Zsolt Törőcsik : Hier, la fumée blanche s’est élevée de la chapelle Sixtine ; un peu plus d’une heure plus tard, le pape Léon XIV, premier pape originaire d’Amérique du Nord, est apparu devant les fidèles. Dans sa première prise de parole, il a évoqué la paix, une Église qui bâtit des ponts et se tient aux côtés des pauvres. Nous accueillons dans notre studio le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán. Bonjour.
Bonjour.
Hier, vous avez écrit sur Facebook : « Nous avons un pape, donc il y a de l’espoir. » Dans cette optique, qu’attendez-vous du nouveau pape en ce qui concerne la cause du christianisme et la politique étrangère ?
Je suis les affaires du Vatican pour deux raisons. D’abord, parce que le Vatican est un État, et qu’il fait partie de la vie diplomatique internationale. C’est un État particulier, puisqu’il n’est pas dirigé par un chancelier, même s’il y en a un, mais par un homme de Dieu. C’est un État à part, et il mérite donc au moins deux fois plus d’attention quant aux messages qu’il envoie au monde. Ensuite, je m’y intéresse aussi en tant que croyant, parce que tout homme a besoin d’un guide spirituel, de repères. À mes yeux, le pape n’est pas nord-américain, mais ce seront aux analystes de trancher. Il est né à Chicago, certes, mais si j’ai bien compris, il vient du Pérou, et dans ce sens, il sera sans doute le continuateur de l’œuvre entamée par le pape François. Donc, si je devais répondre rapidement, je dirais que je ne m’attends pas à de grands changements. Mais la question la plus importante, peut-être, est pourquoi le Saint-Père est-il si essentiel pour nous ? Ce n’est pas tant sa personne qui importe, même si cela a aussi son importance, mais plutôt le fait que le monde ait un Saint-Père. D’un côté, il y a les catholiques, de l’autre les réformés : la Hongrie est un pays ainsi constitué. Je pense que chacun d’entre nous, au sein de sa propre Église, a besoin d’un guide spirituel. Le monde moderne tente de remplacer cela par des psychologues. Mais en réalité, ce dont nous avons réellement besoin, ce n’est pas d’être soigné, c’est d’avoir un guide spirituel. Et les catholiques, naturellement, considèrent le Saint-Père comme un tel guide. Mais même pour les protestants, il n’est pas indifférent de savoir qui est le pape, ce qu’il dit, ce qu’il enseigne, les principes qu’il renforce. Parce que nous aussi, nous avons besoin de repères solides, à la fois moraux et spirituels, surtout dans un monde aussi instable, où les valeurs chrétiennes sont constamment attaquées. Je pense donc que nos frères calvinistes, eux aussi, ont besoin d’une figure à laquelle ils puissent se référer, qu’ils puissent écouter, qui soit un repère moral et spirituel pour tous les chrétiens, je le répète : pour tous. J’espère sincèrement que cela restera ainsi à l’avenir.
Eh bien, nous verrons bien, cela se clarifiera dans les semaines et les mois à venir. Ce qui est certain, en revanche, c’est que Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, est intervenue cette semaine devant le Parlement européen, déclarant que l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne devait être accélérée, car ce serait, selon elle, la meilleure garantie de sécurité. Elle a ajouté qu’ils travaillaient à ouvrir tous les chapitres d’adhésion d’ici la fin de l’année. Pensez-vous que cela soit vraiment réaliste d’ici fin 2025 ?
