, voir ce qu’il pense au fond de lui sur cette question. Ce n’est jamais une bonne chose quand les responsables politiques veulent dicter aux gens ce qu’ils doivent penser. Le Hongrois se dit : « Je sais ce que je pense, pas besoin qu’on me le dise. » Ce n’est pas seulement une question de territoire : « ma maison, mon château », mais aussi d’indépendance intellectuelle : « Laissez mon esprit tranquille, je sais ce que je pense. » Mieux encore : « Je le sais mieux que personne. » C’est parfois difficile à gérer, mais c’est une grande force pour un pays que ses citoyens tiennent à penser par eux-mêmes. Et les Hongrois sont comme ça, selon moi. Celui qui ne comprend pas cela, celui qui ne l’accepte pas, n’a aucune chance en politique ici. Donc, il faut que chacun se concentre sur sa propre opinion. Moi, par exemple, j’ai été surpris. Je croyais que la question de la Pride était derrière nous. Il ne s’agit pas ici de savoir si des gens vont continuer à se rassembler pour manifester ou non : ça, ce n’est jamais vraiment terminé. Il y aura toujours des citoyens pour se rassembler, pour exprimer leur opinion, parfois plus nombreux, parfois moins, comme cette fois où ils étaient nombreux. Mais je croyais que, comme phénomène de société, c’était dépassé. Que ce n’était plus un réel danger. Parce qu’en Europe de l’Ouest, si vous parlez aux parents, et je mets ici la politique de côté, la Pride est devenue un danger quotidien. Dans les écoles, une « sensibilisation » est en cours. Ouvrez un manuel scolaire utilisé là-bas pour des enfants du même âge que les nôtres, et vous serez horrifiés par ce qu’on leur enseigne : « Tu es peut-être un garçon… ou une fille… ou peut-être autre chose… tu décideras plus tard. » Et puis, on leur raconte des contes comme Princesse Charmant ou Prince au bois dormant, où on leur dit : « Regarde comme c’est beau, deux personnes du même sexe qui s’aiment comme ton papa et ta maman… mais ce n’est pas tout à fait pareil. » Voilà ce qui se passe. Et je pensais que la Hongrie s’était protégée de cela. Je le pensais parce qu’il y a eu un référendum en 2022. En plus des élections législatives, un référendum sur ce sujet. Et là, les choses étaient claires : trois millions et demi de personnes ont dit non, nous ne voulons pas de ça. Et 190 000 ont dit oui, probablement ceux que nous avons vus dans la rue récemment. C’est un bon rapport de force ! Et il faut qu’il reste ainsi, non seulement dans les urnes, mais aussi sur cette question de la Pride. Mais je me trompais : ce n’est pas derrière nous. C’est une menace bien réelle. Parce que le vrai tournant, ce n’est pas la taille de la manifestation. C’est que les partis d’opposition ont décidé de s’unir à la Pride. Ils en ont fait un programme politique. Ils veulent à nouveau « sensibiliser » nos enfants, ceux que nous pensions avoir protégés. Rappelez-vous comment c’était avant le gouvernement national : les écoles de la capitale appartenaient à la municipalité. Et ce maire, qui a déjà mis en œuvre les directives de Bruxelles sur la Pride en Hongrie, pourrait dire demain : « Ces écoles sont sous notre responsabilité, donc nous faisons de la sensibilisation. » Ce n’est pas un jeu anodin. Il s’agit de nos enfants, et sur ce point, je suis inébranlable. Heureusement, le référendum me conforte dans ma position : trois millions et demi de personnes ont dit non, nous ne voulons pas de ça. Donc, sur la question de la Pride, rien ne peut m’ébranler. Je ne veux pas me disputer avec ceux qui ont participé : ce sont aussi des citoyens hongrois, ils font partie de notre communauté, ils ont leur opinion, et ils ne sont pas d’accord avec nous, surtout sur ce sujet. Et ils ont le droit de le dire. C’est pourquoi nous ne voulons pas transformer cela en affrontement juridique : la politique doit rester à distance. Nous ne nous battons jamais contre des Hongrois. Nous nous battons contre les influences extérieures et ceux qui les servent ici. Donc le fait qu’en Hongrie, une telle manifestation puisse se dérouler sans incident, c’est une bonne chose. Les autorités feront leur travail, et la politique doit rester en dehors de ça. Mais sur le fond, sur la question de la Pride, la politique ne doit surtout pas céder : il ne faut pas laisser cette propagande de genre revenir dans nos écoles, ni pire encore, dans nos maternelles. J’ai vu une vidéo où une institutrice disait qu’elle faisait déjà de la sensibilisation dans une école publique, alors que c’est interdit. Elle le fait, et selon elle, tous les « bons enseignants » le font. Elle dit même que ça devrait commencer dès la maternelle. Là aussi, nous devons agir. Il faut vérifier ce qui se passe réellement. C’est interdit. Il y a eu un référendum, des lois, un programme national d’éducation. Alors comment est-ce possible que de tels contenus réapparaissent dans les écoles ? Nous avons du travail à faire. Toute cette affaire autour de la Pride est bien plus sérieuse, concrète et urgente que je ne l’aurais imaginé avant la Pride de Budapest.
Et puisque nous parlons des familles, venons-en à un autre sujet. Cette semaine, un nouveau programme a été annoncé pour aider les jeunes à acquérir leur premier logement, grâce à un prêt subventionné à taux fixe de 3 %. Qui est concerné ? En effet, par rapport aux programmes précédents, les conditions sont beaucoup moins restrictives.
Il faut retenir deux chiffres : en Hongrie, 80 % des personnes de plus de 40 ans vivent dans un logement qui leur appartient. Mais parmi les moins de 40 ans, seuls 40 % sont propriétaires. On voit bien que les jeunes ont du mal à accéder à la propriété. Ce sont eux que nous voulons aider. Ce programme est un prêt subventionné à taux fixe de 3 %, remboursable sur 25 ans, jusqu’à 50 millions de forints, avec un apport personnel de seulement 10 %, sans condition de lieu de résidence ni d’âge, en dehors du plafond des 40 ans. C’est donc une opportunité pour les jeunes. La porte est ouverte : qu’ils en profitent pour atteindre le même niveau d’accession à la propriété que les générations précédentes. Lors de mon discours de début d’année, j’avais présenté notre feuille de route pour 2025. Bien sûr, nous espérions la paix, un contexte plus facile. La paix n’est pas encore là, la situation reste difficile, mais nous tiendrons tous nos engagements. Exonération d’impôts sur les prestations familiales à partir du 1er juillet : c’est fait. Doublement des crédits d’impôt pour les familles : c’est fait. Prêt pour premier logement destiné aux jeunes : c’est lancé ! Les programmes sont annoncés, même si les effets concrets prendront un peu de temps à se faire sentir. Ce prêt à 3 % est prêt, nous finalisons les discussions avec les banques, et il sera disponible à partir de septembre. Les décisions sont prises. Les effets vont suivre. Pour l’exonération d’impôt sur les allocations parentales, ça représentera 40 000 à 60 000 forints de plus par mois. Pas immédiatement, puisque la mesure est entrée en vigueur le 1er juillet, et ce sera visible sur les paies et versements à partir du 1er août. Mais tout est en route. Je pense donc que nous cochons, un à un, les objectifs que la Hongrie s’était fixés pour cette année.
Au cours de la dernière demi-heure, j’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán entre autres sur les attaques contre la consultation nationale Voks2025, la sécheresse et la Pride.