Réponses de M. Viktor Orbán, premier ministre de Hongrie, aux questions posées à la suite de son discours par les participants à la 28ème Université d’été de Băile Tuşnad en Roumanie
le 22 juillet 2017

Autonomie. Je voudrais vous donner mon point de vue personnel. Celui du gouvernement est connu. Le gouvernement est favorable à l’autonomie. Mon point de vue personnel tient en peu de mots : je suis favorable à l’autonomie, à défaut de mieux.

En ce qui concerne les questions relatives à la politique intérieure roumaine et à la politique intérieure des Hongrois de Roumanie, j’ai l’impression que vous me posez des questions dont vous connaissez mieux les réponses que moi, et que vous me faites passer un examen. Si vous permettez, je ne m’y engagerai pas. Je voudrais me borner à répondre sur un seul point : celui de notre relation avec le RMDSZ [Alliance démocratique des Hongrois de Roumanie]. Je voudrais qu’il soit clair que nous pouvons penser ce que nous voulons des aspects philosophiques, des idéaux politiques, des bonnes stratégies et des tactiques politiques, il y a un point sur lequel il est inutile de phosphorer : celui de savoir pour qui les électeurs vont voter. Et moi, en tant que premier ministre de Hongrie, je ne peux pas ne pas tenir compte du fait que le premier ministre de Hongrie doit toujours respecter la décision des Hongrois de Transylvanie lorsqu’ils choisissent parmi les forces politiques qui se présentent à leurs suffrages : et puisque leur écrasante majorité choisit le RMDSZ, notre devoir est d’entretenir, avec ce parti politique comme avec les autres, une relation basée sur le respect, l’honnêteté et le bon sens.

Sur le sujet des artistes vivant en Transylvanie, je voudrais rappeler que nous avons créé en Hongrie l’Académie hongroise des Arts qui, je pense, peut offrir des possibilités, des moyens d’action et des perspectives également aux artistes vivant en Transylvanie.

Concernant le Brexit, je voudrais dire que je ne partage pas le mauvais état d’esprit qui règne actuellement à Bruxelles et qui considère le Royaume-Uni comme un ennemi. Beaucoup croient que le moment est venu de prouver que l’on ne peut vivre que plus mal en-dehors de l’Union européenne qu’à son intérieur. Je trouve cette approche totalement erronée. Chaque nation détermine souverainement le cadre dans lequel elle estime que ses intérêts seront le mieux valorisés : à l’intérieur ou à l’extérieur. Et si l’on décide que c’est à l’extérieur, il faut laisser ce choix se concrétiser. C’est pourquoi je récuse la dichotomie sémantique que l’on nous propose : Brexit hard ou soft. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un processus et d’un accord de sortie qui soit fair, c’est-à-dire correct. Le Royaume-Uni est notre ami, même s’il n’est pas membre de l’Union européenne.

Il y avait encore une question, enrobée dans plusieurs questions de détail, qui portait sur le point de savoir si les mesures de politique sociale introduites en Hongrie peuvent être étendues aux Hongrois vivant au-delà des frontières. Le point de départ de ma réponse est oui. C’est l’ordre chronologique qu’il faut définir, le quand et le comment. Nous ne devons agir dans le sens de l’extension de la politique hongroise à tous les Hongrois que si nous sommes sûrs que cela ne provoquera aucune hostilité chez nous, à l’intérieur. Rappelez-vous le référendum sur la double nationalité [du 5 décembre 2004]: il se trouve toujours des forces politiques peu recommandables en Hongrie qui sont capables d’exploiter même les questions nationales les plus fondamentales pour opposer les Hongrois les uns aux autres. J’avancerais donc très prudemment dans ce domaine. Je crois que la glace a été rompue, lorsque nous avons décidé que l’un des éléments majeurs de notre politique familiale, l’introduction de la prime à la naissance, serait également disponible à toute famille hongroise vivant au-delà des frontières. Nous avons ainsi étendu notre politique familiale à l’ensemble de la nation. Il faut progresser pas à pas, et je voudrais demander le soutien, la patience et la compréhension de tous sur ce point. Cela vaut pour l’aide à l’acquisition de leur logement par les familles élevant des enfants, qui a démarré maintenant en Hongrie. Je n’en suis pas pleinement satisfait, parce que je constate qu’elle n’est pas encore assez motivante pour la population des campagnes. En ville, cela va mieux. Il nous reste à mettre en place un programme de soutien au logement dans le cadre de notre politique nataliste dans les campagnes. Et ensuite, sur la base de l’expérience acquise, nous pourrons envisager une extension à l’ensemble du Bassin des Carpates.