La décision politique a été prise. Elle a été prise contre la volonté de la Hongrie, puisque nous ne soutenons pas l’adhésion de l’Ukraine, encore moins une procédure accélérée. Effectivement, deux discours importants ont été prononcés au Parlement européen, celui du Parti populaire européen et celui de Mme von der Leyen. Et comme Robert Fico l’a dit en réaction à ce discours : « Ce que nous avons entendu là, c’est un suicide économique. » L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne équivaut donc à un suicide économique. Je me réjouis de voir que la Hongrie n’est plus seule à le dire, et que d’autres dirigeants européens partagent désormais cette position. Notre espoir allait dans une direction opposée. Mais aujourd’hui, les dirigeants européens, et surtout le Parti populaire européen, qui est la principale force au Parlement, ont choisi une autre voie : continuer la guerre, maintenir les sanctions, exclure totalement l’énergie russe de l’Europe, et ensuite… advienne que pourra pour l’économie européenne. Nous, notre espoir allait dans l’autre sens. Nous espérons, nous travaillons, nous ne nous contentons pas d’espérer, nous travaillons pour la paix Si la paix revient, alors les sanctions pourront enfin être levées. Et si les sanctions disparaissent, l’énergie deviendra moins chère. Si l’énergie devient moins chère, l’économie reprendra, et ce sera plus facile aussi pour les familles. Malheureusement, l’Union européenne a confirmé qu’elle comptait suivre le chemin inverse. Cela accentue les tensions au sein de la politique intérieure hongroise, parce qu’il existe aujourd’hui deux types de partis en Hongrie. Il y a ceux qui suivent les décisions des dirigeants européens, celles de Mme von der Leyen et du Parti populaire européen, comme la Coalition démocratique (DK) ou le parti Tisza, qui siègent au Parlement européen. Et puis il y a nous, qui défendons une position nationale et qui osons contredire.
Nous parlerons dans un instant des affaires de politique intérieure…
Et d’ailleurs, puisque nous parlons d’un conclave : il ne s’agit même pas seulement de contredire, mais de dire « non » dans toute sa force.
Oui, nous reviendrons sur les implications politiques internes, mais il est vrai que Mme von der Leyen a mentionné, comme moyen de faire adhérer l’Ukraine, la nécessité de couper complètement les importations d’énergie en provenance de Russie. Quelle serait l’incidence d’une telle mesure sur les prix de l’énergie en Europe et en Hongrie ? Et sur la politique de plafonnement des tarifs ? Nous avons des calculs à ce sujet.
Parlons de la réalité actuelle : la Hongrie, au prix d’efforts considérables, a réussi à faire en sorte que, malgré les sanctions contre l’énergie russe, nous ayons aujourd’hui les deuxièmes ou troisièmes prix de l’énergie les plus bas d’Europe, en tout cas pour les ménages. Cela vaut pour le gaz comme pour l’électricité. Les familles hongroises bénéficient donc d’une énergie exceptionnellement bon marché ; leurs factures, même si elles ne sont pas négligeables, restent très en deçà de celles des autres pays. Je le dis souvent : une famille qui vit dans une maison type « cube Kádár », une maison individuelle typique construite à l’époque socialiste, paie environ 260 000 à 280 000 forints pendant une saison de chauffage. En Slovaquie, c’est autour de 480 000 forints, et en Pologne, entre 880 000 et 900 000 forints. Or, si les prix de l’énergie augmentent – et l’interdiction du gaz et du pétrole russes entraînerait inévitablement une hausse des prix – la situation changera radicalement. Jusqu’à présent, la Hongrie importait son énergie à des tarifs plus avantageux depuis la Russie. Si cet accès nous est interdit – peu importe, pour l’instant, que ce soit justifié ou légal, car l’intention, elle, a été clairement formulée –, alors la Hongrie devra payer environ 800 milliards de forints de plus pour l’énergie importée. Nous avons chiffré cela lors de la réunion du gouvernement : les calculs varient entre 600 et 800 milliards. Et cela touche directement la politique de plafonnement des prix de l’énergie, parce que c’est à peu près le montant que l’État consacre aujourd’hui à soutenir les familles. Donc, si Bruxelles parvient à faire passer cette mesure, les factures de gaz et d’électricité des ménages hongrois pourraient doubler du jour au lendemain. C’est cela qui a été décidé aujourd’hui à Bruxelles. Pour une raison mystérieuse, la DK, le parti Tisza, bien qu’ils soient hongrois, soutiennent cette décision. Aujourd’hui, nous ne pouvons compter que sur Mi Hazánk, le Fidesz et le KDNP, nous ne faisons pas partie de la majorité des partis européens au pouvoir, nous appartenons à l’opposition européenne, nous résistons, nous n’avons pas voté pour cela, et nous ne soutiendrons pas cette mesure.
Mais certains affirment que ce plan pourrait être adopté à la majorité qualifiée, même contre la volonté de la Hongrie. Quels moyens existent pour faire obstacle à cette décision ? Et en quoi le vote consultatif en cours peut-il aider à cela ?
Je pense que dans les semaines et les mois à venir, la Hongrie va devoir mener un combat difficile, moi le premier, à Bruxelles. Il nous faudra nous battre pour éviter que les ménages hongrois soient contraints de payer deux fois plus cher leur gaz et leur électricité. Il faut rassembler des alliés, il faut aussi se préparer sur le plan juridique,
parce qu’il existe bel et bien un projet visant à contourner le principe de l’unanimité en vigueur jusqu’à présent, et à permettre qu’une décision soit prise à la majorité qualifiée. Pour ce combat, j’ai besoin de force et de soutien. C’est pourquoi le vote Voks2025, qui porte sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, est directement lié aux prix de l’énergie et à notre politique de plafonnement des tarifs. J’en appelle donc à tous ceux qui souhaitent aider le gouvernement, et m’aider personnellement à mener efficacement ce combat à Bruxelles pour défendre l’accès à une énergie abordable : soutenez-nous, et participez au vote Voks2025.
Vous avez mentionné que, sur cette question, le Fidesz se trouve d’un côté, et de l’autre, la DK et le parti Tisza, si nous considérons les lignes de fracture de la politique intérieure hongroise. Or, cette semaine, le président du parti Tisza a déclaré dans une lettre ouverte adressée au président du Parti populaire européen qu’il n’était pas favorable à une adhésion accélérée de l’Ukraine à l’Union européenne. Pourquoi considérez-vous malgré tout que les membres de ce parti pensent le contraire ?
Écoutez, la principale raison, c’est que ce même chef de parti avait également déclaré qu’il ne siégerait jamais à Bruxelles comme député européen. Il avait aussi affirmé qu’il abolirait le principe de l’immunité parlementaire. Et pourtant, il siège aujourd’hui au Parlement européen, et face à la demande de levée de son immunité liée à des délits présumés commis en Hongrie, il s’y oppose, se cache derrière cette immunité, et continue à faire de la politique à l’abri de cette protection. Dans ces conditions, il est difficile de prendre au sérieux les déclarations de quelqu’un qui a déjà perdu sa crédibilité. C’est pourquoi je considère tout cela comme une mise en scène. Moi, je connais le Parti populaire européen de l’intérieur. Le parti Tisza peut bien dire ce qu’il veut. Nous avons été membres du PPE pendant de longues années. C’est Helmut Kohl lui-même qui nous y avait invités à la fin des années 1990, début des années 2000. Je connais tout le monde là-bas — de près ou de loin, en surface comme en profondeur. Je connais leur mode de fonctionnement. Au sein du Parti populaire européen (PPE), il n’y a pas de place pour les contes de fées. C’est pour cela que nous en sommes sortis. Nous avons quitté ce parti pour une raison claire : ils voulaient nous imposer la position allemande ou bruxelloise sur la question migratoire. Et quiconque reste dans le PPE doit se plier à sa ligne. C’est un parti discipliné : « qui ne marche pas au pas, n’aura pas son gâteau. » Et voilà où nous en sommes : le PPE a même annoncé publiquement qu’il voulait un changement de gouvernement en Hongrie, et qu’il soutiendrait l’accession au pouvoir d’un gouvernement qui appliquerait fidèlement la ligne politique de Bruxelles et du PPE. Et aujourd’hui, cela signifie soutenir la guerre, accélérer l’adhésion de l’Ukraine, accepter la politique migratoire, et adopter la ligne dominante en Europe sur les questions de genre. Quiconque fait partie du PPE représente cela. Peu importe ce qu’il dit, ce qu’il écrit ou ce qu’il prétend.
L’autre parti hongrois favorable au soutien de l’Ukraine que vous avez mentionné est la Coalition démocratique (DK), dont le président jusqu’à présent, Ferenc Gyurcsány, a annoncé hier son retrait de la vie politique hongroise. Que pensez-vous de ce départ ? Et cela pourrait-il entraîner un changement dans la ligne politique de la DK ?