En ce qui concerne la réforme du système judiciaire polonais, nous nous trouvons face à un traitement classique « deux poids, deux mesures ». Les Polonais n’ont rien fait, ils n’ont introduit dans leur système juridique aucune modification qui s’écarte des idées et des principes adoptés par l’Union européenne et mutuellement partagés. Ce que fait Bruxelles avec les Polonais est donc absolument incorrect, injuste, malhonnête, c’est une manifestation typique du « deux poids, deux mesures » qu’aucun homme de bonne volonté – je ne dis pas cela seulement parce que nous sommes hongrois, mais parce que nous sommes des hommes de bonne volonté – ne peut accepter. Dans des cas comme celui-là, il faut toujours prendre le parti de celui qui est agressé. Je le signale au camarade Schulz : nous sommes solidaires avec la Pologne.

Réformation. Je voudrais dire deux choses. La première, que l’Eglise doit toujours être réformée. C’est l’expérience principale. C’est aussi le point de rencontre évident entre le concept de réformation et notre activité politique. La seconde, que la Réformation et l’histoire du protestantisme en Hongrie sont un bon argument en faveur de l’élimination de nos dictionnaires du mot « impossible ». Car après les 500 ans que nous avons vécus, le simple fait que nous soyons encore là nous donne le droit de nous considérer aptes et capables à tout. En ce qui concerne l’aspect personnel de cette question, je dois vous dire que je me débats – je dirais même que je lutte – en permanence avec un problème philosophique et stratégique. Nous en parlons régulièrement avec le vice-premier ministre Zsolt Semjén. Il s’agit de savoir comment se présente dans notre métier le problème de la justice et de la majorité. Ne vous effrayez pas, je ne vais pas commencer un cours là-dessus. Je voudrais simplement dire que si l’on n’a pas de majorité, l’on n’a pas non plus les moyens politiques pour agir en faveur de la justice. Et si l’on a la majorité, et que l’on ne l’emploie pas en faveur de l’accomplissement de la justice, à quoi bon avoir la majorité, à quoi bon avoir le pouvoir ? Et ce problème doit être résolu dans un monde où les hommes et les femmes de l’époque moderne se détournent de plus en plus du christianisme. En d’autres termes, comment peut-on concilier, sur une base chrétienne-démocrate, la majorité nécessaire à l’exercice du pouvoir politique et la conviction nécessaire à la réalisation de la justice chrétienne ? C’est avec ce problème que je me débats depuis très longtemps. L’histoire, le terreau de la Réformation, la Bible elle-même fournissent beaucoup de conseils et d’orientations, mais je voudrais vous faire savoir à tous qu’il ne s’y trouve pas de réponse explicite et littérale. Nous devons donc continuer à réfléchir sur la manière dont nous pouvons lier l’une à l’autre, dans le service de la nation, ces deux dimensions que sont la justice et la majorité. Et encore une remarque : nous sommes reconnaissants à nos frères catholiques qu’ils supportent bien les festivités du 500ème anniversaire de la Réformation.

Pourquoi ne sommes-nous pas plus durs avec les représentants hongrois de l’empire Soros ? Nous pouvons encore l’être. Ne l’excluons pas. Mais les instruments disponibles dans les combats politiques ont des limites dans la culture politique européenne. Nous n’avons pas dépassé ces limites, que nos adversaires dépassent d’ailleurs régulièrement. Je pourrais en donner des exemples, mais je pense que le dirigeant d’un pays et d’un gouvernement en aussi bonne santé que le nôtre n’a pas à se plaindre. Laissons cela de côté. Mais le fait est que sur la base des usages généraux de la culture européenne nous n’avions aucun problème – j’exagère : nous n’avions pas trop de problèmes – à vivre dans le même pays et sous le même toit que George Soros et ses représentants, tant que notre débat avec eux était de nature philosophique, culturelle, d’idéal politique ou de philosophie économique. De toutes ses questions, même s’il y a un monde entre nos conceptions respectives, il est possible de discuter de manière sensée, sans devoir légiférer ou faire appel à la force publique. La situation s’est renversée à partir du moment où cet empire Soros a mis le pied sur un terrain que l’on appelle la sécurité nationale, et là il n’y a pas de pardon. Il est de fait que George Soros a commencé à employer son argent, ses hommes et ses organisations au transport de migrants vers l’intérieur de l’Europe. Il a mis lui-même le pied sur la scène de la sécurité nationale, il a rendu public son programme, qui est contraire à la sécurité des Hongrois, aux intérêts de court, moyen et long terme de la Hongrie, et porte atteinte à la sécurité de la Hongrie et des Hongrois. Et là, il n’y a pas de pardon, il faut intervenir de manière énergique et déterminée avec tous les moyens du droit, de la loi et du respect de la loi. Ce n’est pas de lui qu’il s’agit, mais de notre sécurité, de la sécurité de chaque Hongrois, du droit de chaque Hongrois à vivre à l’abri du terrorisme et dans le respect de son identité nationale. Il ne s’agit donc plus d’un débat philosophique. Nous devons nous assurer que tout le monde respecte les dispositions juridiques applicables à la sécurité nationale, y compris celui qui s’appelle George Soros. Il ne peut pas incarner l’exterritorialité, ni lui ni ses représentants ne peuvent bénéficier de l’exterritorialité sur le territoire de la République de Hongrie.