Je dirais qu’il n’est jamais très élégant de commenter les affaires d’autrui, mieux vaut balayer devant sa propre porte. Mais je me permettrai tout de même deux remarques. La première remarque c’est que la DK mène un combat acharné contre le parti Tisza. Pas contre le gouvernement ! Le duel DK–gouvernement est clos depuis longtemps, et les électeurs ont déjà tranché à quatre ou cinq reprises. La bataille actuelle, c’est une lutte pour le leadership de l’opposition, voire pour sa survie. Nous assistons à un match DK–Tisza, et les responsables de la DK ont visiblement estimé que ce changement leur donnerait de meilleures chances. C’est leur parti, leur décision ; cela ne m’appartient pas d’en juger, et je ne le ferai pas. Mais l’affaire s’est entremêlée à un événement privé : le divorce de Ferenc Gyurcsány et de Klára Dobrev, qui devient la nouvelle dirigeante de la DK. Là, je ne peux dire qu’une chose : j’ai de la compassion pour eux. Après tant d’années de mariage, décider de continuer sa vie séparément, c’est une épreuve humaine, et certainement pas une décision facile. C’est une affaire privée, et cela ne doit en aucun cas entrer dans la sphère politique. Tout ce que nous pouvons dire ici, c’est que nous leur exprimons notre sympathie.
Puisqu’on parle de politique intérieure, hier, le parti Tisza a rendu publique un enregistrement audio datant de 2023, dans lequel le ministre de la Défense parle de la constitution d’une force armée puissante et de la nécessité de passer à la phase zéro de la préparation à la guerre. Le parti Tisza affirme que cela prouve que le gouvernement hongrois n’est pas en faveur de la paix, et même qu’il se prépare à la guerre. Comment interprétez-vous cette déclaration ? Est-elle, selon vous, en contradiction avec la position pro-paix que vous avez toujours affirmée ?
Si cet enregistrement correspond bien à la transcription ce que j’ai lue, alors c’est la position officielle du gouvernement qui est exprimée. La position du gouvernement est donc que la paix exige de la force, la paix exige une armée. Il ne faut pas confondre les forces armées hongroises avec l’Armée du Salut. L’Armée du Salut est une organisation civile et pacifique, qui mène des actions en faveur de la paix. Les forces armées hongroises, elles, sont là pour défendre la Patrie en cas de danger ou d’agression. Pour cela, il faut des combattants, et nous avons besoin d’une armée capable et prête à se battre pour la liberté et l’indépendance de la Hongrie si elle devait être attaquée. Donc, nous n’avons pas besoin de salariés en uniforme, mais de soldats. Je le répète : la paix exige de la force. C’est une position que nous assumons pleinement. C’est notre position officielle qui figure dans tous les documents gouvernementaux, il n’y a rien à « révéler » ici. Ce qui me dérange beaucoup plus, en revanche, c’est le rôle joué par l’ancien chef d’état-major dans cette mascarade politique. J’ai décidé de le relever de ses fonctions. Je n’ai pas donné d’explication détaillée parce que je considère qu’il est inapproprié d’impliquer l’armée dans les débats politiques. À mes yeux, la bonne attitude, c’est que l’armée reste en dehors de la politique partisane. Bien sûr, elle fait partie intégrante de la stratégie nationale, et même elle en est un pilier fondamental, mais elle doit rester éloignée des querelles de pouvoir et des conflits partisans. D’ailleurs, notre système constitutionnel repose aussi sur ce principe : l’armée, dans ce sens, est soustraite à la vie politique hongroise. C’est pourquoi, lorsqu’il s’y passe quelque chose, je m’efforce de ne faire que des commentaires très brefs en public, parce que toute justification plus détaillée risquerait d’intégrer l’armée dans l’espace des débats politiques. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas développé publiquement les raisons de la révocation du chef d’état-major. Mais hier, certaines informations ont été rendues publiques qui, à mon sens, éclairent les véritables raisons de cette décision. Concrètement, je ne me sentais pas en sécurité quant à la situation de l’armée hongroise, car j’avais le sentiment que sa direction adoptait une orientation pro-ukrainienne, là où elle aurait dû être prioritairement pro-hongroise. Ou, pour être plus équitable : selon cette orientation, l’intérêt hongrois pouvait être mieux servi à travers une position favorable à l’Ukraine. Mais c’est une erreur ! Et ce n’est pas à l’état-major militaire de trancher une telle question, mais au leadership politique responsable de la direction du pays. Or, notre décision politique, fondée sur des analyses solides, est que soutenir l’Ukraine dans ce conflit, puis plus tard dans son processus d’adhésion à l’Union européenne, va à l’encontre des intérêts de la Hongrie. Et nous avons pleinement le droit de prendre cette décision. M. Weber a déclaré au Parlement européen que les Ukrainiens ont le droit d’adhérer à l’Union européenne. C’est une erreur ! Les Ukrainiens ont le droit de poser leur candidature à l’Union européenne. Mais nous, qui sommes déjà membres, nous avons le droit de décider. Dire oui ou non. Voilà la réalité de la situation. Et je n’accepte aucune pression extérieure, et encore moins une pression venue de l’intérieur de l’armée hongroise, qui viserait à forcer la direction politique du pays à défendre des intérêts ukrainiens au lieu des intérêts hongrois. Et il y avait aussi, dans ce cas, un élément personnel. C’est pourquoi je regrette que l’ancien chef d’état-major soit monté sur la scène politique, puisque je m’attendais à ce qu’il se retire discrètement, par honte. Quand on découvre qu’un général se fait faire une liposuccion à l’Hôpital militaire, aux frais du contribuable, pour améliorer son apparence physique, alors, normalement, il faut disparaître, parce qu’un tel comportement est tout simplement indéfendable. Au lieu de cela, il se place au centre de la vie politique, et attaque la politique militaire du gouvernement hongrois, une politique qui défend l’intérêt national. À mes yeux, ce n’est pas acceptable. C’est une triste histoire.
Ces vingt dernières minutes, nous avons évoqué de nombreux risques, notamment des risques économiques, comme ce projet de la Commission que, vous-même et Robert Fico, avez qualifié de suicide économique. Pourtant, le gouvernement a déjà soumis le budget 2026 au Parlement hongrois. Compte tenu des facteurs externes et internes, des pressions et des incertitudes, dans quelle mesure les engagements pris pour l’année prochaine sont-ils ambitieux ?
Très ambitieux, pour faire court. La question pour 2026, à laquelle le budget doit également répondre, est donc la suivante : l’argent des Hongrois ira-t-il à l’Ukraine ? Nos possibilités financières seraient radicalement différentes selon que Bruxelles envoie l’argent des Hongrois en Ukraine, ou nous oblige à le transférer nous-mêmes depuis Budapest, ou bien, au contraire, que nous parvenions à l’empêcher. Ce budget part donc du principe que, en 2026, la Hongrie aura encore un gouvernement national. Un gouvernement qui n’enverra pas d’argent en Ukraine, qui n’enverra pas d’armes en Ukraine et qui défendra les intérêts hongrois en ce qui concerne les fonds envoyés par l’Union européenne à l’Ukraine. C’est sur cette base que repose le budget. En effet, le débat politique en Hongrie, aujourd’hui, porte clairement sur cette question : aurons-nous, en 2026, un gouvernement pro-ukrainien ou un gouvernement pro-hongrois ? Il faut prendre position sur cette question, car il faut bien bâtir le budget sur une base claire. Et ce budget repose sur l’hypothèse qu’après 2026, la Hongrie aura un gouvernement national, un gouvernement pro-hongrois. Cela signifie que l’argent des Hongrois ne partira pas en Ukraine, mais qu’il sera dépensé ici, utilisé ici, c’est cela le point de départ du budget. Ce budget s’engage fortement en matière de soutien aux familles. Les chiffres sont énormes, je ne sais pas si les auditeurs peuvent les situer dans leur propre réalité. 4 800 milliards de forints seront consacrés à la politique familiale ; près de 800 milliards iront au maintien du plafonnement des prix de l’énergie ; soit un total de 5 600 milliards de forints pour ces deux postes combinés. 7 700 milliards de forints seront affectés aux retraites et aux prestations pour les personnes âgées. Et puisque nous avons parlé de défense : en 2026, nous verserons la « prime armée », soit l’équivalent de six mois de salaire pour les forces armées, cela représente 450 milliards de forints. La politique d’augmentation des salaires des enseignants se poursuivra également. Et nous allouerons aussi des ressources importantes au développement économique : au lieu des 100 usines prévues, ce sont 150 qui seront lancées, parce que les données décevantes sur la croissance économique rendent cet effort indispensable. Cela mobilisera 5 050 milliards de forints. En parallèle, le budget prévoit une augmentation des dépenses en matière d’éducation, et une hausse de 280 milliards de forints pour la santé en 2026, portant le budget global de la santé à environ 4 000 milliards de forints. Voilà à quoi ressemble ce budget : il est optimiste, opposé à la guerre, et il fixe des objectifs ambitieux.