« Poutine ou Trump ? » C’est la question classique. On a demandé une fois à un Polonais, à l’époque communiste, qui il choisirait de Hitler ou de Staline à une période historique donnée. Il a répondu : Marlène Dietrich. Je veux dire par là qu’il n’y a pas de bonne réponse à une mauvaise question. Mais restons sérieux. Quelle doit être la référence, quelle est, à tout moment, l’étoile qui doit guider la politique étrangère hongroise ? Trump ? Poutine ? Merkel ? ou quoi ? L’étoile qui doit guider la politique étrangère hongroise est l’intérêt de la Hongrie. Nous avons un seul devoir : établir nos relations internationales de manière à ce qu’elles servent les intérêts de la Hongrie. Je ne suis pas partisan d’une politique qui repérerait quelqu’un pour s’associer à lui. Dans le monde moderne, une telle attitude de mène à rien. Nous l’avons fait dans le passé, la Hongrie en a retiré une certaine expérience, cela n’a rien donné de bon. Ce que nous devons faire – c’est un peu plus compliqué et difficile, mais pas impossible –, c’est d’entretenir avec chaque pays important du point de vue de notre existence des relations où notre succès soit aussi dans l’intérêt du partenaire. C’est cette figure artistique-là que nous devons réaliser.

Je peux affirmer aujourd’hui que nous avons établi avec la Russie une relation où le succès de la Hongrie est dans son intérêt. Nous avons établi avec les Etats-Unis une relation où notre succès – car nous sommes alliés – est dans leur intérêt. La Chine, à condition qu’elle nous aperçoive – car il y a toujours ce problème de dimension, le problème de la différence des ordres de grandeur –, peut dire tranquillement qu’il est dans son intérêt que la Hongrie, en tant que membre de l’Union européenne, soit forte. Et la situation est la même avec l’Etat d’Israël. Si nous regardons la situation de l’Etat juif, je dois dire que l’intérêt de l’Etat d’Israël est que la Hongrie soit forte. Ou encore les Turcs, qui sont là à nos portes, au sud. Les relations entre la Hongrie et la Turquie sont telles qu’aujourd’hui si un dirigeant politique turc considère la Hongrie, il verra un pays au succès duquel il est lui-même intéressé. C’est ainsi que nous avons fait en sorte – cela fait sept ans que j’y travaille – qu’au lieu d’une logique rétive d’alliances nous bâtissions une politique étrangère basée sur l’intérêt national. Nous y avons consacré de nombreuses années de notre vie, non sans succès. Nous sommes bien placés. Une seule pièce manque à cette mosaïque : Bruxelles. C’est le problème que nous devrons régler après les prochaines élections. Ce n’est pas impossible, j’y vois des chances, il y aura un accord, mais il faut encore un peu de temps.