Il reste un autre risque majeur, sur lequel le gouvernement a travaillé ces derniers mois : l’inflation. Pour continuer à la faire reculer, la décision a été prise cette semaine d’élargir le dispositif de blocage des marges commerciales. Qu’est-ce qui a motivé cette décision et qu’attendez-vous de cette mesure ?
Nous sommes confrontés, depuis plusieurs années déjà, à un dilemme de taille, car la Hongrie a subi un choc inflationniste massif, lié à la guerre. Depuis le plan Bokros – un choc que nous nous étions infligés nous-mêmes à l’époque, résultat d’une mauvaise politique économique intérieure – cette fois-ci, le coup vient de l’extérieur. Les familles comme les entreprises, nous avons été frappés de plein fouet à cause de la guerre, par une inflation extrêmement élevée. Nous nous efforçons donc de faire redescendre les prix sur terre, parce que nous avons le sentiment que dans plusieurs secteurs, les hausses de prix sont tout simplement injustifiées ou du moins, les niveaux atteints ne sont pas acceptables. Nous voyons des prix excessifs, qui, en fin de compte, vident les poches des familles hongroises. Le mot « pillage » a peut-être des accents trop guerriers ici, mais en réalité, ces prix leur prennent leur argent, les dépouillent par le biais de hausses injustifiées. Et cela, nous ne pouvons pas l’accepter. Le gouvernement est donc là pour protéger les citoyens, surtout quand cette protection est pleinement justifiée. Et dans ce cas, elle l’est. C’est pourquoi nous devons intervenir dans le système des prix. C’est une question très délicate. Dans une situation idéale, s’il n’y avait pas eu de choc inflationniste extérieur, et si les commerçants étaient restés modérés, le gouvernement n’aurait pas à intervenir dans la formation des prix. Mais dans de nombreux pays européens, et même dans la plupart d’entre eux, il a fallu le faire, y compris la Hongrie, même si l’on peut débattre du caractère sain d’une telle mesure à long terme, car en principe, une économie devrait pouvoir s’autoréguler. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas le choix : il faut protéger les familles. C’est très difficile d’intervenir de manière appropriée. Il existe toute une série d’instruments, mais si nous nous y prenons mal, les familles n’y gagneront finalement rien. C’est pourquoi, après de longues expérimentations et une certaine expérience, nous avons finalement opté pour un système de régulation des marges commerciales. Je constate que cela fonctionne, puisque nous l’avons déjà appliqué aux produits alimentaires. Concrètement, nous fixons un plafond sur la marge que les commerçants peuvent appliquer par rapport à leur prix d’achat. Cette marge couvre non seulement leur bénéfice, mais aussi leurs coûts. Et nous en limitons désormais ce montant comprenant leurs bénéfices et leurs coûts. Cela permet d’empêcher de nouvelles hausses de prix, ou même de faire redescendre certains prix qui avaient atteint des niveaux déraisonnables. Nous avons déjà introduit ce dispositif pour les produits alimentaires, et tout le monde peut en observer les effets, chacun a un avis, une expérience. Une chose est sûre : cela a provoqué une dynamique, et les prix ont bougé. Mais nous avons constaté que les familles ne sont pas seulement touchées par les prix élevés des denrées alimentaires, mais aussi par les prix exorbitants de certains articles ménagers. Nous les avons donc recensés. Cela représente 30 grandes catégories de produits ménagers, soit plusieurs milliers d’articles. Nous avons fixé une règle claire : dans ces catégories, la marge commerciale ne pourra pas dépasser 15 %. Nous espérons que cela entraînera de fortes baisses de prix et, ce faisant, soulagera les familles.
J’ai interrogé le Premier ministre Viktor Orbán sur les débats autour de l’adhésion et du soutien à l’Ukraine, le budget pour l’année prochaine, et l’extension du plafonnement des marges commerciales.
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