A la question des journalistes je répondrai que ce n’est pas en tout et pour tout aux journalistes et aux hommes politiques que je pensais lorsque j’ai dit que nous nous ferons un plaisir de leur offrir la possibilité d’une vie paisible, tranquille et chrétienne sur le territoire de la Hongrie, mais à tout homme et femme du monde occidental. J’ai seulement voulu dire qu’il est erroné de parler de la Hongrie comme d’un pays qui n’accepte pas d’étrangers. Ceux qu’elle n’accepte pas sont ceux dont elle craint qu’ils vont modifier son identité culturelle, mais nous avons toujours accepté avec la plus grande hospitalité ceux qui n’ont pas l’intention de modifier notre identité et souhaitent au contraire cohabiter avec nous, aiment notre culture et sont capables de se fixer avec nous des objectifs communs. Nous ne savons pas ce que nous apportera l’avenir, et nous ne souhaitons certes pas à l’Europe occidentale que les sombres prévisions que l’on entend se réalisent. Je ne souhaite pas non plus à l’Europe occidentale qu’elle fasse l’expérience concrète de ce que les plus simples modèles mathématiques nous laissent entrevoir. Quelque vraisemblables que soient ces prévisions, je ne souhaite pas à l’Europe occidentale qu’elles se réalisent, mais s’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que tant que cela dépendra de nous, la Hongrie restera un pays de chrétiens, de sensibilité nationale, où les chrétiens d’Europe occidentale trouveront toujours leur compte et leur sécurité, s’ils s’intègrent à la société hongroise et acceptent les objectifs de notre nation.

Sur le point de savoir s’il existe un plan mondial, ou s’il existe une contribution de la Hongrie à un plan mondial qui permettrait de supprimer à la racine les causes du phénomène migratoire, je peux vous dire ceci : il faut porter l’aide là où est le mal, et pas importer le mal chez nous. Nous n’en parlons pas beaucoup, et c’est une erreur. Il existe une agence hongroise appelée « Hungary helps », qui déploie un programme dans lequel nous avons investi énormément d’énergie : nous dépensons des millions et des dizaines de millions d’euros pour aider les pays d’où proviennent aujourd’hui les migrants qui se dirigent vers l’Europe. C’est une erreur de ne pas en parler. Les Hongrois sont d’ailleurs, depuis bien 150 ans, légendairement mauvais dans l’auto-encensement et l’autosatisfaction. Je le ressens en quelque sorte moi-même, lorsque je parle de nous : lorsque j’en arrive à faire notre propre éloge, j’ai du mal. L’on a quelque part un sentiment de gêne, parce que si nos réalisations et tout ce que nous avons fait pour notre pays ne parlent pas d’elles-mêmes, pourquoi chercher à en convaincre quiconque ? En Hongrie, la capacité que l’on appelle communication moderne ou PR, ou encore marketing, est notoirement sous-développée. Et c’est pourquoi nous laissons encore maintenant nos adversaires nous décrire comme si nous n’avions pas de cœur. Toute notre attitude en ce qui concerne le phénomène migratoire est interprétée par nos adversaires en Occident comme si nous étions une peuplade sans cœur, alors que je suis convaincu que compte tenu de notre population, de la dimension de notre communauté nationale et de nos moyens économiques nous dépensons des sommes proportionnellement beaucoup plus importantes que bien d’autres pays pour aider les pays et les populations aujourd’hui dans le besoin, et qui deviennent pour cela le point de départ des migrations. Les importants moyens financiers et les sacrifices que nous consentons ne viennent pas seulement en aide aux chrétiens, mais aussi aux communautés musulmanes. Nous devrions le faire savoir bien mieux, et peut-être trouverai-je un jour des collaborateurs chez nous à qui cela ne causera ni gêne, ni complexes. Je n’en ai pas encore trouvés au sein du Fidesz, et chez les Chrétiens-démocrates je n’ai aucune chance. Nous devrons donc importer ce savoir de quelque part ailleurs. Sans parler du fait que nous offrons à ces pays d’où proviennent les réfugiés, ou plus précisément les migrants, des centaines de bourses et recevons des centaines de boursiers. Aucun autre pays que la Hongrie n’offre en Europe autant de bourses, des bourses d’Etat hongroises, à des étudiants du monde musulman désireux d’étudier. Et nous pouvons tous en être fiers.

Et enfin, j’ai reçu beaucoup d’encouragements de votre part. Nous avons rarement l’occasion de nous rencontrer, c’est pourquoi je voudrais m’adresser à vous sur un ton un peu plus personnel. Les manifestations de reconnaissance et les encouragements me touchent, et je voudrais vous en remercier. La situation est – M. le pasteur Tőkés peut le confirmer, parce qu’il a déjà fait ce pèlerinage – que dans mon métier l’on doit souvent donner l’impression d’être fait au moins de bois, sinon plutôt de fer. Je ne m’en trouve pas mal, mais ce n’en est pas moins un mensonge, parce que je ne suis ni de bois, ni de fer, je suis moi aussi un homme de chair et d’os, et j’ai besoin comme tout le monde d’être encouragé et soutenu. Et je vous suis reconnaissant de m’en donner chaque année la possibilité.

Je vous remercie de m’avoir écouté.